L’exil espagnol au Chili est généralement identifié avec l’expédition à bord du Winnipeg (le bateau des rouges, comme on disait alors) organisée par Pablo Neruda en 1939 ; mais l’exil espagnol au Chili est bien plus complexe : d’abord, il commence au début de la Guerre d’Espagne, de plus, il provoque de graves problèmes diplomatiques, au moins jusqu’à la fin de l’année 1940.
De l’été 1936 jusqu’au 29 mars 1939, il s’agissait de l’exil de la droite, de ces conservateurs qui avaient peur de la République, du gouvernement ou du peuple, et qui pensaient qu’ils risquaient leur vie. Ce fut un phénomène très intéressant puisque plus de deux mille personnes se réfugièrent à l’ambassade du Chili à Madrid1. Il s’agissait sans aucun doute d’une histoire difficile à expliquer, même pour le gouvernement chilien, car cela avait débuté par une décision personnelle de l’ambassadeur Aurelio Núñez Morgado. Très proche des cercles les plus conservateurs de Madrid, il décida d’ouvrir le bâtiment de l’ambassade aux réfugiés et quand cette possibilité fut connue, des gens commencèrent à arriver en masse. Finalement, le bâtiment officiel devint insuffisant et il fut nécessaire d’ouvrir d’autres bâtiments, placés sous l’égide de l’ambassade chilienne. Au printemps 1937, la crise éclata car à ce moment-là, il y avait alors cinq grands édifices sous pavillon chilien et trois mille personnes y résidaient2.
Aujourd’hui, je crois qu’il est intéressant d’arracher à l’oubli ce double rôle joué par l’ambassade qui a sauvé la vie d’Espagnols des deux camps, et il en fut ainsi parce que finalement des républicains de gauche ont bénéficié de cette aide. Par ailleurs, beaucoup plus tard, quelques citoyens chiliens ont dû être accueillis dans les ambassades à Santiago, en demandant l’asile politique. Cependant, en 1973, le rôle de l’ambassade espagnole, sous le régime franquiste, a été très limité ; mais, malgré le régime dictatorial en Espagne, quelques réfugiés y furent accueillis3.
Au fond, le problème réel qui se pose c’est le prolongement de la Guerre d’Espagne jusqu’au Chili, c’est-à-dire, ses répercussions là-bas – de la même manière qu’elle a été vécue en Argentine4. Ainsi au Chili, où l’on préparait les élections présidentielles de 1938, on vivait aussi l’affrontement entre le fascisme et l’antifascisme. En 1937, au cours de la présidence d’Arturo Alessandri, les forces politiques se sont divisées en deux factions : celle de droite, autour de Gustavo Ross Santa María, avec l’appui des conservateurs et du Parti Libéral ; de l’autre côté, s’est formé – à l’image de l’Espagne – un Front populaire autour du Parti Radical et de son dirigeant, Pedro Aguirre Cerda, avec la confluence des radicaux, des socialistes, des communistes et même des anarchistes. Dès 1938, commença une période de victoires électorales pour le Parti Radical et le pouvoir resta aux mains de différentes coalitions formées autour de celui-ci, toujours sur des principes de collaboration et de conciliation afin de faciliter le contrôle de l’État.
Dans ce contexte, l’attitude de l’ambassadeur chilien et celle des réfugiés espagnols a rendu la situation encore plus difficile. C’est ainsi que, bien que l’Espagne n’ait reconnu aucun traité international sur le droit d’asile, l’ambassadeur ouvrit ses portes aux réfugiés. Bien plus, lui-même invitait les gens à venir se réfugier, pendant que le gouvernement espagnol permettait ce mouvement alors que celui du Chili lui demandait de cesser, d’abord parce que cela provoquait un problème diplomatique, ensuite parce que l’évacuation de tous ces réfugiés coûtait très cher.
Núñez Morgado expliquait qu’il s’agissait d’un problème humanitaire et que, au début, personne n’aurait pu imaginer que la guerre, et donc l’asile, allait se prolonger autant. Cependant, dans les milieux espagnols, on disait qu’à l’ambassade du Chili, les réfugiés fascistes possédaient des bombes, des fusils… des armes. On affirmait aussi que l’on y conspirait contre la République, et même qu’il s’agissait d’une véritable cinquième colonne. Finalement, il existait le précédent des exilés d’autres ambassades, lesquels, une fois évacués, soit étaient rentrés en Espagne pour appuyer les franquistes, soit avaient mené une forte campagne contre la République depuis l’étranger.
Enfin, en mars 1937, à Londres, il y eut un accord pour commencer l’évacuation vers le Chili de tous les réfugiés en âge de porter les armes – c’est-à-dire entre 20 et 45 ans – et vers n’importe quel pays d’Europe pour tous les autres5. Mais soudain, le processus fut arrêté parce qu’un autre événement critique se produisit. À l’aéroport de Manises, à Valence, les bagages de l’ambassadeur furent ouverts sans respecter l’immunité diplomatique.
Le 21 avril 1937, l’ambassadeur chilien Núñez Morgado fut invité à ouvrir ses bagages personnels. Les fonctionnaires de la douane soupçonnaient cette ambassade d’espionnage et même de contrebande en tirant profit de la valise diplomatique. Les valises ouvertes, on y découvrit quelques lettres adressées à divers endroits de la zone franquiste, ainsi que des actions, un carnet de chèques et des bijoux, appartenant à des réfugiés. Cette fuite de capitaux6 était, bien sûr, illégale.
Là-dessus, l’ambassadeur put arrêter la fouille, mais il rata l’avion pour Toulouse. Il décida de rentrer à Valence et demander l’asile à l’ambassade de Grande-Bretagne pour finalement partir à bord d’un bateau anglais.
L’incident devint un problème diplomatique à cause de l’intervention d’Agustín Edwards, l’ambassadeur du Chili à Londres, qui avait fait circuler des informations malicieusement transformées. Une bataille de presse commença. D’un côté, des journaux internationaux exagéraient la valeur des biens trouvés dans les bagages, en affirmant qu’on y avait trouvé des millions de pesetas et une immense correspondance pour l’ennemi. De l’autre côté, la presse chilienne, plus conservatrice, développait une campagne patriotique sur l’honneur souillé7, tellement virulente que même le président Alessandri en arriva à menacer l’ambassadeur espagnol, Rodrigo Soriano, de rompre les relations diplomatiques.
Le fond du problème était que les secteurs conservateurs aidés par leur presse – par exemple El Mercurio et La Nación – utilisaient l’incident pour obtenir la rupture des relations avec la République8 et la reconnaissance de l’Espagne franquiste, et ils demandaient que les autres républiques américaines prennent la même décision, en affirmant que le gouvernement républicain avait déjà perdu le contrôle de la population et ne pouvait pas assurer la protection des diplomates.
Bien qu’on ait constaté cette conspiration au sein de l’ambassade et l’exportation de valeurs, l’ambassadeur espagnol Soriano s’était efforcé d’arranger la situation pour garantir le maintien des relations diplomatiques. Aurelio Núñez Morgado ne revint jamais en Espagne et l’attaché d’ambassade, Carlos Morla Lynch le remplaça9. L’évacuation interrompue des réfugiés reprit alors et qu’ils commencèrent à partir pour le Chili sur le vapeur Tucumán.
Mais le problème des réfugiés perdura car en arrivant au Chili, ils devenaient des ennemis déclarés des intérêts du gouvernement espagnol dans la république australe. Ils participaient à la politique chilienne en augmentant la division nationale. C’est ainsi qu’en rejoignant le bloc autoritaire ils devinrent un élément de poids au moment des élections : ils rendirent possible le développement du parti chilien de la Phalange.
Bien que le Front populaire ait gagné les élections, un très fort courant d’opinion contre la concession du droit d’asile aux Espagnols républicains, après la défaite de 1939, s’affermit. Ce refus des rouges, présentés comme des délinquants, fut quasiment le premier obstacle que Pablo Neruda dut surmonter quand il fut nommé consul de l’immigration à Paris et prépara le voyage du Winnipeg.
En outre, quand le Winnipeg atteignit le premier port chilien, Arica, on apprit qu’il y avait eu une tentative de coup d’État, qui, entre autres objectifs, cherchait à empêcher l’arrivée de ces nouveaux réfugiés. Finalement, le gouvernement d’Aguirre Cerda reprit le contrôle de la situation. L’hostilité disparut assez rapidement après l’accueil.
Mais, avant que les autres Espagnols n’arrivent de France, à partir de l’été 1939, certains vécurent à Madrid la deuxième partie de cette histoire de double asile qui a inspiré le titre de cet article.
Carlos Morla Lynch raconte ce qu’il est arrivé :
El día 28 de marzo, temprano, Madrid enarbola la bandera tradicional de España. Mientras el bullicio y el entusiasmo son delirantes en la calle, en tanto que la gran puerta de la Embajada, ampliamente abierta, da salida, después de 33 meses de cautiverio, a los asilados liberados, penetran sigilosamente por la pequeña puerta señalada, escurriéndose cautelosamente contra el muro, los que acojo hoy, en este día apoteósico de victoria, día para ellos, de duelo y de muerte. Son 1710.
[…] En medio de ese torbellino, de esa bullanga inconcebible, de esos desfiles de banderas, del trueno de los aviones que pasan veloces a ras de los techos, lanzando proclamas de victoria, en medio de esta algazara loca, me acuerdo de los desgraciados asilados actuales que sin duda permanecen en la sombra, acurrucados en el fondo del recinto en que les he dado albergue. Huyen de los rumores triunfales que llegan hasta ellos como un escarnio a su derrota. Subo a verlos.
[…] Arriba en el recinto del tercer piso, desmantelado y triste, que he podido habilitar para mis 17 refugiados mientras se desocupan otras habitaciones, flota una atmósfera de pesadumbre. Hay tirados en el suelo algunos colchones. La ropa que han podido traer se amontona en los rincones. De pie, con las espaldas afirmadas en los muros, fumando un mal pitillo, permanecen silenciosos mientras el alborozo en la calle llega atenuado como un rumor de fiesta, hasta ellos11.
En fait, ils n’étaient pas dix-sept, mais dix-huit, car il faut prendre en compte la présence d’un réfugié chilien, Juvencio Valle.
Le conflit continuait, provoquant même la fermeture des ambassades. Par ailleurs, au cours de cette étape, les réfugiés vécurent dans la crainte de la mort :
Cablogramme n° 42: «Da cuenta de que a las 17 h. 30 un grupo de agentes mandado por un teniente primero del Ejército ha intentado penetrar en la embajada para detener a los asilados violando las garantías internacionales y acuerdos entre países»12.
De telles tentatives d’entrer dans l’ambassade se renouvelaient13, tandis que les diplomates – Gajardo Fajardo et Germán Vergara – cherchaient les moyens de poursuivre l’évacuation. En juillet 1939, la sortie de quatre Espagnols et du Chilien fut permise : Luis Vallejos, Carmelo Soria, Fernando Echeverría, Luis Hermosilla et Juvencio Valle. Par contre, les autres restèrent isolés jusqu’à la fin de 1940. Nous avons retrouvé leurs témoignages.
Tout d’abord, le gouvernement de Franco déclara ne pas reconnaître le droit d’asile, de plus, il accusait les réfugiés d’être des délinquants civils. Mais quand les diplomates chiliens demandèrent de quels délits ils étaient accusés, on refusa de leur répondre. Par ailleurs, l’attitude des réfugiés espagnols déjà arrivés au Chili compliqua la situation : comme auparavant, ces derniers arrivés se mirent à faire de la politique en organisant différents meetings contre le régime de Franco ou en participant aux activités du Front populaire ou du Parti communiste chilien. Les relations devinrent de plus en plus difficiles jusqu’à la rupture totale en juillet 1940 entre Madrid et Santiago.
Le 16 juillet 1940, l’ambassade reçut l’avis de rupture, avec un délai de deux jours pour abandonner l’Espagne. Les diplomates partirent en confiant l’ambassade et les réfugiés à l’ambassade du Brésil. L’intervention brésilienne commença, et le 14 septembre 1940, elle obtint l’évacuation de huit réfugiés. Il en restait encore cinq : Antonio Hermosilla, Antonio de Lezama, Edmundo Barbero, Santiago Ontañón et Pablo de la Fuente.
Qui étaient-ils ? Il s’agissait d’un groupe d’intellectuels bien engagés dans la défense de la République espagnole. Antonio Aparicio Herrero, poète de Séville, était aussi très attaché au groupe de l’Alliance des intellectuels antifascistes. Il faisait partie des Guérillas du théâtre avec Mª Teresa León14. Le rôle d’Aparicio, Barbero, de la Fuente et Ontañón dans Las Guérillas del teatro a été souligné plusieurs fois par sa fondatrice, Mª Teresa León, dans sa Memoria de la melancolía. Edmundo Barbero était acteur. Il avait écrit pendant la guerre El Infierno Azul, un roman sur la répression franquiste en Andalousie. José Campos Arteaga était étudiant. Fernando Echevarría Barrio, architecte et peintre. Pablo de la Fuente, cheminot et écrivain, communiste, membre des Guérillas du théâtre. Plus tard, au Chili, il publia des romans comme Sobre tierra prestada et El Retorno, qui abordent le problème de l’exil15. José García Rosado était médecin. Luciano García Ruiz, avocat et journaliste. Pendant la guerre, il était chef du Service spécial de renseignements de l’état-major de l’armée républicaine. Antonio Hermosilla Rodríguez, journaliste, directeur et propriétaire de La Libertad de Madrid, était parti directement du bâtiment du journal vers l’ambassade avec son fils, Luis Hermosilla Cívico, étudiant. Antonio de Lezama était journaliste à La Libertad de Madrid, dont il était l’un des fondateurs. Écrivain peu connu, il appartenait au parti Izquierda Republicana. Dans le Madrid républicain, il était « jefe de la Escuela de Comisarios Politicos »16 (chef de l’École des Commissaires politiques). Santiago Ontañón, artiste, scénographe, du groupe de l’Alliance des intellectuels antifascistes et des Guérillas du théâtre, avait dirigé un film pendant la guerre, Caín, commandé par la CNT17. Aurelio Romeo del Valle, avocat, et son frère, Julio Romeo del Valle, étudiant, étaient socialistes, ils avaient étudié à l’Instituto Escuela. Finalement, Esteban Rodríguez de Gregorio, médecin ; Arturo Soria Espinosa, avocat, dirigeant de la Federación Universitaria Escolar (FUE) et Luis Vallejo y Vallejo, médecin18.
Le 12 octobre 1940, pour commémorer le Jour de la découverte de l’Amérique (Día de la Raza), ils furent libérés après dix-huit mois d’enfermement, pendant lesquels Noctambulandia s’est révélée être une formule de résistance :
Otra vez la necesidad de la defensa unía a los hombres y en este caso éramos y somos, unos hombres para quienes el mundo se va estrechando, unos hombres que han de compensar la inmensa desventaja que la situación de la humanidad actual supone con una íntima comunión […], en la Amistad.
Porque después de tan largos meses como llevamos encerrados en tan estrecho marco, nos conocemos muy bien. Sabemos lo que cada cual es capaz de proporcionar a los otros, conocemos hasta qué punto somos capaces de renunciar en favor de los demás […]
Porque NOCTAMBULANDIA es eso. No anula la personalidad individual de los noctámbulos; se nutre de la radiación exterior de la actividad personal19.
Noctambulandia, était le nom d’un groupe de création. Pendant d’affreuses et interminables nuits, ces hommes se sont réunis pour lutter ensemble au moyen de leur créativité. Avec le désir, la nostalgie et le rêve, ils ont composé de la poésie, de la peinture, du théâtre, des essais ou des romans, mais surtout, ils ont construit un symbole de la défense commune, Luna, une revue, écrite contre la crainte, pendant les nuits d’insomnie : ses trente numéros sont apparus sous le titre des différentes nuits, par exemple : « Año I, noche del 26 al 27 de noviembre, no 1 ».
Santiago Ontañón nous en parle :
[…] Más literaria que política, contaba con un buen número de páginas y el primer número salió la noche del 26 al 27 de noviembre de 1939. Yo dibujaba las portadas a todo color y hacía las ilustraciones interiores, que nunca bajaban de cuatro o cinco. En ella incluíamos colaboraciones, textos y cuadernos poéticos de Marinello, Valle Inclán, García Lorca, Alberti, Miguel Hernández, Antonio Machado, León Felipe, Juan Ramón, Pablo Neruda, Gabriela Mistral y otros […]. En un número de finales de enero del año 1940, publicamos seguramente la única noticia que se dio en España sobre la condena a muerte de Miguel Hernández. Fue quizá la noticia más tremenda que dio Luna, escrita más que con lágrimas, con un sudor frío, ya que sobre nuestras cabezas podía cernirse una noticia semejante si los fascistas se desmandaban20.
Cet exemplaire unique fut donné à Germán Vergara. Manufacturé, amoureusement peint à l’aquarelle, relié en cuir bleu-noir, la lune croissante argentée sur la couverture et un N fier au dos, ces volumes contenant les trente numéros de Luna font partie de la donation du diplomate Germán Vergara à la bibliothèque de l’Université du Chili, où ils sont conservés.
Luna nueva
Nueva luna
En un cielo sin ninguna
[…]
Cielo cerrado, enemigo
orillado a la tormenta
sobre la zarpa sangrienta
que trae el fascismo consigo
Bajo este cielo inseguro
Alza su temblor de plata
Una voz que se dilata
Un son rebelde y maduro;
una luna
por un cielo sin ninguna
[…]
Luna que en nuestra prisión
-isla de dolor perdida-
alumbra una nueva vida
da alientos a una canción
[…]21
Au cœur d’un Madrid que l’on a défendu jusqu’à la fin, mais que l’on peut voir seulement de la fenêtre22, il existe une Luna encerclée, où règne l’échec et d’où le désespoir tombe goutte à goutte :
Somos diez a la mesa. La Nochebuena de 1939 está ante nosotros. Lo que no imaginábamos pudiera ser cierto ha sucedido. Día a día, las hojas del calendario han ido cubriendo las esperanzas de liberación. Noche Triste en nuestra lucha por la libertad. Noche doblemente triste. Porque hemos perdido nuestra patria, porque estamos lejos del amor […]
Sobre la mesa […] risas, animación buscada. Pero todo suena a hueco, todo es artificial. Es la noche más dolorosa de cuantas han desfilado en mis veintiséis años de vida.
Nada nos falta materialmente […] Somos prisioneros.
[…] para nosotros, los vencidos, refugiados, no hay alegría exterior. […] hacemos teatro, circo, todo lo que se nos ocurre. Nuestra alma está muy lejos […]. Tenemos miedo a conservar en alcohol nuestras tristezas. Nochebuena de 1939. Nuestros villancicos han sido republicanos. Aunque somos rojos, nuestra noche es negra23.
Par ailleurs, il y a aussi une Luna qui est une manière de vivre :
y aquí está entre nosotros [Edmundo Barbere], en primera línea, dando ejemplo de rectitud y de compañerismo, de lealtad y de fé en el porvenir. Con su adhesión y su hombría de bien es uno de los más queridos y uno de los mejores entre los mejores […]24.
Parfois, les pages prennent une tournure réellement autobiographique :
Cuando por las noches, después de cenar, nos agrupamos los nueve en torno a la mesa que ocupa gran parte de la habitación, fumando unos, charlando otros, bajo la luz no demasiado blanca de una bombilla, reflejada por una tulipa metálica verde, mientras suena la radio, trayéndonos el eco de una vida más feliz, viene a mí el recuerdo de aquellas aspiraciones que llenaban mis sueños de niño, más bien de muchacho y, entre ellas, una, la más fuerte. Yo quería ser marinero.
Nuestro cuarto con su forma especial, sus tres balcones abiertos sobre tres fachadas distintas, las camas alineadas junto a los muros recubiertos hasta media altura con una tela de grosera trama, pintada de verde al aceite, el humo espeso que absorbe gran cantidad de luz, el aspecto de nuestro vestuario, abigarrado y extraño, todo viene a dar la sensación de cámara de buque25.
À d’autres moments, elles sont fortement évocatrices :
Ciego, soñando un ramo esclarecido
vagando en la tiniebla de tu ausencia
por la agónica luz de mi conciencia
alternan la sonrisa y el gemido
Llevo abiertas las venas del sentido
Y cargo tu recuerdo y mi dolencia
Por una noche oscura de sentencia
Bajo el golpe de un mar entristecido
Todo cuanto a la vista se me ofrece
Por más que un fuego y oro se ilumine
Son desiertas coronas funerales
La vida un barco negro que anochece
Contra cuyo vaivén la muerte imprime
Un obstinado vuelo de puñales26.
Mais je trouve surtout une Luna de l’espoir de vivre :
A lo largo de sus doce interminables meses hemos sufrido duras crisis espirituales […]. Fácil hubiera sido el desplomarse del ánimo y, sin embargo, no se ha producido […]. Desde el punto de vista estrecho y mezquino de la vida diaria […], estamos derrotados, sufrimos ataques de la adversidad.
Pero ¿Y en cuanto al fin último del hombre? […]
La seguridad de lo que me espera, la seguridad de que sabré disfrutar más exquisitamente de lo grato que la vida ofrece. Va aumentando el concepto que de mí he tenido. En esa satisfacción he fundado y fundo ahora con mayor insistencia el optimismo que tan extraño parece a algunos […]27.
Ainsi, la Luna de cette histoire ne pouvait plus rester cachée, pour respecter le désir des auteurs :
Un deber de cortesía por los lectores de Luna, hoy limitadísimos, mañana acaso mayores en número de lo que acusan nuestros cálculos, nos obliga a presentar al poeta más joven de los Noctámbulos, Antonio Aparicio, el poeta sevillano […] ha combatido por la libertad en las más avanzadas filas de la política y en la extrema vanguardia de las milicias28.
C’est par ailleurs l’une des plus belles revues de l’exil républicain espagnol.
Ainsi, il exista un double exil : d’abord celui des conservateurs, puis celui des républicains. Mais après la défaite républicaine, les premiers sont en général revenus en Espagne, tandis qu’on pourrait dire qu’à partir de ce moment-là l’exil espagnol au Chili est devenu totalement républicain. Pourtant, l’unité ne fut pas possible. Au contraire, un autre double exil a commencé parce que la colonie espagnole au Chili s’est divisée en deux, comme la société chilienne elle-même.
On peut suivre cette rupture jusqu’à nos jours. Mais en ce qui concerne l’Unité populaire, la fracture devint dramatique, comme ces deux documents nous le montrent. Le premier expose les relations de l’un de ces républicains, le socialiste Francisco Giner de los Ríos, avec Salvador Allende. Il nous raconte comment le socialisme espagnol a influencé Allende :
[…] Íbamos con frecuencia a la casa de Algarrobo en la costa […] yo he tenido con él [Allende] muchas conversaciones […] no digo importantes, pues no voy a presumir de eso, pero hay una cosa que sí creo que tiene interés, sobre todo como testimonio español, que es lo de la elección de Colchagua, que no era presidencial todavía, era para renovar una senaduría, eran las elecciones de senadores. Entonces yo había hablado con, con Allende de, en fin, de los problemas entre comunistas y socialistas en España […] le había contao mucho, le había dado a leer, incluso, el libro de Fernando de los Ríos, de tío Fernando, eh, de sobre el sentido humanista del socialismo, que le pareció a él, con cierta razón, no lo niego, demasiado idealista. Pero que le interesó profundamente como planteamiento de, como un planteamiento nuevo, distinto del socialismo, eh, ortodoxo, totalmente marxista y de las desviaciones de, eh, socialistas, socialcristianas, etcétera. Es decir, seguía siendo un socialismo-socialismo, pero con una base más humana, menos, menos dogmática en el sentido de una doctrina […]. Es decir, con un sentido más de libertá, no lo que ahora se llama socialista en libertá [risa] […].
A él le impresionó mucho la figura de Fernando de los Ríos. Y esto, aparte de las cosas que leyó lo que le impresionó muchísimo fue las cosas que yo le había contao de las campañas de, de mi tío Fernado, eh, cuando se presentaba de diputao por Granada […] Entonces, esto, le conté la anécdota, [...] verdadera -que luego tío Fernando en sus campañas electorales usó varias veces- de un campesino granadino al que quería obligar el patrón suyo a votar a, a la derecha; y le ofrecía esto y tal, en fin, las clásicas cosas electorales que se conocen en todos lados […] Y este campesino le contestó: «en mi hambre, mando yo». Y eso a Allende le produjo una emoción enorme. Entonces cuando salió senador por Colchagua yo le llamé para felicitarle y dice: «Pues, eso yo, el triunfo mío por Colchagua se lo debo a Fernando de los Ríos» ¿Qué dices, chicho? Y dice: «Sencillamente que yo en Colchagua le he dicho a los campesinos que en su hambre mandan ellos. Y que no se dejen». Es decir que el «en mi hambre mando yo» granadino, fue el triunfo socialista en Colchagua. […]
Yo sí que te puedo decir del golpe en Chile es que ha sido de los momentos más tremendos, más desgarradores de mi vida […]. Aparte del desgarramiento de la muerte de Allende y de otros amigos y de jóvenes y amigos de, de mis hijos, etc., una cosa ya más personal, esto, ha sido como revivir -eh de una manera muy distinta y con otra perspectiva, pero como revivir lo de España, en otra dimensión y en otro sentido29.
Mais, celle-ci n’était pas l’opinion la plus commune, bien au contraire. Nous avons trouvé une autre lettre envoyée par un vieil exilé, début 1974, à Fernando Valera, le dernier président de la République espagnole :
Le supongo bien informado de los sucesos acaecidos aquí, y aunque le hayan causado sorpresa, le diré que ha sido lo mejor que pudo haber ocurrido, pues esto estaba convertido en un verdadero caos, y a punto de desatarse una guerra civil de consecuencias catastróficas, que hubiera costado cientos de miles de víctimas por el odio que se había sembrado entre los chilenos.
En realidad, el Gobierno de Allende estaba fracasado y con el país en bancarrota, las masas populares que lo apoyaban, en vez de trabajar y producir, se llevaban en concentraciones y desfiles casi todos los días por las calles de Santiago, apedreando a cuanto opositor o no opositor se les pusiese por delante; no había nada de nada, y para conseguir un producto cualquiera incluso pan cuando había, se formaban colas de varias cuadras con la consiguiente pérdida de tiempo.
Las Fuerzas Armadas se adelantaron en solo días, pues la Unidad Popular pensaba dar el golpe el 17, ellas lo dieron el 11.
Veremos qué nos depara el destino, de todos modos este experimento había fracasado, no tanto por lo que la oposición que se componía de la gran mayoría del país pudiera hacerle al Gobierno de Allende, más que nada por la irresponsabilidad y la ambición de muchos de los mismos que lo apoyaban, y que llevaron al país al desastre […]
Veremos, como le señalo, lo que nos depare el futuro, por el momento hay orden, tranquilidad y mucho ánimo para trabajar entre los chilenos para levantar el país, y se puede andar por las calles fuera de las horas de toque de queda, tranquilamente y sin temor a recibir una pedrada, un garrotazo, alguna bala loca disparada por algún irresponsable.
Hay confianza en la gente porque las Fuerzas Armadas aquí son más democráticas que en otros países, y no poseen ambiciones políticas. Es de esperar que cumplan lo que prometen y vuelvan lo antes posible a sus actividades profesionales y el país, a recobrar su total normalidad en todos los aspectos […]30.
Ce qui nous intéresse réellement c’est de savoir si ce genre d’opinion était significatif. Au cours de différents entretiens que j’ai pu avoir avec des exilés au Chili, ils m’ont avoué que ces impressions furent au début très partagées et, que, par contre, le point de vue de Giner de los Ríos était minoritaire, ne concernant qu’un petit groupe lié au Parti communiste ou très proche d’Allende.