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Conde (Carmen), poésie féminine de l’après-guerre, biographie, Génération de 27

Keywords

Conde (Carmen), postwar feminine poetry, biography, Generation of ’27

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Carmen Conde est née en 1907 à Carthagène, dans la région de Murcie. Son talent, son courage et sa persévérance ont contribué à faire d’elle l’une des premières et rares autrices espagnoles à voir la qualité de son travail largement reconnue au vingtième siècle.

Carmen Conde est d’abord une poétesse particulièrement prolifique. À partir de sa première contribution dans le journal local, La Voz de Cartagena, en 1924, l’autrice n’a jamais cessé d’écrire. La puissance évocatrice de ses métaphores et la singularité de sa voix se distinguent déjà dans son premier recueil de poèmes, Brocal (1929), qui, par ailleurs, n’est pas en vers, mais bien en prose : genre que, comme le rappelle Francisco Javier Díez de Revenga, seuls les meilleurs esprits cultivaient alors (Díez de Revenga, 2007, p. 23). Cette œuvre est la première d’une longue série de publications qui s’étalera sur soixante ans, pour s’achever avec Una palabra tuya en 1988, dernier de ses vingt-sept recueils parus. Le soleil et la mer se rencontrent ainsi dans Brocal, dont l’univers lyrique est placé sous le signe de l’amour et dont la profondeur et la solidité de l’expression surprennent alors – qualités que Carmen Conde cultive précocement et qu’elle ne fera que consolider dans sa maturité.

Le sentiment amoureux qui transcende le recueil, c’est un homme qui l’inspire : en 1927, Carmen Conde rencontre Antonio Oliver Belmás. Enseignante de profession, c’est avec lui qu’elle fondera l’Université populaire de Carthagène durant la Seconde République. Le jeune poète l’introduit au monde de l’écriture et lui permet de contribuer aux revues littéraires les plus importantes des années trente. Il la présente également à des poètes très influents de l’époque, comme Gabriela Mistral, Gabriel Miró ou encore Juan Ramón Jiménez. Ce dernier, alors très au fait des nouvelles voix poétiques (Ciplijauskaité, 1996, p. 78), exerce une certaine influence sur Carmen Conde, qui va s’exprimer dans l’intérêt que l’autrice porte à la beauté, mais aussi dans sa manière de traiter les personnages et la nature et dans son sensualisme (Champourcín et Conde, 2007, p. 29). C’est encore grâce à Antonio que Carmen Conde rencontre les membres centraux du cercle des poètes de 27 : elle entretiendra avec Jorge Guillén, Vicente Aleixandre ou encore Dámaso Alonso de solides amitiés consolidées par de longs échanges épistolaires.

Toutefois, celui qui deviendra son mari en 1931 ne fait pas que l’introduire aux cercles littéraires et au monde de l’édition, puisque le poète, certes débutant pour l’heure, guide encore sa production poétique – mentorat dont Carmen Conde finira bien vite par s’émanciper pour affirmer sa propre personnalité lyrique. L’influence d’Antonio se fait ainsi ressentir dans son deuxième recueil, qui paraît en 1934 : Júbilos. Poemas de niños, rosas, animales, máquinas y vientos. Il prolonge l’esprit de Brocal, en consolidant néanmoins sa complexité structurelle et thématique.

Bien que prometteuse, la publication de Júbilos sera suivie d’un silence poétique de dix ans marqué par la guerre et les premières années de l’après-guerre, silence qui ne prendra fin qu’en 1944 avec la publication de Pasión del Verbo. Pendant la guerre civile, le couple ne part pas en exil, comme de nombreux intellectuels attachés à la République, mais vit une séparation entrecoupée de prudentes et ponctuelles réunions. Les bombardements surprennent Carmen Conde à Carthagène et elle part alors vivre en Andalousie ; puis elle étudie à Valence avec son amie Amanda Junquera, épouse d’un professeur exerçant à l’université de Murcie. Toutes deux déménagent ensuite à Madrid. Elles quittent la ville au printemps 1940 pour San Lorenzo de El Escorial, commune non loin de la capitale, où l’autrice vivra un long séjour fort salutaire.

Ce silence éditorial imposé par les circonstances ne signifie pas que Carmen Conde a abandonné l’office poétique. Les événements traversés se voient consignés dans des recueils qui ne seront connus du public qu’en 1967, avec la première publication de sa poésie complète. Les compositions de cette période traduisent en effet la profondeur des tourments qui frappent la jeune femme : la situation de l’Espagne, bien sûr, mais également des drames intimes, comme la mort de son père en 1934 et celle de sa fille, à la naissance, en octobre 1933.

Ce sont donc des recueils d’une grande densité existentielle qui sont rédigés au cours de cette période. Mientras los hombres mueren, écrit entre 1938 et 1939, est un véritable manifeste en faveur de la paix ; la deuxième section du livre, « Aux enfants morts à la guerre1 », dévoile un je poétique s’affranchissant des luttes fratricides pour faire entendre un hymne antibelliciste au nom des innocents et dont l’inspiration se retrouvera en 1960 dans En un mundo de fugitivos. Le séjour passé à El Escorial, son exil intérieur, est décrit dans le recueil Mío (1941). C’est également à cette époque qu’apparaissent les figures omniprésentes de la poésie de Carmen Conde, symboles de ses doutes métaphysiques et de ses angoisses : anges et archanges peuplent les recueils Sostenido ensueño (1938) et El Arcángel (1939), qu’elle écrit alors qu’elle est séparée d’Antonio.

À partir de 1944, dans le Madrid des premières années du régime franquiste, commence une nouvelle étape de la poésie de Carmen Conde : l’autrice écrit pour la première fois des poèmes en vers pour commencer à façonner une identité propre, bien loin de l’image de l’épouse et mère consignée dans l’enceinte du foyer que le régime voulait voir attachée à la femme. Les recueils qui représentent le mieux ce tournant sont Ansia de la gracia (1945) et surtout Mujer sin Edén (1947). Le je poétique y incarne Ève, la première femme, pour adresser à Dieu, avatar du patriarcat, un véhément discours de reproche quant à l’injustice de sa condition actuelle, laquelle trouve un étrange écho dans l’univers biblique que la poétesse restitue. En assumant l’identité d’Ève, le je poétique s’érige en femme et mère universelle à même d’exprimer les douleurs jusqu’alors contenues ou ignorées. C’est là le recueil le plus célèbre de Carmen Conde et, pour la lucidité du regard qu’elle porte sur la femme et sa condition qu’elle exprime sans détour, de nombreuses autres poétesses s’en inspireront : Ángela Figuera dans Mujer de Barro (1948), Pilar Paz Pasamar dans Mara (1951), María Beneyto dans Eva en el tiempo (1952) ou encore Susana March dans Esta mujer que soy (1959).

Dans ses recueils suivants, l’autrice accorde une part plus large encore à l’expression de ses sentiments intimes : la frustration conjugale et maternelle et la certitude de la perte irremplaçable se lisent dans le recueil Iluminada tierra publié en 1951 et se prolongeront dans Vivientes de los siglos en 1954 ainsi que dans Los monólogos de la hija en 1959. Les archanges se retrouvent mêlés à l’expression de cette intimité dans Derribado arcángel (1960). Au sein d’un ensemble de recueils d’où ressortent les sentiments de solitude et d’incompréhension face aux luttes et conflits humains dépourvus de sens, Los poemas de Mar Menor (1962) fait fonction de pause : le je poétique fait véritablement corps avec le paysage marin, dans ce recueil qui s’entoure de paix.

Ce sont là pour Carmen Conde des années d’intense activité littéraire, puisque l’autrice fait également une première incursion dans la prose romanesque. Comme l’a souligné la critique, l’empreinte de la poésie est toutefois très présente dans son style et ses aboutissements narratifs ; les romans Vidas contra su espejo (1944), En manos del silencio (1950) et Las oscuras raíces (1954) en sont la preuve. Ces années ne sont pas uniquement marquées par les publications, mais aussi par les voyages qu’elle effectue à travers l’Espagne pour faire des lectures de ses œuvres et participer à des colloques ou des conférences, qu’elle donne également à l’étranger, où elle voyage avec son amie Amanda. Elle écrit alors d’autres recueils (qui ne seront publiés que plus tard) : Devorante arcilla en 1962, Enajenado mirar entre 1962 et 1964 et Humanas escrituras, regroupant des poèmes écrits entre 1945 et 1966.

L’année 1967 marque un tournant : l’autrice publie son œuvre complète, augmentée de recueils jusqu’alors inédits, et celle-ci se voit récompensée par le Prix national de poésie. Carmen Conde devient ainsi la deuxième femme à obtenir cette récompense, après Alfonsa de la Torre, en 1951. La poétesse continue à forger son univers poétique ; le bouleversement provoqué par la mort de son mari, qui survient le 28 juillet 1968, lui inspire une attitude méditative qui se voit reflétée dans la poésie qu’elle composera par la suite. En ce sens, A este lado de la eternidad (1970) s’ouvre sur des vers d’Antonio, « Lorsque ma vie prend fin / prends-moi par la main2 », et s’achève avec de poignants poèmes, sur la douleur de n’avoir pu être mère et sur la disparition de son mari. En 1975 est publié Corrosión, recueil regroupant des poèmes écrits tout au long d’une décennie et dont le contenu élégiaque n’est cependant pas dépourvu d’une grande vitalité ; cette même vitalité se retrouvera un an plus tard dans Cita con la vida, recueil foisonnant d’espaces naturels où résonne un profond amour pour la vie.

C’est deux ans après la publication de Cita con la vida que Carmen Conde devient, à 71 ans, la première femme à rentrer à l’Académie royale espagnole. Cet événement, très couvert médiatiquement, signe le début d’une nouvelle période de sa vie. Les hommages se multiplient : elle devient Hija Predilecta, « fille préférée » de la province de Murcie, mais aussi de la ville de Carthagène ; elle donne des conférences à Ottawa, puis aux États-Unis, à New York et à Boston, où lui sont décernées d’autres récompenses honorifiques.

L’autrice n’abandonne pas son ouvrage littéraire pour autant, car elle écrit à ce moment-là trois romans (Creció espesa la yerba en 1979, Soy la madre en 1980 et Virginia o La calle de los balcones azules en 2002), ainsi qu’un ensemble de recueils poétiques. Parmi eux, La noche oscura del cuerpo (1980), livre percé de doutes sur l’existence, où le temps et le rêve se mêlent et se confondent. Toutefois, ces doutes ne signifient pas un renoncement à l’écriture : Carmen Conde publie Desde nunca en 1982, Derramen su sangre las sombras en 1983 et Del obligado dolor en 1984. En 1985, Cráter figure un « testament existentiel » selon les mots d’Emilio Miró3, dans lequel la poétesse célèbre la liberté d’aimer autant que son amour pour la vie. Le recueil Hermosos días en China, qui décrit les cités chinoises découvertes lors d’un voyage en 1977, est le dernier qu’elle compose.

À cette production poétique d’une abondance, d’une qualité et d’une diversité remarquables, dont nous n’avons mentionné que les exemples les plus représentatifs selon nous, il faut encore ajouter son œuvre dramaturgique tout à fait conséquente, mais aussi ses essais, ses mémoires, ses contes historiques, ses biographies, ainsi que sa considérable production de livres pour enfants. Tout au long de sa vie, l’élan créateur qui a animé Carmen Conde n’a jamais faibli. Ni son entrée à l’Académie royale ni les débuts de la maladie d’Alzheimer qui l’a peu à peu gagnée ne l’ont empêchée d’accorder des entretiens et de continuer à écrire, et ce, pratiquement jusqu’à sa mort en 1996.

Le parcours admirable tracé par Carmen Conde est à la mesure de l’influence qu’elle a exercée sur la génération à venir et sur la poésie après elle. L’écrivaine a en effet joué un rôle tout particulier dans la littérature féminine, dont elle a encouragé la création et la promotion. Elle a dirigé des anthologies de poésie féminine, espagnole et hispano-américaine. Elle a de surcroît rendu hommage au travail de figures féminines significatives, en rédigeant les biographies de Sor María Jesús, Santa Teresa ou encore de sa contemporaine Gabriela Mistral. L’amitié que Carmen Conde portait aux écrivaines de son temps a pu se mêler à la connivence littéraire, comme en témoignent ses correspondances entretenues avec Pilar Paz Pasamar, María Zambrano, María Cegarra Salcedo et surtout avec sa grande amie Ernestina de Champourcín. Peut-être est-ce la raison pour laquelle Susana March la considère comme « la mère de toutes les femmes qui ont écrit des vers à partir des années quarante4 », prodiguant conseils et aidant les jeunes autrices, rédigeant préfaces de recueils et biographies.

En effet, si ces récompenses sont une juste rétribution du travail de Carmen Conde, elles sont aussi un synonyme de victoire pour toutes les écrivaines espagnoles : avec son entrée à l’Académie royale en 1978 et l’accueil médiatique qui en a découlé, la lutte menée contre les figures de la vieille Espagne, sa politique autoritaire et l’incompréhension vécue par les femmes, dont elle-même avait été victime, a fini par triompher. Carmen Conde a su bien plus que se frayer une place de choix dans le monde des arts et élever son œuvre au rang qui lui revenait : l’authenticité et la qualité de sa voix ont inspiré bien des écrivaines après elle. En cela, elle mérite d’être considérée comme l’une des figures les plus importantes de la littérature espagnole de notre temps.

Poèmes

Ante ti

Porque siendo tú el mismo, eres distinto
y distante de todos los que miran
esa rosa de luz que viertes siempre
de tu cielo a tu mar, campo que amo.

Campo mío, de amor nunca confeso;
de un amor recatado y pudoroso,
como virgen antigua que perdura
en mi cuerpo contiguo al tuyo eterno.

He venido a quererte, a que me digas
tus palabras de mar y de palmeras;
tus molinos de lienzos que salobres
me refrescan la sed de tanto tiempo.

Me abandono en tu mar, me dejo tuya
como darse hay que hacerlo para serte.
Si cerrara los ojos quedaría
hecha un ser y una voz: ahogada viva.

¿He venido, y me fui; me iré mañana
y vendré como hoy…?; ¿qué otra criatura
volverá para ti, para quedarse
o escaparse en tu luz hacia lo nunca5?

 

 

Devant toi

Parce qu’en étant toi-même, tu es distincte
et distante de tous ceux qui regardent
cette rose de lumière que tu verses toujours
de ton ciel à ta mer, campagne que j’aime.

Ma campagne, d’un amour jamais déclaré ;
d’un amour réservé et pudique,
comme une vierge antique qui perdure
dans mon corps auprès du tien éternel.

Je suis venue pour t’aimer, pour que tu me dises
tes paroles de mer et de palmiers ;
tes moulins de toile qui salés
étanchent ma soif de si longtemps.

Je m’abandonne dans ta mer, je me fais tienne
comme il faut se donner pour être à toi.
Si je fermais les yeux, je serais
un être et une voix : une noyée vivante.

Je suis venue, et je suis partie ; je m’en irai demain
et je viendrai comme aujourd’hui… ? Quel autre enfant
reviendra pour toi, pour rester
ou s’échapper dans ta lumière vers le jamais ?

 

 

 

 

Hallazgo

Desnuda y adherida a tu desnudez,
mis pechos como hielos recién cortados,
en el agua plana de tu pecho.
Mis hombros abiertos bajo tus hombros.
Y tú, flotante en mi desnudez.

Alzaré los brazos y sostendré tu aire.
Podrás desceñir mi sueño
porque el cielo descansará en mi frente.
Afluentes de tus ríos serán mis ríos.
Navegaremos juntos, tú serás mi vela
y yo te llevaré por mares escondidos.

¡Qué suprema efusión de geografías!
Tus manos sobre mis manos.
Tus ojos, aves de mi árbol,
en la yerba de mi cabeza6.

 

 

Découverte

Nue et attachée à ta nudité,
ma poitrine comme de la glace fraîchement coupée,
dans l’eau lisse de ta poitrine.
Mes épaules ouvertes sous tes épaules.
Et toi, flottant sur ma nudité.

Je lèverai les bras et soutiendrai ton air.
Tu pourras délacer mon rêve
car le ciel se reposera sur mon front.
Des affluents de tes rivières seront mes rivières.
Nous naviguerons ensemble, tu seras ma voile
et je t’emporterai sur des mers cachées.

Quelle suprême effusion de géographies !
Tes mains sur mes mains.
Tes yeux, oiseaux de mon arbre,
dans l’herbe de ma tête.

 

 

 

 

Mientras los hombres mueren os digo yo, la que canta desoladas provincias del Duelo, que se me rompen sollozos y angustias contra barcos de ébano furibundo; y la fruta par de mis labios quema de suspiros porque los cielos se han dejado hincar imprecaciones sombrías.

A los hombres que mueren yo los sigo en su buscar por entre las raíces y los veneros fangosos, pues ellos y yo tenemos igual designio de ensueño debajo de la tierra.

¡Cállense todos los que no se sientan doblar de agonía hoy, día de espanto abrasado por teas de gritos, que esta mujer os dice que la muerte está en no ver, ni oír, ni saber, ni morir7!

 

 

Tant que les hommes meurent je vous le dis, moi, celle qui chante les provinces désolées du Deuil, que mes sanglots et angoisses se brisent contre des navires d’ébène furibond ; et le fruit double de mes lèvres brûle de soupirs car les cieux se sont laissé gonfler de sombres imprécations.

Les hommes qui meurent, moi, je les suis dans leur recherche entre les racines et les gisements boueux, car eux et moi avons un même dessein de rêve sous la terre.

Que se taisent tous ceux qui ne se sentent pas ployés sous le poids de l’agonie aujourd’hui, jour d’effroi brûlé par des torches de cris, car cette femme vous dit que la mort consiste à ne pas voir, ni entendre, ni sentir, ni mourir !

 

 

 

 

Nostalgia de la mujer

Mil años ante Ti son como sueño.
Como de aguas el grosor de una avenida.
Hierba que en la mañana crece,
florece y crece en la mañana
aunque a la tarde es cortada y se seca.

¿Qué es el tiempo ante Ti, qué son los truenos
que blandes contra mí cuando me nombras?
Pavor siento a tu idea, te veo hosco
mirándome en la lumbre de tu Arcángel.
La espada Tú también, eres el filo
y el pomo que se aprieta con el puño.

Para verte a Ti mismo me has nacido.
Por no estar solo con tu omnipotencia.
Soy la nada, soy de tiempo, soy un sueño…
Agua que te fluye, hierba ácida
que cortas sin amor…

                Tú no me quieres8.

 

 

Nostalgie de la femme

Mille ans devant Toi sont comme un songe.
Comme l’eau pour l’épaisseur d’une avenue.
Herbe qui le matin pousse,
fleurit et pousse le matin
bien que le soir on la coupe et elle sèche.

Qu’est-ce que le temps devant Toi, que sont les tonnerres
que Tu brandis contre moi lorsque Tu me nommes ?
Que d’effroi m’inspire ton idée, je te vois hostile
me regardant au feu de ton Archange.
L’épée Toi aussi, Tu en es le fil
et le pommeau que l’on serre avec le poing.

Pour te voir Toi-même Tu me fis naître.
Pour ne pas être seul avec ta toute-puissance.
Je suis le néant, je suis faite de temps, je suis un rêve…
Eau qui jaillit de Toi, herbe acide
que Tu coupes sans amour…

                Tu ne m’aimes pas.

 

 

 

 

Las mañanas, redondas y luminosas, ven a las muchachas de la huerta [camino de la fuente…
La campana del cántaro, a la cabeza. Los brazos, sujetando el cielo9.

 

 

Les matins, ronds et lumineux, voient les jeunes filles de la campagne en [route vers la fontaine…
La cloche de la cruche, sur la tête. Les bras, soutenant le ciel.

 

 

 

 

Tránsito

Luego de la luz era la Luz.
Después estaba el mar y con el mar
un ansia de morir siendo su vida.
Mi alma sola, sueño liso respiraba

por sus ramas silenciosas de agua quieta.
Otros seres que achicaban mi estatura
ascendían en un vuelo transparente.

Ya estos días que reciben mi presencia
iban lejos de mi tiempo…
un silencio de latidos resonaba.

Arriba de mi aurora cantó un pájaro
y yo lo repetí con inefable
claridad sin horizonte ni medida10.

 

 

Passage

Après la lumière il y avait la Lumière.
Puis il y avait la mer, et avec la mer
ce désir de mourir dont pourtant dépend sa vie.
Mon âme seule respirait un rêve lisse

dans ses branches silencieuses d’eau calme.
D’autres êtres qui me faisaient me sentir frêle
s’élevaient dans un vol transparent.

Déjà ces jours qui reçoivent ma présence
s’en allaient loin de mon temps…
un silence de battements résonnait.

En haut de mon aurore chanta un oiseau
et je le répétai d’une ineffable
clarté sans horizon ni mesure.

 

 

 

 

El Escorial

Unísona unidad compacta. Bajo retumbante que las montañas sostienen. Trazado indeleble en la abierta llanura. La luz que te señala en las noches de fuegos, revela tu arquitectura a la Toledo del alfanje líquido.

¿Quién, si no tiene un alma oceánica, puede resistirte el frente a frente, desnudos los dos de ternuras, en híspidos inviernos como los tuyos?

He puesto mis manos sobre tu roca amartillada, domada, hecha carmen de ardores, y nos hemos trasvasado el calor que nada ni nadie apaga11.

 

 

L’Escurial

Unité compacte à l’unisson. Basse retentissante que les montagnes soutiennent. Trace indélébile sur la plaine ouverte. La lumière qui te signale dans les nuits de feux, révèle ton architecture à la Tolède du cimeterre [liquide.

Qui, sans âme océanique, peut soutenir ton face à face, tous deux nus de tendresse, dans des hivers hispides comme les tiens ?

J’ai posé mes mains sur ton rocher martelé, dompté, fait chant d’ardeurs, et nous nous sommes transvasé la chaleur que rien ni personne n’éteint.

 

 

 

 

Pongo las manos donde las ponías tú
por si arañan algún rescoldo que no se hubiera apagado
y pudiera incorporármelo al mío tenaz de ti.

Deslizo los dedos por la mesa, los papeles, las carpetas
y sonrío, aprendo a hacerlo ahora que te busco,
a tu desorden tan vituperado por mi orden
cronológicamente horrendo y doloroso.

Las huellas no persisten. Una quisiera hallarlas
cicatrizándoles cuanto quedó fijo.
Miro las paredes que tanto mirabas tú sufriéndolas,
y no recupero tu mirada.

Por fuera no te encuentro. Feroz asedio vano.
Es dentro de mí, célula por célula,
dándome la vuelta al cuerpo esta ronca sangre
que ya no tiene buen soporte,
como me aboco a ti.

Pero sigo acariciando los brazos de tu sillón mío ahora
en el que te morías gota a gota ante mi angustia
infinitamente volcada.

Perduro quieta, arregazándome en tu vacío
porque, a ojos cerrados, te tengo en mí12.

 

 

Je pose les mains là où tu les posais
au cas où elles frôleraient des braises qui ne se seraient pas éteintes
et où je pourrais les incorporer aux miennes tenaces de toi.

Je fais glisser mes doigts sur la table, les papiers, les dossiers
et je souris, j’apprends à le faire maintenant que je te cherche,
à ton désordre tant réprimandé par mon ordre
chronologiquement horrible et douloureux.

Les traces ne persistent pas. On aimerait les trouver encore,
avant qu’elles n’aient cicatrisé ce qui est désormais figé.
Je regarde les murs que tu regardais empli de souffrance,
et je ne récupère pas ton regard.

Dehors, je ne te trouve pas. Siège féroce et vain.
C’est en moi, cellule par cellule,
ce sang enroué faisant le tour de mon corps
qui n’est plus stable,
que j’arrive à toi.

Mais je continue à caresser les bras de ton fauteuil désormais mien
Dans lequel tu te mourais goutte à goutte devant mon angoisse
infiniment versée.

Je reste immobile, me blottissant dans ton vide,
parce que, les yeux fermés, je t’ai en moi.

Bibliography

Champourcín Ernestina de et Conde Carmen, 2007, Epistolario (1927-1995), éd. Rosa Fernández Urtasun, Madrid, Castalia, coll. « Literatura y sociedad ».

Ciplijauskaité Biruté, 1996, « Apostilla a una polémica: J.R. Jiménez y los poetas del 27 », Revista canadiense de estudios hispánicos, vol. 21, no 1, p. 77-85.

Conde Carmen, 2007, Poesía completa, éd. et préface Emilio Miró, Madrid, Castalia.

Díez de Revenga Francisco Javier (dir.), 2007, Carmen Conde: voluntad creadora (1907-1996), Madrid, Sociedad Estatal de Conmemoraciones Culturales.

Notes

1 Nous traduisons « A los niños muertos por la guerra » (Conde, 2007, p. 173).

2 Nous traduisons « Cuando mi vida se acabe / cógeme tú de la mano » (Conde, 2007, p. 677).

3 Emilio Miró, « Cita con la vida: Júbilo y Corrosión » (Conde, 2007, p. 23).

4 Nous traduisons « la madre de todas las mujeres que han escrito versos a partir de los años cuarenta » (Díez de Revenga, 2007, p. 67).

5 Tiré du recueil Los poemas de Mar Menor, in Conde, 2007, p. 551. Le droit d’auteur de tous les poèmes originaux appartient au Patronato Carmen Conde-Antonio Oliver. Reproduit et traduit avec l’aimable autorisation du Patronato Carmen Conde-Antonio Oliver.

6 Tiré du recueil Ansia de la Gracia, in Conde, 2007, p. 207.

7 Tiré du recueil Mientras los hombres mueren, in Conde, 2007, p. 161.

8 Tiré du recueil Mujer sin Edén, in Conde, 2007, p. 297-298.

9 Tiré du recueil Brocal, in Conde, 2007, p. 92.

10 Tiré du recueil Ansia de la Gracia, in Conde, 2007, p. 213.

11 Tiré du recueil Mío, in Conde, 2007, p. 189.

12 Tiré du recueil Corrosión, in Conde, 2007, p. 736-737.

References

Electronic reference

Clara Lecadre, « Carmen Conde (1907-1996) », Voix contemporaines [Online], 03 | 2021, Online since 11 mars 2022, connection on 20 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/voix-contemporaines/index.php?id=345

Author

Clara Lecadre

Amérique latine, Pays ibériques (Ameriber), université Bordeaux Montaigne ; Domaine universitaire, 19 esplanade des Antilles, 33607 Pessac

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