Dé-paysés et dépaysement à l’œuvre dans Un pays sans bon sens (1970) et La Bête lumineuse (1982) de Pierre Perrault

DOI : 10.35562/textures.260

p. 161-174

Abstract

Omniprésent dans l’œuvre de Pierre Perrault, le dépaysement apparait comme une assise herméneutique qui placerait initialement tous ses documentaires, réalisés entre 1963 et 1993, dans une sorte de dispositif de révélation : constater le dépaysement permettrait de donner un accès à tout ce que le visible comporte d’invisible. Dès qu’est exprimée cette « prémisse », la notion porte alors en elle son lot de lieux rhétoriques et il suffit de regarder la manière dont se déploie ce thème pour saisir qu’il s’inscrit dans une mise en action d’un certain regard qui relève du style délibératif ou épidictique pour persuader les spectateurs de l’importance de voir ce qui se cache derrière le mur des évidences.

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Omniprésent dans l’œuvre de Pierre Perrault, le dépaysement apparaît comme une assise herméneutique qui placerait initialement tous ses documentaires, réalisés entre 1963 et 1993, dans une sorte de dispositif de révélation : constater le dépaysement permettrait de donner un accès à tout ce que le visible comporte d’invisible. Dès qu’est exprimée cette « prémisse », la notion porte alors en elle son lot de lieux rhétoriques et il suffit de regarder la manière dont se déploie ce thème pour saisir qu’il s’inscrit dans une mise en action d’un certain regard qui relève du style délibératif ou épidictique pour persuader les spectateurs de l’importance de voir ce qui se cache derrière le mur des évidences. Or, cette fonction « rhétorique » ne se manifeste pas de la même manière dans le temps et l’œuvre du poète-cinéaste. Car, s’il oscille entre les genres argumentatifs et oratoires du plaidoyer et de l’éloge, voire du dénigrement, Perrault la convoque de façon à s’inscrire dans une démarche de plus en plus personnelle. Ainsi, jusqu’en 1980, année du premier référendum sur l’indépendance du Québec, le regard se construit naturellement autour des notions de dépossession et de collectivité et, ce faisant, c’est surtout à la valeur privative du préfixe « dé- » et à la forme intransitive et passive du participe « paysé » qu’il faut penser. La série de L’Île-aux-Coudres, dont fait partie le film le plus connu de Perrault, Pour la suite du monde (1963), est en ce sens significative puisque s’y exprime le constat d’une incapacité généralisée à voir les particularités du territoire québécois, de ses habitants et de ses habitudes1. Quand il donne la parole à Alexis, à Léopold ou à Grand-Louis, Perrault tente de fournir les preuves de leur capacité à rêver et à faire partie du paysage et, en foulant avec eux leur habité, en en gardant les traces sur pellicules, il procéderait aussi par accumulation de preuves à un « empaysagement2 » progressif des spectateurs les obligeant à voir autrement l’île qui a longtemps été au cœur d’une pêche ancestrale héritée des Innus et d’une pratique du fleuve qui est sur le point de disparaitre3. Après 1980, son cinéma s’éloignera significativement de cette approche politique qui empruntait beaucoup aux discours de la décolonisation pour résider davantage dans un dépaysement comme procédé d’exemplarité. Les documentaires de cette époque, comme La bête lumineuse (1982) et La Grande allure (1985), confrontent des hommes instruits, des poètes, des scientifiques, à des situations qui les transforment et les obligent à moduler leur regard sur un objet choisi pour son caractère étranger. En fait, la première période devrait être vue comme un dépaysement des spectateurs que Perrault veut convaincre de leur état de dé-paysés, et la seconde comme le déplacement de poètes et d’intellectuels que le cinéaste veut dépayser pour révéler les décalages d’une société qui se cherche encore une identité. Pour mettre le doigt sur ce glissement de sens, il me faudra d’abord définir les lieux du dépaysement que je viens à peine d’esquisser pour en montrer la présence et la mise en application dans les documentaires Un pays sans bon sens (1970) et la bête lumineuse (1982).

Les lieux du dépaysement dans une perspective rhétorique

Dans un carnet que l’on trouve aux archives de l’Université Laval, on peut lire l’entrée suivante datée du début des années 80 :

Les livres dépaysent ?
J’étais dépaysé
Le dépaysement qu’est-ce. Pour être dépaysé un homme a-t-il besoin d’un pays. Peut-on être dépaysé de nulle part, d’une approximation, de l’inédit.
Être universitaire c’était souvent être paysé par les livres. Situé dans les livres. Faire le point dans l’écriture. Je me voulais universitaire. Je me cherchais dans des livres une identité. un pays. Comme tout le monde je rêvais de pavillons lointains. J’habitais la fiction. Tout n’était que fiction. L’élixir du rév. p. Gaucher et la chèvre de M. Seguin (il s’appelait Seguin le m. et non Séguin). Les fleurs du mal. Toutes les fleurs. Les oiseaux de Messiaen Tous les oiseaux. Je me trouvais nulle part. les mots étaient déportés. Le mot chevreuil, le mot outarde. Le mot rouge-gorge, le mot canot. On me recommandait canoë4.

On constate, condensées ici, les fondations de la notion de dépaysement telle qu’elle se manifeste dans l’ensemble de l’œuvre de Perrault. De fait, tout tourne autour de trois types de colonisation qui, en soi, « paysent » ou dépaysent : celle du territoire, celle de l’esprit et celle de la langue. La gradation mise en œuvre dans cet extrait est de type antinomique, voire chiasmatique, puisqu’il dit à la fois une chose et son contraire tout en respectant une construction rhétorique qui semble liée au syllogisme : A-B-B-A. Si j’ai été dépaysé, dit-il au deuxième paragraphe, c’est que je lis (A) ; pour être dépaysé, il faut avoir un pays, comme je n’ai pas de pays, je ne peux pas être dépaysé (B) ; cependant, être universitaire, c’est être paysé par des livres, comme j’ai la prétention d’avoir été un universitaire, j’ai lu et ai été paysé sans nécessairement avoir de pays (B) ; tout ce que j’ai lu m’était étranger et ne rendait pas compte de ma réalité, donc en lisant, je me dépaysais (A). Déjà, dans cette structure logique, l’antinomie repose sur deux acceptions de la notion qui m’intéresse ici : l’être dé-paysé, dépaysé ou paysé et les mouvements de dépaysement ou d’empaysagement. Ainsi, dans cette perspective, le premier couple est un constat qui rend compte de la passivité devant laquelle est placé, comme une évidence à laquelle on ne peut échapper, celui qui constate le caractère négatif de chacun de ces états par le simple fait que l’un et l’autre termes dénotent l’absence d’agentivité du sujet ainsi confronté à ce qui lui manque ou ce qui lui est imposé (un pays, une littérature, un système de dénomination). Le couple relèverait alors de l’indice, c’est-à-dire de ce que le réalisateur décide de montrer et de ce qui finit par être inexorablement observé par les spectateurs5. Quant au deuxième couple, il s’agit plutôt d’une démarche sous-jacente qui est induite par ce que révèle la monstration ou l’observation du premier, il convie un regard actif capable de prendre la mesure des lieux de la signification (dans les mouvements du dispositif-caméra et ses hors-champs)6. De fait, il comporte une solution à la privation et à la passivité : un mouvement de dépaysement, puis un autre d’empaysagement qui permettraient, ensemble, de dépasser les aprioris dans lesquels nous place le premier couple7. Ce faisant, il relève plutôt de l’invisible, ou, plus justement, de l’indiqué, qu’un travail d’interprétation peut, seul, dévoiler.

En soi, que l’on se trouve avant ou après 1980, les lieux du dépaysement fonctionnent de la même manière, mais pas le dispositif. Dans la première période, un premier mouvement rend apparents les détails de l’évidence (les sujets sont dé-paysés) alors qu’un deuxième oblige le spectateur à co-construire le sens en acceptant qu’il se trouve dans un dispositif de dévoilement qui a beaucoup à voir avec la déterritorialisation telle qu’elle serait définie par Deleuze et Guattari : « Se déterritorialiser, c’est quitter une habitude, une sédentarité. Plus clairement, c’est échapper à une aliénation, à des processus de subjectivation précis8 ». Toutefois, dans la deuxième partie de l’œuvre, s’il se trouve un dépaysement intrinsèquement lié au dispositif, il semble que quelque chose se soit brisé dans les rouages de la mécanique : il ne semble plus y avoir d’empaysagement possible, mais une affirmation de cet espace négatif dont parle Pierre Nepveu dans L’Écologie du réel9. Cet « espace culturel ironique et ludique, où la distance et le dépaysement ne cessent de faire sens et de perdre le sens simultanément10 » est surtout lié aux œuvres poétiques et narratives des années soixante, toutes tendues à démontrer que les Québécois étaient colonisés et « culturellement fatigués11 ». Or, avec Perrault, cette voix est déjà dépassée dans les créations contemporaines des auteurs étudiés par Nepveu. En effet, la démarche d’empaysagement positif entraine un refus du constat et de l’impasse. C’est après l’échec référendaire de 1980 que cette ligne se dessine comme si devant l’incapacité de se donner un pays, Perrault devait passer à autre chose adoptant alors le discours qu’il semblait avoir jusqu’alors essayé de transcender.

En regardant de plus près Un pays sans bon sens (1970) et La Bête lumineuse (1982), j’espère d’ailleurs comprendre ce glissement et saisir ainsi le poids épistémologique de la notion de dépaysement chez Perrault.

Un pays sans bon sens (1970) : montrer les dé-paysés pour « empaysager » le spectateur

Réalisé à partir d’images captées entre 1968 et 1970, le documentaire est le résultat d’un ingénieux montage de situations diverses qui mettent en évidence le décalage certain qui existe entre des sujets hétéroclites (Innu.e.s, bûcherons et ouvriers québécois, Franco-albertains, Acadiens et Bretons) et les normes régulatrices de la société dont ils sont eux-mêmes issus. Ces normes se retrouvent portées par le regard d’un biologiste, Didier Dufour, qui, tout en menant son enquête pour savoir si les Canadiens français sont assez matures pour l’indépendance, est aussi confronté à ses préjugés que le film finira par défaire un à un. Perrault provoque donc des rencontres entre ce sujet qui a le « sens de l’autorité sans bon sens12 » et tous ces autres qui sentent que quelque chose leur échappe pour signifier une dépossession qui passe par l’absence d’un signifiant commun : un pays, une nation.

Tout le film se construit autour de cette absence et les arguments avancés accumulent les preuves de l’importance de l’émancipation politique pour l’ensemble des intervenants. Comme cette accumulation est organisée autour de trois thèmes qui constituent les trois parties du film, elle emprunte les bases de la structure dialectique de manière à rendre apparentes les visées rhétoriques du réalisateur : 1) L’appartenance à l’album13 (thèse) ; 2) Le refus de l’album (antithèse) ; et 3) Le retour à l’album (synthèse). Or, cette dialectique n’est délibérative qu’en apparence dans la mesure où, peu importe la lorgnette par laquelle on tente de saisir le portrait qui est ainsi dressé pour nous, il est évident que chacune de ces parties est une seule et même réponse au fait d’être dé-paysé. L’ouverture du film condense d’ailleurs assez bien l’ensemble des points de vue qui seront présentés par le cinéaste en plaçant toutes les ambiguïtés liées à la situation particulière du Québec et à la difficulté du dé-paysé de prendre place dans tous les débats qui semblent l’exclure14.

Arrivé au bout d’un chemin pour observer les oies, Dufour, accompagné de Yolande Simard (épouse de Perrault) et de Gaston (un ami cinéaste), refuse de s’approcher du troupeau de peur de se faire tuer en traversant la barrière (le territoire serait bondé de chasseurs embusqués). Il en profite alors pour rappeler son sens de l’autorité que je viens d’évoquer. Voici l’extrait du film qui est complété par un commentaire de Perrault (en italique) :

Et pourtant les trois amis n’ont droit qu’à l’émotion car l’« autorité » a placé devant leur voiture un écriteau signifiant que les approches du Cap Tourmente n’appartiennent pas aux descendants de Jacques Cartier. Il est incontestable que l’Église leur a donné « le sens de l’autorité sans bon sens »… non sans en tirer son profit.
Didier : Quand elles sont là [il parle des oies sur la plage, de l’autre côté de la barrière], elles appartiennent au Séminaire de Québec.
Yolande : (elle rigole de son sens de l’autorité, sans le partager). On va pas les faire lever ? Regarde ça Didier ! On est rendu.
[…]
Didier : Mais t’as pas le droit de rentrer là. C’est en pleine chasse. Les gars (gardiens) sont là.
Yolande : Mais laisse donc…
[…]
Yolande :
(elle rigole ne pouvant concevoir que Didier, son ami d’enfance et de liberté, se sente lié « administrativement » surtout. L’enfance demeurant entre eux la norme absolue). Viens ! Viens. On va aller les voir (elle l’implore quasiment)
Didier : On les voit, pauv’p’tite15.

Comme le souligne Perrault dans l’ensemble des commentaires qu’il ajoute au cours de cet échange, on est en droit de se poser la question de l’appartenance qui ne réussit pas à s’imposer chez les sujets placés dans cette situation. Car, si Yolande Simard souhaite franchir la barrière et faire « lever les oies », elle restera sagement avec Didier à attendre que ce dernier passe à l’action. Pourtant, à leur insu, il se passe bien quelque chose, puisque le dispositif, lui, traverse les barrières pour s’approprier d’abord du regard les lieux d’où les corps sont exclus et pour proposer ensuite des envols et des paysages de pâturage dont l’arrière-plan apporte un nouveau symbole d’occupation, le « bateau de fer », « la masse sombre16 » qui sillonne le fleuve. Ce faisant, c’est la puissance d’empaysagement qu’encourage le mouvement de la caméra. Par elle, ce qui est invisible devient tangible pour les yeux du spectateur seulement (les sujets demeurent privés de ces images) et il appartient à ce dernier de saisir l’opportunité du réel ainsi offert. Un autre exemple de ce type de regard repose sur la séquence où, alors que Dufour délimite le « club » privé qui se trouve de l’autre côté de la barrière et qui les empêche de s’approcher des oies, le caméraman, lui, reprend le même mouvement en sens inverse pour montrer, en plan rapproché et en zoom in, ledit paysage pourtant invisible pour les personnages qui voudraient bien le contempler et le saisir17.

Dé-paysés, Didier Dufour, Yolande Simard et Gaston demeurent donc à l’orée du récit et du territoire, seule la caméra peut entamer une traversée et opérer une forme de libération et permettre le déploiement de « la fonction fabulatrice » identifiée plus tôt. Sans cette prothèse médiatique, les personnages se trouvent devant les oies comme devant l’existence : dans une marge et à l’écart de l’histoire. En ce sens, il est extrêmement évocateur que les séquences qui suivent cet extrait proposent en narration les récits de Jacques Cartier sur fond d’images d’oies et de fleuve évoquant les premiers pas d’un empaysagement au nom du roi de France. Dans l’univers perraultien, ce texte en particulier est aussi une façon pour le poète-cinéaste de s’émanciper des fictions du cours classique et de l’université, de ces livres qui l’auraient « paysé » – pour reprendre les termes de son carnet – aux dépens du vrai pays qu’il aurait fallu apprendre à habiter complètement, à parcourir des yeux et des pieds. D’ailleurs, pendant cette séquence, Perrault insère une parole de Dufour qu’on ne peut comprendre qu’avec toute l’ironie qu’elle contient : « Tiens ! Vous vouliez le savoir… vous le savez. Puis touchez-y donc… c’est à nous autres, ce pays-là18 ». Comment en effet « savoir », « toucher » et « avoir » un pays qu’on ne peut voir, fouler et habiter que partiellement. Ce faisant, Perrault place les bases d’une réflexion politique qui organiseront le reste du film autour d’une série de portraits qui tendent à placer les divers discours dans une perspective de décolonisation en remettant en question chaque rapport de force pour placer devant un même ennemi – le capital et ses territoires pour reprendre la terminologie deleuzienne – des humains qui ne cherchent qu’une subjectivation à l’intérieur d’un espace commun qui pourrait devenir diégétique. Or, si Perrault pose le problème du dépaysement par la mise en scène de dé-paysés, c’est qu’il tente, par la répétition de cette figure, de provoquer un éveil chez les spectateurs, eux-mêmes en attente d’une mise en récit. Et c’est au contact d’autochtones, d’un franco-albertain et de Bretons que ces aspirations deviennent plus évidentes relevant d’un symptôme de dépaysement généralisé, plutôt qu’essentiellement québécois : devant le pouvoir et la norme, tous les sujets placés au cœur du dispositif « modernité » sont démunis et décalés et ne semblent pas conscients de faire partie des rouages d’une machine dé-paysante qui territorialise. Ainsi, par tous ces ailleurs qu’il braconne de sa caméra et qu’il reterritorialise en essayant de provoquer l’éveil d’un nouveau sens, Perrault rend visible un écoumène dont ont été dépossédés tous ses protagonistes et les spectateurs auxquels il s’adresse.

Il semble que cette mécanique de dévoilement vise à faire naitre un sentiment de souci assez grand pour le territoire pour que s’accomplisse éventuellement une émancipation politique et culturelle qui prenne comme modèle, non pas l’Europe et les États-Unis, mais chaque strate sédimentée d’une habitation de cet espace qu’il replace sous nos yeux. Dans Un pays sans bon sens, Perrault tente de capter tout ce Québec ignoré du discours, le Québec associé à tort au pittoresque et au folklore, celui des Innus de Mashteuiatsh, de Uashat et d’Unamen-Shipu, des bûcherons, des ouvriers de la mine et des caribous. En France, c’est à la Bretagne qu’il s’intéresse, à cette Bretagne qui vient à peine de laisser tomber la coiffe et qui compte plus de 5 000 marins à terre, incapables de vivre de leur pêche, incapable de vivre tout court. À Paris, Perrault met aussi Maurice Chaillot, un franco-albertain exilé, sur le chemin de Didier Dufour, et cette rencontre déstabilise le biologiste puisque Chaillot raconte que seule Paris l’« em-paysage », que là seulement il se sent chez lui. Loin de ces lieux qui l’ont vu naitre, loin de Winnipeg, il s’émancipe de la honte avec laquelle il a grandi, de cette honte dont Perrault rappelle la parenté avec celle évoquée dans ce vers de Miron : « Les pharisiens ne pardonneront jamais à ma poésie d’avoir eu honte19 ».

De fait, tout le film est orienté dans cette perspective : redonner à voir, rendre de nouveau visible, ce qui se fait de plus en plus absent des discours dominants et qui se confond trop facilement avec le pittoresque. Rendre évidents les stigmates d’une honte injustifiée et, en sens, la série de portraits d’hommes et de femmes qui serviront d’assises aux idées du cinéaste constitue la grande preuve de ces décalages obligés et de cette violence qui soumet tous ces sujets au dé-paysement. Ce faisant, le discours s’inscrit dans une dynamique indirecte de persuasion puisque devant l’évidence, les spectateurs n’ont d’autres choix que de suivre la caméra braconnière pour trouver une voie à leur propre « em-paysagement ». C’est par les traces d’un regard rhétorique et les invitations furtives de la caméra à voir au-delà du mur des évidences que le mouvement de dépaysement/d’empaysagement instauré par le dispositif en est un de dévoilement progressif dès lors que le spectateur est apte et disposé à suivre le chemin qui se dessine pour l’aider à transcender sa condition. Chose certaine, la force de persuasion du film a été rapidement prise en compte par le pouvoir fédéral en place qui, au lendemain de son unique représentation devant des étudiants et des étudiantes de l’Université de Montréal en février 1971, est intervenu auprès de l’Office national du film pour en empêcher la diffusion. L’intervention aura été si efficace qu’il aura fallu attendre 27 ans avant qu’Un pays sans bons sens ne fasse l’objet d’une nouvelle représentation publique et tous les droits vendus avant l’acte de censure ont été révoqués20.

La Bête lumineuse (1982)21 : dépayser le poète afin d’illustrer le sort de l’intellectuel québécois volontairement placé parmi les loups

Dès les premières séquences de La Bête lumineuse, il semble évident que le regard a changé d’angle et, s’il garde une valeur rhétorique, cette dernière ne se trouve plus dans un mouvement d’empaysagement pris en charge par la caméra, mais dans le fait de vouloir persuader les spectateurs qu’il est des lieux où l’intellectuel est humilié. Réalisé en 1982 dans le but de capter une partie de chasse entre amis, la Bête lumineuse est de tous les films de Perrault celui qui s’éloigne le plus de l’objectif documentaire du cinéaste22. Ici, non seulement le dépaysement, plutôt qu’un simple lieu d’interprétation, devient un rouage du dispositif, une part active de la mécanique de la démonstration, mais en plus, le projet de départ se transforme en un vaste rituel de mise à mort symbolique du poète ainsi placé dans un univers qui lui est étranger. L’ouverture, qui emprunte aux procédés ostentatoires de certains rituels – on pavane une tête d’orignal sur le toit d’une voiture – propose un intéressant parallèle entre la chasse à l’orignal, que les images viennent signifier, et le rituel d’humiliation dont rend compte le dialogue entre les deux amis qui s’expliquent a posteriori. En effet, Bernard L’Heureux, qui se présente dans toute cette histoire comme le « chef de la meute », essaie de justifier en quelques mots l’expérience négative que vient de subir son ami d’enfance, Stéphane-Albert Boulais :

Bernard – C’est quoi tuer un orignal ? Pour commencer, tu l’suis, tu l’approches, tu l’étudies, tu l’traques pis tu l’tires. C’est le même scénario qui se reproduit l’soir. Tu t’ramasses au camp, pis là t’arrives, pis, tout d’un coup, un moment donné, y a quelqu’un qui va s’avancer sur quequ’chose. Ben, tu l’laisses aller, tu y donnes du câble, pis là, tout le monde s’occupe de son cas. Pis tu prends un cas à la fois parce que, si tu t’en vas là, tu l’sais que tu t’en vas t’faire maganer.
Stéphane-Albert – Bon ben dans c’cas-là […] pourquoi… moé j’aurais aimé en tout cas que tu m’l’dises avant. Tu me l’as pas dit ça.
Bernard – J’t’ai expliqué ça…
Stéphane-Albert – Tu m’as pas expliqué ça Bernard…
Bernard – Tu comprends rien du système des loups pis des orignaux, parce que j’t’ai dit que c’était une meute de loups. Y font quoi les loups, y chassent23.

Le dispositif de dépaysement repose essentiellement sur l’incompréhension d’un système par le poète qui y est placé volontairement, mais avec des attentes d’un tout autre ordre que celles qui régissent les rapports entre les gens impliqués dans l’aventure. On pourrait ici, beaucoup plus facilement qu’avec les films de la première période, imaginer « l’espace négatif24 » dont parle Nepveu puisque se trouve dans chaque scène l’énonciation d’une impasse. De fait, le film se construit comme un vaste rituel qui fait de Boulais le bouc émissaire d’une démonstration de force dont il ne peut sortir vainqueur. Ignorant les codes de cette bacchanale au milieu de laquelle il se lance dans un élan naïf de fraternité, il devient vite un Penthée qui, dans l’arène et les limites du camp, y laissera sa dignité25. En ce sens, Deleuze voit juste en associant le film à Dionysos, mais l’esprit du dieu est davantage lié à la valeur expiatoire et cathartique du lieu comme espace de sacrifice et d’affirmation pour ce que nous appellerions aujourd’hui une masculinité toxique d’où devrait être exclue toute effusion de sentiments26. Ainsi, lorsque Boulais prend la parole pour réciter un poème d’amour à son ami Bernard, lorsque ce moment se réalise alors que l’assemblée complète est fortement avinée et prête à chasser l’homme, on comprend que le dépaysement du poète ne peut plus être vu que comme une occasion de remettre le verbe à sa place. Avec l’avertissement que lui fait Bernard après coup, on comprend que Boulais n’avait aucune chance de se sortir indemne de ce dispositif et tout, dans la cinématographie et le montage, met en évidence cette inéluctable humiliation de l’homme qui n’agirait pas comme un homme dans un contexte, lui, que l’on veut absolument masculin27.

Contrairement aux films précédents, il n’existe ici aucun indice, aucune évidence à dépasser et, si le projet de départ était vraiment de permettre à deux néophytes de participer à leur première chasse (Boulais étant accompagné par Maurice Chaillot, le franco-manitobain qui apparaissait dans Un pays sans bon sens), l’absence d’orignaux le fera dévier : le poète et l’intellectuel ne seront pas égaux devant les chasseurs qui, sans la bête, se reporteront sur le plus vulnérable28. D’ailleurs, un plan à lui seul condense cette volonté de resserrer le regard sur l’univers des chasseurs sans offrir cette possibilité d’empaysagement que l’on retrouve dans les films de la période précédente29. Par le montage, Perrault démontre que l’univers des chasseurs est restreint, fermé sur lui-même et sur sa propre impuissance lorsque, aux minutes 00:06:43 à 00:07:26 du film, la caméra, accompagnant le regard des chasseurs, demeure en plan d’ensemble sans mettre à profit les possibilités du dispositif pour permettre la captation de l’animal à l’origine de toute cette aventure. Ironiquement, les seuls orignaux que le film placera sous nos yeux sont ceux de l’ouverture : la bête morte dont on pavane la tête et l’orignal dessiné sur le rocher qui marque la zone de chasse de la rivière Maniwaki30. Cette conjonction entre la bête sanglante que l’on sort de la zone de chasse et le simulacre qui en marque l’entrée indique la frontière du dépaysement qui attend Boulais et Chaillot et contient toutes les preuves des échecs à venir. Ce simple marqueur, qui me semble rhétorique, procède différemment du processus d’empaysagement de la première période dont la caméra se fait complice.

Il s’agit bien de part et d’autre d’un dispositif de révélation qui repose sur un constat, mais, alors que la manière dont il est utilisé dans les premiers films comporte un mouvement positif de dépassement des évidences, La bête lumineuse d’abord, La Grande allure ensuite, de même que Cornouailles et Oumigmag, qui seront les deux derniers films de Perrault, confrontent tous un individu à une altérité radicale (le groupe de chasseurs, le fleuve, le bœuf musqué). Cette confrontation, au départ, attire le « cobaye » parce qu’il renferme la possibilité d’un mouvement positif pour lui, la possibilité d’une expérience qui lui permettra peut-être de se révéler à lui-même. En ce sens, le rapport initial aux espaces qui domine dans ces films emprunte beaucoup à la notion foucaldienne d’hétérotopie, à ces « contre-espaces, ces utopies localisées31 » qui renferme dans l’imaginaire d’un peuple, ou d’un individu, les clés d’une potentielle métamorphose :

[…] d’autres hétérotopies sont liées, non pas à la fête, mais au passage, à la transformation, au labeur d’une régénération. C’étaient, au XIXe siècle, les collèges et les casernes, qui devaient faire d’enfants des adultes, de villageois des citoyens, et de naïfs des déniaisés32.

La partie de chasse, avec son « système d’ouverture et de fermeture qui […] isole [ceux qui s’y trouvent]33 » est en effet le lieu d’une recherche d’accomplissement. Car en participant à la chasse, Boulais a l’impression de s’immiscer dans un hors lieu où tout tendra à lui révéler « la bête mythique34 » qui lui apprendra à mieux aimer. D’ailleurs, dans les séquences qui nous le présentent avec Chaillot avant leur départ, tout le montage est fait de façon à mettre en évidence non seulement leur enthousiasme face à la chasse et à ce qui les attend, mais également le décalage qui les guette. Boulais, emporté par son lyrisme, qui lui vaudra les foudres et le mépris des chasseurs et qui sera à la source de son rejet et de son humiliation, file, entouré d’amis poètes, une métaphore érotique qui associe la chasse aux exploits du sexe masculin, alors que Chaillot, de son côté, dévoile la cible qu’il cache sous sa chemise proposant alors une métaphore biblique : « j’ai toujours… toujours été un Saint-Sébastien au fond35 ». De fait, c’est la figure de l’intellectuel, la figure du « paysé » par le cours classique qu’il devient impératif pour les chasseurs de remettre à sa place, et toutes les références à la culture faites par ces derniers sont toutes empreintes du mépris qu’ils lui portent. Le film documentaire devient donc ce dispositif de révélation qui, par la mise en exemple, par le dépaysement, soulève et critique le dur rôle du créateur dans la société malgré tous les efforts qu’il peut déployer pour se conformer. Pas d’empaysagement donc, mais une difficile confrontation au réel pour son public constitué, cette fois, de « paysés ».

Conclusion

En somme, le dé-paysé/paysé de la première période imposerait un nouveau mouvement de dépaysement ou d’empaysagement chez celui qui peut voir et comprendre le principe de la co-construction du sens placé au-delà des évidences. Perrault inviterait alors le spectateur à outrepasser les cadres et les systèmes imposés non pas dans une perspective consciemment vouée à l’échec, mais pour proposer à ses récepteurs d’agir sur le sens avec lui dans l’espoir que le collectif prenne les rênes de son récit36. Cette dynamique serait renversée après 1980 où Perrault adopterait alors une posture d’expérimentateur : en dépaysant un individu qui relève d’un groupe déjà marginalisé par la masse, le poète ou l’intellectuel, le cinéaste tenterait alors, dans la constatation, de provoquer son « cobaye » qu’il place en exemple au centre d’un univers qui ne lui veut pas que du bien. Il est évident pour moi que La Bête lumineuse, même si l’on retrouve ce principe d’exemplarité dans les trois derniers films de Perrault, est un documentaire à part dans sa filmographie. Il y pousse à l’extrême l’ironie d’une situation perdue d’avance et, s’il y a une co-construction du sens, cette dernière se fait alors dans la violente évidence tout en empruntant d’autres recours que ceux qui se manifestent dans le mouvement d’empaysagement.

Lieu d’interprétation de la manifestation d’un certain type de regard, le dépaysement semble faire partie d’une potentielle herméneutique québécoise qui, dans ces deux exemples choisis chez Perrault, passe par le dispositif : confrontée aux évidences placées devant son objectif, la caméra « empaysage » ou accentue l’ironie afin de révéler au spectateur une identité, un but commun et éveiller un sentiment de souci assez grand pour provoquer le changement. Or, chez un écrivain comme Hubert Aquin (1929-1977), par exemple, le dépaysement est tout aussi présent, mais il est davantage lié à des lieux extradiégétiques et transdiégétiques qui se déploient en dehors du récit de manière à rendre visibles tout ce qui échappe à l’expérience tangible du monde. Par lui, Aquin dépayse ses personnages et ses lecteurs dans un désir de leur révéler ce qui est directement sous leurs yeux sans qu’ils ne puissent lui donner un quelconque sens.

Bibliography

Deleuze Gilles et Guattari Félix, L’Anti-Œdipe, Capitalisme et schizophrénie. Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1972/1973.

Deleuze Gilles, Cinéma 2 – L’Image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1985.

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Ducharme Olivier et Fradet Pierre-Alexandre, Une vie sans bon sens. Regard philosophique sur Pierre Perrault, Montréal, Nota Bene, coll. « Série philosophique continentale », 2016.

Foucault Michel, Le Corps utopique, Les Hétérotopies, Paris, les Nouvelles Éditions Lignes, 2009.

Hautreux Françoise, Indices et cinéma documentaire, Paris, Université Parix X – Formation de Recherche cinématographique, 1988.

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Perrault Pierre, Pour la suite du monde, Montréal, 1963, 105 min, Office Nationale du Film du Canada, <www.onf.ca> [En ligne] <https://www.onf.ca/film/pour_la_suite_du_monde/>

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Perrault Pierre, La Bête lumineuse, Montréal, 1982, 127 min, Office Nationale du Film du Canada, <www.onf.ca> [En ligne] <https://www.onf.ca/film
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Perrault Pierre, L’Oumigmatique ou l’objectif documentaire, Montréal, l’Hexagone, 1995.

Notes

1 Pour voir ou revoir ce film, vous pouvez suivre ce lien : Pierre Perrault, Pour la suite du monde, Montréal, Office Nationale du Film du Canada, 1963 [En ligne] <https://www.onf.ca/film/pour_la_suite_du_monde/>. Return to text

2 J’ai choisi ici le terme d’empaysagement puisqu’il fait déjà partie du vocabulaire critique québécois depuis la sortie de l’essai de Vincent Lambert, L’âge de l’irréalité. Solitude et empaysagement au Canada français 1860-1930. Montréal, Nota Bene, 2017. La thèse de cet ouvrage est que la littérature canadienne-française d’avant 1930 échouerait à décrire le paysage et aurait eu recours à des images plus européennes qu’américaines ou québécoises. Return to text

3 Le mouvement s’observe aussi par rapport aux décalages que Perrault met de l’avant entre le Québec des régions éloignées qu’il préfère mettre en scène et la cosmopolite ville de Montréal. Tous les films de Perrault se déroulent dans les marges du territoire : l’Abitibi, le Grand Nord, la Côte-Nord, Charlevoix et même Maniwaki qui, à 300 km de Montréal, demeure une réserve faunique dédiée à la chasse. Return to text

4 Division de la gestion des documents administratifs et des archives de l’Université Laval, Fonds Pierre Perrault, P319/A3, Journaux personnels 1984 (1985-1986). Return to text

5 À ce propos, voir Françoise Hautreux, Indices et cinéma documentaire, Paris, Université Paris X – Formation de Recherche cinématographique, 1988, notamment les pages 81-110 « Dévoilement indiciel de l’ordre des actions ». Return to text

6 Dans le contexte de la thèse, ce regard est dit rhétorique. Largement étudiée dans les textes antiques et classiques, la notion semble prégnante au Québec où l’enseignement de la rhétorique est fait dans le cadre du Ratio studiorum jusqu’en 1967. Pour François Goyet (Le Regard rhétorique, Paris, Garnier, coll. « L’Univers rhétorique », n° 4, 2017), il s’agit d’un mouvement de co-construction entre un auteur et ses lecteurs qui, partant des détails, permet de saisir un tout non montré, non explicite, c’est-à-dire, sa forme (la formule est de Cicéron). Voir notamment les pages 9-26, « Introduction ». Return to text

7 À la manière du couple « déterritorialisation et reterritorialisation », il me semble que le dépaysement et l’empaysagement ne peuvent aller l’un sans l’autre. Voir Gilles Deleuze et Félix Guattari, Anti-Œdipe. Capitalisme et schizophrénie I, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1972/1973, dont la p. 383 où les auteurs mettent l’accent sur la reterritorialisation qui a lieu après chaque déterritorialisation. Return to text

8 Relayée comme une citation directe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, qui serait tirée de l’Anti-Œdipe (op. cit., p. 162), cette définition est créée de toute pièce comme une interprétation de la notion de « déterritorialisation » telle qu’elle se présente dans l’ensemble de l’œuvre de ces penseurs. Cependant, elle contient bien l’essence du concept : impliquant toujours une reterritorialisation, le processus de remise en cause de tout ce qui relève de la territorialité (« habitudes » et « sédentarité »), décontextualiserait les règles et les évidences qui, elles, « aliènent » pour entamer un mouvement de dévoilement identitaire (« subjectivation »). Citée, entre autres, par Joubert Satyre, « Non-lieux et déterritorialisation, tropicalisation et reterritorialisation dans Passages d’Émile Ollivier et La dérive douce de Dany Laferrière », Voix plurielle [En ligne] <file:///C:/Users/15145/Downloads/464-Texte%20de%20l’article-1672-1-10-20111203.pdf> (article consulté le 15 octobre 2019). Return to text

9  Cf. Pierre Nepveu, L’Écologie du réel. Mort et naissance de la littérature québécoise contemporaine, Montréal, Boréal, coll. « Boréal compact », n° 98, 1999. Return to text

10 Ibid., p. 16. Return to text

11 Il serait impossible d’établir une liste exhaustive de tout ce qui s’est écrit à ce sujet dans les années soixante, mais parmi les textes les plus significatifs, on retrouve ceux d’Hubert Aquin (« La fatigue culturelle du Canada français », Liberté 23, 4 (1962), p. 299-325 et « Profession : écrivain », dans : Hubert Aquin, Point de fuite, édition critique établie par Guylaine Massoutre, Montréal, Bibliothèque Québécoise, 1995, p. 45-59.), celui de Pierre Vallières, (Nègres blancs d’Amérique, Montréal, Éditions Parti pris, 1968), ceux de Paul Chamberland (« Dire ce que je suis » et « Fondation du territoire », dans : Paul Chamberland, Parti pris anthropologique, Montréal Éditions Parti pris, 1983, p. 171-183 et 241-278) et « L’Œdipe colonial » de Pierre Maheu, (dans Pierre Maheu, Un parti pris révolutionnaire, Montréal, Éditions Parti pris, 1983, p. 27-39). Return to text

12 Pierre Perrault, Un pays sans bon sens ou Wake-up mes bons amis !!! Montréal, 1970, 117 min 45s, Office Nationale du Film du Canada, onf.ca, [En ligne] <https://www.onf.ca/film/un_pays_sans_bon_sens/>. Le film a aussi été complété, comme beaucoup des projets de Perrault, par un livre-ekphrasis qui en reprend l’ensemble lui ajoutant des commentaires, des impressions. J’utiliserai ce livre pour la transposition des dialogues et des parties choisies pour illustrer mon propos tout en renvoyant aux minutes du film entre parenthèse après la citation. Donc, pour ce passage, voir Pierre Perrault, Un pays sans bon sens ou Wake-up mes bons amis, Montréal, Lidec, 1972, p. 13 (00:01:14). Return to text

13 Dans l’introduction de cette première partie, Perrault rappelle que le terme est de Dufour, on l’entendra d’ailleurs le répéter au cours du film. Or, le terme « album » comme il est employé par le biologiste n’est jamais limité au support photo, il « signifie tantôt le village, souvent la descendance, parfois la « délignée », à l’occasion le voisinage, […] mais toujours, d’une façon ou de l’autre et plus ou moins, le pays ! ». Ibid., p. 10. Return to text

14 Ibid., p. 10-29 (00:00:40 – 00:08:00). Je vous invite à regarder le passage avant de poursuivre votre lecture. Return to text

15 Ibid., p. 13-20 (00:00:06 – 00:02:41). Return to text

16 Ibid., p. 15 (00:01:59). Return to text

17 Ibid, p. 16 (00:02:05 – 00:02:16). Return to text

18 Ibid., p. 20 (00:03:03 – 00:03:10) ; ces mêmes paroles sont aussi reprises en 00:19:38 (p. 60) avec la même ironie qui se trouve chez Dufour, mais qui est amplifiée par Perrault dans la mesure où la caméra, elle, permet aux spectateurs de toucher « des yeux », ce que les personnages ne peuvent que deviner. Return to text

19 Cité par Perrault, Ibid., p. 122. Pour la référence à Miron, voir Gaston Miron, L’homme rapaillé, « Notes sur le non-poème et le poème », Montréal, Typo, coll. « Poésie », 1998, p. 135. Return to text

20 Perrault raconte les conditions de cette censure dans un entretien que l’on peut trouver sur le 4e DVD du coffret publié par l’Office Nationale du Film (ONF), L’œuvre de Pierre Perrault, vol. 2 : « La quête d’identité collective », Montréal, ONF, coll. « Mémoire », 2009 (00:09:18 à 00:14:04). Dans cet extrait, Perrault raconte aussi que le film, acheté par la Société Saint-Jean-Baptiste et le Parti Québécois avant l’interdit de diffusion aurait été utilisé par les troupes du « oui » pour raviver les ardeurs des militants indépendantistes pendant la campagne référendaire de 1980 : « Si le film avait été meilleur, dit-il, peut-être qu’on aurait gagné. » Pour bien comprendre cette censure, il faut aussi savoir qu’en février 1971 commençait le procès de Paul Rose, felquiste de la cellule Chénier accusée de la séquestration et du meurtre du ministre québécois de l’Immigration, du Travail et de la Main d’Œuvre, Pierre Laporte, au nom de l’indépendance du Québec. Return to text

21  Pierre Perrault, La Bête lumineuse Montréal, ONF, 1982, [En ligne] <www.onf.ca/film/bete_lumineuse>. Return to text

22 On retrouve cette posture dans l’ensemble des essais de Perrault, mais plus particulièrement dans L’Oumigmatique, ou l’objectif documentaire (Montréal, l’Hexagone, 1995) où il écrit, p. 18-19 : « De la même façon, je réclame pour le documentaire un regard documentaire. Je refuse qu’on sacralise ou mythologise (sic) ou mythifie à outrance. Systématiquement. La démarche du chasseur qui rapporte sa chasse n’a rien à voir avec celle du sorcier qui cherche à persuader. Elle est essentiellement documentaire et s’inscrit dans les préoccupations de la connaissance. » Return to text

23  Pierre Perrault, op.cit., 1982, [En ligne] <www.onf.ca/film/bete_lumineuse> (00:00:30 – 00:01:10). Return to text

24 Pierre Nepveu, op. cit., p. 16. Return to text

25 Je rappelle que, sous l’impulsion de Dionysos, Penthée, refusant de le voir comme un dieu, est amené à être témoin d’une bacchanale dont il deviendra la victime sacrificielle, il sera décapité par sa propre mère qui, dans la transe induite par le dieu, le prendra pour un lion. Cf. Pierre Grimal, « Penthée », Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, PUF, 1958, p. 357. Boulais propose d’ailleurs tout un ensemble de personnages mythologiques avant et pendant la chasse. Cet univers est bel et bien le sien, et la beuverie à laquelle s’adonnent tous les intervenants du film emprunte au Banquet de Platon sans cet accord tacite qu’il faut y parler d’amour. Pour le festin, voir Pierre Perrault, op.cit, 1982, 00:49:26 et suivantes ; pour le poème d’amour, 01:53:40 – 01:56:12). Return to text

26 Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 196. Return to text

27 Dans un essai qui propose une série de rapprochement entre l’œuvre de Pierre Perrault et la philosophie de Nietzsche, Olivier Ducharme et Pierre-Alexandre Fradet propose une lecture intéressante de cette dynamique alors qu’il considère e passage comme le lieu d’une confrontation entre le créateur et la foule, représentée ici par le groupe des chasseurs. Dans cette optique, même s’ils ne parlent pas de dépaysement, on remarque la mise en marge progressive, mais prévisible, du poète dont la scène du poème d’amour est l’aboutissement. Return to text

28 Dans ce dispositif de dépaysement, tel qu’il se présente au montage, Chaillot finit par être épargné pour deux raisons : il s’en sort bien avec les armes et il décide, au bout d’une semaine, qu’il en a assez et quitte le campement. Return to text

29 Je me réfère ici à la séquence qui va de 00:06:43 à 00:07:26, dans Pierre Perreault, op.cit., 1982. Return to text

30 Je me demande parfois si le fait que le lieu de tournage, c’est-à-dire la réserve faunique de la Maniwaki, à environ 300 km de Montréal, soit si proche de la ville n’a pas un rôle à jouer dans l’atmosphère délétère qui est mis en place. Ce ne sont pas des dé-paysés que rencontrent Boulais, mais des hommes de la ville qui, par loisir, cherchent une fois par année à se mesurer à la nature. Je renvoie aux minutes 00:07:28 à 00:07:49 où Bernard L’Heureux explique que l’homme de la ville doit bien s’échapper de son quotidien pour « se donner un peu de misère ». Aux orignaux de la séquence d’ouverture, je dois tout de même rappeler celui qui sera tué, au milieu du film, par un autre groupe de chasseur. C’est cet original qui induira le banquet (Pierre Perrault, op.cit., 00:49:26 et suivantes) qui permet de voir à l’écart Boulais et Chaillot. D’ailleurs, Boulais est traumatisé de cette journée où il a été mis plus d’une fois à l’épreuve. Return to text

31 Michel Foucault, Le Corps utopique, Les Hétérotopies, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, 2009, p. 24. Return to text

32 Ibid., p. 31-32. Return to text

33 Ibid., p. 32. Return to text

34 Pierre Perrault, op.cit., 1982 (00:10:02). Return to text

35 Ibid., (00:07:51 – 00:08:05). Return to text

36 Dans cette optique, comme le dit Deleuze à propos du cinéma perraultien, « quand [il] s’adresse à ses personnages réels du Québec, écrit ce n’est pas seulement pour éliminer la fiction, mais pour la libérer du modèle de vérité qui la pénètre, et retrouver au contraire la pure et simple fonction de fabulation qui s’oppose à ce modèle. » Voir Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, coll. « Critique », 1985, p. 196. La suite de cette citation est tout aussi intéressante : « Ce qui s’oppose à la fiction, ce n’est pas le réel, ce n’est pas la vérité qui est toujours celle des maîtres ou des colonisateurs, c’est la fonction fabulatrice des pauvres, en tant qu’elle donne au faux la puissance qui en fait une mémoire, une légende, un monstre. » Return to text

References

Bibliographical reference

Johanne Charest, « Dé-paysés et dépaysement à l’œuvre dans Un pays sans bon sens (1970) et La Bête lumineuse (1982) de Pierre Perrault », Textures, 24-25 | 2021, 161-174.

Electronic reference

Johanne Charest, « Dé-paysés et dépaysement à l’œuvre dans Un pays sans bon sens (1970) et La Bête lumineuse (1982) de Pierre Perrault », Textures [Online], 24-25 | 2021, Online since 26 janvier 2023, connection on 05 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/textures/index.php?id=260

Author

Johanne Charest

Université de Montréal
Cégep de Sept-Îles

Copyright

CC BY 4.0