L'avènement du numérique a profondément transformé les modes de production, de diffusion et de consommation des contenus culturels : la démultiplication des capacités de stockage, d’accessibilité et de circulation des produits culturels a occasionné une transformation radicale des modes de consommation1. Cette « numérimorphose »2 décrit de nouvelles formes de consommation culturelle, notamment guidées par les algorithmes de recommandation3. Auparavant au bout de la chaîne de production de valeur économique, le consommateur est dorénavant devenu le point de départ de celle-ci, les technologies algorithmiques permettant de court-circuiter les « intermédiaires historiques ». Parmi eux, on retrouve, pêle-mêle les salles de cinéma, les critiques culturels, la radio, les disquaires, mais aussi les États : ces derniers ont force de loi sur la régulation (quotas, par exemple), la constitution juridique de l’œuvre (droit d’auteur et de reproduction), les politiques culturelles relatives tant à la création (soutien aux artistes, aux entreprises culturelles, à la formation artistique, etc.) qu’à l’offre culturelle (musée, festival, salle de spectacle, etc.).
De fait, le concept de découvrabilité semble émerger au croisement 1) des pratiques « numérimorphosées » de consommation et de diffusion orientées par les algorithmes et 2) des logiques de désintermédiation, à savoir un « phénomène de suppression, de remplacement ou de réduction des groupes ou institutions intermédiaires jugés obsolètes »4 et induite par l’économie numérique globalisée.
Comment établir des politiques culturelles locales en prenant en compte les nouvelles formes de consommation culturelle ? Comment protéger les artistes, entreprises et patrimoines locaux (représentatifs de la diversité culturelle et linguistique au niveau mondial) face à une intermédiation algorithmique dont les orientations relèvent du secret industriel des plateformes numériques ? Comment la scène locale peut-elle contribuer au maintien d’une souveraineté culturelle mise en péril ? Comment parvenir à embrasser ces dynamiques du numérique toujours plus multiscalaires ? En d’autres termes, comment les États et leurs administrés (artistes, entreprises, citoyens, etc.) peuvent-ils « reprendre la main » sur les industries culturelles et créatives (ICC), désormais pleinement mondialisées et numérisées ?
Dans le cadre de travaux liés à la découvrabilité des contenus musicaux francophones sur les plateformes de service de diffusion en continu (PSD)5, une école d’été6 a été organisée réunissant des chercheurs, des professionnels des secteurs culturels et des artistes (+/= 45 intervenant.es québécois et français). Pendant une semaine, les participants ont exploré les dynamiques de découvrabilité, en abordant les bouleversements liés au streaming, à l’intelligence artificielle générative (IAG) et aux transformations du secteur musical.
Cet article vise à faire état des présentations et débats ayant eu lieu durant cette semaine pour réfléchir sur la notion de découvrabilité. La première partie en retrace l’histoire sociotechnique, montrant comment les innovations technologiques, bien avant l’ère numérique, ont redéfini l’industrie musicale et les conditions de travail des artistes. La deuxième partie analyse l’impact des politiques de découvrabilité au Québec, en les abordant comme un outil de reconnaissance identitaire. Enfin, la dernière partie examine les tensions fondamentales de la découvrabilité, notamment l’impact écologique des pratiques numériques et le rôle central de l’IA. Cet article sera conclu par une proposition de redéfinition de la découvrabilité permettant l’extension de cette problématique aux enjeux sociaux et aux transformations actuelles imposées par l’IA.
I. La découvrabilité au prisme de la musique : une approche transdisciplinaire
S’il existe bien une définition officielle de la découvrabilité (voir ci-dessous), les usages parfois galvaudés de ce terme en complexifient la compréhension. Utilisé tant par les États que les plateformes ou les bailleurs de fonds culturels (notamment au Québec), ce terme encore confidentiel il y a 10 ans semble être devenu une étape incontournable dans la valorisation des contenus culturels.
Pour l’OQLF7 (Office québécois de la langue française), la découvrabilité est spécifique au contexte numérique, la définissant comme le « potentiel pour un contenu, disponible en ligne, d'être aisément découvert par des internautes dans le cyberespace, notamment par ceux qui ne cherchaient pas précisément le contenu en question »8 . En complément à cette définition, se trouve également cette note : « La découvrabilité d'un contenu dépend de divers facteurs, notamment les métadonnées et les mots-clés qui lui sont associés, son référencement, la publicité dont il fait l'objet, les algorithmes du moteur de recherche utilisés ainsi que les habitudes de navigation des internautes. La découvrabilité se distingue de la trouvabilité, cette dernière étant restreinte au potentiel d'un contenu d'être trouvé intentionnellement »9.
Cette définition technocentrée omet les enjeux sociaux, économiques et politiques, opposant intérêts locaux et logiques de profit. La notion de découvrabilité désigne la capacité des contenus numériques, notamment culturels (musique, films, productions artistiques, etc.) à être accessibles, visibles et « découvrables » par les publics dans un contexte numérique. Avant les années 2000, des structures comme la radio et la télévision occupaient cette fonction en organisant et contrôlant la diffusion des œuvres. Aujourd’hui, à l’ère du tout-numérique, la découvrabilité est devenue un outil stratégique ancré dans un cadre géopolitique où des États cherchent à préserver leur souveraineté culturelle face aux plateformes numériques internationales. Elle est désormais une composante clé dans l’affirmation et la défense de la diversité linguistique et culturelle face à une dynamique de mondialisation exponentielle.
I.1. Socio-histoire de la découvrabilité musicale : un phénomène technologique plus que numérique ?
Avant même que le concept de découvrabilité ne prenne forme, l’industrie musicale a toujours été façonnée par des dynamiques de reproduction, de possession et d’accessibilité. Sandria P. Bouliane (université Laval, Canada)10, a ainsi retracé les trajectoires industrielles des musiques populaires au Québec avant 1950. Dès la fin du XIXe siècle, l’industrialisation de la musique a permis une reproduction des œuvres, facilitée par des technologies comme le rouleau perforé et le disque phonographique. La musique enregistrée et la radiodiffusion ont permis une diffusion plus large et les performances (concerts et spectacles) sont alors devenues accessibles à une audience de masse distante, bouleversant ainsi les conditions de travail des artistes.
L’introduction de chaque nouveau support a suscité de la résistance dans l’industrie musicale. En 1925, la radio a été perçue par certains comme une « nuisance » pour la musique vivante, et l’industrie phonographique fut critiquée pour ses effets sur l’emploi des musiciens.
Les institutions et médias de l’époque ont eu une incidence analogue à celle des algorithmes dans la « découvrabilité » des contenus musicaux. Des journaux comme La Presse et Le Devoir ont participé à la promotion de la musique enregistrée en dépit des protestations des acteurs de l’industrie. De même, le Conservatoire de musique de Québec et d’autres institutions ont influencé le public en s’opposant à l’épanouissement de genres musicaux émergents tels que le jazz, jugé trop exotique et corrupteur. Désormais, c’est au tour des PSD de valoriser des genres, artistes et pratiques de consommation, au détriment de l’expression des diversités.
Cette dynamique qui remonte aux origines de l’ère industrielle a redéfini la manière dont les contenus sont découverts et consommés ainsi que les revenus du milieu musical. Chaque avancée technologique introduit de nouveaux paradigmes de découvrabilité en rendant la musique accessible à des publics toujours plus larges, tout en modifiant profondément les conditions de production, de diffusion et de consommation des contenus musicaux. De fait, la tension s’accentue entre accès globalisé à une musique inéluctablement « globalisable » (ne serait-ce que pour tirer un profit substantiel de sa production) et les scènes locales, historiquement, socialement et linguistiquement structurées. Face à l’hégémonie anglophone se développent des initiatives désireuses de rendre les contenus francophones mieux découvrables.
Cécile Prévost-Thomas (université Sorbonne-Nouvelle, France)11 a ainsi abordé la manière dont la Fédération des acteur·rice·s de la chanson francophone (Fédéchanson) a structuré un écosystème regroupant une centaine de structures de production, d’édition, de labels, de diffusion et de formation, de part et d’autre de l’Atlantique. La création du festival « Avec la langue » ou de la playlist « De la langue à l’oreille » valorise des pratiques de curation prises par les acteurs mêmes de la musique pour favoriser la découvrabilité au sein d’un réseau francophone lui-même en cours de globalisation. Cécile Prévost-Thomas a rappelé que la découvrabilité ne repose pas uniquement sur des plateformes numériques mais bénéficie également d’une médiation physique et culturelle. Le collectif permet de tisser des liens durables entre les scènes et de faire face aux défis posés par les biais algorithmiques. La Fédéchanson tente de démontrer que la découvrabilité des artistes francophones pourrait reposer sur une structuration institutionnelle forte qui transcende les frontières, ce qui est particulièrement bénéfique dans un contexte où la langue française est en minorité sur les grandes plateformes de diffusion. Ainsi, la trajectoire historique de la découvrabilité, depuis les premières formes de diffusion massifiée jusqu’aux initiatives actuelles comme Fédéchanson, révèle des configurations écosystémiques constamment adaptatives et oppositionnelles aux nouveaux supports et stratégies de mise en marché. Il paraît donc évident que la découvrabilité ne peut s’inscrire que dans un contexte historique donné, intégrant les enjeux, les idées et idéologies passées, ainsi que les structures institutionnelles et organisationnelles présentes sur un territoire donné.
I.2. Enjeux socioéconomiques de la découvrabilité : entre « rentabilité » industrielle et satisfaction du consommateur
La découvrabilité semble être devenue un concept incontournable pour les créateurs de contenus des écosystèmes « semi-périphériques » (à savoir des écosystèmes historiquement constitués, culturellement diversifiés, mais marginaux sur le plan économique12). Ceux-ci doivent non seulement exister sur leurs marchés nationaux, mais doivent aussi rivaliser dans un espace saturé et hautement concurrentiel d’offres culturelles. Les plateformes numériques exploitent des algorithmes conçus pour maximiser l’engagement, favorisant ainsi des contenus susceptibles d’intégrer une économie de l’attention « fidélisée et captive »13. Ce modèle économique crée une compétition inégale entre artistes établis et émergents, avec un impact direct sur l’accès à une diversité d’œuvres et de voix. Bien que les plateformes développent une offre pléthorique d’apparence illimitée, les algorithmes de recommandation filtrent cette diversité au profit de contenus conformes aux attentes (majoritaires ou non), ce qui peut entraîner une perte de diversité culturelle.
C’est notamment ce qu’a exploré Marianne Lumeau14 (université de Rennes, France) dans ses travaux questionnant la visibilité sur les PSD musical des artistes locaux définis par leur proximité géographique. À partir d’un échantillon de 5 500 abonnés français (toutes plateformes confondues), cette recherche s’est fondée sur l’agrégation des streams mensuels par titre (50 millions) et l’analyse des informations détaillées des streams et des artistes (2,5 millions). Un biais géographique et algorithmique y a été repéré : dans le cadre des écoutes issues de la curation algorithmique (23,5 %) parmi les titres anciens (+ de 3 ans), les artistes français ont été globalement moins « poussés » que les artistes américains tandis que, dans le cadre de la consommation organique (76,5 %), aucune préférence marquée n’apparaît entre les titres français et américains. Ceci suggère donc l’existence d’un biais géographique dont la justification reste encore obscure (rentabilité économique ? Biais involontaire ? Attentes mal perçues ?)
Dans le prolongement de ces observations, Lysandre Champagne15 de l’Observatoire de la culture et des communications (OCCQ, Canada)16, a livré les résultats de l’Enquête québécoise sur la découverte des produits culturels et le numérique17, menée en 2023 qui apporte des données empiriques sur les pratiques locales de découverte musicale dans un contexte numérique. Elle révèle que 75,4 % des internautes québécois utilisant Internet pour écouter de la musique se sont tournés vers des PSD et que celles-ci favoriseraient principalement les recommandations algorithmiques et la recherche par mots-clés (80 %). L’étude met également en évidence des disparités dans les pratiques selon les groupes d’âge : les plus jeunes (15-29 ans) privilégient les interactions sociales et les consultations auprès de leur entourage, tandis que les plus âgés se fient davantage à la navigation autonome. De plus, l’enquête souligne que seulement 26 % des auditeurs y découvrent de la musique en français contre 33 % en anglais, confirmant une tension entre diversité linguistique et influence des dynamiques globalisées. Ces résultats illustrent comment les choix technologiques peuvent façonner les pratiques culturelles locales.
Ainsi, les œuvres issues des écosystèmes périphériques semblent subir un biais de recommandation géographique, amplifiant d’autant plus les défis pour les artistes émergents. Par conséquent, les stratégies de découvrabilité deviendraient alors (pour les artistes indépendants, émergents ou issus de cultures minoritaires) une exigence afin de pouvoir se démarquer sur les plateformes. Cependant, ces exigences sont loin d’être claires et transparentes. Les algorithmes restent des mécanismes opaques, régulièrement modifiés par les PSD et partiellement inaccessibles pour la grande majorité des acteurs de la musique.
Ces interactions complexes entre technologies numériques, pratiques culturelles et diversité linguistique, font écho aux recherches de Jean-Samuel Beuscart (Sciences Po Paris) et Samuel Coavoux (ENSAE [École nationale de la statistique et de l’administration économique])18 portant sur l’impact des PSD, telles que Deezer et YouTube, sur les pratiques d’écoute musicale. À partir de données issues de traces d’écoute de 4000 utilisateurs, de questionnaires et d’entretiens (dans le cadre du projet Records de l’ANR [Agence nationale de la recherche]), ces chercheurs ont pu montrer que les auditeurs font preuve de réflexivité face aux recommandations algorithmiques, sans pour autant abandonner leur agentivité, révélant que les utilisateurs développent une certaine littératie algorithmique dans leurs pratiques d’écoute en ligne.
Ces plateformes influencent les préférences sans pour autant réduire l’attachement des auditeurs aux œuvres musicales19. En effet, l’abondance de contenus et la diversité d’artistes proposées par les algorithmes facilitent l’exploration de la « longue traîne »20 — bien que cet effet soit souvent limité à des genres voisins ou des titres légitimes dans une même catégorie21. Jean-Samuel Beuscart et Samuel Coavoux montrent que les configurations d’écoute varient, notamment en fonction du moment de la journée : les utilisateurs tendent à s’appuyer davantage sur les algorithmes dans des contextes de fond sonore, tout en reprenant le contrôle pour des écoutes plus personnelles en soirée.
Par ailleurs, le régime de PSD favorise une culture d’écoute « oblique » et associée à d’autres activités. Ces nouvelles pratiques d’écoute posent des questions sur le modèle économique des PSD où toutes les écoutes sont rémunérées à l’identique. Loin de dissoudre l’attachement aux œuvres, ce régime semble encourager des pratiques individuelles de « classement numérique » (folksonomie) notamment au travers des playlists reflétant des préférences contextuelles, émotionnelles ou personnelles. Les utilisateurs, tout en déléguant partiellement leurs choix aux algorithmes, maintiennent des pratiques d’archivage et de personnalisation de leur collection musicale, symbolisant une adaptation hybride entre autonomie et hétéronomie.
Face aux contraintes inhérentes aux plateformes numériques dominantes, César Silva, (université de Colombie, université Laval)22, a proposé une approche innovante visant à améliorer la découvrabilité musicale tout en limitant l’influence des biais commerciaux. Son projet de cartographie musicale vise à organiser et à rendre accessible la musique en fonction de la localisation géographique des artistes tout en s’affranchissant des orientations qui privilégient la rentabilité et la popularité. Inspiré par des projets comme New Songs, César Silva a présenté son ébauche de plateforme interactive, où les utilisateurs pourraient naviguer sur une carte mondiale des artistes, dotée de filtres de recherche variés (époque, genre musical, mots-clés) pour explorer les scènes musicales locales et mondiales.
En tant qu’ingénieur logiciel et musicien, César Silva a souligné que ce projet entend rendre la découvrabilité plus inclusive et équitable, permettant aux artistes émergents d’obtenir une visibilité davantage en lien avec leur territoire. Cette plateforme repense ainsi le format classique de la playlist, souvent soumis aux impératifs de marketing, et invite les utilisateurs à explorer des artistes et des œuvres qui échappent au cadrage algorithmique. De plus, ce projet envisage d’intégrer un volet collaboratif permettant aux utilisateurs de contribuer au renforcement des métadonnées et à l’enrichissement des descriptions musicales, rendant le système plus représentatif des scènes et cultures locales.
Dans un contexte où la plateformisation transforme les industries culturelles, Elsa Fortant (INRS, Canada) a examiné la visibilité des créateurs indépendants sur les plateformes de sociofinancement par abonnement, telles que Patreon, SubscribeStar, Ko-Fi, et Buy Me a Coffee23. En étudiant le contenu des pages d’accueil et l’interface de ces plateformes, Fortant a observé que certaines intègrent des algorithmes de recommandation, des tags, et des moteurs de recherche pour pousser le contenu vers l’audience tandis qu’à l’inverse, des plateformes comme Patreon ont tendance à limiter ces outils de curation algorithmique, laissant les créateurs développer leur propre réseau de fans de manière plus organique.
Dans son analyse des affordances24, Fortant a pu montrer que la visibilité des créateurs est souvent orientée par des logiques marketing internes plus que par les objectifs des créateurs. Ces derniers sont amenés à développer des stratégies trans-plateforme pour cultiver une fanbase25 et promouvoir leur contenu, les obligeant à gérer eux-mêmes leur visibilité sur des interfaces différentes, transformant la découvrabilité en un travail supplémentaire. Ainsi, Elsa Fortant a critiqué la prétendue neutralité des plateformes de sociofinancement et a souligné que leur design oriente l’engagement des utilisateurs, souvent au bénéfice de la plateforme plus qu’à celui des créateurs.
Ces différentes recherches s’accordent sur le fait que les algorithmes favorisent les contenus les plus rentables, marginalisant les créateurs locaux. Nonobstant, les décisions de visibilisation ne sont pas prises uniquement par des êtres humains mais par des systèmes automatisés basés sur des comportements utilisateurs et des données de consommation. La découvrabilité relative aux comportements consommatoires ne peut donc se résumer à sa définition sociotechnique car les auditeurs semblent (vouloir) conserver une grande autonomie dans leurs pratiques d’écoute. Si l’orientation des dispositifs techniques dépend encore trop des seules plateformes, il apparaît pour autant que les consommateurs soient en mesure d’adopter eux-mêmes des pratiques de découvertes qui ne sont pas contrecarrées par les dispositifs algorithmiques.
I.3. Politique culturelle et juridique de la découvrabilité : un enjeu multiscalaire
Si les débats autour de la découvrabilité numérique explicitent les tensions entre autonomie culturelle et pressions globales, Georges Azzaria (université Laval)26 a rappelé les liens historiques entre le droit d’auteur et les politiques culturelles dans le domaine musical, mettant en lumière l’évolution et les défis contemporains de la protection des créateurs. Il a rappelé que le droit d’auteur, dès ses premières formulations au XVIIIe siècle, a permis aux auteurs de percevoir une rémunération pour la diffusion publique de leurs œuvres, reconnaissant également des droits voisins pour les interprètes et les producteurs. Cependant, l’arrivée de nouveaux supports et technologies, comme les cassettes vierges dans les années 1960, a entraîné une transformation des politiques de protection. Plutôt que de criminaliser la reproduction non autorisée, les gouvernements ont opté pour une compensation au moyen de redevance sur les supports vierges, une approche adoptée tardivement au Canada en 1997.
Georges Azzaria a souligné que le passage au numérique et l’émergence des PSD ont rapidement rendu ces mécanismes obsolètes. Malgré les tentatives de réglementations, le modèle économique des PSD reste opaque et peu rémunérateur pour les créateurs : la majorité des artistes ne perçoivent qu’un faible revenu, accentuant le sentiment d’abandon face aux grandes plateformes. Le droit d’auteur se retrouve ainsi souvent en tension avec les intérêts publics et technologiques, où l’accessibilité accrue des œuvres se fait au détriment des droits des auteurs.
L’arrivée de l’IA générative intensifie cette problématique. En utilisant des œuvres existantes sans consentement, les entreprises d’IA brouillent les frontières entre domaine public et domaine privé, rappelant la période médiévale où l’auteur était souvent anonyme. Georges Azzaria a par ailleurs évoqué le phénomène des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon), qui exploitent des failles légales pour innover au détriment des droits d’auteur. Cette situation, renforcée par la fascination du droit pour la technologie, souligne un déséquilibre où les créateurs sont souvent relégués au second plan face aux avancées technologiques.
Par ailleurs, la montée de l’IA, notamment dans sa dernière itération dite « générative », soulève des questions complexes de propriété intellectuelle et de découvrabilité, nécessitant des ajustements législatifs. Fenwick McKelvey et Meaghan Wester (université Concordia, Canada)27 ont ciblé la recommandation musicale comme un domaine de haut risque pour l’IA responsable selon la législation canadienne. Si la musique elle-même ne présente pas de risques de préjudice, les systèmes de recommandation posent des défis en matière d’éthique et de transparence.
Les discussions sur une IA responsable abordent des aspects clés tels que la provenance et les biais des données, ainsi que les effets de la personnalisation excessive, qui pourraient nuire à la découvrabilité des œuvres locales. Le Canada, à travers le projet de lois C-2728 relative à la protection des données personnelles dans le cadre de l’IA, explore des mécanismes pour garantir une gouvernance algorithmique responsable, incluant la transparence et la gestion des biais dans les systèmes de recommandation.
Pour renforcer la découvrabilité, Fenwick McKelvey et Meaghan Wester ont donc proposé de nouvelles approches basées sur des pratiques et des mécanismes automatisés (de création ou d’enrichissement) de métadonnées musicales (crédits, genre, géographie) ou l’utilisation de systèmes de recommandation responsables. Ces initiatives visent à garantir une plus grande équité et diversité dans les recommandations, tout en assurant une rémunération juste pour les créateurs. La découvrabilité devient ainsi un enjeu de gouvernance de l’IA, impliquant une collaboration interdisciplinaire pour concilier les logiques de marché et la protection des identités culturelles.
À cet égard, des initiatives de curation des métadonnées existent déjà : lors de la table ronde « Relève musicale et découvrabilité », Pierre B. Gourde, directeur général de Métamusique29, a présenté le travail de l’organisme consistant à structurer et optimiser les métadonnées associées aux œuvres musicales des artistes québécois30. La démarche ne se borne pas à améliorer leur référencement local : il s’agit également de leur offrir une visibilité internationale, tout en favorisant une rémunération équitable grâce à une traçabilité accrue des droits. Métamusique met en avant des normes adaptées aux contenus de niche ou minoritaires, permettant aux artistes indépendants de se démarquer. Gourde a ainsi souligné l’importance de rendre ces œuvres plus accessibles grâce aux métadonnées enrichies qui offrent une solution pour contrer les biais algorithmiques et rendant les genres ou cultures moins représentés plus facilement découvrables.
Le Québec est un cas d’autant plus particulier en matière de souveraineté culturelle numérique qu’il dépend partiellement du cadre juridique fédéral canadien, bien que la province dispose d’une importante marge de manœuvre en termes de politiques culturelles et linguistiques. Jean-Robert Bisaillon, de l’ENAP (École nationale d’administration publique, Canada)31, a exploré cette « communion et collision » entre les politiques culturelles canadiennes et québécoises, soulevant ainsi des questions sur la gouvernance et l’autonomie culturelle. La loi C-1132, relative à la diffusion (radio et dorénavant les PSD), a fait l’objet de nombreuses consultations, au cours desquelles différents acteurs ont exprimé des positions parfois irréconciliables. Les plateformes soutenues par des entités comme Musique Canada défendent le statu quo sur la base du libre choix de leurs utilisateurs, tandis que des organisations (société de gestions de droit, associations, etc.) tant au niveau fédéral que provincial insistent sur la nécessité de régulations pour préserver la culture québécoise.
Jean-Robert Bisaillon a également souligné que le processus de gouvernance de la découvrabilité pourrait être enrichi par des approches collaboratives impliquant tant les chercheurs que les créateurs culturels, permettant d’optimiser les critères de recommandation pour éviter de limiter les œuvres québécoises à des « chambres d’écho » culturelles. La création d’une base de données référentielle ouverte et la mise en place de métadonnées plus précises pour identifier les contenus canadiens et francophones sont des pistes explorées, bien que l’opposition des plateformes rende complexe leur réalisation.
Le Québec se trouve ainsi dans une position délicate où ses ambitions de protection et de promotion de la culture francophone se heurtent aux réalités d’une économie numérique mondialisée. Tandis que le gouvernement fédéral tente de répondre aux pressions internationales, notamment celles des grandes entreprises numériques, le Québec cherche à maintenir sa souveraineté culturelle en réclamant un droit à la découvrabilité, essentiel pour préserver l’identité culturelle francophone.
La découvrabilité est également un enjeu géopolitique majeur, en particulier dans les pays et régions qui tentent de préserver leur souveraineté culturelle. L’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation la science et la culture) s’est ainsi saisie de cet enjeu afin d’actualiser son document-cadre sur la diversité culturelle.
L’intervention de Véronique Guèvremont (université Laval)33 a pu offrir un éclairage sur la manière dont la découvrabilité pourrait être envisagée non seulement comme un enjeu culturel, mais aussi comme un droit fondamental. Coautrice du rapport « La souveraineté culturelle à l’ère numérique »34, publié par le Comité-conseil sur la découvrabilité des contenus culturels, Véronique Guèvremont avance l’idée que l’accès aux contenus culturels d’expression française, au Québec, pourrait être protégé par la loi. La recommandation 21 de ce rapport35 propose, en effet, de modifier la Charte québécoise des droits et libertés pour garantir le droit des Québécois à découvrir des contenus culturels dans leur langue.
Ce droit à la découvrabilité se situerait à l’intersection des droits culturels et des politiques de régulation dans un environnement numérique lardé d’enjeux économiques. Cette vision de la découvrabilité en tant que droit fondamental pourrait offrir un cadre juridique solide pour la promotion de la culture québécoise et francophone. En inscrivant la découvrabilité dans le champ des droits fondamentaux, le Québec pourrait ainsi garantir un accès équitable à sa culture dans un environnement numérique dominé par des logiques de marché globalisées et hautement concurrentiel. De plus, Véronique Guèvremont souligne que les biens culturels possèdent une double nature car, au-delà de leur valeur économique, ils constituent des vecteurs identitaires essentiels pour la préservation des cultures locales. Cette spécificité a été reconnue par l’UNESCO dans sa Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
L’incapacité actuelle à réguler la découvrabilité des contenus culturels soulève de nombreuses questions. Alors que le numérique prédomine depuis maintenant une trentaine d’années avec l’arrivée d’Internet pour le grand public, les États peinent à mettre en place le cadre réglementaire nécessaire. Plusieurs hypothèses peuvent être soulevées pour expliquer ce fait : complexité multiscalaire du phénomène et incapacité à circonscrire les problématiques (l’enjeu même de cet article sur la définition ou mise en œuvre de la découvrabilité.) ; surenchère techno-économique au détriment des structure sociales et institutionnelles ; pressions politiques d’États dominants sur des États plus petits ; innovation organisationnelle des acteurs privés organisés en réseaux « agiles », là où les États sont organisés selon des principes bureaucratiques sans possibilité de tester et d’adopter de nouvelles pratiques par incrémentations successives de politiques publiques ; perspective idéologique privilégiant les droits de l’individu sur ceux de la société. Pour poursuivre l’enquête, la seconde partie vise à discuter des conséquences des politiques entourant la découvrabilité.
II. L’impact local des politiques de la découvrabilité
II.1. Découvrabilité, culture et identité
Dans des régions comme le Québec, la découvrabilité revêt une dimension politique et sociale essentielle. La province se distingue par des problématiques culturelles complexes, notamment en matière de visibilité à l’international. Pauline Belshi (université Sorbonne-Nouvelle)36 a souligné les défis particuliers auxquels sont confrontés les artistes québécois pour se faire reconnaître en France, où leur identité artistique est souvent mal comprise ou stéréotypée.
Bien que certains artistes, comme Céline Dion, Lynda Lemay, ou Les Cowboys Fringants, aient ponctuellement rencontré le succès, Pauline Belshi a observé que les artistes québécois se voient parfois contraints de lisser leur accent et stratégiser leur « exotisme » afin de s’adapter aux « attentes du marché français » pour se faire accepter. Cette situation reflète une tension entre visibilité et authenticité. Pour les artistes québécois, le passage par la France contribue à leur légitimité au Québec. En revenant de tournées à l’étranger, les artistes obtiennent un prestige d’ordre « international » et consolident leur découvrabilité auprès des acteurs institutionnels québécois. Dans ce cadre, les enjeux de découvrabilité ne concernent pas uniquement la reconnaissance individuelle : ils sont aussi à considérer à l’échelle identitaire dans un contexte de mondialisation culturelle.
En parallèle, l’intégration croissante des artistes issus de l’immigration au Québec façonne l’écosystème musical de la province, en y apportant une diversité qui questionne les cadres traditionnels de classification et de découvrabilité. Caroline Marcoux-Gendron (université du Québec à Montréal, Canada) a précisé que 15 % des artistes répertoriés au Québec sont issus de l’immigration37, une proportion en constante augmentation, particulièrement visible à Montréal. Cependant, ces artistes font face à des défis de visibilité, souvent limités par des catégorisations comme « musique du monde » qui tendent à les éloigner de l’identité musicale québécoise dominante.
Le prix « Musiques du monde », créé en 1996 au Gala de l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo) offre autant une reconnaissance qu’une altérisation, associant ces artistes à des stéréotypes culturels qui ne reflètent pas la complexité, la diversité et la richesse de leurs productions. Cette catégorisation entraîne une triple marginalisation : les artistes ne sont pleinement reconnus ni au sein de la culture québécoise ni dans celle de leur pays d’origine, et cantonnés à une catégorie musicale dont on peine à définir les contours. Caroline Marcoux-Gendron a ainsi souligné que nombreux sont les artistes qui revendiquent des étiquettes telles que "Made in Québec" ou "Made in Montréal", témoignant d’une volonté d’appartenance et d’enracinement dans la culture locale.
En outre, les artistes issus de l’immigration doivent naviguer à travers des défis liés à la mobilité économique et sociale. Le réseau de contacts et le bouche-à-oreille, essentiels dans l’industrie musicale québécoise, peuvent être difficiles d’accès pour ceux qui n’ont pas grandi dans ce milieu. Ces artistes sont souvent mis en avant pour leur « diversité », mais de manière réduite, relégués à des programmations axées sur l’exotisme, au détriment de leur démarche artistique. Caroline Marcoux-Gendron a plaidé pour une refonte de ces catégories pour mieux refléter la pluralité de l’écosystème musical québécois et favoriser l’inclusion des artistes immigrants dans les quotas de musique francophone, permettant ainsi une définition élargie et représentative de la « musique québécoise » intégrant les créations multilingues et transculturelles.
En écho aux défis rencontrés par les artistes immigrants, le rap québécois illustre une dynamique comparable de revendication identitaire. Lors de la table ronde « (In)visibilisation du hip-hop : une histoire socio-musicale » qui s’est tenue au Musée de la Civilisation de Québec, et en marge de l'exposition « Sur paroles. Le son du Rap Queb »38, Webster, créateur de l’exposition, rappeur et conférencier, a expliqué que le rap québécois est bien plus qu’un genre musical : il constitue une affirmation de l’identité francophone face aux influences dominantes des cultures anglophones. Pour Érika Zarya, jeune rappeuse originaire de Limoilou (quartier paupérisé en cours de gentrification à Québec), choisir le français dans ses créations revient à s’ancrer dans une culture locale et à établir un lien fort avec un public partageant des références communes, afin de mieux aborder des thématiques sociales et narratives propres au Québec.
Rico Rich, producteur, a souligné que le rap québécois s’est construit autour de récits de lutte et d’authenticité, réinventant un genre afro-descendant pour exprimer une identité profondément québécoise. Cependant, cette quête d’authenticité est aujourd’hui freinée par les dynamiques des plateformes numériques. Comme l’a expliqué SoCalled, artiste multidisciplinaire, ces dernières privilégient les contenus globalisés, reléguant les productions locales à la marge dans un processus qu’il a qualifié de « colonisation numérique ». Cette pression pousse les artistes à conformer leurs créations aux attentes induites par les algorithmes, souvent au détriment de leur singularité. Malgré ces obstacles, le rap québécois demeure un espace de résistance, où les artistes réaffirment leur identité culturelle et revendiquent une place dans un paysage globalisé dominé par des logiques commerciales.
L’exemple du rap québécois, placé à la marge par son style, son terreau culturel et linguistique complexe, fait écho aux propos de Caroline Marcoux-Gendron et de Pauline Belshi. Se dégagent les points de tension d’une lutte commune pour la légitimité et la visibilité d’artistes confrontés à la question de la découvrabilité pour revendiquer leur identité culturelle et linguistique. Le rap québécois montre comment une scène locale peut transformer des outils globaux pour défendre une expression authentique et enracinée dans ses réalités.
Les travaux de Marianne Sytchkof (université de Rouen, France)39 ont éclairé un autre aspect de l’invisibilisation culturelle à travers la sous-représentation des femmes compositrices dans la musique classique en France. Bien que la programmation d’œuvres de femmes ait légèrement progressé, celles-ci restent marginalisées dans un milieu historiquement dominé par des figures masculines, ce qui limite leur accès au canon du répertoire. La découvrabilité, appliquée initialement aux contenus numériques, devient ici un outil d’analyse pour comprendre les dynamiques d’invisibilisation dans des environnements de programmation physique. Les mécanismes et leviers relevant de la découvrabilité deviennent essentiels pour remettre en question les systèmes établis qui tendent à reproduire les normes culturelles dominantes. En France, les initiatives pour promouvoir les compositrices, comme les quotas sur les ondes de Radio France, représentent un pas vers la reconnaissance, mais se heurtent à la lenteur des changements dans un secteur ancré dans la tradition. Marianne Sytchkof a ainsi fait remarquer que l'intermédiation humaine (bouche-à-oreille, recommandations) reste essentielle pour favoriser la découverte de nouveaux contenus. Cette superposition de canaux crée un paysage de diffusion complexe, où les œuvres émergentes peinent à se frayer un chemin parmi les répertoires établis. Ainsi, l’enjeu de la découvrabilité dépasse les frontières numériques pour toucher des espaces physiques de programmation culturelle, soulignant la nécessité d’adapter les stratégies de visibilité aux contextes spécifiques et aux groupes sous-représentés.
Ces travaux révèlent la pluralité des mécanismes d’invisibilisation dans le domaine musical qui vont bien au-delà des problématiques locales du Québec, illustrant des dynamiques de marginalisation similaires en France. Ces processus rappellent la nécessité d’une réflexion globale sur la découvrabilité au-delà des seuls contenus musicaux numériques et appelle des ajustements pour soutenir une représentation plus équitable et inclusive, afin que chaque artiste, indépendamment de son origine, de son style ou de son genre, puisse trouver sa place dans le paysage musical sans devoir se heurter à ces obstacles systémiques. Cette question ne se borne d’ailleurs pas à la francophonie : elle révèle la nature intersectionnelle de la découvrabilité, où se croisent des dynamiques liées à l’identité sexuelle, culturelle et linguistique tout autant qu’à la structuration sociale - historiquement inégalitaire - des infrastructures de production, de diffusion et de distribution.
II.2. Les pratiques de découvrabilité et la visibilité des artistes
La découvrabilité peut alors être envisagée comme un vecteur de justice culturelle, visant à équilibrer l’accès aux œuvres et à garantir la visibilité de toutes les expressions culturelles, y compris celles issues de minorités. Dans un contexte où la découvrabilité est souvent associée aux grands acteurs de l’industrie musicale et aux plateformes numériques, Thierry Beaupré-Gateau (université du Québec à Montréal, Canada)40 s’est, lui, intéressé aux scènes indépendantes, et plus particulièrement aux pratiques d’auto-organisation. Thierry Beaupré-Gateau a conceptualisé l’« organisationnalité post-numérique » comme un processus de communalisation, où les pratiques de gestion et de création ne se plient pas aux standards de l’entrepreneuriat classique. Par exemple, les artistes de la scène indépendante québécoise ne cherchent pas nécessairement la commercialisation de leur art ; ils valorisent plutôt une approche collaborative et l’autonomie dans la création. Ce modèle permet de résister aux contraintes économiques imposées par l’industrie et offre une alternative aux structures traditionnelles de gestion culturelle, en remettant en question la marchandisation systématique de l’art. L’approche post-numérique de cette scène indépendante permet aussi une réappropriation des dynamiques de production culturelle. Une gouvernance fondée sur des communs, ressources, équipements et lieux partagés entre artistes, sans hiérarchie stricte, permet ainsi une innovation collective en dehors des contraintes de marché.
En intégrant cette réflexion sur la scène indépendante dans l’analyse de la découvrabilité, on observe une dimension complémentaire aux offres des plateformes et des politiques officielles : celle d’une visibilité qui ne se construit pas nécessairement autour de l’algorithme, mais à travers des réseaux humains et des communautés. Cette perspective souligne l’importance de diversifier les approches de la découvrabilité, en intégrant des modèles qui valorisent la production artistique indépendante, non seulement pour sa contribution culturelle, mais aussi pour son rôle dans la préservation d’une culture qui résiste aux logiques commerciales dominantes.
Les dynamiques observées dans la scène indépendante ne sont pas étrangères à celles de la relève musicale. La table ronde « Relève musicale et découvrabilité » qui s’est tenue à l’Ampli de Québec41, organisme implanté en 2010 pour accompagner les artistes de la relève musicale, a offert un espace de réflexion sur les moyens de réappropriation de la découvrabilité. À l’instar du propos de Thierry Beaupré-Gateau, les participants ont insisté sur l’importance de la mise en communauté. Des événements comme le Festival d’été de Québec et Saint-RochXP, programmés par BLEUFEU dont David Ouellet est programmateur, offrent aux artistes de la région une exposition importante. Ces événements attirent de nombreux spectateurs, permettant aux artistes émergents de se produire devant un public large sans exigence de notoriété préalable. David Ouellet a souligné l’importance de ces événements pour l’écosystème musical local, en offrant aux artistes une visibilité physique qui complète leur présence en ligne.
En parallèle, des lieux de diffusion variés de jauge moyenne jouent un rôle central dans la progression des artistes à différents stades de leur carrière. La synergie entre ces salles et festivals permet une découvrabilité progressive et adaptée. Paule-Andrée Cassidy, auteure-compositrice-interprète et membre de l’équipe d’encadrement de l’Ampli (Québec, Canada), a rappelé que cette diversité d’espaces permet de renforcer l’ancrage local des artistes et de construire une base de fans solide, un aspect souvent négligé par les PSD. Ces événements et lieux de diffusion, ancrés dans des communautés, constituent une alternative aux logiques de découvrabilité numérique en favorisant des pratiques de curation locale et une exposition directe. Ils démontrent comment la visibilité physique et l’engagement communautaire jouent un rôle essentiel pour garantir une découvrabilité culturelle inclusive et adaptée aux réalités locales. Ces approches alternatives ont également été évoquées par les participants de la table ronde sur le hip-hop : des radios communautaires aux collaborations avec des institutions culturelles (musée, médiathèques, etc) Erika Zarya et SoCalled ont rappelé la nécessité de diversification des voies de diffusion du hip-hop québécois, soulignant que ces partenariats offrent une plateforme où les artistes peuvent exposer leur travail à des publics différents, hors des espaces où pèsent les contraintes imposées par les géants du numérique.
Étienne Capron (École des hautes études commerciales de Montréal, Canada)42, a d’ailleurs exploré cette tension entre différents espaces d’expression au prisme de la dimension géographique de la découvrabilité et du rôle persistant des lieux physiques et des événements dans le processus de découverte culturelle. Plutôt que de limiter la découvrabilité aux plateformes numériques, Étienne Capron a rappelé l’importance des intermédiaires traditionnels tels que les lieux de spectacle, les disquaires et les festivals, qui continuent de jouer un rôle clé dans l’exposition des artistes, notamment dans les scènes musicales indépendantes et alternatives. Ces espaces de diffusion permettent aux artistes d’établir des relations directes avec leur public, offrant ainsi une forme de visibilité qui échappe aux logiques algorithmiques des PSD.
Étienne Capron a envisagé, à l’instar de Patrick Cohendet43, la scène culturelle en trois niveaux : l’underground, où émergent les créations marginales et innovantes ; l’upperground, composé d’institutions établies qui soutiennent et valorisent économiquement les œuvres ; et le middleground, un espace intermédiaire qui connecte ces deux pôles, permettant la traduction des innovations de l’underground vers l’upperground. Dans cette perspective, les lieux et événements culturels deviennent des points de rencontre pour la curation et la médiation culturelle. Ainsi, la découvrabilité ne se limite pas aux stratégies numériques, mais intègre aussi les dynamiques territoriales, renforçant l’importance des lieux comme facilitateurs de visibilité pour les artistes. En valorisant les lieux de rencontre culturelle et les événements comme vecteurs de découvrabilité, il devient possible d’offrir une alternative aux logiques purement marchandes, créant ainsi un équilibre entre l’authenticité des scènes locales et les dynamiques de visibilité permises par le numérique.
À cet égard, l’Ampli de Québec se distingue par une approche basée sur l’échange d’expertises avec des artistes professionnels et intervenants du secteur culturel. Celle-ci illustre toute l’importance des institutions locales pour le développement des jeunes artistes et de leurs pratiques de découvrabilité de leurs œuvres. En offrant des programmes de mentorat et de formation, l’Ampli aide ces artistes à développer leurs compétences entrepreneuriales et artistiques, favorisant ainsi les interactions entre underground et middleground. Ce soutien, au-delà de la simple création musicale, se concentre sur la préparation aux défis professionnels de la musique et souligne une fois de plus toute l’importance de la communauté dans l’établissement d’une carrière pérenne dans le domaine compétitif qu’est celui de la musique.
Parmi ces démarches visant à soutenir la relève musicale québécoise, Alexis Girard-Aubertin, conseiller au Service de la culture et du patrimoine de la Ville de Québec44, a mis en avant le programme Première ovation, qui attribue des subventions à des projets musicaux concrets, et offre aux artistes locaux un tremplin pour réaliser des projets ambitieux dans le but d’en faire la promotion tout en maintenant les talents dans la région. Ce programme permet aux artistes de se concentrer sur la création tout en bénéficiant d’un soutien financier et logistique, et démontre comment des initiatives communautaires locales contrebalancent les effets limitatifs des plateformes numériques mondiales sur la découvrabilité.
En complément des dynamiques territoriales, Sylvain Martet (Artenso, Canada)45 a examiné les pratiques professionnelles de mise en découvrabilité au Québec, exposant les actions concrètes menées par les acteurs de l’industrie musicale pour favoriser l’exposition des artistes sur les plateformes de diffusion numérique. En effet, la découvrabilité dépend non seulement des algorithmes, mais aussi des relations et des stratégies déployées par les labels, distributeurs, et relationnistes. La promotion de la musique passe par des pitchs auprès des curateurs de playlists sur les plateformes, avec des plans de communication et des stratégies de mise en marché méticuleusement préparés. Ces démarches incluent la création de contenus adaptés aux attentes des plateformes, souvent en coordination avec des événements en direct et des campagnes sur les réseaux sociaux.
Sylvain Martet a décrit également l’« algotorialisation » de la découvrabilité, où la curation humaine et algorithmique s’entremêlent pour décider de la visibilité d’un morceau sur les playlists. Ces pratiques donnent lieu à une nouvelle forme de gatekeeping, dans laquelle les professionnels doivent convaincre les curateurs de playlists de l’intérêt de leurs artistes, tout en jonglant avec les attentes supposées des algorithmes. En ce sens, les plateformes sont devenues des intermédiaires essentiels dans l’industrie, mais elles imposent également des contraintes, notamment pour les artistes francophones qui peinent à trouver une visibilité, c’est-à-dire à exister sur des plateformes principalement anglophones. Sylvain Martet a rappelé enfin les risques de cette dépendance croissante aux plateformes : la découvrabilité a un coût, que peu d’artistes peuvent supporter, et les revenus générés par les PSD ne suffisent pas à compenser cet investissement.
Dans le prolongement des analyses de Sylvain Martet sur les pratiques de découvrabilité numérique, Prune Lieutier, (HEC Montréal, Canada) et directrice du studio de balados La puce à l’oreille, a examiné les spécificités du secteur de la baladodiffusion indépendante au Québec46. Elle a relevé plusieurs défis structurants, à commencer par l’absence de statut juridique pour les balados, qui les place hors des cadres de la régulation culturelle, créant une situation précaire pour les créateurs et limitant leur accès aux financements publics. La dépendance envers des revenus issus de sources fragmentées, comme les abonnements sur Patreon ou les commandes ponctuelles, engendre une grande disparité de revenus et impose souvent aux producteurs d’éduquer leurs clients sur la valeur et le coût de leur travail.
Prune Lieutier a également mis en avant les barrières à la diffusion : les plateformes de diffusion propriétaires, comme les boutiques en ligne (stores), opèrent souvent une sélection des contenus, voire une forme de censure sur certains sujets jugés sensibles — comme en témoigne l’expérience de l’application de l’Office national du film (ONF, Canada), Clit-moi, initialement refusée par Apple pour des raisons de contenu47. Par ailleurs, la collecte et l’accès aux données d’écoute se révèlent problématiques : les diffuseurs détiennent souvent ces informations sans les partager, rendant difficile une analyse fine de l’audience et restreignant ainsi les possibilités d’optimiser la découvrabilité.
Ainsi, dans un paysage tout-numérique où les intérêts commerciaux prédominent, la question de la découvrabilité devient un enjeu central pour la préservation de la diversité, y compris en dehors de ces espaces numériques. Les outils de régulations, (quotas, transparence des algorithmes, droit d’auteur et voisins, etc.) sont des outils essentiels pour garantir que la musique locale et indépendante puisse continuer à se faire découvrir et à prospérer, en particulier, dans un contexte culturel unique comme celui du Québec, la découvrabilité prend une dimension politique, visant à assurer une visibilité et une représentativité pour les artistes francophones au sein d’un univers numérique globalisé.
La question de l’avenir de la découvrabilité se pose alors : comment les gouvernements, les plateformes et les communautés peuvent-ils collaborer pour créer un espace hybride (numérique, physique et social) plus inclusif, équitable et respectueux des identités culturelles locales ? La promotion de l’IA responsable, associée à des politiques publiques et des régulations adaptées, apparaît comme une voie d’avenir pour atteindre une découvrabilité qui non seulement préserve la diversité culturelle, mais valorise également les expressions artistiques indépendantes et les voix minoritaires. Cette diversité de voix et les dynamiques communautaires qu’elles suscitent permettent au numérique de dépasser une simple logique de consommation, pour devenir un vecteur de richesse culturelle et d’épanouissement collectif.
III. Quels avenirs pour la découvrabilité ?
La découvrabilité est l’objet de multiples tensions internes amenant à des visions et perspectives différentes de cette dernière. Sur la base des parties 1 et 2, on relèvera notamment a) une tension entre une vision centrée sur les aspects technologiques considérés comme primordiaux s’opposant à une perspective reposant sur un encastrement socio-historique contextuel ; b) une tension entre la finalité économique et la finalité sociale reliée à la consommation ou à l’usage de la culture ; c) une tension entre la perspective des usagers-consommateurs et celle des producteurs-artistes médiée par des enjeux économiques et politiques ; d) une tension entre une vision de la découvrabilité sanctuarisant un patrimoine culturel (y compris linguistique) et une autre cherchant à représenter la diversité culturelle issues des minorités ; e) une tension entre une conception avant tout individuelle ou collective des dynamiques de découvrabilité ; f) une tension entre un encastrement dans les environnement numériques ou dans les territoires géographiques de la découvrabilité. Sur la base de ces oppositions, cette section vise à penser à des perspectives encore inexplorées de la découvrabilité.
III.1. Les coûts cachés de la découvrabilité
Dans le contexte des défis culturels et écologiques posés par le numérique, Laurence Allard (université de Lille, France)48 a questionné la notion de soutenabilité de la découvrabilité des contenus culturels. Adoptant une approche interdisciplinaire et critique, elle a soulevé la problématique de l’empreinte écologique des pratiques numériques, notamment à travers le rôle des infrastructures technologiques (centres de données, PSD, etc.) et des objets connectés : les industries créatives, bien qu’elles promeuvent souvent une image de dynamisme culturel, sont également sources de coûts écologiques élevés. Laurence Allard a mis en exergue l’importance de développer des méthodologies permettant de quantifier précisément l’empreinte carbone du secteur culturel afin que celui-ci « atterrisse », afin de respecter les spécificités locales et les écosystèmes écologiques dans lesquels les pratiques culturelles s’inscrivent.
En analysant les effets rebonds du numérique dans le cadre d’une recherche au CNMLab (Laboratoire du Centre national de la musique), Laurence Allard a fait une mise en garde contre le mythe de la dématérialisation des pratiques culturelles. Si les PSD peuvent réduire certains déplacements physiques, elles imposent des infrastructures coûteuses en énergie, notamment dans le cas de la vidéo haute définition. Elle a proposé que l’industrie musicale et audiovisuelle, envisage une sobriété numérique, où la découvrabilité serait pensée non seulement en termes de visibilité, mais aussi en termes de responsabilité écologique. Laurence Allard a ainsi réalisé une série de scénarios prospectifs pour adapter l’industrie musicale et audiovisuelle aux défis climatiques. Ces scénarios vont de la frugalité, qui vise une réduction drastique de l’empreinte énergétique, au techno-progressisme radical, misant sur le développement débridé de solutions technologiques avancées, comme c’est le cas dans le secteur de l’IA.
III.2. Intelligence artificielle, algocratie et diversité culturelle
Cette école d’été fut aussi l’occasion d’entendre des chercheurs et praticiens travaillant sur les futurs enjeux de la découvrabilité et des industries culturelles et créatives lors de tables rondes coorganisées par la Chaire de recherche du Québec en intelligence artificielle et numérique francophones (IANF). En effet, l’IA ne se limite pas à une simple avancée technologique, elle constitue également un vecteur culturel porteur d’enjeux identitaires et normatifs profonds. À travers des notions telles que l’« intensification algorithmique », Jonathan Roberge (INRS, Canada)49 a proposé de repenser l’IA comme un outil possédant une dimension sociale et culturelle essentielle, en particulier au Québec. Loin de se cantonner à des aspects techniques, l’IA pourrait ainsi se transformer en un instrument de préservation de l’identité culturelle québécoise, en intégrant les valeurs locales, la langue, et les pratiques institutionnelles propres à cette société. Ce positionnement répond aux défis d’une mondialisation qui tend à uniformiser les contenus au détriment des spécificités régionales et linguistiques. Pour Destiny Tchéhaouli (université du Québec à Montréal, Canada)50, cette domination algorithmique prendrait la forme d’une « algocratie » qui peut aboutir à une forme de néocolonialisme numérique, où la diversité culturelle, en particulier pour les productions francophones, est mise en péril.
Dans ce contexte, il devient impératif de promouvoir une gouvernance culturelle qui défende la découvrabilité comme un droit culturel, bien au-delà d’une simple question de consommation. Benoît Dubreuil, commissaire à la langue française du Québec, a fait une mise en garde contre l’effacement progressif de l’identité culturelle québécoise dans un environnement numérique où les barrières géographiques s’estompent51. La découvrabilité doit ainsi être envisagée non seulement comme un levier économique mais aussi comme un moyen de préserver et de promouvoir la culture québécoise, dans le cadre d’un projet politique plus vaste.
L’arrivée de l’IA « générative » dans le secteur culturel soulève des interrogations fondamentales quant à la nature même de la création et à l’équilibre entre continuité et rupture dans les pratiques artistiques. Marek Blottière, de la SAT (Société des arts technologiques, Canada)52, a ainsi distingué deux approches de l’IA dans la création artistique : d’un côté, les artistes qui développent et manipulent eux-mêmes des algorithmes pour leurs créations, et de l’autre, ceux qui utilisent des IA en « boîtes noires » dont le fonctionnement leur échappe. Cette dernière catégorie, qui s’appuie sur des outils privatisés, pose la question de l’autonomie des créateurs et de leur dépendance croissante à des technologies orientées par des logiques commerciales. L’« amateurisation » des pratiques artistiques, telle qu’évoquée par Éric Desmarais (Sporobole, Canada)53, a ajouté une nouvelle dimension à cette transformation. L’accessibilité des outils d’IA, combinée à un manque de formation critique, conduit de nombreux artistes à s’appuyer sur des solutions standardisées. Cette simplification, bien qu’ouverte à tous, dévalue la spécificité des processus créatifs individuels et collectifs et risque d’aligner les pratiques artistiques sur des modèles plus uniformisés et réducteurs.
III.3. La diversité culturelle comme enjeu éthique et pratique
Tom Lebrun, du Conseil canadien des normes, a souligné l’importance des normes ISO (International Organization for Standardization)54 qui pourraient favoriser une IA éthique en permettant un dialogue entre industries et créateurs. Toutefois, Tom Lebrun a signalé des risques d’une vassalisation des normes par des intérêts industriels qui pourraient transformer ces outils de soutien en instruments de contrôle. Une IA responsable est donc incontournable pour garantir que les avancées technologiques servent avant tout la diversité culturelle et linguistique. De son côté, Alexandre Naud (ministère de la Culture et des Communications du Québec) a abordé les défis techniques et éthiques posés par l’IA dans la découvrabilité55. Pour Alexandre Naud, il est impératif de mettre en place des conditions de marché qui respectent et soutiennent l’équité pour les contenus francophones. Cela passe par la transparence des algorithmes de recommandation, une identification précise des contenus, ainsi qu’une évaluation juste et équitable de la consommation des œuvres.
Jonathan Roberge a par ailleurs exprimé une mise en garde contre une possible « disruption complète » des industries créatives par l’IA, notamment dans des secteurs comme la post-production, où les outils d’automatisation risquent de creuser un fossé entre créateurs et industries technologiques, posant des enjeux importants de droits d’auteur et de régulation de ces nouveaux outils numériques. Alexandre Alonso (SOCAN, Canada)56, lui, a mis en évidence le défi posé par une découvrabilité qui, bien souvent, est perçue comme une barrière à la consommation « pure » du point de vue industriel : la découvrabilité ne serait pertinente que lorsqu’elle conduit à des transactions – une tension constante entre visibilité culturelle et impératif économique.
Les enjeux émergents posés par la récente “démocratisation” de l’IA interpellent, y compris dans un champ aussi récent que celui de la découvrabilité. L’appel à une IA éthique tend à reléguer au second plan les enjeux sociotechniques de la découvrabilité, tels que définis par l’OQLF en 2021, pourtant récente (p. 5). Si cette démocratisation n’en est qu’à ses balbutiements, elle suggère néanmoins que les enjeux de découvrabilité pourraient passer au second plan, tant sur le plan socio-technique que politico-juridique. Nonobstant, la diversité des exposés et la richesse des échanges lors de cette école d’été nous conduisent à proposer une synthèse qui contrebalance les effets délétères de la raison algorithmique par la dimension profondément sociale de la découvrabilité.
Conclusion : pour une meilleure découvrabilité de la découvrabilité
Sur la base des travaux présentés dans cet article, il semble nécessaire de redéfinir la notion de découvrabilité afin de la désenclaver de ses seuls aspects techniques, numériques et mercantiles.
Une nouvelle définition pourrait donc être : « Potentiel pour un contenu d’être aisément découvert dans un contexte sociotechnique donné. Cette potentialité repose sur les dimensions suivantes qui s’articulent a-hiérarchiquement entre elles :
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Sociale : la découvrabilité d’un contenu dépend des agents auxquels il s’adresse : individus, communautés (groupe d’individus), intermédiaires culturels (société de gestion de droits, critique, etc.), mais aussi agents non-humains (algorithmes de recommandation, IA génératives, etc.).
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Spatiale : l’espace dans lequel se déploie le contenu : territoire géographique (régulé ou non par un État), numérique ou bien hybride.
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Temporelle : la découvrabilité d’un contenu dépend du temps de conservation (performance, œuvre temporaire, enregistrement, etc.) et de consommation (temps de disponibilité du contenu sur une plateforme, un musée, etc.) attribué par ses créateurs ou les régulateurs.
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Économique et juridique : la découvrabilité d’un contenu dépend de la qualité et des droits attribués au contenu : patrimoniale, mercantile ou « commun ».
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Technologique : la découvrabilité d’un contenu dépend des technologies que ce contenu nécessite pour exister (production), des technologies de diffusion (circulation) et des technologies nécessaires à sa consommation (réception).
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Équité : la découvrabilité d’un contenu dépend des mécanismes de pondération qui s’y appliquent dans un espace-temps donné (vis-à-vis des contenus autres).
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Diversité : la découvrabilité d’un contenu dépend de la diversité socio-culturelle existante et des mécanismes de visibilisation qui s’y rattachent dans un espace donné ».
Nonobstant cette nouvelle définition issue des travaux de l’école d’été, les recherches sur la découvrabilité demeurent encore trop rares et éparses, ce qui appelle à une mobilisation accrue des acteurs sociaux, économiques, politiques et universitaires afin de mutualiser leurs expériences et résultats. Le dialogue transdisciplinaire devient alors une nécessité, tant dans la confrontation et la vulgarisation des recherches que dans la formation des futures générations : l’impact social en cours et à venir de l’intelligence artificielle sur la diversité culturelle ne pourra se passer de l’analyse approfondie des modèles de découvrabilité des contenus issus de cultures minoritaires.