Langue française en ligne : tensions entre la « découvrabilité » et les « usages ordinaires ». Étude de cas auprès de migrant.e.s francophones dans un pays non francophone

DOI : 10.35562/rif.1721

Abstracts

D’après le dernier rapport publié par l’Organisation internationale de la Francophonie (2022), la langue française occuperait la quatrième place sur Internet. La méthode utilisée pour obtenir cette place de quatrième se base sur un croisement de données démolinguistiques et d’estimations des langues présentes sur les sites web. Ce classement – il en est d’autres, nombreux – montre que la concurrence des langues sur Internet est féroce. À lire le rapport Attali (2014), il est vrai que les enjeux de la Francophonie sont grands et les moyens doivent se déployer pour développer les formations en ligne, donner l’habitude aux usager.e.s d’Internet de se rendre sur des sites francophones, aider à la création de nouveaux contenus littéraires et scientifiques en langue française. On l’aura compris, Internet est un espace où la véhicularité et la vernacularité d’une langue doivent être soutenues. Cela étant dit, ces estimations ne renseignent pas les fonctions que la langue française occupe en ligne pour les locuteur.rice.s francophones et les compétences réelles, de production de compréhension de ces internautes, ils mettent peu en avant également leurs plurilinguismes, leurs passages d’une langue à l’autre sur le web, les liens qui se nouent entre les langues, les rapports de forces et les inégalités entre les langues (Calvet, 2007). De nombreuses études aujourd’hui (Mission franco-québécoise, 2024 ; OIF, 2022) financées par l’Organisation internationale de la Francophonie, se penchent sur la « découvrabilité » des contenus francophones, c’est-à-dire leur présence en ligne et leur capacité à être facilement identifiés parmi une multitude d'autres contenus, notamment par une personne qui ne chercherait pas spécifiquement ces contenus. D’autres pratiques néanmoins existent et pourraient être soutenues également par les institutions, et c’est sur ces pratiques que cet article souhaite porter son attention.

Dans le cadre d’un projet exploratoire que nous menons en Afrique australe et dans l’océan Indien, nous nous intéressons à la place de la langue française chez des migrant.e.s enseignants francophones hors espace francophone, à l’usage qu’elles et ils font d’Internet et à la place des langues dans le choix de leurs navigation sur Internet. À ce titre, la distinction entre status et corpus faite par Chaudenson et les travaux de Giard et de Certeau nous ont été utiles et nous ont permis de formuler des hypothèses pour mieux appréhender ces pratiques et pour analyser, mesurer, étudier les fonctions qu’occupent les langues sur Internet et les corpus produits par ces internautes. Cette étude permet en outre de mettre en évidence de manière très claire la ligne de crête entre la Francophonie telle qu’elle est mise en mots dans les discours institutionnels et la francophonie telle qu’elle est mise en chair par ses locuteur.rice.s ainsi que la tension entre « la découvrabilité » des contenus francophones et les besoins en français de locuteurs éloigné.e.s au quotidien de la langue. Dans cet article, après avoir présenté notre projet, nous exposerons le corpus d’étude obtenu à partir d’entretiens qualitatifs, les analyses et les conclusions que nous avons pu mener.

According to the latest report published by the International Organization of La Francophonie (2022), the French language is in fourth place on the Internet. The method used to obtain this fourth place is based on a cross-referencing of demolinguistic data and estimates of the languages present on the websites. This ranking – there are many others – shows that the competition between languages on the Internet is fierce. Reading the Attali report (2014), it is true that the stakes of the Francophonie are high and the means must be deployed to develop online training, to give Internet users the habit of going to French-speaking sites, and to help create new literary and scientific content in French. As you can see, the Internet is a space where the vehicularity and vernacularity of a language must be supported. That being said, these estimates do not provide information on the functions that the French language occupies online for these speakers and the real skills, production and comprehension of these Internet users, they also do not highlight their multilingualisms, their transitions from one language to another on the web, the links that are formed between languages, power relations and inequalities between languages (Calvet, 2007). Numerous studies today (Mission franco-québécoise, 2024, OIF, 2022), funded by the International Organization of La Francophonie, are looking at the "discoverability" of French-language content, i.e., its online presence and its ability to be easily identified among a multitude of other content, especially by a person who would not specifically search for this content. Other practices nevertheless exist and could also be supported by the institutions, and it is on these practices that this article wishes to focus its attention. As part of a project we are conducting in Southern Africa and the Indian Ocean, we are interested in the place of the French language among French-speaking migrants teachers outside the French-speaking world, the use they make of the Internet and the place of languages in the choice of their connections. In this respect, the distinction between status and corpus made by Robert Chaudenson and the work of Luce Giard and Michel de Certeau, have been useful to us and have allowed us to formulate hypotheses to better understand these practices and to analyze, measure, and study the functions occupied by languages on the Internet and the corpora produced by these Internet users. This study also makes it possible to highlight very clearly the line between the Francophonie as it is put into words in institutional discourse and the Francophonie as it is fleshed out by its speakers and the tension between the "discoverability" of French-language content and the French needs of speakers who are distant from the language on a daily basis. In this article, after presenting our project, we will present the corpus of studies obtained from qualitative interviews, the analyses and the conclusions that we have been able to conduct.

Outline

Text

L’étude exploratoire – menée en deux temps - présentée dans les lignes qui suivent s’inscrit dans le domaine des sciences du langage, plus précisément dans la didactique du français langue étrangère et seconde. Les chercheur.euse.s en didactique des langues insistent sur l'importance du contact avec la langue pour un apprentissage efficace. À ce titre, nous pourrions évoquer Robert Chaudenson, qui dans son ouvrage Mondialisation : la langue française a-t-elle un avenir ?1 plaidait pour un accès accru à la langue française, afin que les francophones subsahariens acquièrent ce qu’il appelait le « SMIC » soit le « seuil minimum individuel de compétence ». Dans le cadre de mes enseignements, de mes recherches, je m’intéresse à la F/ francophonie2, aux formations à destination d’enseignant.e.s de profils français langue seconde ou étrangère, aux matériels didactiques que celles-ci et ceux-ci utilisent en classe, à la manière dont elles et ils pratiquent le français et entretiennent leurs compétences en langue française que ce soit hors ligne ou en ligne. La place du numérique, les connexions quotidiennes sont au cœur de mes recherches cette année en particulier les pratiques en ligne d’enseignant.e.s de français langue étrangère (désormais FLE) qui sont en Eswatini, un petit pays d’Afrique Australe situé au nord de l’Afrique du Sud. L’Eswatini connaît depuis quelques années une proportion croissante de migrant.e.s venu.e.s du continent africain et particulièrement des pays dits communément francophones. Cependant, le français y est une langue très peu pratiquée et les ressources en langue française manquent. Internet pourrait palier ce dénuement.

Parallèlement, à lire le rapport Attali3, les enjeux de la F/ francophonie sur le web sont grands et les moyens doivent être déployés pour développer les formations en ligne, encourager les usager.ère.s d’Internet à se rendre sur des sites francophones, aider à la création de nouveaux contenus littéraires et scientifiques en langue française. Internet est un espace où la véhicularité4 et la vernacularité5 d’une langue doivent être soutenues. Quels usages numériques en langue française les enseignant.e.s de FLE en Eswatini, font-ils et elles ? Quels sites fréquentent-ils et elles ? Dans une approche à visée sociodidactique6, comment rapprocher ces locuteur.rice.s, « passeurs de francophonie »7, aux ressources en ligne, ressources qui feraient écho dans leurs cours, ressources sur lesquelles ils et elles pourraient prendre appui dans leurs enseignements ? Dès lors, quelles ressources sont disponibles ? Avec quel appui institutionnel ? Sont-elles vraiment celles auxquelles accèdent les enseignant.e.s éloigné.e.s du français ? Quelles sont leurs pratiques en ligne ? Ces questions sont celles auxquelles nous tenterons de commencer à répondre dans cet article.

L’article sera structuré en deux parties. La première partie présentera une première enquête exploratoire menée auprès d’enseignant.e.s de FLE en Eswatini, ainsi que les pistes de recherche qu’elle a permis de dégager. Elle proposera également un état des lieux des recherches actuelles sur les usages numériques en langue française. La seconde partie soulignera la nécessité d’élaborer de nouvelles méthodologies pour mieux appréhender les pratiques numériques ordinaires en ligne, avant de revenir sur les principaux résultats d’une seconde étude exploratoire et les perspectives qu’ils ouvrent.

I. Le point de départ : une recherche exploratoire sur les pratiques de la langue française par des enseignant.e.s de FLE en migration dans un pays non francophone

En sciences du langage8, lorsque nous nous intéressons à la F/ francophonie, nous pouvons constater que la littérature scientifique sur ce thème porte principalement sur les politiques menées dans tel ou tel pays : leurs effets, leurs succès ou non9. Elle peut aussi aborder les particularités que revêt la langue française dans telle ou telle zone géographique10. Elle peut en effet porter sur la « langue française », sur ses variations diatopiques, son acclimatement (c’est-à-dire lorsqu’elle survit dans son nouveau milieu mais ne s'y reproduit pas) ou son acclimatation11 (lorsqu’elle y survit et s'y reproduit) encore appelé son indigénisation12. D’autres études se penchent sur la situation démolinguistique du français, point de vue mathématique, qui inventorie les locuteur.rice.s du français13. Enfin, les recherches peuvent aussi concerner la place des langues dans des contextes de migration, elles prennent en compte la mobilité des personnes et ses conséquences sur leurs répertoires et leurs choix langagiers14, les fonctions (dans des situations officielles, intimes, écrites, orales) qu’occupe le français dans le quotidien des francophones et leurs compétences en production ou en compréhension de cette langue : celle que Bourdieu définit dans L’économie des échanges linguistiques comme étant « constituée de la maîtrise du langage et de la maîtrise pratique des situations, dans leurs pratiques personnelles du français et dans ce qu’ils en disent, dans la manière dont ils mettent en mots cette langue » 15. À travers ces fonctions occupées et ces compétences se lit/se vit une autre francophonie que celle institutionnelle. Dans cette perspective, se manifestent des normes, des représentations mais aussi une « francophonie ordinaire / du quotidien » où la langue est détournée, bricolée pour reprendre les concepts clés de Michel de Certeau16.

Mieux saisir cette francophonie ordinaire peut peut-être renouveler notre regard sur un ensemble de choix didactiques, théoriques, épistémologiques, méthodologiques voire de décisions politiques telles que celles d’études et de financements de projets autour de la langue française. C’est en tous cas l’objectif que nous nous étions fixée en menant une étude en Eswatini auprès d’enseignant.e.s francophones.

I.1. Les usages quotidiens numériques par les enseignant.e.s de FLE en Eswatini : « les oubliés » de la recherche

Pays officiellement bilingue (anglais et siswati), situé entre le Mozambique et l’Afrique du Sud, l’Eswatini – l’ancien Swaziland (le pays a changé de nom en 2018) – est un ex-protectorat britannique qui compte environ 1,25 million d’habitants17. La langue française y est rare dans le pays, mais enseignée comme langue étrangère dans une grande partie des écoles primaires, à côté du portugais et de l’afrikaans. Elle est aussi une des langues de personnes en mobilité, notamment d’origine congolaise. La présence de migrant.e.s issu.e.s de pays comme la République démocratique du Congo (RDC) en Eswatini a commencé dans les années 1980, puis s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui. Les crises économiques, les troubles politiques et économiques, les conflits armés ont causé de nombreux départs de la RDC vers l’Afrique australe : l’Afrique du Sud, l’Eswatini, le Mozambique, etc.18. Langue de scolarisation dans leurs pays d’origine, le français fait partie, en effet, de leurs répertoires linguistiques, et le prestige qui l’entoure valorise au départ les personnes en situation d’exil dans un pays où la langue est rare mais néanmoins apprise à l’école comme langue étrangère. Ces migrant.e.s ont souvent le statut de réfugié.e.s et travaillent dans des écoles pour combler le déficit de professeur.e.s de français langue étrangère dans le pays.

En 2023, avec une collègue, nous avons réalisé une première étude qualitative exploratoire auprès de ces enseignant.e.s19. Notre recherche s’intéressait aux usages de la langue française dans un contexte migratoire, et aux réseaux francophones formels ou informels qui étaient mobilisés lors de la migration : la langue française avait-elle été un moteur, une aide durant leur migration, puis leur intégration dans leur pays d’accueil ? Lors de ces entrevues, nous nous étions intéressées à leur formation antérieure en langue française, à leurs usages de la langue, aux pratiques des autres langues, à leurs pratiques langagières personnelles, professionnelles, nous avions discuté de leur « identité francophone », de leur avenir avec la langue française : comptent-ils et elles la transmettre à leur tour à leurs enfants ? Comment va-t-elle rester ? Et pourquoi ? Est-ce que quelque chose a donné de l’élan au français ou au contraire est-ce qu’il y a des freins qui font qu’on l’abandonne ? Huit enseignant.e.s avaient répondu à nos questions.

Les résultats étaient sans appel : l’usage de la langue française lors de leurs processus de migration dans ce pays non francophone se réduisait comme peau de chagrin. Peu en contact avec la langue française dans leur quotidien, nos témoins disaient ne plus l’écrire, peu la parler et ne plus la transmettre à leurs enfants. L’étude montrait par ailleurs comment les enfants de ces migrant.e.s s’orientaient vers des universités anglophones et abandonnaient peu à peu, à leur tour, la langue française. Au départ, la langue était signe d'un bagage scolaire, d'un bagage économique, d’un capital (culturel, social, économique, symbolique), puisqu’elle leur avait permis de devenir enseignant.e, de trouver un emploi. Mais la dynamique avait peu à peu semblé s’essouffler. Nous démontrions alors que si le français avait eu des possibilités de véhicularisation à un moment, grâce aux migrations de ces exilé.e.s francophones, peu soutenue par les politiques linguistiques institutionnelles, cette francophonie locale avait fini par s’éteindre.

Il est cependant des pratiques muettes, que nos témoins et nous avions omises, ce sont leurs pratiques en ligne. Comme chacun sait, le quotidien de chacun, ce sont aussi (beaucoup) les usages de nos téléphones portables, la consommation de 4G, nos connexions et nos navigations, les sites et applications que nous consultons. Internet est un « espace » de la vie quotidienne : ce que nous y accomplissons est similaire à ce que nous faisons dans le monde réel20. La littérature à ce sujet évoque désormais un « continuum de praxis » : sur les sites, sur les applications, lorsque nous consultons des ressources, nous lisons, écrivons, parlons, écoutons, discutons. Internet fait aujourd’hui partie intégrante de nos vies et ce, indépendamment des lieux, les seules barrières, les seules frontières pouvant être celles de la langue, des filtres causés par les cookies, ou des censures mises en place dans certains États. Les navigations sur Internet ouvrent des possibilités intéressantes, voire stimulantes en matière de recherche, en matière d’ingénierie pédagogique, de coopération, de politique linguistique et éducative. Quelles sont les pratiques numériques des enseignant.e.s francophones installé.e.s en Eswatini ? Quelles sont les langues utilisées lors de leurs connexions et navigations sur Internet ?

Aussi, notre deuxième enquête a été d’appréhender les usages du numérique des témoins, de cerner quelles fonctions occupait la langue française en ligne pour cette diaspora, enfin, de voir si ces fonctions étaient identiques ou non à leurs pratiques hors ligne. C’est ce que nous allons désormais aborder. Mais au préalable, de manière à élaborer une grille pour ce second entretien, quelles recherches avaient déjà abordé ces questions ?

I.2. L’état de l’art : déambulations dans le numérique francophone

Peu d’études concernant les pratiques ordinaires des langues en ligne de personnes migrant.e.s ont été réalisées, les rares existantes s’intéressent aux formes de solidarités des diasporas et de groupes ethniques en ligne21. Les témoins sont aussi mutiques à ce sujet, comme si nos usages du numérique était « sans » langue. Il n’est pas toujours aisé de se doter d’outils analytiques adéquats pour se saisir d’usages d’Internet, puis pour interpréter les déplacements en ligne. Afin d’identifier au mieux ces pratiques, nous avons en premier lieu établi un état de l’art des études qui associaient « numérique » et « F/ francophonie ».

D’après le dernier rapport publié par l’Organisation internationale de la Francophonie22, la langue française occuperait la quatrième place sur Internet. Ce classement – il en est d’autres, nombreux – montre que la concurrence des langues sur Internet est féroce comme cela a été souligné dans l’introduction. La méthode utilisée pour obtenir cette place de quatrième se base sur un croisement de données démolinguistiques et d’estimations des langues présentes sur les sites web. En tant que linguiste, nous savons que les compétences en langue ne se limite pas à de l’écrit, ni aux seules fonctions de la lecture ou de l’écoute. Si ces résultats obtenus par l’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet23 peuvent être éclairants, ils restent relatifs et renseignent in fine peu sur « les usages en ligne/en langues » des internautes. L’approche linguistique du phénomène francophone sur Internet paraît dans ces conditions une donnée géopolitique et non une donnée tangible qui éclaire les pratiques langagières des internautes francophones.

Nous pouvons évoquer d’autres outils de mesure, comme le calcul du degré de cybermondialisation d’une langue. Celui-ci consiste à évaluer la diffusion à l’échelle mondiale d’une langue à travers cette formule : (L1 + L2) / L1, multiplié par le pourcentage de pays où la langue est pratiquée, puis le pourcentage de locuteur.rice.s connecté.e.s24. D’autres calculs sont proposés, on en retrouve de nombreux exemples dans l’ouvrage de Bruno Maurer Mesurer la Francophonie25, ils sont abondants.

Pour un.e didacticien.ne qui s’intéresse à l’inclusion du numérique, notamment aux multiples ressources disponibles, comme appui aux enseignant.e.s dans les classes peu équipées, et aux pratiques ordinaires en ligne, ces chiffres restent une « illusion »26. Ils n’illustrent pas les compétences de production, de compréhension des internautes francophones, la place que la langue française occupe/remplit en ligne pour ces locuteur.rice.s et ils mettent peu en avant également leurs plurilinguismes, leurs passages d’une langue à l’autre sur le web, les liens qui se nouent entre les langues, les rapports de force, les contacts, les inégalités entre les langues 27, les diglossies.

Par ailleurs, l’existence d’une grande quantité de contenus francophones sur Internet, n’induit pas systématiquement y accéder. Il existe des filtres qui dépendent des algorithmes et des intelligences artificielles, qui font en sorte que, malgré la pluralité des offres des plateformes, les systèmes de recommandation tendent à enfermer l’utilisateur.rice dans ses préférences de consommation culturelle déjà établies, sans chercher à susciter davantage sa curiosité ou à élargir ses horizons en lui faisant découvrir des contenus autres que ceux qu’il ou elle a l’habitude d’apprécier ou de consommer28. Ce système de filtres, d’algorithmes et de recommandations constitue un enjeu majeur pour les plateformes en langue française et est fortement étudié par l’OIF qui met l’accent aujourd’hui sur le concept de « découvrabilité ».

I.3. La notion de « découvrabilité »

Nous aimerions nous arrêter quelques instants sur cette notion particulièrement d’actualité. La « découvrabilité » des contenus francophones (comprenant les œuvres cinématographiques, audiovisuelles et musicales) a récemment été étudiée par une équipe franco-québécoise29. L’étude menée avait pour objectif de mesurer le « poids » des contenus francophones sur Internet et d’identifier des leviers d’action pour faire face à l’impérialisme culturel (et linguistique) que tentent d’imposer les géants multinationaux. Cette notion est définie ainsi : « La découvrabilité d’un contenu dans l’environnement numérique désigne sa disponibilité en ligne et sa capacité à être repéré parmi un vaste ensemble d’autres contenus, notamment par une personne qui n’en faisait pas précisément la recherche »30.

Elle englobe trois éléments. Il s’agit de :

  • La « repérabilité » : soit la capacité du contenu à être facilement détectable, trouvable en ligne ;

  • La « prédictibilité » : la capacité du contenu à figurer parmi les résultats proposés par les moteurs de recherche, il dépend des algorithmes qui sont paramétrés de manière prédictive sur la base d’un ensemble de critères comme celui de l’utilité, de la valeur, du succès ou de la popularité que pourrait connaître un contenu auprès du public ;

  • Enfin, la « recommandabilité » (algorithmique ou par les individus) : la potentialité du contenu à se faire préconiser par les moteurs de recherches, les réseaux sociaux ou encore les usager.ère.s mêmes.

On voit ici que ce sont essentiellement les offres qui sont étudiées et soutenues par l’OIF, le nombre de sites francophones proposés aux internautes et que ces études sont issues de méthodes quantitatives : elles mesurent, probabilisent des usages, des consultations, mais mettent de côté les pratiques des usager.ère,s, elles étudient l’évolution du marché des contenus culturels en ligne, les audiences de certaines ressources, etc. Elles s’intéressent, en outre, à la « culture cultivée » de Senghor31, aux œuvres littéraires, artistiques, et non à la « culture populaire » de Bourdieu32, les œuvres, les productions plus communes, tout autant, voire peut-être plus, pourvoyeuses de consultations en ligne. Dans ces études, le postulat est de faire rayonner la langue française au travers les industries culturelles et créatives francophones, laissant de côté les contenus plus « ordinaires » qui pourraient être de fait, aussi porteurs de « lustre ».

En tout état de cause, s’interroger sur la « découvrabilité », connaître le degré de CML (cybermondialisation d’une langue), ne nous indique pas la fonction que la langue française en ligne occupe/remplit pour ces locuteur.rice.s, ni leurs compétences, ni la vitalité de cette langue dans leur quotidien. Écouter, entendre les « pratiques ordinaires » sur Internet des francophones et dans notre cas d’enseignant.e.s exilé.e.s en Eswatini a entraîné un certain tâtonnement théorique et méthodologique, plus encore pour étudier un contexte qui, au-delà de plateformes informationnelles, offre aussi des modalités « conversationnelles », des modalités de services « connectés », où la langue, les compréhensions, les productions orales et écrites jouent un grand rôle.

II. Une deuxième enquête auprès des enseignant.e.s de FLE originaires de RDC : la nécessité d’élaborer une méthodologie

Nous souhaitions mieux cerner la place qu’occupent les langues dans les usages numériques des enseignant.e.s de FLE originaires de RDC que nous avions interviewé.e.s lors de notre première enquête. Néanmoins, interroger ces pratiques numériques en prenant en compte la « joignabilité » permanente des témoins nécessitait de chercher des lignes de fuite. Pour réaliser cette enquête, nous avons adopté au départ une démarche exploratoire, faite de « bricolages », axée sur la construction des protocoles d’enquête à partir du tâtonnement au lieu d’une démarche de vérification d’hypothèses préétablies. Nous avons contacté nos huit témoins et leur avons proposé une nouvelle entrevue. En amont, nous avons rédigé une grille d’entretien en nous appuyant sur les travaux de Chaudenson33 ainsi que ceux de Certeau et Giard34 qui nous permettaient de déplier les fonctions d’une langue chez ses locuteur.rice.s et de couvrir toutes ses appartenances aux territoires, aux institutions civiles (sécurité sociale, banque, transport, etc.), ainsi que leurs réseaux familiaux, professionnels et amicaux dans la complexité de l’écosystème numérique.

II.1. Les usages du numérique et les pratiques des langues en ligne, objet de la seconde enquête

L’évolution de l’informatique, des télécommunications, des médias depuis leurs modestes débuts jusqu’à leurs expansions rapides avec l’avènement d’Internet dans les années 1990 a profondément influencé nos modes de communication, de partage d’informations et nos interactions sociales. Cependant, la vie quotidienne en ligne reste encore souvent insaisissable. Comment la rendre visible ? Comment représenter les diverses expériences du numérique ? Comment cette transformation numérique altère-t-elle nos contacts aux langues, à nos pratiques ? À l’inverse comment les langues sont-elles impactées par ces nouveaux usages ? Comment mettre en lumière les aspects de la vie « numérisée » ? D’après la littérature à ce sujet, la vie sociale en ligne reflète et renforce souvent les dynamiques sociales de la vie réelle. Dans un ouvrage récent intitulé Atlas du numérique, Cardon et al. soulignent les multiples dimensions du numérique et l’effet de loupe qu’il donne à voir de nos sociétés : l’accès au numérique est concentré dans les populations les plus favorisées et dans les pays les plus riches, les inégalités de genre persistent voire sont accrues, les recherches en ligne sont surtout utiles aux personnes les plus diplômées. Les auteurs plus encore mettent en évidence les « expositions universelles » sur Facebook, WhatsApp, Snapchat, Twitter, LinkedIn : « l’exposition en ligne de nos diverses identités personnelles constitue l’une des plus remarquables transformations suscitées par les réseaux sociaux numériques »35.

Les premiers entretiens qualitatifs que nous avons menés auprès de ces enseignant.e.s congolais.e.s exilé.e.s concernaient leurs politiques linguistiques familiales, leurs sentiments et attitudes vis-à-vis des langues avec une focalisation sur la langue française dans un contexte où ils et elles y sont peu exposé.e.s, leurs mobilités et leurs conséquences sur leurs répertoires et leurs choix langagiers. En ligne, les locuteur.rice.s ont-ils et elles le même répertoire verbal ? C’est ce que nous souhaitions cerner lors des nouveaux entretiens. Cinq enseignants des huit qui avaient participé à la première enquête ont été interviewé.e.s, d’origine congolaise actuellement enseignant.e.s en Eswatini dans les écoles primaires publiques ou privées eswatiniennes comme évoqué plus haut. D’après les instructions officielles du ministère de l’Éducation du pays (2005), les langues étrangères doivent être introduites tôt dans l’apprentissage des élèves, on peut y lire en effet : "In Grade 4 a foreign language such as French, Portuguese, Afrikaans or any other language shall be introduced and shall be taught orally"36. Néanmoins, pour enseigner le français, il faut des francophones : beaucoup de migrant.e.s francophones ont été recruté.e.s dans un premier temps dans ces écoles afin d’entamer l’intégration du français dans les petites classes.

Ils et elles sont diplômé.e.s de leur pays d’origine, mais ne se destinaient pas à devenir enseignant.e.s : leurs compétences en langue française, langue de leur scolarité, leur a ouvert cette possibilité. Leurs migrations en Eswatini sont accidentelles et la langue française, à la suite des besoins et accords signés avec le gouvernement français, a fait d’eux et elles des enseignant.e.s en attendant que les Eswatinien.ne.s en ce moment formé.e.s prennent la relève. La précarité est leur épée de Damoclès. De niveau C1 en français (Cadre européen de référence pour les langues)37 dans toutes les compétences orales et écrites, ils et elles sont équipé.e.s d’un téléphone portable 4G et peuvent se connecter dans les écoles.

Nous avons réalisé des entretiens compréhensifs38 auprès de ces personnes. Les récits qui seront proposés sous forme d’extraits dans les résultats sont issus de trois entretiens. La grille d’entretien a été construite à partir des travaux de Chaudenson et de Certeau et Giard que nous allons maintenant présenter.

II.2. Quadriller des usages de la langue française en ligne : l’aide de Chaudenson, Giard et de Certeau

À partir du milieu des années 1980, Chaudenson a consacré à la Francophonie subsaharienne de nombreux textes. Il en est un tout particulièrement qui m’intéresse, évoqué à plusieurs reprises dans ces lignes, c’est Mondialisation, la langue française a-t-elle un avenir ?39 au sein duquel le chercheur offre une grille dont l’objectif est de donner, pour chaque État étudié, une représentation graphique simple et claire de sa situation linguistique, mais aussi de fournir des tableaux comparatifs qui, en offrant une vue globale des situations, pourraient orienter des choix politiques de coopération, en particulier en matière de diffusion de la langue et de la culture françaises. Pour le chercheur, une langue en expansion a un fort taux de véhicularité : elle occupe, elle doit occuper un certain nombre de fonctions et c’est à travers ces fonctions qu’on peut observer sa vitalité. Si les habitant.e.s de cet État sont en mesure d’utiliser la langue dans ces différents lieux alors la situation est sereine ; si ce n’est pas le cas, une politique linguistique et éducative est nécessaire, politique qui peut conduire à d’autres choix de langues nationales ou officielles ou à des campagnes d’alphabétisation dans la langue qui occupe ce statut important.

La grille présente à partir de deux concepts clefs – le status et le corpus – la situation d’une langue-cible au niveau d’un État et dont le principe fondateur est que la situation d’une langue, dans un contexte donné, ne peut s’analyser qu’en prenant en compte toutes les composantes de la situation. Le status réunit cinq attributs : le premier attribut est le statut officiel de la langue française dans le pays ; le deuxième attribut est les usages institutionnels de cette langue notamment les textes de lois, l’administration nationale et locale, la justice et la religion ; le troisième attribut est celui de l’utilisation du français dans les trois cycles du système éducatif ; le quatrième, l’utilisation des langues dans les moyens de communication de masse, presse écrite, radio, télévision, cinéma, édition ; enfin, le dernier concerne les possibilités économiques et avantages sociaux que la langue offre. Quant au corpus, il repose sur les attributs d’acquisition de la langue par la population comme langue première ou seconde, d’apprentissage dans le cadre scolaire, de véhicularité et de vernacularité, et les compétences réelles de ces locuteur.rice.s. L’intérêt de la grille est de mettre en tension le corpus et le status (équivalent d’une offre et d’une demande, rendant visible l’efficacité ou non d’une politique linguistique). Ces lieux institutionnels – celui de la justice, de l’administration, de la religion, de l’école, des médias, du monde économique et des possibilités d’emploi –, peuvent dans l’ensemble être aussi des lieux en ligne où nos témoins pourraient se rendre. Manquent néanmoins à cette liste des espaces plus « ordinaires », des lieux plus intimes.

Dans un article coécrit avec Luce Giard, « L’ordinaire de la communication », de Certeau s’est intéressé aux réseaux, aux réseaux institutionnels, mais aussi aux réseaux informels « plus mouvants malconnus parce que privés de légitimité et de moyens administratifs de se stabiliser » 40. Les réseaux informels sont pour les chercheurs déterminants pour l’analyse du fait social. Ce texte met en lumière les liens, les communications qui se nouent grâce aux nouveaux médias en dehors de toute surveillance institutionnelle. Dans leurs pratiques ordinaires, les individus se regroupent au sein de réseaux « ethniques », « familiaux », « féodaux », de « passions » ou encore de « convictions partagées ». Cette liste nous fournit des pistes précieuses étant donné que les réseaux en question peuvent constituer des réseaux en ligne que les témoins peuvent fréquenter.

De ces deux textes, nous avons élaboré une grille d’entretien avec des questions comme : est-ce que les témoins ont accès à des sites francophones officiels qui concerneraient les lois, l’administration nationale ou locale, la justice, la religion ? Se rendent-ils sur des sites de presse écrite, de radios, de chaînes télévisées, de films, d’édition ? Accèdent-ils à des sites qui pourraient leur offrir des possibilités économiques,des offres d’emploi, de stages ou d’autres avantages sociaux ? Se forment-ils en ligne ? Enfin concernant ce qu’ils pourraient produire sur Internet : enseignent-ils en ligne en synchrone ou en asynchrone ? À quels réseaux sociaux et groupes appartiennent-ils ? Lorsqu’ils communiquent en ligne sur ces réseaux, le font-ils en français, dans une autre langue ?

La grille d’entretien a été élaborée de manière à prendre en compte l’ensemble de ces facteurs afin de quadriller ces usages et à les mettre en lumière.

II.3 Résultats et perspectives

À l’écoute des entretiens menés puis à la lecture de leurs transcriptions, plusieurs lignes se dessinent. Il n’est bien entendu pas question de généraliser, mais de saisir des expériences individuelles, dans notre contexte des usages de la langue française par des locuteur.rice.s qui ont eu cette langue francophone comme langue d’enseignement, qui ont dû s’exiler et qui l’enseignent aujourd’hui dans un contexte non francophone.

Au début des entretiens, les témoins mettent en avant des connexions sur Internet en langue française pour des usages « nobles ».

II.3.1. Les premiers mots : la recherche de la légitimité

Dans les premiers moments de l’interview, les témoins déclarent in fine ne pas se rendre très souvent sur Internet, puis après un certain laps de temps, admettent des navigations essentiellement sur des sites culturels valorisants (de leurs points de vue) ou valorisés, des sites télévisés ou radiophoniques. Parmi ceux cités, nous retrouvons : France 2441, Africa news42, Al Jazeera43 (consulté en anglais), Palmares44, Radio France international45, Eventsrdc46. Leur positionnement social, ici, se traduit discursivement. Ils et elles mettent en avant leur légitimité, le fait de ne s’intéresser qu’à une culture cultivée, la volonté d’être reconnu.e comme intellectuel.le, francophone, lettré.e, ce qui n’est pas sans rappeler les études de Bourdieu à ce sujet : « les déclarations concernant ce que les gens disent lire sont très peu sûres en raison de ce que j’appelle l’effet de légitimité : dès qu’on demande à quelqu’un ce qu’il lit, il entend : qu’est-ce que je lis qui mérite d’être déclaré ?47 ».

Dans ces sites, on relève que la langue utilisée est « la » langue de France, celle standardisée, à la norme endogène. Néanmoins, les reportages des sites qu’ils et elles consultent sont moins franco-centrés et portent sur l’actualité de leur région (même si les manières de traiter les informations sont probablement « occidentalo-standardisées » mais c’est un autre sujet).

II.3.2. La religion

Dans les fonctions hautes, le français peut occuper celle de la religion – en copartage avec la langue anglaise et le lingala –, en effet, les témoins se rendent régulièrement sur des sites de « prédications du pasteur » (pour reprendre un terme du témoin 1), congolais ou américain. On note ici la survivance du français dans sa fonction de langue véhiculaire du fait religieux. Ce sont des sites qui maintiennent un français normé. Dans un pays, l’Eswatini, où la religion majoritaire est le christianisme, on aurait pu croire que le culte de ces personnes exilées aurait lieu en siswati et en présentiel dans les églises. Internet permet une continuité de contact avec les églises d’origine. Il semble que cela traduit d’une part le manque d’intérêt des autorités religieuses locales pour ces nouveaux.elles arrivant.e.s, d’autre part la possibilité pour ces exilé.e.s d’une certaine permanence de leurs identités ethniques, culturelles, religieuses48. Les communautés de migrant.e.s ont souvent gardé comme langue liturgique leur langue première dans leur migration. Ici, on note qu’Internet permet de perpétuer cet aspect.

D’autres usages concernent leur fonction d’enseignant.e.

II.3.3. Le professionnel : former et s’auto-former

Internet leur sert souvent dans leurs pratiques professionnelles, pour s’auto-former, apprendre encore : « apprendre (encore) la langue française avec "le" YouTube pour les choses où je ne suis pas très fort comme la grammaire » (propos du témoin 2). Nous pouvons souligner ici les marques discrètes d’une insécurité linguistique, qui rendrait notre témoin comme illégitime à enseigner. Les enseignant.e.s semblent assez isolé.e.s dans leurs écoles et expliquent chercher des ressources sur Internet pour leur préparation de cours. Google est le moteur de recherche le plus cité. Toutefois, mal référencés, peu « repérables » et faiblement recommandés – pour reprendre des critères de la « découvrabilité » évoqués en amont –, aucun des sites ouverts par France Éducation International, l’Organisation internationale de la Francophonie, ou d’autres organismes d’appui à la langue française et qui visent à faciliter le travail des enseignant.e.s de français langue étrangère les plus lointains, n’est évoqué : RFI, TV5MONDE49, FUN MOOC, etc.

D’autres sites sont consultés, mais concernent leurs projections professionnelles, leurs avenirs : ces témoins observent les offres d’emploi à l’international ou les offres de bourses de mobilité pour partir étudier ou renforcer leurs compétences proposées par l’Ambassade de France, mais ils et elles s’en sentent exclu.e.s : les offres sont destinées aux « natifs » eswatiniens et non à des francophones en mobilité.

II.3.4. Des usages plus populaires tant dans le visionnage de contenus que dans les productions écrites et orales

Au fur et à mesure de l’entretien, les pratiques d’Internet se dessinent ainsi que « leurs routines » journalières qui laissent entr'apercevoir une francophonie plus populaire et un français qui n’est pas étanche aux autres langues, ou qui vient colorer d’autres langues.

Ces pratiques plus ordinaires se réalisent à travers le visionnage de vidéos envoyées par des ami.e.s : leurs contenus sont souvent comiques ou politiques. Cela peut être également des films sur YouTube.

Enfin, les témoins abordent leurs usages personnels intimes sur les réseaux sociaux comme Facebook ou des messageries écrites ou orales comme WhatsApp. Bref, un ensemble d’activités d’écoute, de productions écrites, des Sms en français parlé, une forme de « parlécrit », ou des vocaux qui révèlent une forme de brouillage de la frontière entre oral et écrit.

Les départs de ces personnes, souvent dus à des conditions de violence et de conflits dans leur pays d’origine, sont loin de signifier une rupture avec la famille. Dans la plupart des entretiens, nous pouvons observer qu’Internet permet au contraire une dynamique de maintien du contact avec le pays, ce qui fait écho aux travaux menés par Diminescu50. La sociologue a introduit le concept de « migrant connecté » pour décrire comment les migrant.e.s utilisent les technologies numériques pour maintenir des liens avec leur pays d'origine, faciliter leur intégration dans le pays d'accueil et naviguer entre ces deux espaces. Le « migrant connecté » est « un migrant équipé avec au moins un outil digitalisé qui lui permet de switcher instantanément entre plusieurs mondes d’existence. Cet outil lui donne accès et lui permet de naviguer dans un environnement digitalisé connecté. Cet environnement peut être dans le pays d’accueil, dans celui de destination, ou ailleurs »51.

Les écrans donnent accès à ce qui a été laissé derrière soi et permet de préserver des attaches et des liens. Migrer n'est plus incompatible avec la conservation de liens et de contacts.

L’un des témoins a un fil de conversation WhatsApp avec sa mère, tous deux échangent plusieurs fois par jour : « 3, 4 fois a minima ». Ainsi, le témoin 3 précise : « Avec ma mère, je parle en français, enfin heu les deux, en lingala et en français mais le plus souvent en lingala, enfin non, en fait c’est qu’en lingala parce que le lingala a beaucoup de mots français ». On voit ici que la langue des échanges est ainsi en marge de la norme. Le témoin 3 parle, entre dévoilement et refoulement, ici d’une langue vernaculaire mélangeant lingalo-français, une langue composite qu’il a l’impression de mettre mal en mots mais, dans ses hésitations met in fine très bien en mots. Il ne parle pas de variation mais de langues entremêlées, hétérogènes, miroir de son propre parcours, qui n’est lui aussi, ni figé, ni entouré de frontières.

II.3.5. Des usages des langues en ligne éloignées de leurs pratiques hors ligne

À la fin de l’entretien, les témoins disent que la place des langues dans leurs usages d’Internet (consultations et productions comprises) se situent autour de 10 % pour le français, 55 % en langue anglaise et le reste est réalisé en lingala – soit 35 %. L’écoute des chansons diffère légèrement, ils et elles évaluent ces écoutes à 60 % pour l’anglais, 20 % pour le lingala, 20 % pour le français, ce qui est très éloigné de leur vie quotidienne hors Internet puisque seuls le siswati, l’anglais et dans une moindre proportion le français rythment leurs journées professionnelles et privées. On voit ici que le lingala et le français revêtent une place plus importante en ligne que dans leur quotidien hors ligne.

Nous pouvons également souligner l’importance du lingala qui reprendrait sa fonction identitaire et qui témoignerait, en étant maintenue comme langue d’échanges avec les personnes restées au pays, d’une forme de « revernacularisation », d’une « regrégarisation ». Cette langue n’est pas du tout employée dans leur pays d’accueil. Ce phénomène met en lumière un nouveau type de pratiques des langues en situation de migrations : les précédentes migrations, avant l’avènement d’Internet, ne permettaient pas de garder un contact avec sa langue première et les migrant.e.s résistaient peu à la langue du nouveau milieu social qu’ils et elles intégraient. Internet leur permet de se retrouver dans des « réseaux refuge » dans une « langue refuge ».

Conclusion

Notre question de départ était de situer les fonctions qu’occupait la langue française dans le quotidien d’enseignant.e.s de français langue étrangère, d’origine congolaise et travaillant dans des écoles en Eswatini. Pour ancrer la langue qu’ils et elles enseignent dans un contexte socialement ou géographiquement, les enseignant.e.s de français langue étrangère ou seconde s’appuient sur des manuels, ces derniers persistant à diffuser une norme centralisatrice, éloignée de « leur » francophonie, soulignant l’écart entre la langue « supralocale » (celle de France) et « locale » (celle issue de leurs expériences). Dans ce contexte, les outils et ressources numériques pourraient ouvrir la voie à une alternative prometteuse. Si dans un premier temps, nous nous étions intéressée à leurs pratiques in vivo, c’est-à-dire à leurs pratiques hors ligne, c’est celles en ligne sur lesquelles nous nous sommes concentrée dans un second temps, en notant que dans la plupart des recherches en sciences du langage, cet aspect, ce continuum de pratiques est souvent omis, passé sous silence. Nous avions souligné dans la première étude que ces témoins étaient peu en contact avec la langue française dans leur quotidien, et qu’ils et elles perdaient en compétence à force de ne plus avoir besoin de cette langue.

En étudiant leurs pratiques du numérique, nous obtenons d’autres résultats52. Dans l’exil, Internet est devenu un lieu essentiel pour beaucoup de personnes issues de cette diaspora. Le français est présent dans le quotidien de leurs connexions puisqu’il leur permet de rester en contact avec l’actualité de leur pays, avec leur religion et l’organisation de leur culte.

Il semble que ces migrant.e.s tendent à pratiquer encore le français en se rendant sur des sites francophones, en visionnant des contenus francophones ou en produisant eux/elles-mêmes des contenus francophones notamment sur les réseaux sociaux. En sus de pratiques plus intenses de la langue française, nous constatons également un retour de leur langue première : le lingala. Internet permettrait donc un maintien du lingala.

À la faveur de ces témoignages, il semble intéressant, si les institutions qui défendent la langue française veulent qu’elle continue à occuper certaines fonctions dans le quotidien des francophones qui sont coupés, éloigné.e.s des « marchés » francophones, de repenser la « découvrabilité » en tension avec les usages ordinaires de locuteur.rices francophones dans le monde, plus encore de locuteur.rices francophones en contexte non francophone. Au-delà du potentiel de repérabilité, de prédictibilité et de recommandabilité de certains contenus francophones en ligne, il importe de mieux comprendre les pratiques « ordinaires » de la langue française en ligne, de mieux valoriser ces pratiques plurielles. L’avenir du français et de son enseignement dans des contextes non francophones se jouent probablement dans cette direction. « La langue doit nourrir son homme »53.

Bibliography

Antil (Alain), et al., « Migrations : logiques africaines », Politique étrangère, 2016, vol. 81, n° 1, dossier « Migrations en Afrique : un regard neuf », p. 11-23.

Attali (Jacques) et al., La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable. Rapport à François Hollande, président de la République, août 2014, 25 août 2014, disponible sur : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/144000511.pdf, consulté le 15 juin 2021.

Bouillon (Antoine), Les « Amagongogo ». Immigrants africais francophones en Afrique du Sud, Programme de recherche sur les migrations, Institut Français d’Afrique du Sud, Johannesburg, 1996, 176 p.

Bouillon (Antoine), Immigration africaine en Afrique du Sud. Les migrants francophones des années 90, Paris, Karthala, coll. « Homme et sociétés », 1999, 240 p.

Bourdieu (Pierre), Ce que parler veut dire : L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, 243 p.

Bourdieu (Pierre), La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979, 680 p.

Bourdieu (Pierre), « La lecture : une pratique culturelle. Débat entre Pierre Bourdieu et Roger Chartier », dans Chartier (Roger), Paire (Alain) (dir.), Pratiques de la lecture, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2003, 324 p.

Calvet (Louis-Jean), La sociolinguistique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-je ? », 2024, 127 p.

Calvet (Louis-Jean), Histoire du français en Afrique, une langue en copropriété, Paris, Écriture/OIF, 2010, 210 p.

Calvet (Louis-Jean), « Approche sociolinguistique de l'avenir du français dans le monde », Hérodote, 2007, vol. 3, n° 126, p. 153-160.

Calvet (Louis-Jean), Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1979, 240 p.

Cardon (Dominique), Parasie (Sylvain), Ricci (Donato) (dir.), Atlas du numérique, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2023, 124 p.

Certeau (Michel de), Giard (Luce). « L'ordinaire de la communication », Réseaux, 1983, vol. 1, n° 3, p. 3-26.

Certeau (Michel de), L’invention du quotidien. Arts de faire, Paris, Union générale d’éditions, coll. « 10-18 », 1980, 374 p., réédition, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2002, 350 p.

Chaudenson (Robert), « La place de la langue française dans la francophonie », Hérodote, 2007, vol. 3, n° 126, p. 129-141.

Chaudenson (Robert) et Rakotomalala (Dorothée), Situations linguistiques de la francophonie, état des lieux, Québec, Agence universitaire de la Francophonie, 2004, 323 p.

Chaudenson (Robert), Mondialisation : la langue française a-t-elle un avenir ?, Paris, L'Harmattan, 2004, 238 p.

Chaudenson (Robert), La Francophonie : représentations, réalités, perspectives, Paris/Aix-en-Provence, Didier Érudition/Institut d'études créoles et francophones, coll. « Langues et développement », 1991, 218 p.

Chaudenson (Robert), Propositions pour une grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace francophone, Paris, ACCT, 1986, 48 p.

Conseil de l’Europe, Cadre européen de référence pour les langues, disponible sur : https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages, consulté le 12 mars 2024.

Cortier (Claude), « Propositions sociodidactiques face à la diversité des contextes. Vers une didactique convergente des langues collatérales et de proximité : éducation bi/plurilingue et projets interlinguistiques », Synergies Italie, 2009, n° 5, p. 109-118.

Diminescu (Dana), « Le migrant connecté : pour un manifeste épistémologique », Migrations Société, 2005, vol. 17, n°102, p. 275-293.

Diminescu (Dana), « Présentation », Réseaux, 2010, vol. 159, n° 1, p. 9-13.

Diminescu (Dana), « Migrations et réseaux sociaux. Pratiques migratoires à l’heure des dispositifs socio-numériques », Hommes & Migrations, 2022, vol. 2, n° 1337, p. 8-9, disponible sur : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13899, consulté le 24 août 2025.

Ferreira-Meyers (Karen) et Dlamini-Zwane, (Nompulemeno), « Le français en Eswatini », dans Thiam (Ousseynou) et al. (dir.), Innover pour mieux enseigner. Actes du congrès des enseignants de français d'Afrique et de l'océan Indien organisé par l'association sénégalaise des professeurs de français (ASPF) du 24 au 27 juin 2019 à Dakar, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2021, p. 325-342.

France Éducation International, disponible sur : https://www.france-education-international.fr/sites/default/files/medias/file/2021/09/Eswatini_2021-09.pdf, consulté le 23 mars 2024.

Guedes-Bailey (Olga), traduit de l’anglais par Erbès-Seguin (Sabine), « Les pratiques en ligne des diasporas : Représentations de soi et résistance ? », Migrations Société, 2010, vol. 6, n° 132, p. 47-62.

Gueunier (Nicole), « Francophonie et développement des langues africaines », Études, 1986, vol. 2, n° 364, p. 199-208.

Kaufmann (Jean-Claude), L'entretien compréhensif, Paris, Colin, 2016, 128 p.

Larousse, « Eswatini », disponible sur : https://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Swaziland/145626, consulté le 1er juillet 2025.

Margolis (Michael), Resnick (David), Politics as usual: the cyberspace “revolution”, London, Sage Publications, 2000, 246 p.

Marin (Luca), « L’église catholique face au "terrain" des fidèles migrants. De la tension culturelle à des théologies inédites », Migrations Société, 2012, vol. 1, n° 139, p. 121-134.

Mattes (Robert), "The Southern African Migration Project (SAMP). Still Waiting For The Barbarians: SA Attitudes to Immigrants and Immigration", Migration Policy Series, 14, SAMP, Cape Town, Afrique du Sud, 1999, 39 p., disponible sur : https://samponline.org/wp-content/uploads/2016/10/Acrobat14.pdf, consulté le 21 mars 2024.

Maurer (Bruno), Mesurer la francophonie et identifier les francophones. Inventaire critique des sources et des méthodes, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2016, 221 p.

Ministère de la Culture et des Communications du Québec/Ministère de la Culture de France, Mission franco-québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones. Rapport, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2020, p. 5, disponible sur : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/culture-communications/documents/decouvrabilite-donnees-ouvertes/Decouvrabilite-Rapport.pdf, consulté le 28 août 2025.

Mufwene (Salikoko S.), Vigouroux (Cécile B.), Colonisation, globalisation et vitalité du français, Paris, Odile Jacob, 2014, 320 p.

Mufwene (Salikoko S.), « Culture : la langue française doit nourrir son homme », Alternatives internationales, 2011, vol.3 , n° 50, p. 43, disponible sur : https://www.cairn.info/magazine-alternatives-internationales-2011-3-page-43.htm, consulté le 23 mars 2023.

Observatoire européen du plurilinguisme, « L’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet (OBDILCI) », 10 février 2023, disponible sur : https://www.observatoireplurilinguisme.eu/dossiers-thematiques/culture-et-industries-culturelles/36-plurilinguisme,-m%C3%A9dias-et-ntic/17062-l%E2%80%99observatoire-de-la-diversit%C3%A9-linguistique-et-culturelle-dans-l%E2%80%99internet-obdilci, consulté le 14 avril 2023.

Organisation internationale de la Francophonie, La langue française dans le monde 2019-2022, Paris, Gallimard, 2022, 368 p., disponible sur : https://www.francophonie.org/la-langue-francaise-dans-le-monde-305, consulté le 23 mars 2023.

Organisation internationale de la Francophonie, Qu’est-ce que la Francophonie ?, 2020, 12 p.

Raynal-Astier (Corinne) et Ferreira-Meyers (Karen), « La langue française en Eswatini une langue de migration désormais démunie », Études de linguistique appliquée (Éla), 2024, vol. 3, n° 215, dossier « Langue française et F/francophonie : vecteurs d'employabilité et de développement ? Regards sur l'Afrique et l'Asie », p. 327-339, disponible sur : https://doi.org/10.3917/ela.215.0072, consultée le 1er septembre 2025.

Reutner (Ursula) (éd.), Manuel des francophonies, Berlin/Boston, De Gruyter, 2017, 745 p.

Senghor (Léopold Sédar), « Le français, langue de culture », Esprit, novembre 1962, n° 11, « Le français, langue vivante », p. 837-844, republié dans Revue internationale des francophonies, 2022, n° 10, mis en ligne le 22 avril 2022, disponible sur : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1405, consulté le 15 janvier 2023.

Vigouroux (Cécile B.), « La migration francophone contribue-t-elle au futur du français comme langue de la globalisation ? Le cas de l’Afrique du Sud », La Clé des Langues, 2013, disponible sur : https://cle.ens-lyon.fr/langues-et-langage/des-langues-tres-vivantes/evolution-du-langage-et-des-langues/la-migration-francophone-contribue-t-elle-au-futur-du-francais-comme-langue-de-la-globalisation-le-cas-de-l-afrique-du-sud, consulté le 21 mars 2024.

Vigouroux (Cécile B.), « La langue de l’Autre, le français en Afrique du Sud », dans Batiana (André), Prignitz (Gisèle) (éd.), Francophonies africaines, Rouen, Presses Université, 1988, p. 107-116.

Vigouroux (Cécile B.), « Entité francophone ou identités francophones ? Les immigrés africains en Afrique du Sud et leurs relations à la langue française », non daté, disponible sur : http://www.unice.fr/bcl/ofcaf/12/Vigouroux.htm, consulté le 23 mars 2024.

Notes

1 Robert Chaudenson, Mondialisation : la langue française a-t-elle un avenir ?, Paris, L'Harmattan, 2004.

2 « On parle de francophonie avec un "f" minuscule pour désigner les locuteurs de français et de Francophonie avec un "F" majuscule pour figurer le dispositif institutionnel organisant les relations entre les pays francophones » : Organisation internationale de la Francophonie, Qu’est-ce que la Francophonie ?, 2020, p. 1.

3 Le rapport fait état de 53 propositions pour mieux exploiter le potentiel économique de la Francophonie à travers la promotion de la langue et de la culture françaises : Jacques Attali et al., La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable. Rapport à François Hollande, président de la République, août 2014, 25 août 2014, disponible sur : https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/144000511.pdf, consulté le 15 juin 2021.

4 Une langue véhiculaire est « une langue utilisée pour la communication entre des groupes qui n’ont pas la même première langue » : Louis-Jean Calvet, La sociolinguistique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2024, p. 32.

5 Une langue vernaculaire est « la langue première d’une communauté » : id., p. 30.

6 C’est-à-dire une « didactique articulée aux contextes, ou à même de s’articuler à la variété des contextes dans leurs aspects politiques, institutionnels, socioculturels et sociolinguistiques d’une part, mais aussi à la variation langagière, linguistique et sociale, aux variétés interlectales et interdialectales, d’autre part, et pour laquelle, sociolinguistique scolaire et didactique du plurilinguisme sont deux champs qu’il est absolument nécessaire de convoquer de façon concomitante » : Claude Cortier, « Propositions sociodidactiques face à la diversité des contextes. Vers une didactique convergente des langues collatérales et de proximité : éducation bi/plurilingue et projets interlinguistique », Synergies Italie, 2009, n° 5, p. 109-118.

7 Locution interrogée par Salikoko S. Mufwene dans une conférence au Collège de France, « Les passeurs de Francophonie dans le monde : vrais ou faux francophones ? », Chaire annuelle Mondes francophones 2023-2024.

8 Il existe pléthore de recherches sur les politiques linguistiques dans le monde francophone et sur les usages des locuteur.rice.s de la langue française. Les exemples donnés ne reflètent que partiellement l’existant qui mériterait en soi un article entier consacré à ce sujet.

9 Robert Chaudenson, La Francophonie : représentations, réalités, perspectives, Paris/Aix-en-Provence, Didier Érudition/Institut d'études créoles et francophones, coll. « Langues et développement », 1991 ; Robert Chaudenson, Mondialisation : la langue française a-t-elle un avenir ?, Paris, L'Harmattan, 2004 ; Louis-Jean Calvet, Histoire du français en Afrique, une langue en copropriété, Paris, Écriture/OIF, 2010 Louis-Jean Calvet, « Approche sociolinguistique de l'avenir du français dans le monde », Hérodote, 2007, vol. 3, n° 126 ; etc.

10 Ursula Reutner (éd.), Manuel des francophonies, Berlin/ Boston, De Gruyter, 2017, 745 p.

11 Louis-Jean Calvet, « Approche sociolinguistique de l'avenir du français dans le monde », op. cit., p. 153-160.

12 Salikoko S. Mufwene, Cécile B. Vigouroux (dir.), Colonisation, globalisation et vitalité du français, Paris, Odile Jacob, 2014.

13 Organisation internationale de la Francophonie, op. cit.

14 Cécile B. Vigouroux, « La migration francophone contribue-t-elle au futur du français comme langue de la globalisation ? Le cas de l’Afrique du Sud », La Clé des Langues, 2013, disponible sur : https://cle.ens-lyon.fr/langues-et-langage/des-langues-tres-vivantes/evolution-du-langage-et-des-langues/la-migration-francophone-contribue-t-elle-au-futur-du-francais-comme-langue-de-la-globalisation-le-cas-de-l-afrique-du-sud, consulté le 21 mars 2024 ; Vigouroux (Cécile B.), « La langue de l’Autre, le français en Afrique du Sud », dans André Batiana et Gisèle Prignitz (éd.), Francophonies africaines, Rouen, Presses Université, 1988.

15 Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire : L'économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 17-34.

16 Dans son ouvrage, Michel de Certeau rend compte des pratiques ordinaires et banales du quotidien de ce qu’il appelle les « anonymes » : Michel de Certeau, L’invention du quotidien, Tome 1, Arts de faire, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais », 1990.

17 Larousse, « Eswatini », disponible sur : https://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Swaziland/145626, consulté le 1er juillet 2025.

18 Alain Antil et al., « Migrations : logiques africaines », Politique étrangère, 2016, vol. 81, n° 1, dossier « Migrations en Afrique : un regard neuf », p. 11-23 ; Antoine Bouillon, Les « Amagongogo ». Immigrants africais francophones en Afrique du Sud, Programme de recherche sur les migrations. Institut Français d’Afrique du Sud, Johannesburg, 1996 ; Robert Mattes, "The Southern African Migration Project (SAMP). Still Waiting For The Barbarians: SA Attitudes to Immigrants and Immigration", Migration Policy Series, 14, SAMP, Cape Town, Afrique du Sud, 1999 ; Antoine Bouillon, Immigration africaine en Afrique du Sud. Les migrants francophones des années 90, Paris, Karthala, 1999.

19 Corinne Raynal-Astier et Karen Ferreira-Meyers, « La langue française en Eswatini une langue de migration désormais démunie », Études de linguistique appliquée (Éla), 2024, vol. 3, n° 215, dossier « Langue française et F/francophonie : vecteurs d'employabilité et de développement ? Regards sur l'Afrique et l'Asie », p. 327-339, disponible sur : https://doi.org/10.3917/ela.215.0072, consultée le 1er septembre 2025.

20 Michael Margolis, David Resnick, Politics as usual: the cyberspace “revolution”, London, Sage Publications, 2000, p. 14.

21 Olga Guedes-Bailey, traduit de l’anglais par Sabine Erbès-Seguin, « Les pratiques en ligne des diasporas : Représentations de soi et résistance ? », Migrations Société, 2010, vol. 6, n° 132, p 47-62.

22 Organisation internationale de la Francophonie, La langue française dans le monde 2019-2022, Paris, Gallimard, 2022, disponible sur : https://www.francophonie.org/la-langue-francaise-dans-le-monde-305, consulté le 23 mars 2023.

23 Observatoire européen du plurilinguisme, « L’Observatoire de la diversité linguistique et culturelle dans l’Internet (OBDILCI) », 10 février 2023, disponible sur : https://www.observatoireplurilinguisme.eu/dossiers-thematiques/culture-et-industries-culturelles/36-plurilinguisme,-m%C3%A9dias-et-ntic/17062-l%E2%80%99observatoire-de-la-diversit%C3%A9-linguistique-et-culturelle-dans-l%E2%80%99internet-obdilci, consulté le 14 avril 2023.

24 Le degré de mondialisation d’une langue (DML) correspond au (L1+L2)/L1 x pourcentage de pays où la langue est pratiquée (L1 : nombre de locuteurs qui ont la langue comme première, L2, nombre de locuteurs qui l’ont comme deuxième langue). En multipliant la valeur du DML par le pourcentage de locuteurs connectés, on obtient le degré de cyber-mondialisation (DCL) de la langue : Organisation internationale de la Francophonie, La langue française dans le monde 2019-2022, op. cit., p. 26.

25 Bruno Maurer, Mesurer la francophonie et identifier les francophones. Inventaire critique des sources et des méthodes, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2016.

26 Robert Chaudenson, La Francophonie : représentations, réalités, perspectives, op. cit.

27 Louis-Jean Calvet, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 1979.

28 21 Dominique Cardon, Sylvain Parasie, Donato Ricci, Atlas du numérique, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2023.

29 Ministère de la Culture et des Communications du Québec/Ministère de la Culture de France, Mission franco-québécoise sur la découvrabilité en ligne des contenus culturels francophones. Rapport, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2020, p. 5, disponible sur : https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/culture-communications/documents/decouvrabilite-donnees-ouvertes/Decouvrabilite-Rapport.pdf, consulté le 28 août 2025.

30 Id.

31 Léopold Sédar Senghor, « Le français, langue de culture », Esprit, novembre 1962, n° 11, « Le français, langue vivante », p. 837-844, republié dans Revue internationale des francophonies, 2022, n° 10, mis en ligne le 22 avril 2022, disponible sur : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1405, consulté le 15 janvier 2023.

32 Pierre Bourdieu, La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979.

33 Robert Chaudenson, Propositions pour une grille d’analyse des situations linguistiques de l’espace francophone, Paris, ACCT, 1986.

34 Michel de Certeau, Luce Giard, « L'ordinaire de la communication », Réseaux, 1983, vol. 1, n° 3, p. 3-26.

35 Dominique Cardon, Sylvain Parasie et Donato Ricci, op. cit., p. 62.

36 « En quatrième année [du primaire], une langue étrangère (L3) telle que le français, le portugais, l'afrikaans ou toute autre langue est introduite et enseignée oralement » : Karen Ferreira-Meyers et Nompulemeno Dlamini-Zwane, « Le français en Eswatini », dans Ousseynou Thiam et al. (dir.), Innover pour mieux enseigner. Actes du congrès des enseignants de français d'Afrique et de l'océan Indien organisé par l'association sénégalaise des professeurs de français (ASPF) du 24 au 27 juin 2019 à Dakar, Dakar, L’Harmattan Sénégal, 2021, p. 325-342.

37 Conseil de l’Europe, Cadre européen de référence pour les langues, disponible sur : https://www.coe.int/fr/web/common-european-framework-reference-languages, consulté le 12 mars 2024.

38 Jean-Claude Kaufmann, L'entretien compréhensif, Paris, Armand Colin, 2016.

39 Id.

40 Michel de Certeau, Luce Giard, « L'ordinaire de la communication », op. cit., p. 5.

41 https://www.france24.com/fr/, consulté le 12 mars 2024.

42 https://fr.africanews.com/, consulté le 12 mars 2024.

43 https://network.aljazeera.net/en/channels/aljazeera-english, consulté le 12 mars 2024.

44 Nous n'avons pas identifié cette radio.

45 https://www.rfi.fr/fr/, consulté le 12 mars 2024.

46 https://www.eventsrdc.com/, consulté le 12 mars 2024.

47 Pierre Bourdieu, « La lecture : une pratique culturelle. Débat entre Pierre Bourdieu et Roger Chartier », dans Roger Chartier, Alain Paire (dir.), Pratiques de la lecture, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot », 2003, p. 284.

48 Luca Marin, « L’église catholique face au "terrain" des fidèles migrants. De la tension culturelle à des théologies inédites », Migrations Société, 2012, vol. 1, n° 139, p. 121-134.

49 https://www.tv5monde.com/, consulté le 12 mars 2024.

50 Dana Diminescu, « Le migrant connecté : pour un manifeste épistémologique », Migrations Société, 2005, vol. 17, n°102, p. 275-293.

51 Dana Diminescu, « Migrations et réseaux sociaux. Pratiques migratoires à l’heure des dispositifs socio-numériques », Hommes & Migrations, 2022, vol. 2, n° 1337, p. 8, disponible sur : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13899, consulté le 24 août 2025.

52 D’autres fils sont à tirer de cette étude exploratoire, notamment celui du processus d’identisation des personnes lors de migrations dans ce nouveau contexte de contacts de langue en ligne.

53 Salikoko S. Mufwene, « Culture : la langue française doit nourrir son homme », Alternatives internationales, 2011, vol. 3, n° 50, p. 43.

References

Electronic reference

Corinne Raynal-Astier, « Langue française en ligne : tensions entre la « découvrabilité » et les « usages ordinaires ». Étude de cas auprès de migrant.e.s francophones dans un pays non francophone », Revue internationale des francophonies [Online], 13 | 2025, Online since 01 septembre 2025, connection on 04 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1721

Author

Corinne Raynal-Astier

Corinne Raynal-Astier est maîtresse de conférences en sciences du langage à l’université de Franche-Comté. Spécialiste de la didactique des langues, elle s’intéresse aux pratiques et aux discours des enseignants de langues, elle questionne en particulier la manière dont ceux-ci adoptent / disent adopter les obligés institutionnels (programmes, instructions, manuels...). Elle questionne également les cadres théoriques qui président à l’élaboration des formations de formateurs, aux compétences requises pour devenir enseignant aujourd’hui.

By this author

Copyright

CC BY