Le corps dépaysé : la migration transsexuelle et la prostitution dans le récit de voyage brésilien A Princesa

DOI : 10.35562/textures.269

p. 219-242

Abstract

A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas (1995) [Princesse : les déclarations d’une travestie brésilienne à un leader des Brigades Rouges] est un récit mémorialiste écrit à partir de notes prises par la transsexuelle et prostituée brésilienne Fernanda Alburquerque alors qu’elle purgeait une peine de prison en Italie dans les années 1990. Fernanda raconte sa vie depuis son enfance au sertão (région pauvre, aride et traditionnelle du Nord-est brésilien) jusqu’au moment de son arrestation en Italie. Cet article propose de dévoiler comment la mobilité physique de Fernanda, qui a parcouru et vécu dans une dizaine de villes brésiliennes et européennes, aura des conséquences dans la construction d’une performance de son corps transsexuel. Ensuite, et toujours par rapport à ce trajet plein de préjugés et de découverte de sa sexualité, notre recherche se penchera sur les motivations qui ont amené Fernanda à avancer dans son projet de migration, tandis qu’elle est incapable de retourner chez sa mère. On s’aperçoit pour finir que Fernanda se trouve toujours en mouvement parce qu’elle n’arrive jamais à concevoir de façon harmonieuse sa sexualité et son plaisir dans les frontières chrétiennes hétérosexuelles. Ainsi, son corps, qui devient performant et palimpseste, se présente comme une allégorie de ses dépaysements, car il est plein de cicatrices, de chirurgies et finit enfermé dans une prison. À partir de cette appréhension archiviste du corps, on verra que les transsexuelles immigrées se trouvent deux fois déplacées : lorsqu’elles décident de remodeler, de reconstruire et de réarranger leur corps, elles troublent les archives sexuelles et nationales légitimées par la société traditionnelle.

Outline

Text

Les voyages sont normalement perçus à partir de l’imaginaire des épopées, et ainsi les récits de voyage nous racontent les aventures et les transformations d’un héros. Dans ce cas, la mobilité est pensée en tant que rituel de passage pour le protagoniste : le héros répond à un appel pour une mission qui lui est imposée indépendamment de ses envies, ce qui le fait partir vers une aventure qui lui impose différents défis, avec la participation des guides qui surgissent pour l’aider et l’inspirer. Après sa mise à l’épreuve, le héros est récompensé par une transformation positive et intime avant de rentrer chez lui, auprès de sa famille et de son peuple qui l’avait vu partir auparavant. Pour cela, le voyage d’épopée est une fatalité pour le héros dont le retour triomphant était déjà inscrit depuis le début, avant même qu’il pose ses pieds au seuil de sa maison pour entreprendre les premiers pas de sa marche.

Toutefois, le « voyage du héros » (The Hero’s Journey) étudié par Joseph Campbell1 part du principe que le monde s’offre à une aventure plutôt masculine, parce que ce sont les hommes qui occupent une place déjà prescrite dans la société d’où ils partent et vers laquelle ils reviennent après la découverte du monde et la conquête de ses gloires. Mais, qu’est-ce qui se passerait si ce voyage-ci était entrepris par une héroïne, et si celle-ci était une transsexuelle qui se déplace car elle ne trouve pas – et les autres ne la laissent pas trouver – une place qui ne soit pas celle de la périphérie sociale ?

D’un côté, les voyages, et de l’autre côté la transsexualité. Quand on met en rapport les deux phénomènes, on s’aperçoit de la mise en évidence d’un discours sur la transformation de ceux qui se voient dépaysés, aussi bien dans l’espace que dans leur corps. Dans le roman A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas2 (Princesse : les déclarations d’une travestie brésilienne à un leader des Brigades Rouges3) on a l’exemple de cette interface, car Fernanda, l’héroïne transsexuelle immigrée, est protagoniste d’une épopée inachevée, puisqu’elle ne parvient pas à rebrousser chemin, pour rentrer chez sa mère où ses périples ont débuté. Cela est tout à fait cohérent avec les études de Jonatan Ammes à propos des récits mémorialistes des transsexuelles :

J’ai découvert que les mémoires des transsexuelles peuvent être comparés, dans leur structure, avec les modèles littéraires classiques d’un livre – le Bildungsroman, le roman du coming of age. La composition classique du livre des mémoires est la suivante : un garçon ou une fille, très tôt dans sa vie, se sent très mal à l’aise dans son rôle genré et, pour cela, il ou elle a l’impression qu’une sorte de faute terrible s’est produite, c’est-à-dire, elle ou il pense qu’il aurait dû naître avec l’organe génital opposé à celui qu’il ou elle possède. Les parents et la société font des efforts pour les encadrer dans la normalité établie, et ainsi ils ou elles apprendront à refouler leurs instincts autant que possible. Éventuellement, comme cela se passe avec les protagonistes du Bildungsroman, ils ou elles quittent leur maison, leur petit monde et s’aventurent, normalement dans une grande ville. Là-bas, ils ou elles commencent, soit dans la sphère privée soit dans la sphère publique, à se faire passer pour le sexe opposé, jusqu’à ce que cela aille au-delà des vêtements, de la posture et, finalement, devienne sa seule manière d’être au monde, spécialement dans les dernières décennies du 20ème siècle, avec l’avènement des hormones synthétiques et de la chirurgie plastique, aussi bien qu’avec la possibilité du changement de sexe4.

C’est tout à fait cela qu’on apercevra dans l’œuvre que nous nous proposons d’étudier.

A Princesa nous offre le récit des mémoires de la travestie brésilienne Fernanda Farias de Alburquerque, écrit à partir des entretiens qu’elle a eus avec l’Italien Maurizio Jannelli ; et, pour cette raison, les deux signent l’œuvre. Le livre a été publié en 1994, en Italie, et a été traduit l’année suivante en portugais pour le marché éditorial brésilien. La façon dont les entretiens ont eu lieu mérite d’être mentionnée car cette œuvre a été écrite à partir d’une rencontre inhabituelle entre Fernanda, Maurizio et Giovanni Tamponi : les trois ont fait connaissance tandis qu’ils étaient emprisonnés dans la prison de Rebibbia, près de Rome, en purgeant une peine pour différents motifs criminels : Fernanda pour avoir essayé de tuer la concierge de la pension où elle vivait à Rome, Maurizio à cause d’un attentat terroriste et Giovanni pour avoir braqué une banque. En étant chacun dans sa propre cellule et dans son secteur, le livre trouve son origine dans l’échange des mots entre les détenus, principalement entre Fernanda et Maurizio. Giovanni fait le lien entre les deux.

Maurizio nous dit dans la préface du livre que celui-ci a été écrit à partir des allers-retours de mots, exprimés dans un langage hybride qui mélangeait l’italien, le portugais et le sarde. L’écriture est fortement ancrée dans l’oralité de Fernanda, qui a appris la langue italienne dans les rues où elle se prostituait, et pas dans un cours formel d’italien.

D’ailleurs, cette oralité est aussi aperçue à partir de l’usage que Fernanda fait des mots vulgaires. Ceux-ci peuvent être interprétés comme un artifice esthétique qui apporte au texte des expressions utilisées par un groupe social qui se reconnaît à partir de l’oralité des rues et qui se sert des mots interdits, des gros mots, pour bouleverser l’ordre et ainsi se faire présent en face d’une socialité qui l’ignore. Alors, les gros mots qu’on lit dans son texte viennent de cette volonté de mettre en forme une agression qui nous frappe comme lecteurs qui appartenons, très probablement, à une société qui encadre notre corps et nos paroles pour nous apprendre à être sages. Fernanda archive ses mémoires dans cette langue hybride et vulgaire qui lui permet de communiquer dans la prison. Cependant, les mots deviennent une œuvre publiée qui efface cet hybridisme des langues en même temps qu’elle maintient les gros mots. Cette réécriture a été réalisée par le premier lecteur de Fernanda : Maurizio Jannelli. Cela nous explique comment le passage du griffonnage à l’œuvre publiée a permis une double écriture et deux noms d’auteur dans un texte qui à l’origine serait autobiographique.

Le livre A Princesa se présente de manière chronologique, mais à partir d’un récit structuré en paragraphes autonomes ou presque, comme si chacun était une chronique poétique qui nous racontait un extrait de sa vie d’autrefois, de son enfance jusqu’avant son arrivée à la prison. Ainsi, la mise en page nous fait penser aux mots échangés dans la prison et nous met en garde : les souvenirs sont présentés à nous comme s’ils étaient des « hoquets de la mémoire », c’est-à-dire seulement des fragments et jamais sous la forme d’un récit complet dans lequel un événement s’enchaîne immédiatement après l’autre. Quand ces passages tranchés de la vie de Fernanda sont lus et interprétés dans sa totalité, on s’aperçoit qu’ils nous racontent une Odyssée à l’envers, puisqu’ils nous parlent d’un éloignement de chez elle/sa mère qui rend impossible son rapprochement. D’ailleurs, parfois, son histoire est interrompue pour qu’elle puisse mettre en évidence la vie et la mort des autres transsexuelles prostituées avec qui elle a fait connaissance au long de ses journées de dépaysement. En ce qui concerne l’esthétique, ces altérités glissent à travers le texte, et les blocs textuels du récit principal sont interceptés et interrompus par des pierres tombales et des obituaires répertoriés par la narratrice. Ainsi, avec cette performance de l’écriture, Princesse cherche à offrir un dernier souffle d’existence aux transsexuelles prostituées qui ne sont que des données, des statistiques criminelles, mais qui dans son œuvre conquièrent un nom propre et une trajectoire de vie individuelle même si celle-ci se termine sans exception en assassinats, maladies sexuelles, overdoses de médicaments et usage des drogues.

Hormis ces interruptions à valeur d’hommage – ces micro-récits-épitaphes, qui constituent des obituaires de l’altérité –, Fernanda nous raconte sa vie suivant un ordre chronologique, dont le début se trouve dans son enfance en tant que garçon dans la ville de Remígio, en Paraíba (région pauvre, aride et traditionnelle du Nord-est brésilien), pour nous parler ensuite de ses migrations à travers diverses villes et des transformations de son corps, jusqu’au moment où elle se fait arrêter à Rome. Mais cette expérience d’être mise en prison n’occupe qu’un seul paragraphe – curieusement, le dernier paragraphe autonome du livre :

Sans efforts, dans les bras du diable, on arrive en Europe à voix basse, silencieusement. Ici dans ce pays, on ne meurt pas de façon assourdissante. Par balle ou poignardée, parmi des cris et des coups de ciseaux. Ici on disparaît tranquillement, à voix basse. En silence. Toute seule et désespérée. A cause du SIDA ou de l’héroïne. Ou dans une cellule, pendue au robinet de l’évier. C’est ce qui est arrivé à Celma, et je voudrais m’en souvenir. Elle dormait dans la cellule à côté, dans cet autre enfer où je vis maintenant et dont j’ai décidé de ne pas vous parler5.

Cela constitue, dans toute son œuvre, la seule mention à sa situation de prisonnière : son récit s’achève là où elle l’annonce.

En s’appuyant sur les réflexions de Michel Foucault6, on s’aperçoit que les institutions disciplinaires, comme les prisons qui servent « à surveiller et à punir », ont pour but de discipliner et d’encadrer, dans une structure de pouvoir, les esprits et les corps de leurs habitués contraints. À leur tour, comme l’affirme Walter Benjamin7, les écritures sont toutes allégoriques car elles ne peuvent commencer qu’à partir de la mort des expériences : le langage remplace la vie concrète avec ses expériences achevées, ce qui suscite un état mélancolique chez tous les auteurs et narrateurs, car ils parlent toujours de choses qui se sont déjà passées, qui n’existent plus, c’est-à-dire, de choses qui restent perdues pour toujours. C’est dans ce contexte que Fernanda raconte sa vie. Princesse, à cause de l’immobilité de son corps mis en prison, remplace ses performances transsexuelles et de prostituée, qui avaient eu lieu dans les rues des grandes villes où elle vivait, par la performance du langage. À tout moment, au long de son récit, Fernanda nous dit : « Princesse est un spectacle8 » ; et ce concert de son corps a été allégorisé par les mots écrits lorsqu’elle se trouvait coincée en prison. Le langage littéraire a jailli entre les fentes de la surveillance et de la punition.

À partir de ce qui a été dit jusqu’ici, on peut voir en Princesse une héroïne tragique dont le récit se trouve suspendu. A cause de cela elle n’arrive à parler d’elle qu’à travers un déplacement, une fois qu’elle se trouve arrêtée et que son retour désiré à sa terre n’est plus possible. L’écriture est là, dans la prison, pour remplacer ses envies de fuite et de quête, mais ses mots n’occupent jamais la place de son retour désiré qui est au-delà de son énonciation. Dans cet essai, nous envisagerons le dépaysement de Princesse à partir de deux chemins réflexifs. Dans un premier moment, nous dévoilerons comment la mobilité physique de Fernanda, qui a parcouru et vécu dans dix différentes villes brésiliennes et européennes, a eu des conséquences sur la construction de la performance de son corps transsexuel. Ensuite, et toujours par rapport à ce trajet plein de préjugés et de découverte de sa sexualité, notre recherche se portera sur les raisons qui ont mené Fernanda à toujours aller de l’avant dans son projet de migration vers les grandes villes brésiliennes et européennes, étant incapable de faire demi-tour et de rentrer chez sa mère.

Transsexualité : le corps comme archive et un territoire bâti à partir de la mobilité

Fernanda est née le 22 mai 1963, à Alagoa Grande (Paraíba, Brésil). Elle a été arrêtée en avril 1990 pour une tentative d’assassinat et, pour cela, elle a été condamnée à six ans et quatre mois de réclusion en Italie – c’est dans cette période-là qu’elle publie son livre et se découvre séropositive. Après avoir quitté la prison, Fernanda revient à la prostitution et ensuite est rapatriée au Brésil. Toutefois, elle parvient à retourner en Italie pour, finalement, être retrouvée morte près de la ville d’Ancona, en mai 2000. Princesse avait 37 ans et son corps était pendu dans une station essence, ce qui laisse à penser qu’elle s’est suicidée.

Fernanda, transsexuelle à la dérive, se bâtit un itinéraire dont les expériences de déplacement se trouvent archivées dans son récit et dans son corps. En quittant le champ proche de la ville de Remígio, ville placée dans les régions arides brésiliennes, Fernanda débute une migration erratique vers la grande ville plus proche, Campina Grande (Paraíba), pour arriver après à la préfecture, João Pessoa, et ensuite atteindre Recife (Pernambuco), Natal (Rio Grande do Norte), Salvador (Bahia), Rio de Janeiro (Rio de Janeiro) et São Paulo (São Paulo). A partir de celle-ci, elle s’envole vers l’Europe : tout d’abord elle passe par Madrid pour, ensuite, arriver à Milan et, finalement, à Rome. Cette errance géographique et temporelle – le livre s’étend sur une période temporelle correspondant aux quatre dernières décennies du 20ème siècle – est suivie par des processus de « dé(re)territorialisation » et « d’anarchivement » du corps et de l’esprit de Princesse.

Au-delà de ses fonctions biologiques et sensorielles, le corps doit être considéré en fonction de ses valeurs performatives. C’est dans ce sens que Princesse se constitue socialement9, autrement dit, elle doit être lue en tant qu’archive où les traditions d’une culture sont imprimées10. En termes foucaldiens, on peut dire que son corps ressemble à une territorialité expressive qui archive les effets des rapports de pouvoir qui le transpercent. Ainsi, à partir de cette appréhension archiviste du corps, on part de la prémisse selon laquelle les transsexuelles immigrées se trouvent deux fois déplacées, car lorsqu’elles décident de remodeler, reconstruire et réarranger leur corps, elles troublent les archives sexuelles et nationales légitimées par la société traditionnelle. Il y a donc dans leurs expériences un processus que Jacques Derrida11 nomme anarchivement, une anarchie dans les archives, parce qu’elles se proposent de faire face à l’Archonte qui aurait le monopole de l’organisation, de la classification et de l’interprétation des archives patriarcales.

Par ailleurs, en tant que territoire plein de significations, le corps des transsexuelles dépaysées subit un déchirement de ses frontières, car il se déterritorialise d’une nation et d’un genre pour se reterritorialiser dans un autre. Pour cela, son corps à l’étranger devient sa patrie, ou plutôt sa matrie. Nonobstant, le corps comme une archive-territoire ne s’achève jamais, parce que, d’un côté, il y a toujours des pulsions d’archivage12, dont le désir de destruction s’attache à celui de protection et, de l’autre côté, une dé(re)territorialisation toujours instable devant les autres qui essaient de mettre-en-contexte ou stéréotyper les transsexuelles dans une sphère publique-privée. Jamais complet et toujours dans un état de devenir, le corps transsexuel-dépaysé, lu comme une archive constituée par des couches archéologiques de diverses territorialités, contient des traits et des traces des multiples négociations des forces d’identité nationale et de genre. Par conséquent, on s’aperçoit que les témoignages écrits à la première personne par quelqu’un qui se trouve déplacé de son pays et de son corps physiologique peuvent s’ouvrir à une lecture palimpseste, dont les multiples couches d’identification seraient imprimées, aussi bien qu’archivées et territorialisées sur les feuilles du roman.

C’est dans le sens d’un corps qui se transforme peu à peu et, pour cela, un corps palimpseste, qu’on lit le roman mémorialiste A Princesa, pour ainsi réfléchir à propos de l’itinéraire de Fernanda, autrefois Fernando, en creusant et en cartographiant les effets physiques et performatifs de sa mobilité qui s’inscrivent sur la peau du personnage et sur les feuilles du livre. On voit qu’au début le processus primitif de transformation du corps du personnage de Princesse est basé sur l’usage des supports mobiles. Toutefois, et peu à peu, elle commence à entreprendre des stratégies plus sophistiquées, à partir de vraies interventions chirurgicales. Le corps transsexuel de Princesse éclot (ou plutôt s’effondre ?) de l’extérieur vers son intérieur : sa conquête d’un corps féminin commence à partir des objets attachés à son épiderme et avance vers le sous-épiderme, avec l’usage des prothèses et la piqûre d’hormones qui avalent son corps masculin mais sans jamais atteindre l’enlèvement de son pénis. Ainsi, c’est toujours un acte qui rajoute, introjecte et injecte mais qui ne retire jamais.

À Remígio, où il est encore Fernando, il rajoute à son corps de garçon divers objets qui lui permettent de feindre une féminité : « deux moitiés d’une coquille de noix de coco ont été mes premiers seins. Devant le miroir, Cícera me saisissait et, alors, une autre correction. Je posais mes mains entre mes cuisses pour me voir comme Aparecida. Dans mes fantasmes, ventre rond et fente de fille13 ». Ensuite, dans le texte, on le retrouve portant les sandales de sa mère et vernissant ses ongles pour aller à l’école ; et dans les broussailles, le travestissement caché, tandis que pendant le carnaval il était autorisé. Au long de ces jours de fête, Fernando portait un foulard, des robes, boucles d’oreille et se maquillait. Dans son immobilité physique, ces objets mobiles – noix de coco, talons hauts, foulard, robes, vernis à ongles, etc. – devenaient son fantasme, un faire semblant qui lui permettait de s’échapper de son corps masculin dans une société traditionnelle et patriarcale.

Quand il part pour vivre, travailler et étudier à Campina Grande, une ville plus urbaine, même si son travestissement n’est pas censé se passer dans la maison de sa sœur et de son beau-frère où il est hébergé, il porte quand même régulièrement des habits féminins dans les rues de la ville :

Ensuite, une jupe plissée bleue jusqu’aux genoux, assortie au chemisier beige et au col en dentelle. Le maquillage léger et discret complète la préparation. Je suis prête pour mon tour en ville. Incertaine, en équilibre sur les chaussures de femme, je sors du parc et je dissimule l’absence des seins à l’aide de deux livres que je porte auprès de ma poitrine. Moi, une étudiante14.

Son personnage d’étudiante, propice à une vie urbaine, porte stratégiquement des livres pour escamoter l’absence de seins, pendant que les strings « recèlent un sexe qui j’éreinte15 ». Le string représente un changement intime, pour soi-même et non visible aux regards des autres. À leur tour, ses cheveux longs deviennent le premier changement permanent, étant visible soit dans l’espace public soit chez sa sœur.

Ces enchaînements physiques d’adaptation des objets à son corps sont suivis dans l’esthétique d’énonciation du texte par un trait, subtil et représentatif, indicateur du déploiement de sa féminité – c’est à partir de ce premier mouvement d’éloignement de chez sa mère, à partir de Campina Grande, que Fernanda commencera à parler d’elle-même en utilisant le genre féminin autant que le masculin. Dans ces premiers moments de découverte et de saisissement de soi, les marques de genre seront employées indifféremment. À João Pessoa, pendant une soirée de fuite, elle se nomme Fernanda pour la première fois : dans l’anonymat de la nuit et de la grande ville, pour la première fois loin de quelqu’un de sa famille, Fernanda surgit. Dans un taxi, avec un chauffeur qui la prend en auto-stop, et n’ayant ni adresse ni destination où aller, on voit la métamorphose de Fernando qui devient désormais Fernanda :

Je suis monté dans la voiture sans hésiter, sans adresse où aller. Mais ces mots m’avaient ravivé. J’ai laissé mes peurs sur le trottoir à l’extérieur. À l’intérieur, juste moi et lui. Dents blanches et odeur d’essence. Ses mains serrent le volant.
– Où voulez-vous aller ?
Des yeux clairs, des fleurs à la fenêtre : ses yeux devant moi. Une scène. Fernanda, ma nouvelle liberté, occupe la scène en tant que protagoniste. Cícera, Álvaro, Sauro, Afonso – l’évasion. Dégonfle de tes angoisses, pleure, raconte-lui tout. Même sur le plaisir d’être attrapée quand tu n’avais même pas dix ans ; pénétrée, ces coquineries sans honte qui te faisaient une femme pour eux. À treize ans, j’étais la vache, dans les champs, dans les bois. Des milliers d’images reconstruites, inventées pour un Jean-Pierre serrant le volant de la voiture, qui accélère, débraye et freine. Les images remplissent la voiture. Elles emprisonnent sa tête. Je suis là, partagé en deux, inoffensif, pendant que Fernanda rayonne et raconte son histoire, salope, étudiante. Je la regarde, je me regarde. Recroquevillé dans un coin, je parcours la ville pendant la nuit. À sa portée, à l’intérieur de la voiture, je suis le seul moyen de sortir du trafic du désir dans lequel je l’ai emprisonné : hé, Jean-Pierre, c’est toi qui conduis la situation, où tes pensées dérapent. Oui, j’aime bien – avoue-t-elle, c’est un jet chaud dans moi. Regardez-le, il est un Jean-Pierre, son corps répond à mes mots comme si c’était de doux fouets. Arrêtés au feu rouge, chaque occasion bat dans le péché, tandis que je serre secrètement et dilate mon plaisir. Le trou du cul. Jean-Pierre, je suis un spectateur de moi-même. Fernanda me saisit, inattendue, libérée. Des tics et des manières. Elle vit dans mon corps, avale mon cul, le ténia. Me voici, homme-femme avec un Jean-Pierre pour moi et l’excitation qui nous envahit tandis que nous longeons un bord inconnu de la mer et laissons la ville derrière nous. Maintenant, je sais, il ne faut qu’une brise et il tombera, un jeu d’enfant et il va tomber au premier souffle, un château de cartes.
« Oh, Jean-Pierre, si je pouvais naître femme pour un homme16 ».

Dans cette citation, on se rend compte que Fernando est dans la contrainte, qu’il regarde la naissance de son double féminin : par les manœuvres de son genre, il devient spectateur de lui-même, et se voit montant à la scène au féminin. Ainsi, le morphème masculin finalement cède au féminin : Fernanda.

Si ses gestes féminins étaient déjà aperçus par les autres depuis son enfance à Remígio, c’est seulement à Recife qui son nouveau prénom, Fernanda, se répand en tant que performance dans les rues, parce que là elle commence à se prostituer : « […] honte. Être disponible pour ceux qui veulent payer. Mais, ça y est, les Jean-Pierre désormais sont mes clients : je les sers et ils me paient17 ». Si son prénom était déjà féminin, son corps maintenant le devient aussi, par plaisir et par profession. Et c’est ainsi que, pour la première fois, elle fait la connaissance d’autres transsexuelles – miroirs de soi, de ses envies. Et ce sont elles qui la présentent aux professionnelles nommées « bombadeiras » et lui font découvrir les effets des pilules contraceptives pour la transformation du corps :

Tu veux que tes seins poussent ? C’est simple, on vend des pilules d’hormone dans les pharmacies, Anacyclim, sans besoin de prescription, ce sont des pilules contraceptives. Les fesses ? Après je te renseigne, mais Severina ‘bombadeira’ peut te faire quelques injections de silicone liquide18.

L’envie de dompter Fernando lui fait prendre des médicaments hormonaux, marquant ses premiers pas vers l’introjection corporelle de sa féminité. Et dans ce déploiement, les autres transsexuelles deviennent ses bonnes fées et guides, en la renseignant sur les différentes façons d’être une transsexuelle prostituée : d’un côté, celles qui ont subi un implant mammaire, de l’autre côté, celles qui n’ont pas la fémininité des seins – catégorie secondaire et inférieure dans laquelle Fernanda était encore incluse. C’est pendant les fêtes de Noël, en vivant dans une maison de prostitution où elle travaillait comme femme de ménage et d’accueil, que les hormones ont commencé à faire les effets désirés. À ce moment, Fernanda s’étonne de ses nouveaux seins :

Les hormones commencent à produire les premiers résultats. Deux ébauches, deux petits seins, je suis soulagée. Jour après jour, les mamelons poussaient, ils durcissaient. Deux aréoles se répandaient autour pour tenir bon la floraison. Des extrémités sensibles à chaque caresse, au toucher du t-shirt en coton. Ils grandissaient. Et voici l’étonnement de Rosa, la salope au cœur léger et heureux ; et pour moi qui gaspillait des miroirs et des rêves, Fernanda se façonnait. Je n’étais pas la seule à le voir, les clients me confirmaient ces métamorphoses de mon corps, et je m’en rendais compte à partir de mille détails. Les salopes aidaient le miracle à avoir lieu. Dans cinq mois elles ont épuré ma façon de me maquiller et de me coiffer. J’ai appris à me déshabiller et à me rhabiller avec mille malices pour m’emparer des désirs des Jean-Pierre19.

À Recife les bonnes fées transsexuelles ont appris Fernanda à devenir physiquement femme et à se prostituer. À Natal, celles qui sont nées dans un corps de femme et qui se prostituent achèvent sa formation, en épurant sa féminité et en l’initiant aux arts de la séduction. Si à João Pessoa elle s’est nommée Fernanda, c’est à Salvador qu’elle est surnommée Princesse par le propriétaire du restaurant où elle travaille faisant la cuisine : « Fernando ou Fernandinha ? Comme tu veux, Risomar. Alors, tu seras la princesse de ma cuisine. Me voici, c’était Riomar qui m’a baptisée. À cause d’un veau au parmesan qui a conquis son palais et m’a fait acquérir ses bonnes grâces20 ».

À Salvador, Princesse sent les hormones masculines et féminines se battre dans son corps aussi syncrétique que la ville où elle habite : « des nichons qui s’épanouissent, barbe à raser. Tout et le contraire de tout – la guerre et la fête. Tout semblait avoir un sens dans la boule chaude qu’était Bahia de Tous les Saints, dans ma tête21 ». Mais dès le début Fernanda savait qu’elle devrait remporter cette bataille, et ainsi elle continue à prendre des pilules hormonales achetées en pharmacie :

Anacyclin, toujours quatre cachets par jour. Fernando se flétrit lentement. La bite s’amoindrit, les testicules rétrécissent. Les poils réduisent, les hanches s’élargissent. Fernanda s’épanouit. Un morceau après l’autre, geste par geste, je descends du ciel à la terre, une diablesse – un miroir. Mon trip22.

C’est toujours à Salvador que son corps accueille les premières cicatrices, dues à une dispute motivée par la jalousie qu’elle ressent envers son amant : « j’ai cassé une bouteille pour faire sauter sa gueule, mais le courage m’a abandonné. J’ai enfoncé un éclat de verre dans mon bras. Une cicatrice pour toujours23 ». Un acte semblable à celui de l’auto-flagellation qui démarre symboliquement la première violence subie par son corps en transformation – une tache sur son territoire corporel en construction, une rature dans son archive en train d’être réarrangée. Néanmoins, les plus dramatiques introjections physiques et permanentes de la féminité dans son corps masculin auront lieu à Rio de Janeiro, à partir des interventions chirurgicales pour l’implant mammaire et le modelage avec du silicone liquide de ses hanches et fesses – de quoi lui rendre les courbes féminines toujours désirées :

Novembre 1985. Severina, chez elle, me pompe les hanches avec des injections de silicone liquide. Sans anesthésie.
En décembre 1985, le professeur Vinicius, dans sa clinique, m’a appliqué des implants mammaires en silicone. Avec anesthésie.
[...] Mes pas sont féminins avec ces courbes féminines. Des courbes qui pressent doucement ma taille pour me remonter jusqu’à la poitrine : deux pommes mûres et parfumées24.

Heureuse avec ces interventions chirurgicales sous-épiderme, Fernanda restait quand même une femme avec un organe génital masculin. Mais ce trait ne la gênait pas du tout, parce qu’il était quelque chose d’invisible pour la société, un jeu de rôle qui établissait le

[...] comme si j’étais femme. Et ce « comme si j’étais » pour moi c’est déjà beaucoup. Déjà tout peut-être. Gênée par la situation, la majorité préfère faire confiance aux apparences conventionnelles : les seins, les fesses, chaque chose dans sa place, alors, mademoiselle. À la plage ou au restaurant. Pour moi, c’est une autre vie25.

À Rio, son corps féminin a subi d’autres formes de violence, et une attaque des policiers a laissé une cicatrice permanente et visible sur son sein droit. Ainsi, Princesse a archivé sur son bras les violences d’amour-jaloux et de la brutalité de la police sur son sein.

À São Paulo, Fernanda a appris une nouvelle forme de séduction et de sexualité : pour endurer le froid des nuits de la ville, son corps modelé pour être exposé dans toute sa sexualité de femme a dû être couvert par des manteaux imperméables. À cause de cela, sa féminité a demandé une nouvelle performance sexuelle pour s’approcher des clients potentiels, en fait « […] la nuit de São Paulo est froide, et pour continuer à être femme fatale j’ai commencé à boire de la vraie vodka. Whisky et vodka. Je soûlais mon cerveau, mon esprit. J’étais seule et je m’écroulais26 ». Une fois en Europe, à Madrid, Fernanda a atteint un record de trente-deux clients dans une seule nuit. À son avis, son succès avec les hommes était dû au fait qu’elle était encore « fraîche du Brésil », c’est-à-dire, son exotisme n’était pas encore corrompu ni par la consommation d’héroïne qui pouvait lui laisser des marques de piqûre sur sa peau ni par la cocaïne qui pouvait abimer son visage.

Finalement, quand elle part vers l’Italie, à Milan et ensuite à Rome, la consommation des drogues, comme l’héroïne, et des boissons alcooliques devient quelque chose de récurrent dans sa vie. Ainsi comme cela s’était passé avec l’alcool dans les nuits froides de São Paulo, à Milan et à Rome elle peut dire : « plus je sniffais la cocaïne, plus je me déshabillais27 ». Son épargne est ainsi gaspillée avec la consommation de ces drogues. On s’aperçoit que les passages de Princesse par diverses villes ont laissé des marques physiques et performatives dans son corps qui devient tout à fait dépaysé : en partant en tant que Fernando de chez sa mère, à Remígio, elle devient Fernanda à João Pessoa et Princesse à Salvador. Elle débute dans la prostitution à Recife, et cela devient sa profession. C’est aussi à Recife qu’elle prend ses premières hormones féminines, mais les effets apparaissent quand elle se trouve déjà à Rio, quand finalement les implants de silicone encadrent son corps dans un modèle désiré de femme.

Cet enchaînement de réinvention d’un corps est aussi une violence consentie que Fernando s’impose pour devenir visible en tant que femme. C’est une guerre, comme elle nous dit : « Fernando résiste à moi, il se soulève […]. [Mais], je vais te dompter, Fernando. Mes Jean-Pierre n’embrasseront pas un homme28 ». Ou comme Severina, la « bombadeira », lui dit : « Comment ça, de la trouille ? Si tu veux devenir femme, tu dois passer à travers la douleur, seulement après ça tu seras Fernanda29 ». Pour renaître comme femme elle doit souffrir comme si elle éprouvait un accouchement, dans ce cas, d’elle-même.

En parallèle avec cette douleur consentie, son corps subit aussi des violences pas du tout consenties et qui laissent des traces : ce sont des cicatrices d’amour jaloux (Salvador), des agressions des policiers (Rio de Janeiro) et de la consommation des drogues (Milan et Rome). Alors, son corps conçu et désiré se voit souillé par des expériences non prévues, résultats de la prostitution et de la jalousie : Princesse se trouve marquée par ses drames. Fernanda enfreint et dépayse son corps pour refaire l’archive de sa sexualité, mais en même temps elle est aussi abusée, c’est qui engendre une anarchie dans son corps en construction. Fernanda est un avenir, parce que son pénis, désormais caché, est un trait de sa masculinité de Remígio qu’elle porte partout où elle va – ce pénis coexiste dans sa territorialité corporelle avec ses seins et ses courbes féminines, aussi bien qu’avec les cicatrices qui traduisent une relation troublée avec l’altérité (ses amants, les policiers et ses clients).

A la suite de Richard Sennett30 qui réfléchit sur les relations entre les corps et les villes, la chair et la pierre, pour comprendre comment les deux se bâtissent simultanément, nous pourrions suggérer que Fernanda a été modelée par les différentes couches urbaines par où elle est passée. Ses expériences s’entassent sur sa peau et dans son esprit, et on les trouve aussi dans l’énonciation du texte. Dans ce cas, rien n’est plus allégorique de ce constant dépaysement que les analogies qu’elle trace entre son corps et les rivières : « finalement, me voici avec les hanches exagérées, larges et sinueuses comme les rives du fleuve São Francisco31 ». Ensuite : « comme la petite rivière qui traverse mon pays, j’avais aussi changé mon prénom et mon corps en suivant ma voie, la grande vague qui me porte vers la mer. Finalement, j’étais Fernanda, ni gay ni homosexuel32 ». Faire des allégories de son corps à partir des références à deux fleuves qui arrosent les régions arides du Brésil est, sans doute, une attitude qui suggère les flux inexorables d’un destin et, aussi, les rapports entre l’eau et les terres arides qui doivent être irriguées pour devenir fertiles, femme et homme, vie et mort.

Fernanda se trouve entre ses désirs et sa destruction. Princesa est palimpseste, car sa vie peut être lue à partir des traces sur son corps, qui correspondent au long parcours de son dépaysement. Mais ces transformations ne nous expliquent pas les motifs qui ont mené Princesa à aller toujours plus loin, en suivant un flux permanent qui l’empêchait de rebrousser chemin. Ce sont ces fuites et quêtes que nous étudierons maintenant.

Zones hétéronormatives et de moralité : la mobilité transsexuelle et la mobilité de la prostitution

Pour certains auteurs, comme Jost Krippendorf33 (2000), tous les voyages sont en même temps une quête et une fuite. Pour cela, le fait de partir suggère une déchéance vis-à-vis du lieu d’origine et une projection de jours meilleurs dans un ailleurs. Ainsi, les inquiétudes quotidiennes qui promeuvent l’envie de se détacher de la routine par le biais du départ en voyage ressemblent au concept de unheimlich présenté par Sigmund Freud34 : il y a quelque chose d’insolite qui gêne tout ce qui nous semble familier, il y a toujours un lar (foyer) dans le (au-delà) : lá(r). C’est ce malaise du double inquiétant qui nous donne envie de partir et, dans une contradiction apparente, de rebrousser chemin pour rentrer chez nous. On se rend compte que Fernanda mélange en elle les désirs de la fuite et de la quête, aussi bien que cette sensation de unheimlich dans ses actions de départ et d’arrivée. Ses motifs sociaux et psychologiques mettent en cause les problèmes vécus par une nation (les questions d’immigration et des retirantes nordestinos) et par un groupe social (les soucis propres des transsexuelles et des travestis). Retirante, nordestina, transsexuelle et prostituée : c’est dans l’intersection de ces quatre caractéristiques que le malaise par rapport à soi-même et aux autres prend forme pour la motiver à aller toujours de l’avant, en même temps qu’elle prémédite un retour triomphant.

Dans le sens de la brasilité, l’œuvre est un récit des retirantes nordestinos, ceux qui doivent quitter leur pays ancré au sertão aride et rêche pour fuir de la faim et de la sécheresse. Le départ de l’agreste vers le sud-est riche et plein d’opportunités pour ceux qui essaient d’échapper de la pauvreté est une histoire qui fait partie de la mémoire familiale du personnage :

Manuel Farias de Albuquerque, son mari, était décédé alors qu’elle me portait encore dans son ventre. Mais pas avant de mettre au monde mes deux sœurs et un frère. Alaide, ma grande sœur, Aldenor le premier homme et Adelaide. Tous mariés, tous émigrés vers les grandes villes du Brésil : São Paulo et Rio de Janeiro35.

En tant que Fernando, sa fortune est déjà inscrite dans la généalogie de sa famille : il ne lui reste qu’à réaliser ce destin. Et en tant que Fernanda, sa profession a déjà été prophétisée depuis son enfance par son instructeur d’école primaire : « Vous avez vu, instructeur ? Il marche comme s’il était une femme, comme une tapette ! Voilà, les garçons, quand Fernandinho sera grand, il partira vers São Paulo ou Rio – il n’aura pas de souci pour gagner d’argent ! disait Izael Dias, l’instructeur, et tout le monde ricanait36 ». Ce genre de pronostic prononcé dès son enfance nous montre sa place auprès d’une société où les rôles sociaux sont déjà prédéterminés : il sera immigrant car il est né dans les régions pauvres du sertão brésilien ; et il sera aussi une prostituée puisqu’il ne rentre pas dans les cadres hétéronormatifs de masculinité. Aussi, pour réfléchir aux départs de Fernando, nous devrons prendre en compte deux aspects : l’un vient des rapports entre le genre et le sexe biologique (ce qu’on nomme les « zones d’hétéronormativité ») et l’autre axe constitue les rapports entre la prostitution et la chasteté (ce qu’on nomme les « zones de moralité »). C’est dans le croisement de ces deux zones qu’on trouve les motifs qui font que Fernanda veuille aller toujours plus loin et les blocages qui l’empêchent de faire marche arrière.

Par rapport aux zones d’hétéronormativité, on comprend que les groupes et les communautés scindent leurs espaces sociaux à partir des modèles comportementaux de genre et de sexe biologiques qu’ils déclarent acceptables ou non. Contrairement au sens commun, le sexe biologique et le genre, en tant que constructions sociales, ne sont pas de conditions humaines qui se superposent harmonieusement. Dans les sociétés idéalisées à partir de l’hétéronormativité, on espère que les deux éléments se trouveront en parfaite harmonie : la masculinité et la féminité sont des conséquences des organes génitaux. Pourtant, dans la vie concrète et complexe des sociétés, on remarque que le genre et le sexe biologique ne sont pas nécessairement conciliables, ce que le point de vue de l’hétéronormativité comprend comme étant une déviance sexuelle. C’est le cas des transsexuelles qui ressentent leur corps en désaccord avec son identification genrée. Cependant, les zones d’hétéronormativité bâtissent des frontières entre ceux qui sont acceptés comme étant « normaux » et ceux qui sont vus en tant qu’« anormaux » dans leur rapport entre identité de genre et sexe biologique.

En ce sens, entre l’immigration pour des motifs financiers et la prostitution professionnelle, Fernanda est contrainte à vivre dans un corps masculin et à partir des modèles de genre qui lui ont été imposés socialement. Alors, lors de son enfance, elle a mis en place une certaine stratégie de fréquentation des zones d’hétéronormativité : dans les espaces publics, sa mère Cícera repoussait sa féminité mais, dans l’espace privé de la maison, quelques comportements étaient autorisés, comme celui de porter des talons hauts : « je suis sûre : Fernandinha, à l’intérieur, elle aimait bien37 ». C’est encore cette zone d’hétéronormativité qui a précisé ses comportements publics auprès de son copain, quand elle vivait à Campina Grande : « j’enlève mes vêtements dans des chambres d’hôtel, il m’amène pour faire une balade en voiture. On s’assoit à la terrasse d’un bar dans la rue Maciel Pinheiro, et on commande une bière et un soda au guaraná. Il me voudrait en portant des pantalons, comme un garçon discret. Moi, je me voyais en minijupe étincelante38 ». Voilà, tout se résume à être discret pour fréquenter le « bon côté » public de la zone d’hétéronormativité.

Par ailleurs, comme nous suggèrent les études réalisées par Ângela Prysthon39, la hiérarchisation des êtres-humains est basée sur la morale. Un groupe perçoit un autre groupe et ses espaces de sociabilité à travers l’opposition entre ce qu’il considère comme des actes bienfaisants ou malfaisants : suivre le bon chemin c’est une façon de conjurer la souffrance ; les actes immoraux, en revanche, apportent de la douleur aux groupes qui les pratiquent. En outre cette souffrance contamine les espaces physiques où ils habitent et/ou qu’ils fréquentent, ce qui met en place des zones impures. En ce sens, le groupe jugé immoral souffre les conséquences de ses actes parce qu’il est vu comme le responsable des soucis qui dérangent le quotidien des groupes qui se voient comme vertueux et qui vivent dans des zones considérées pures. Il y a alors une « spatialité de la moralité » qui distribue une « économie de la souffrance », avec la création d’espaces attachés à la douleur et au désordre en opposition aux autres zones qui se perçoivent comme des victimes de ces espaces-là. S’établit une distinction entre les zones, celle des agresseurs et celle des victimes : périphérie et centre, quartiers de la bohème et de la famille, etc.

Pour vivre sa féminité à partir des relations sexuelles, Fernanda était censée comprendre la distribution des zones de moralité même lorsqu’elle vivait à Remígio : « Je cherchais de la protection auprès de Cícera, là où son regard arrivait était un territoire respecté. Par tous. À côté d’elle, personne ne plaisantait à haute voix. Que quelques regards de travers. À ses côtés, j’étais obéissant ; loin d’elle, j’étais éhonté40 ». La force de sa sexualité refoulée chez sa mère faisait que Fernando devenait une éruption de sensualité dans la rue, bien que dans des espaces et temps publics périphériques. Cependant, ces zones de moralité qui bornent ce qui est permis à chaque lieu ne sont pas tout à fait inflexibles, car l’une influence les autres à partir des négociations escamotées. Dans l’œuvre A Princesa, les zones de moralité à Remígio sont floues et s’interceptent, car l’absence de Cícera a permis à Fernando d’amener un homme chez sa mère ; et comme Princesa nous dit, c’était dans l’église « où je donnais des rendez-vous secrets41 » ; et « dans la classe, en cachette, on me demandait des rendez-vous à la rivière. J’y allais42 ». Et ceux qui demandait ces rendez-vous à la dérobée étaient les mêmes que la houspillait en public.

En tant qu’enfant et adolescent à Remígio, Fernando a eu ses premières expériences homosexuelles dans des espaces et temps périphériques qui nous montrent l’obscurité et la quête d’un plaisir interdit : c’était important que ces plaisirs-là aient lieu « loin de tous, c’était un secret43 ». C’est ainsi qu’elle aura de multiples expériences sexuelles symboliquement importantes, comme la tentative de viol réalisée par Aldir au bord de la rivière ; le premier sperme d’un homme nommé Arlindo sur lui et qui a lieu chez sa mère quand celle-ci n’y était pas ; le saignement d’être pénétré par la première fois par Paulo dans un coin reculé de la rivière ; la première relation sexuelle accordée avec Aldir qui a été désigné par Cícera pour le protéger ; le saignement de son cousin Genir qui l’a pénétré et ainsi s’est fait rompre son prépuce alors qu’ils avaient des rapports sexuels dans une plantation de manioc ; et encore une autre violence et une tentative de viol quand il se baignait dans une rivière, cette fois mené par un dénommé João Paulo. Enfin, on s’aperçoit que tandis que la zone d’hétéronormativité partait de la rue vers la maison, où sa mère acceptait quelques comportements féminins reprochés par les autres, la zone morale suivait une autre direction, le point de départ étant la moralité absolue et chaste trouvée chez sa mère et dont l’intensité opposée, celle de la promiscuité et du sexe occasionnel, se déployait dans des espaces publics périphériques. Les deux zones génèrent des tensions d’ordre esthétique, aussi bien dans les rapports spatiaux à l’intérieur du texte entre espaces publics et espaces domestiques qu’entre le temps central et le temps périphérique.

Par rapport à l’esthétique d’énonciation du texte, la zone de moralité se trouve là où Fernanda, en tant que narratrice, emploie le prénom Jean-Pierre / José (parfois même au pluriel, Jean(s)-Pierre(s) / José(s)) comme un terme générique et collectif pour nommer tous ces hommes avec qui elle s’est engagée sexuellement. Elle n’utilise des prénoms spécifiques que pour ceux qui ont joué un rôle symbolique important dans sa vie : ceux avec qui ses rapports ont franchi les questions sexuelles, soit parce qu’ils sont tombés amoureux, soit parce que ces individus représentaient un rite de passage dans sa vie. En ce qui concerne la question de l’hétéronormativité, Fernanda est toujours en train de livrer une bataille contre les articles qui dénotent le genre : en franchissant les frontières entre l’usage du « le » et du « la », l’œuvre démarre avec l’emploi des articles masculins pour, ensuite, brouiller les deux genres jusqu’à la victoire du féminin quand l’article « la » se pose comme récurrent et absolu.

En ce qui concerne les usages de l’espace, on se rend compte que Fernanda fait toujours la distinction entre ce qui constitue une morale de la rue44 où elle travaille en se prostituant et celle qui doit prédominer dans l’espace privé et domestique où elle vit. Les maisons où elle habite deviennent des endroits plus ou moins sacrés auxquels les clients n’ont pas le droit d’accéder, mais ils ne se trouvent pas tout à fait hors de la sexualité, car elle accorde des faveurs sexuelles aux fils des propriétaires des maisons qu’elle loue. D’ailleurs, ces endroits où elle vit mettent en évidence sa condition d’individu marginalisé : des hôtels et des pensions très bon marché qui suggèrent qu’elle est un personnage instable dans ses rapports aux lieux, des maisons qui signalent l’instabilité de celle qui vit toujours dans la mobilité de son corps, de son esprit et en arpentant les villes.

Le rapport de Fernanda à la temporalité est similaire : prostituée seulement pour la soirée, au travail elle porte des vêtements différents de ceux qu’elle porte en journée : « j’achetais doubles costumes. Minijupes et collants noirs pour la soirée. Jeans et jupes longues pour la journée45 ». Et ainsi son comportement obéissait au rythme du soleil et de la lune : « Princesse, c’est un spectacle. Pyrotechnique. Ça y est : pendant la journée, je suis cuisinière, la nuit, grosse salope46 ».

Si Fernanda s’enfuit de sa maison c’est parce qu’elle a envie de franchir les limites et de brouiller les frontières entre les zones de moralité qui l’enferment et la condamnent comme quelqu’un de sexuellement pervers, qui la montrent à l’écart du modèle de masculinité socialement accepté.

Devant l’annonce du bus, la voix de Izael Dias, la bête humaine, résonnait dans mes oreilles. C’est ça, Fernandinho, quand il sera grand, il va partir vers Rio ou São Paulo, de l’argent facile pour lui ! Pas de tout, je pars vers Recife, fils de pute ! Voilà, j’ai choisi Recife parce que la générosité du jeune chauffeur de taxi ne me permettait pas d’aller plus loin. Je n’avais pas suffisamment d’argent. Mais cela n’était guère important. Je ne partais pas pour arriver, mais simplement pour m’enfuir. Loin de tous, loin de l’exécution des sentences : simplement Fernando, des pantalons et bite dure. J’aimais un homme – pour eux, cela était un crime, un frisson de terreur. Pour moi, un blâme, un désarroi, dans un monde qui n’avait pas d’ingéniosité pour m’inventer sans me mépriser. Ni homme ni femme, seulement un pédé avec le trou du cul enfoncé. Petits merdeux47 !

Depuis l’enfance, quand il vivait et étudiait à Remígio, cette envie de s’échapper se faisait déjà présente, et sa première échelle de distance était « ces sept kilomètres [à parcourir entre chez lui et l’école qui] était mon espace de liberté48 ». Ce sont ces sept kilomètres que Fernando cherche à augmenter quand il s’enfuit de chez lui. Les passages où il/elle met l’accent sur les kilomètres qui l’éloignent de chez sa mère et de sa communauté oppressive sont révélateurs de cela : « Étourdi par la terrible nuit que j’ai eue, je ne réussissais pas à compter les kilomètres qui m’éloignaient de la ferme et qui me séparaient de l’Homme Noir et de mes cauchemars. Cinq cents kilomètres me semblaient suffisants, alors, je suis parti pour Recife49 ». Et après, quand elle a déménagé à Natal (RN) : « trois cents kilomètres, une fuite de cinq heures50 ». Quand elle décide d’écrire à sa mère, celle-ci lui répond de la façon suivante (ce qui nous montre le sens de la fuite de son fils) :

La réponse est arrivée : Je ne peux pas rester seule, tu es mon fils, je vais te chercher là-bas à Natal.
Cícera venait, je fichais le camp. Le lendemain, dans le bus qui m’amènerait à Salvador, je m’éloignais, toujours vers le Sud de la ferme. Mille kilomètres me semblaient suffisants. Je regardais en arrière et me carapatais. De nouveau, encore une fois. En avant je ne voyais pas, je ne savais pas. Ce qui nous attend, Dieu seul le sait51.

La distance est arpentée ayant comme point de départ absolu la ferme où habitait sa mère, un foyer jugé oppresseur dans sa moralité hétérosexuelle. Toujours en se poussant pour aller plus loin, ce n’est qu’à Rio de Janeiro, quand les médicaments hormonaux ont eu les résultats attendus et que les opérations d’implant mammaire et de modélisation chirurgicale de la hanche lui ont donné la féminité souhaitée, que les kilomètres qui l’éloignaient de sa mère ont commencé à être remis en cause. C’est à partir de ce moment que sa fuite devient une possibilité de retour :

Severina bombadeira et le docteur Vinicius ont eu des mains de fée et, pendant quelques jours, j’ai envisagé que ma fuite puisse arriver à sa fin. Je me suis fait des illusions là-dessus. Deux mille cinq cents kilomètres, une distance qui faisait le tour du monde. En tant que femme assumée, rencontrer Cícera : moi, sa fille, normale. Plus jamais je ne deviendrais rouge d’embarras. Je faisais le trottoir et rêvais de mon retour triomphant et tout ça. J’arrêterais de me vendre comme on vend de la viande dans l’abattoir. Je vivrais avec un homme comme une femme, peut-être deviendrais-je une artiste dans un club. Plus que quelques années à faire le tapin et je pourrais ouvrir un bar, une boutique, peut-être un restaurant, d’abord petit puis plus grand. Bref, après Severina, mon avenir était devenu une fête. Pauvre imbécile52 !

Faire demi-tour, rentrer en reprenant le chemin de la maison. Après la fuite, voici la possibilité d’un retour triomphant : en s’enfuyant en tant que fils, elle reviendrait comme une fille. À Rio de Janeiro, on aperçoit deux changements : (i) si jusqu’à Salvador Fernanda alliait un travail diurne et accepté par la société – femme de ménage dans une pension, serveuse dans un bordel et cuisinière dans un restaurant – avec la prostitution nocturne, c’est à Rio qu’elle se glisse pour de bon vers la zone sombre de la moralité, en devenant une prostituée53 à plein temps ; (ii) C’est aussi à Rio que se produisent les interventions les plus radicales dans son corps, afin de pouvoir réconcilier son corps biologique avec son genre, ce qui la positionne définitivement du côté positif de la zone hétéronormative :

Dans la lumière du jour, j’enlève mes vêtements et je me délasse sur la plage de sable. Dans cette fourmilière je suis une femme parmi de nombreuses femmes. Mêlée à la foule. J’ai chaque chose à sa place et je ne cause pas d’ennui, j’y suis présente et invisible pour les passants distraits : une femme. Maintenant, Fernanda me répond toujours avec plus de force, et elle est rétribuée avec des considérations jusqu’ici inconnues : un homme lui ouvre la porte, la gentillesse d’un monsieur âgé, le clin d’œil d’un garçon. Seulement après les chirurgies j’ai su pour de vrai ce qui veut dire être une femme parmi des inconnus. Tout a changé, même le son de ma voix vibre autrement. Moi aussi, j’ai changé. J’ai été littéralement trainée vers un autre monde : le monde des femmes54.

Pour elle, sur le plan de la visibilité sociale, son corps et son esprit étaient intégrés, et cela était son passeport pour le retour chez sa mère. C’est ainsi qu’elle a écrit à Cicera : « j’ai fiché le camp car je ne suis pas un homme. Je n’aime pas les femmes, je suis née pour aimer les hommes. Vous ne voulez pas comprendre. Alvaro non plus, tous à Remígio me regardent de travers. Je n’ai pas eu le courage d’assumer ma sexualité en face de vous. Quand ma honte sera finie, j’y rentrerai55 ». Il nous semble que sa honte a eu une fin, car elle parvient à être perçue comme une femme n’importe où, elle fait la paix avec sa zone de hétéronormativité. Ce qui lui reste à régler c’est la zone de moralité, car si son retour en tant que femme pourrait être autorisé, comme prostituée pas tout à fait.

C’est exactement son expérience de la prostitution, en vivant dans le côté marginal du plaisir, qui l’avait poussée à aller toujours de l’avant, vers d’autres conquêtes, comme les conquêtes financières :

Deux milles kilomètres m’éloignaient de Cícera, Álvaro et Adelaide. Un long souffle, une mélancolie. J’ai repris le rêve du grand retour : Fernanda, femelle et chanceuse. Dans ma peau je me sentais bien, née à nouveau. Mais ma chance était encore loin : en Europe, c’était clair. La voie la plus longue était la plus rapide. Pour bâtir mon petit trésor, pour revenir à la maison56.

Ce sont les prostituées brésiliennes, chassées d’Europe, qui ont propagé l’idée que cela valait la peine d’aller vers les pays européens, car si le travail était épuisant et marginal, au moins les revenus rapportés pas les clients espagnols, français et italiens étaient sûrs. Apparemment le raisonnement de Fernanda manque de logique, mais aller vers l’Europe devient le moyen le plus facile pour acquérir des ressources financières pour rentrer à Remígio. L’argent épargné là-bas lui permettrait de sauter vers le « bon » côté de la zone de moralité qui structure sa ville natale : un bar, une boutique ou un restaurant.

Il peut paraître étonnant que Fernanda n’évoque pas la chirurgie de réattribution sexuelle comme étant son motif pour quitter le Brésil, mais plutôt son désir d’une réussite financière : une fois qu’elle avait déjà franchi la zone d’hétéronormativité, il ne lui restait qu’à rentrer du bon côté de la zone de moralité. Et pour cela, ironiquement, elle devrait se prostituer pour pouvoir arrêter de se prostituer. Son rêve était presque réalisé : elle avait déjà un corps visiblement féminin, ce qui l’autorisait à retourner chez sa mère, mais elle n’avait pas encore l’argent suffisant pour entreprendre une nouvelle profession en dehors de la prostitution. D’ailleurs, cela peut être prouvé quand, avant d’embarquer vers l’Europa, Fernanda envoie quelques photos d’elle à sa mère et à sa sœur, des photos prises en studio et qui leur montrent son corps féminin - à partir de ces photos, elle réalise un retour symbolique en même temps qu’elle s’embarque vers l’Espagne et, ensuite, vers l’Italie en quête d’argent.

On peut alors identifier dans les migrations de Fernanda deux moments : jusqu’à Rio de Janeiro et São Paulo, dans un territoire encore national, sa fuite s’attache prioritairement aux troubles de la zone d’hétéronormativité ; quand elle migre vers l’Europe, cette zone-là se trouve déjà réglée et son voyage devient une opportunité pour résoudre des conflits qui ont lieu dans l’autre zone, celle de la moralité, ironiquement à partir de l’immoralité de la prostitution. Tout cela devient plus ironique et tragique quand on se rend compte que ce n’est pas seulement la prostitution qui la ferait passer vers la rive de la moralité permise, mais aussi son pénis : ce trait caché et non souhaitable qui la coince dans le côté sombre de la zone d’hétéronormativité. C’est cette présence du pénis dans son corps de femme qui lui permettrait de toucher l’argent nécessaire pour réaliser son rêve de retour, car comme nous dit Fernanda, les Italiens avaient un fétichisme pour son phallus transsexuel. En parlant de ses expériences initiatiques avec les clients italiens, elle nous raconte ses impressions :

Non, ils ne pensaient pas, ils payaient et ils prenaient. Ils regardaient vers là-bas, entre mes jambes. C’étaient leurs mains, leurs envies bizarres qui ont brouillé ma fragile certitude chirurgicale : Fernanda avait encore besoin d’un effort final, un petit défaut à être éliminé. Non, pour eux, cette imperfection était décisive57.
Huit-cent dix mille lires italiennes, cela a été le bilan de la première soirée, ce qui m’offrait une voie d’issue pour mon trouble. Une espèce d’accord, un compromis, un engagement que toutes les personnes, dans une certaine mesure, sont tenues d’accepter au travail. Je n’ai jamais compris si les Milanais achetaient une femme avec une bite ou un homme avec des seins. Mais cela ne me regardait pas, c’était simplement du travail, je m’en sortais. Au fond, emprisonnée dans une limite invisible, je travaillais pour un avenir complètement féminin58.

Comment serait l’avenir complètement féminin envisagé ? On comprend que cette féminité se trouve moins dans une incertaine envie de la castration physique59 que dans le souhait d’un retour idéalisé à la maison. Pour elle, ce retour pour de bon signifierait que son corps, son esprit, sa profession et sa famille seraient tous intégrés de façon harmonieuse – comme dans une volonté de plénitude du féminin. Ainsi, son avenir complètement féminin n’est pas basé sur l’enlèvement de son pénis, mais il se structure sur la possibilité de vivre moralement sa féminité dans le point zéro où tout a commencé. Paradoxalement, c’est son organe génital masculin qui devient son objet de travail, sa possibilité de retour. Fernanda doit faire la paix avec son pénis rejeté si elle veut vraiment gagner de l’argent pour faire son retour triomphant.

D’ailleurs, ce moment rêvé est vécu rapidement par Fernanda, quand elle décide de voyager d’Italie à Remígio et Campina Grande avec l’intention de passer quelques jours auprès de sa famille après des années d’absence. Pendant ces jours qui lui permettent d’entrevoir à travers les fissures de son présent les possibilités de son avenir rêvé, Fernanda est accueillie comme si elle était spéciale, et cela lui donne la sensation d’être une « star de cinéma » : « j’étais une légende, tout le monde voulait m’embrasser. Pour les gens qui m’ont vu toute petite, ma métamorphose était quelque chose d’exceptionnel60 ». Cette possibilité de côtoyer les siens et d’être acceptée par tous en montrant sa richesse avec ses robes, ses cadeaux et ses parfums, toute cette expérience lui a donné la certitude qu’elle devait revenir pour de bon : « dans l’avion, en volant encore une fois vers Lisbonne, je me suis promis à moi-même que je ne snifferais plus. Seulement trois mois de plus de travail dur et après je reviendrais61 ». Tout au long de son séjour chez sa famille, aucune information sur sa profession a été transmise à ses parents et à ses amis : pour eux, et peut-être pour elle-même, elle était « presque » une riche comédienne.

Ce moment en tant que touriste dans son propre pays devient le seul souffle de plénitude qu’elle a eu, car en tant qu’immigrée transsexuelle, son retour pour de bon a toujours été une promesse inachevée : après son retour en Italie, Fernanda se drogue de plus en plus, gaspillant son argent dans les vices. Finalement, elle essaie d’assassiner la responsable de la pension où elle habite parce qu’elle croit que celle-ci lui a volé son épargne. Comme elle le dit, « les pédés en difficulté ne sont pas délicats. Ils viennent de loin, d’un corps d’homme et des villes immenses et affamées62 ». Tout cela l’amène en prison et aboutit à sa condamnation à six ans de détention.

Ainsi comme son corps violé, anarchivé et dé(re)territorialisé, le récit de cette héroïne tragique ne s’achève pas avec son retour à la maison d’où elle est partie, ne lui laissant que la mélancolie du langage : son corps incarcéré se livre à la performance de l’écriture, en opposition à celle qu’elle pratiquait dans la rivière de Remígio et sur les trottoirs des rues de toutes les villes où elle s’exhibait.

Réflexions finales

Fernanda vit une odyssée à l’envers, la sienne est une histoire d’aller sans retour. Son retour est désiré par elle, mais cela n’arrive jamais, car de multiples empêchements se posent sur son chemin : questions de genre, de sexualité, de moralité et de criminalité. En étant empêchée de réaliser sa performance corporelle, une fois mise en prison, sa stratégie subversive et performative va vers l’écriture. Pour cette raison, Princesse, comme elle nous le dit constamment dans son œuvre, est un spectacle, mais contrairement à ce qu’elle supposait, on veut bien penser que son exhibition ne se passe pas seulement sur les trottoirs des rues, pendant ses séances de prostitution transsexuelle, car on la voit aussi à travers l’esthétique de son écriture. Ainsi, l’écriture devient la performance de son corps mis en prison et immobile.

Après ces réflexions, on voit que la triade quête-fuite-retour qui structure la mobilité doit être pensée à partir de la prostitution et de la transsexualité. Ce sont les modèles, d’hétéronormativité et de moralité, acceptés par la société qui poussent le personnage à aller toujours de l’avant, en se dépaysant une fois qu’elle ne se sent appartenir à aucune territorialité. Elle ne trouve pas sa patrie, mais ne parvient pas non plus à revenir à sa matrie, et il ne lui reste qu’à faire de son propre corps son chez soi : son corps devient son abri façonné au long du chemin, une superposition des couches qu’elle archive dans sa peau à partir des performances et des chirurgies.

Quand nous pensons au titre du livre La Princesse, il nous semble que Fernanda a été nommée par les autres dans un seul sens, mais, finalement, on doit se poser la question suivante : quel genre de princesse est Fernanda ? Parce qu’il y a la princesse de l’enfance, qui dans les jeux d’imagination disait « je veux aussi avoir un prince charmant63 ». Dans ses rendez-vous à la dérobée, quand elle est encore un garçon adolescent, elle affirme : « dans le cerrado le Prince régnait avec moi, je le servais. Avec la bouche, avec le trou du cul64 ». Mais son surnom Princesse, comme on l’a déjà mentionné, est aussi attaché à l’univers de la cuisine. Il y a aussi le royaume du quotidien, car son petit-ami italien était « le prince enchanté [qui] installait des alarmes, il était un ouvrier65 » ; et, à la fin, elle proclame : « c’est moi, Fernanda, qui vous le dis, la Princesse transsexuelle66 ».

Princesse de contes de fées, sexuelle, cuisinière, ouvrière, transsexuelle. Fernanda est multiple dans ses possibilités, et une fois dépaysée elle archive dans son corps ces diverses couches du déplacement.

Bibliography

Artière Phillipe, « Arquiva a própria vida », Revista Estudos Históricos, vol. XI, n° 21, 1998, p. 9-26.

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Sennet Richard, Carne e Pedra: o corpo e a cidade na civilização ocidental, Rio de Janeiro, Ed. Record, 2006.

Notes

1 Joseph Campbell, O herói de mil faces [1949], São Paulo, Pensamento, 2007. Return to text

2 Fernanda Farias de Albuquerque, Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, Rio de Janeiro, Nova Fronteira, 1995. Return to text

3 Tous les ouvrages cités dans cet essai et écrits en portugais ont été traduits en français par moi-même. Return to text

4 Beruti Eliane Borges (dir.), Gays, lésbicas, transgenders: o caminho do arco-íris na cultura norte-americana, Rio de Janeiro, Editora UERJ, 2010, p. 153-154. (« Descobri que as memórias de transexuais podem ser comparadas, em sua estrutura, com a do modelo literário clássico do livro – o Bildungsroman, o romance de coming of age. O perfil clássico do livro de memórias é o seguinte: um menino ou menina, muito cedo em sua vida, se sente tremendamente desconfortável em seu papel de gênero e tem a impressão de que algum erro terrível aconteceu, que ela ou ele deveria ter nascido com o sexo oposto. Tentativas são feitas pelos pais e pela sociedade de reformá-los/as e eles/elas aprendem a reprimir seus instintos na medida do possível. Eventualmente, assim como o protagonista do Bildungsroman, eles/elas deixam suas casas, seu mundo pequeno e se aventuram, geralmente, em uma cidade grande. Lá, eles/elas começam, seja de forma privada, seja de forma pública, a se fazer passar pelo sexo oposto, até que isso ultrapasse a roupa, a postura e permaneça, especialmente na última parte do século XX, com o advento de hormônios sintéticos e cirurgias plásticas, e de mudança de sexo. »). Return to text

5 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 134. (« Sem esforço, nos braços do demônio, na Europa chega-se em voz baixa, silenciosamente. Aqui neste país, não se morre estrondosamente. Baleada ou esfaqueada, entre gritos e tesouras. Aqui a gente desaparece quieta quieta, em voz baixa. Silenciosamente. Sós e desesperadas. De Aids e de heroína. Ou então dentro de uma cela, enforcada na pia. Como a Celma, que eu gostaria de lembrar. Dormia na cela ao lado, dentro deste outro inferno onde hoje vivo e que decidi não contar. »). Return to text

6 Michel Foucault, Vigiar e punir: nascimento da prisão, Petrópolis, Ed. Vozes, 2007. Return to text

7 Walter Benjamin, Origem do drama trágico alemão, Lisboa, Assírio & Alvim, 2004. Return to text

8 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 63. (« Princesa é um show. »). Return to text

9 Cf. Pascal Duret, et Peggy Roussel, Le Corps et ses sociologies, Paris, Armand Colin, 2005. Return to text

10 Cf. Jacques Derrida. Mal de arquivo: uma impressão freudiana, Rio de Janeiro, Relume Dumará, 2001. Return to text

11 Jacques Derrida. Mal de arquivo: uma impressão freudiana, op. cit. Return to text

12 Ibid. Return to text

13 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 29. (« duas metades do coco foram os meus primeiros seios. Diante do espelho grande, Cícera me surpreendeu e: outra surra. Eu cobria entre as coxas com a mão para me ver como Aparecida. Na minha fantasia, barriga redonda e fenda de menina. »). Return to text

14 Ibid., p. 46. (« Depois, saia azul de pregas, comprida até o joelho, que combino com a blusa bege e gola de rendinha. A maquiagem leve, discreta, completa a preparação. Estou pronta para o meu passeio na cidade. Incerta, me equilibrando em sapatos femininos, saio do parque e confio minha honradez a dois livros apertados sobre o peito. Eu, estudante. »). Return to text

15 Ibid., p. 45. (« contêm um sexo que maltrato. »). Return to text

16 Ibid., p. 52. (« Entrei no automóvel sem hesitação, sem um endereço aonde ir. Mas aquelas palavras tinham me reanimado. Deixei meus medos na calçada, do lado de fora. Dentro, só eu e ele. Dentes brancos e cheiro de gasolina. Suas mãos apertam o volante. - Onde você quer ir? Olhos claros, flores na janela: os olhos dele diante de mim. Um palco. Fernanda, a minha nova liberdade, ocupa o palco como uma protagonista. Cícera, Álvaro, Sauro Afonso – a fuga. Põe pra fora, chora, conta tudo. Inclusive o prazer de ser agarrada, não tinha ainda dez anos; penetrada, aquelas diabruras sem pudor que me faziam mulher pra eles. Treze anos, eu era a vaca, no campo, no mato. Em mil imagens reconstruídas, inventadas para um José agarrado ao volante, que acelera, debreia e freia. As imagens povoam o carro. Aprisionam a cabeça dele. Eu estou ali, dividido, inofensivo, enquanto Fernanda cintila e conta a sua história, puta, estudante. Olho para ela, olho para mim. Encolhido em um canto, viajo pela cidade de noite. Ao alcance dele, dentro do carro, sou a única saída ao tráfego de desejos no qual o aprisionei: ei, José, é você que dirige o panorama, onde os seus pensamentos derrapam. Sim, eu gosto – ela confessa, é um jato quente dentro de mim. Olhem para ele, é um José, seu corpo responde às minhas palavras como se fossem doces chicotadas. Parado no sinal vermelho, cada ocasião palpita no pecado, eu, secretamente, aperto e dilato meu prazer. O cu. Fernando, sou espectador de mim mesma. Fernanda me surpreende, inesperada, liberada. Jeitos e trejeitos. Mora no meu corpo, engole meu rabo, a bicha. Eis-me aqui, homem-fêmea com um José-para-mim e o tesão que nos invade enquanto viajamos por uma orla desconhecida que deixa a cidade para trás. Agora eu sei, basta uma brisa e ele cairá, um castelo de cartas, ao primeiro sopro. - Oh, José, se eu pudesse nascer mulher para um homem. »). Return to text

17 Ibid., p. 63. («  [...] vergonha. Estar disponível mediante pagamento. Mas o principal estava feito, os Josés agora são clientes: eu sirvo e eles pagam. »). Return to text

18 Ibid., p. 59. (« Você quer que teus peitos cresçam? Simples, vendem hormônios na farmácia, Anacyclim, sem receita, são pastilhas anticoncepcionais. A bunda? Depois te digo, tem a Severina bombadeira, algumas injeções de silicone. »). Return to text

19 Ibid., p. 68. (« Os hormônios começaram a produzir os primeiros efeitos. Dois esboços, dois peitinhos pequenos, um alívio. Dia após dia os bicos germinavam, se intumesciam. Duas aréolas escuras se alargaram em volta para sustentar o florescimento. Pontas sensíveis a cada carícia, ao toque do algodão da camiseta. Cresciam. Para espanto de Rosa, puta do coração alegre; para mim, que consumia espelhos e sonhos, Fernanda tomava forma. Fora de mim também, os clientes me confirmavam a transformação, eu me dava conta por mil detalhes. As putas ajudaram no milagre. Em cinco meses melhoraram minha maquiagem e penteado. Aprendi a me despir e me vestir com mil malícias para capturar os desejos dos Josés. »). Return to text

20 Ibid., p. 72. (« Fernando ou Fernandinha? Como você quiser, Risomar. Então você vai ser a princesa da minha cozinha. Eis-me aqui, foi Risomar quem me batizou. Por causa de um filé à parmegiana que conquistou seu paladar e me fez cair em sua graça. »). Return to text

21 Ibid., p. 74. (« tetas que floresciam, barba por fazer. Tudo e o contrário de tudo - a guerra e a festa. Tudo parecia fazer sentido dentro daquela bolha quente, Bahia de Todos os Santos, dentro da minha cabeça. »). Return to text

22 Ibid., p. 79. (« Anacyclin, sempre quatro comprimidos por dia. Fernando se consome lentamente. O pau míngua, os testículos encolhem. Os pêlos diminuem, os quadris se alargam. Fernanda cresce. Um pedaço depois do outro, gesto sobre gesto, desço dos céus à terra, um diabo - um espelho. Minha viagem. »). Return to text

23 Ibid., p. 77. (« quebrei uma garrafa para arrebentar a cara dele, mas faltou coragem. Afundei o vidro no meu braço. Uma cicatriz para sempre. »). Return to text

24 Ibid., p. 81. (« Novembro de 1985. Severina, em casa, bomba meus quadris com injeções de silicone liquido. Sem anestesia. Dezembro de 1985, o professor Vinícius, em sua clínica, me aplica próteses de silicone nos seios. Com anestesia. [...]. Meus passos ficam femininos com estas curvas. Curvas que me estreitam suavemente a cintura para chegar sem pressa até os peitos: duas maçãs maduras e perfumadas. »). Return to text

25 Ibid., p. 82. (« como se eu fosse mulher. E este ‘como se’ para mim é muito. Talvez tudo. Embaraçados com a situação, a maioria prefere confiar na aparência convencional: peitos, bunda, tudo no lugar, então, senhorita. Na praia e no restaurante. Para mim a vida é outra. »). Return to text

26 Ibid., p. 93. («  [...] a noite de São Paulo era fria, e para continuar a ser pantera comecei a beber de verdade. Uísque e vodca. Entorpecia o cérebro, os pensamentos. Estava sozinha e despencava. »). Return to text

27 Ibid., p. 118. (« mais eu cheirava, mais me despia. »). Return to text

28 Ibid., p. 60. (« Fernando resistia a mim, se rebelava [...]. [Mas], vou te dominar, Fernando. Os meus Josés não beijarão um homem. »). Return to text

29 Ibid., p. 81. (« Como, medo? Se você quer virar mulher, tem que passar pela dor, só depois vai ser Fernanda. »). Return to text

30 Richard Sennet, Carne e Pedra: o corpo e a cidade na civilização ocidental, Rio de Janeiro, Ed. Record, 2006. Return to text

31 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 81. («  [...] finalmente, eis-me aqui com quadris, exagerados, largos e sinuosos como as margens do São Francisco. »). Return to text

32 Ibid., p. 123. (« Como o riozinho que atravessava a minha terra, eu tinha mudado de nome e de corpo seguindo o meu curso, a onda comprida que leva para o mar. Finalmente eu era Fernanda, nem gay nem homossexual. »). Return to text

33 Jost Krippendorf, Sociologia do turismo: para uma nova compreensão do lazer e viagens, São Paulo, Editora Aleph, 2000. Return to text

34 Sigmund Freud, História de uma neurose infantil (« O homem dos lobos »), além do princípio do prazer e outros textos (1917-1920), São Paulo, Companhia das Letras, 2010, vol. XIV. Return to text

35 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 25. (« Manuel Farias de Albuquerque, o marido, tinha morrido quando ela ainda me trazia na barriga. Não antes, porém, de ter posto no mundo minhas duas irmãs e um irmão. Alaíde, a mais velha, Aldenor, o primeiro homem, e Adelaide. Todos casados, todos migrados para as cidades grandes do Brasil: São Paulo e Rio de Janeiro. »). Return to text

36 Ibid., p. 35. (« Viu, pro-fessor? Anda feito mulher, feito veadinho! Eh, meninos, quando Fernandinho for grande vai para São Paulo ou para o Rio – dinheiro fácil para ele!, dizia Izael Dias, o professor, e todos gargalhavam. »). Return to text

37 Ibid., p. 123. (« Tenho certeza: Fernandinha, dentro de casa, ela gostava. »). Return to text

38 Ibid., p. 49. (« Tiro minha roupa em quartos de hotel, ele me leva para passear de automóvel. Sentados no bar da rua Maciel Pinheiro, pedimos cerveja e guaraná. Ele me queria de calças compridas, discreto. Eu, de minissaia cintilante. »). Return to text

39  Ângela Prysthon (dir.). Imagens da cidade: espaços urbanos na comunicação e cultura contemporânea, Porto Alegre, Ed. Sulina, 2006. Return to text

40 Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 30. (« Procurava proteção em Cícera, onde sua vista alcançava era território respeitado. Por todos. Perto dela, nenhuma piadinha em voz alta. Só alguns olhares tortos. Com ela, eu era obediente; longe dela, sem-vergonha. »). Return to text

41 Ibid., p. 41. (« onde eu marcava encontros secretos e pecados no rio. »). Return to text

42 Ibid., p. 42. (« na classe, escondido, me pediam encontros no rio. Eu ia. »). Return to text

43 Ibid., p. 26. (« longe de todos, era o segredo. »). Return to text

44 D’ailleurs, la rivière de sa ville, endroit des rendez-vous à la dérobée, devient, dans un sens métaphorique, la rue des villes où elle vend du plaisir à ceux qui veulent et peuvent payer. Return to text

45 Ibid., p. 113. (« comprava figurino duplo. Minissaias e collants pretos para a noite. Jeans e saias compridas para o dia. »). Return to text

46 Ibid., p. 73. (« Princesa, um show. Pirotécnica. Decido: de dia, cozinheira, de noite, grande puta. »). Return to text

47 Ibid., p. 55. (« Diante do placar dos ônibus a voz de Izael Dias, a besta humana, voltou a zombar em meus ouvidos. É, Fernandinho, quando crescer, vai para o Rio ou São Paulo, dinheiro fácil para ele! Não, eu vou é para Recife, filho da puta! É, escolhi Recife, mesmo porque a generosidade do jovem chofer de táxi não consentia nada além disso. Não tinha dinheiro suficiente. Mas não era importante, eu não partia para chegar, eu fugia e ponto. Longe de todos, longe da execução de minha sentença: só Fernando, calças compridas e pau duro. Eu amava um homem – para eles era um crime, um arrepio de horror. Para mim, uma culpa, o abandono, dentro de um mundo que não tinha fantasia para me inventar sem me desprezar. Nem homem nem mulher, só veado e cu arrombado! Seus merdas! »). Return to text

48 Ibid., p. 42, c’est nous qui ajoutons. (« aqueles sete quilômetros [que separavam a sua casa da escola e que] eram o meu espaço de liberdade. »). Return to text

49 Ibid., p. 55. (« Entorpecido pela horrível noite passada, conseguia só contar os quilômetros que me separavam do Sítio. Que me separavam do Homem Preto e dos meus pesadelos. Quinhentos me pareceram suficientes, e então fui para Recife. »). Return to text

50 Ibid., p. 65. (« Trezentos quilômetros, uma fuga de cinco horas. »). Return to text

51 Ibid., p. 72. (« Chegou a resposta: Não posso ficar sozinha, você é meu filho, vou te buscar aí em Natal. Cícera vinha, eu fugia. No dia seguinte, no ônibus para Salvador, ganhava terreno, sempre mais ao sul do Sítio. Mil quilômetros pareciam suficientes. Olhava para trás e fugia. Novamente, mais uma vez. Adiante não via, não sabia. O que vem pela frente, só Deus sabe. »). Return to text

52 Ibid., p. 83. (« Severina bombadeira e o doutor Vinicius tiveram mãos de fada comigo e, durante alguns dias, pensei que minha fuga tivesse chegado ao fim. Me iludi com esta ideia. Dois mil e quinhentos quilômetros, uma distância que dava para voltar. Como mulher assumida, encontrar Cícera: eu, filha dela, normal. Nunca mais teria ficado vermelha de vergonha. Batia calçada e sonhava minha volta com pompa e circunstância. Pararia de me vender como se vende carne no matadouro. Viveria com um homem como mulher, talvez artista em algum clube. Mais alguns anos na batalha e poderia abrir um barzinho, uma butique, talvez um restaurante, primeiro pequeno e depois maior. Em resumo, depois de Severina meu futuro tinha virado uma festa. Pobre idiota! »). Return to text

53 Mais, il faut tenir en compte que Fernanda ne se prostituait pas seulement pour avoir de l’argent. Sa prostitution était le chemin possible pour mettre en évidence son corps féminin – une façon d’affirmer sa féminité. C’est elle qui nous dit : « Ce n’est pas que de l’argent qui me faisait rester jusqu’à trois heures du matin sur le trottoir. Je suis une salope, c’est ça le point [...]. Je suis désirée. Je m’exhibe au féminin. Fernanda est un spectacle » (Fernanda Faria de Albuquerque et Maurizio Jannelli. A Princesa: depoimentos de um travesti brasileiro a um líder das Brigadas Vermelhas, op. cit., p. 63). (« Mas não é só o dinheiro que me prendia ali até as três da manhã. Eu sou puta, é essa a questão […]. Sou desejada. Me exibo no feminino. Fernanda é um show. »). Return to text

54 Ibid., p. 83. (« Luz do dia, tiro a roupa e deito na areia. Vou à praia. Naquele formigueiro, sou uma entre muitas. Confundida na multidão. Tenho tudo no lugar e passo tranquila, presente e invisível para os passantes distraídos: uma mulher. Fernanda agora me responde sempre com mais força, retribuída com mil atenções até então desconhecidas: um homem abre a porta, a gentileza de um senhor de idade, a piscadinha de um garoto. Só depois das aplicações eu soube pra valer o que significava ser mulher no meio de mil desconhecidos. Tudo mudou, até mesmo os sons da minha voz passaram a vibrar de outro modo. Eu também mudei. Fui literalmente arrastada para um outro mundo: o mundo das mulheres. »). Return to text

55 Ibid., p. 71. (« fugi porque não sou um homem. Não gosto de mulheres, nasci para amar os homens. Você não quer entender. Álvaro também não, todos em Remígio me olham torto. Não tive coragem de assumir diante de você. Quando minha vergonha acabar, volto. »). Return to text

56 Ibid., p. 95. (« Dois mil e quinhentos quilômetros me separavam de Cícera, Álvaro e Adelaide. Um suspiro longo, uma melancolia. Recomecei a sonhar a grande volta ao lar: Fernanda, fêmea e afortunada. No corpo me sentia bem, renascida. Mas a fortuna estava longe: na Europa, era claro. A via mais longa era a mais breve. Para construir meu pequeno tesouro, para voltar para casa. »). Return to text

57 Ibid., p. 111. (« Não, eles não pensavam, pagavam e pegavam. Olhavam para baixo, no meio das minhas pernas. Foram as mãos deles, seus desejos estranhos que embaralharam a minha frágil certeza cirúrgica: Fernanda ainda precisava de um esforço final, um pequeno defeito a ser eliminado. Não, para eles aquela imperfeição era decisiva. »). Return to text

58 Ibid., p. 112. (« Oitocentos e dez mil liras, resultado da primeira noite, me ofereciam uma boa saída para aquele desnorteamento. Um toma-lá-dá-cá, um compromisso que todas as pessoas, em alguma medida, são obrigadas a aceitar no trabalho. Nunca entendi se os milaneses compravam uma mulher com pau ou um homem com peitos. Mas isso não interessava, era só por trabalho, dava pé. No fundo, aprisionada num limite invisível, eu trabalhava por um futuro totalmente feminino. »). Return to text

59 Dans un passage de son texte, elle nous dit : « une touche finale, il me manque seulement une touche pour compléter. Ça serait un amour sûr qui me ferait en décider. Pour l’instant, tout se passe bien. Je me sentais bien en face de Dieu et des hommes. Dans la tête et sur le miroir : Fernanda, la transsexuelle » (Albuquerque et Janelli, 1995, p. 81). On peut lire ce passage comme une mention à sa possible castration. Mais, il faut commenter aussi que cette opération n’a aucune importance dans l’œuvre, car Fernanda n’en parle pas beaucoup, ce qui nous permet de dire que cela n’était pas une priorité pour elle. (« Um toque final, falta só um toque para completar. Será um amor seguro que me fará decidir. Por ora, estou bem assim. Eu me sentia bem diante de Deus e dos homens. Na cabeça e no espelho: Fernanda, transexual. »). Return to text

60 Ibid., p. 124. (« eu era uma fábula, todos queriam me abraçar. Para o Sítio, a minha metamorfose era um acontecimento excepcional. »). Return to text

61 Ibid., p. 125. (« no avião, voando outra vez para Lisboa, jurei para mim mesma que não ia mais cheirar. Só três meses de trabalho intenso, e depois voltaria. »). Return to text

62 Ibid., p. 119. (« os veados, postos em dificuldades, não são delicadinhos. Eles vêm de longe, de um corpo de homem e de cidades imensas e esfomeadas. »). Return to text

63 Ibid., p. 28. (« eu também quero um príncipe encantado. »). Return to text

64 Ibid., p. 43. (« no cerrado o Príncipe reinava comigo, eu o servia. Com a boca, com o cu. »). Return to text

65 Ibid., p. 126. (« o príncipe encantado [que] instalava alarmes, era operário. »). Return to text

66 Ibid., p. 130. (« sou eu Fernanda quem diz, Princesa transexual. »). Return to text

References

Bibliographical reference

Humberto Fois-Braga, « Le corps dépaysé : la migration transsexuelle et la prostitution dans le récit de voyage brésilien A Princesa », Textures, 24-25 | 2021, 219-242.

Electronic reference

Humberto Fois-Braga, « Le corps dépaysé : la migration transsexuelle et la prostitution dans le récit de voyage brésilien A Princesa », Textures [Online], 24-25 | 2021, Online since 27 janvier 2023, connection on 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/textures/index.php?id=269

Author

Humberto Fois-Braga

Université Fédérale de Juiz de Fora, Brésil

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