Le fonds des Nations unies de la bibliothèque Cujas

Un exemple de valorisation

DOI : 10.35562/arabesques.1271

p. 20-21

Plan

Texte

Élaborer une politique de valorisation nécessite la connaissance des fonds, l’établissement de conditions minimales de conservation, la garantie de leur accessibilité. Elle n’a de sens que par rapport à ses publics, qu’il faut, en conséquence, bien connaître dans leur diversité et bien définir lors de la mise en œuvre d’actions particulières. Enfin, tout travail de ce type doit relever d’une politique globale de l’établissement concerné et s’intégrer dans le cadre de programmes bien délimités. Depuis quatre années, c’est cette stratégie qui a été appliquée pour valoriser le fonds des Nations unies, détenu par la bibliothèque interuniversitaire Cujas depuis 1949 et enrichi jusqu’en 2010.

Une continuité historique

Le 23 mars 1948, le comité des publications de l’ONU, s’appuyant sur l’ancien système créé en 1938 par la Société des Nations (SDN), établissait un réseau de destinataires bientôt soumis à deux textes cadres : les « principes relatifs aux bibliothèques dépositaires des documents et publications de l’organisation des Nations unies », en date du 20 décembre 1955, et les « instructions à l’intention des bibliothèques dépositaires », du 27 mars 1964. Ces textes furent révisés régulièrement jusqu’aux versions actuellement en vigueur, respectivement des 18 août et 5 mars 1995. Le but de ce réseau est que « le public puisse avoir accès dans le monde entier aux documents et publications de l’Organisation des Nations unies ». Les bibliothèques nationales et parlementaires des pays reçoivent gratuitement la documentation, tandis que les autres dépositaires acquittent une contribution annuelle « au titre des dépenses du fonctionnement du système ». Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, Cujas entre donc dans ce réseau avec trois autres bibliothèques : l’actuel SCD de l’université Bordeaux 4, la BNU de Strasbourg et Sciences-Po Paris. Ce dépôt fut négocié par Mme Suzanne Bastid (1906-1995)1, professeur de droit international à la Faculté de droit de Paris, membre du tribunal administratif des Nations unies en 1949, tribunal qu’elle préside ensuite de 1953 à 1963. Le fait d’être dépositaire conforte un positionnement ancien de la bibliothèque Cujas qui procédait déjà, en 1921, à des échanges avec le Bureau international du travail (BIT) et la SDN ou, en 1923, avec la Cour permanente de justice de la Haye, à l’initiative de Ferdinand Larnaude, doyen de la Faculté de droit de Paris, et d’E. Bouvy, bibliothécaire en chef. Dans les années 1940-1950, la bibliothèque a enrichi ses collections des dépôts de l’OCDE, de la Banque mondiale, du FMI, de l’OTAN, de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI), etc., tandis qu’en 1963, elle devient également Centre de documentation européenne.

Un service spécifique

Un service dédié (dès 1956 au moins) fut créé et, durant plusieurs dizaines d’années, compta de deux à cinq personnes. Tout apparentait le service des publications internationales à une petite bibliothèque dans la bibliothèque. Réception, bulletinage, inventaire, catalogage, traitement des factures et des réclamations, mise à disposition, renseignement au lecteur lui incombaient. Une partie des collections se trouvait en libre accès dans une petite salle ouverte en 1988 ; une autre part était conservée dans une réserve propre ; le reste observait le circuit normal des périodiques et monographies. En 1981, on comptabilise 1 100 demandes pour 3 500 documents de la part de 380 lecteurs pour les documents de travail des Nations unies2. Les années 1990 sont un tournant. L’essor d’Internet et de ressources nombreuses mises en ligne par les Nations unies elles-mêmes marquent une désaffection du lectorat et un relatif déclin du service. Celui-ci devient un corps à part dans l’établissement, submergé par des centaines de dons (281 titres en 2009) dont plusieurs sans réel intérêt pour les disciplines de la bibliothèque.

État des lieux et valorisation

En 2008, une étude fut lancée pour réintroduire le service dans le circuit normal de la bibliothèque. Un audit réalisé en interne a permis de distinguer deux axes de travail : former/informer sur les ressources internet et mettre en valeur le caractère patrimonial de la collection. Au préalable, il a fallu adapter les dons reçus aux usagers de la bibliothèque et, en priorité, aux doctorants et chercheurs en droit international ou en sciences politiques. Une étude approfondie, organisme par organisme, a été enclenchée pour délimiter un nouveau cadre documentaire, hors duquel les publications reçues ne seraient plus conservées. L’année 2009 vit ainsi la suppression du dépôt de quelques organismes satellites des Nations unies, et, dans un second temps, de celui des documents officiels, s’inscrivant ainsi dans les orientations de l’ONU pour une politique d’offre en ligne de plus en plus étendue via son site Unbisnet3. De nouvelles acquisitions permirent ensuite d’étayer des thématiques précises restées lacunaires. Enfin, les amples ressources électroniques auxquelles la bibliothèque est abonnée consolident encore l’offre courante. Le libre accès a été réorganisé, passant de la petite salle dédiée peu fréquentée à des rayonnages spécifiques au sein de la salle de lecture générale, rendant plus visibles les ouvrages de référence et les instruments de recherche. En parallèle, un Guide des documents de l’ONU (mai 2011), en accès libre sur le portail de la bibliothèque, régulièrement présenté aux lecteurs mais aussi en interne aux collègues de l’établissement, a été rédigé en tenant compte des changements rapides des technologies de l’information et de la communication ainsi que des nouveaux moyens de diffusion de l’information.

L’inventaire via Calames

Il restait à valoriser les cartons d’archives, quelque peu tombés dans l’oubli depuis une dizaine d’années. Ces archives sont constituées des documents mimeographed (ronéotypés), à savoir les documents de travail des grands organes de l’ONU : Assemblée générale, Conseil de sécurité, Conseil de tutelle, Conseil économique et social, Secrétariat et quantité d’autres fonds ou programmes onusiens : Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), FAO, Agence internationale sur l’énergie atomique (AIEA), etc., stockés dans 3 788 boîtes, sur près de 400 mètres linéaires. Suite à un audit de la mission archives du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, le projet de traiter ce fonds dans Calames a été lancé. Après un dédoublonnage réalisé à l’été 2010 (40 ml pilonnés soit 429 cartons) eut lieu, durant 4 mois, le récolement à partir des indications portées sur les cartons, héritage précieux du travail réalisé par les bibliothécaires successifs qui reportaient avec précision sur chaque boîte l’organisme émetteur, les dates butoirs, parfois quelques mots-clés et, surtout, les cotes ONU correspondantes, dans le respect de son système de classification unique.

La salle de réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

La salle de réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

Phot. Bernd Untiedt sur Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Cette nomenclature donne un langage commun avec nos lecteurs spécialistes de ce domaine. Ce récolement a permis ensuite de construire l’inventaire par organismes émetteurs et, enfin, d’en réaliser la saisie sur l’outil Calames. Cette avancée est extrêmement positive à plus d’un titre : le fonds sort de son anonymat ; la grande précision dans le descriptif des notices et l’ergonomie très souple de la base Calames permettront des enrichissements ultérieurs en cas de dépouillement plus fin des cartons ; enfin, il est possible de faire des recherches par mots-clés, par feuilletage de l’inventaire et, aussi par cote ONU, ce qui était le véritable enjeu de ce catalogue en ligne. Cette valorisation s’est accompagnée d’une meilleure conservation par un reconditionnement en réserve en boîtes de carton neutre. Une enquête, réalisée en mai 2010 et relayée par le Bulletin de l’école doctorale de droit international et européen (n° 77, juin 2010) de l’université Paris 1, a montré un besoin d’informations des étudiants sur l’existence de ce fonds. Notre projet est d’intensifier les liens avec des centres de recherche ou des laboratoires susceptibles d’être intéressés par notre documentation et de l’exploiter scientifiquement. Des demandes récentes de chercheurs démontrent déjà tout son potentiel. Ainsi, il y a peu, les cartons du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), sur la période 1949-1993, ont été dépouillés par un enseignant de Sciences-Po Bordeaux, en vue de réaliser une base de données sur ce thème. À Paris, un doctorant a pu consulter les travaux du Conseil de sécurité et de la CNUCED, entre 1946 et 1980, à l’appui de sa thèse portant sur le Brésil et le Mexique dans le multilatéralisme onusien depuis 1945. Sans avoir la prétention de se substituer aux fonds d’archives de Genève ou de New York, il est bien certain que la bibliothèque Cujas offre actuellement, dans le paysage documentaire français, le fonds sur les Nations unies le plus complet, et maintenant bien inventorié.

1 Note à Gloria M. Leo, chef de section des acquisitions à New York, 20/02/1981 [archives du service]. Mme Bastid est la fille de Jules Basdevant et

2 A. H. Weber, conservateur en chef à la BIU Cujas, à Cornel Metternich, directeur de l’United Nations Information Center Paris, 23/09/1982 [archives

3 UN Bibliographic Information System : http://unbisnet.un.org/

Notes

1 Note à Gloria M. Leo, chef de section des acquisitions à New York, 20/02/1981 [archives du service]. Mme Bastid est la fille de Jules Basdevant et l’épouse du ministre Paul Bastid.

2 A. H. Weber, conservateur en chef à la BIU Cujas, à Cornel Metternich, directeur de l’United Nations Information Center Paris, 23/09/1982 [archives du service].

3 UN Bibliographic Information System : http://unbisnet.un.org/

Illustrations

La salle de réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

La salle de réunion du Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

Phot. Bernd Untiedt sur Wikimedia Commons (CC BY-SA 3.0)

Citer cet article

Référence papier

Catherine Désos-Warnier, « Le fonds des Nations unies de la bibliothèque Cujas », Arabesques, 67 | 2012, 20-21.

Référence électronique

Catherine Désos-Warnier, « Le fonds des Nations unies de la bibliothèque Cujas », Arabesques [En ligne], 67 | 2012, mis en ligne le 06 janvier 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1271

Auteur

Catherine Désos-Warnier

Catherine Désos-Warnier est adjointe au chef de département des périodiques de la Bibliothèque interuniversitaire Cujas / http://biu-cujas.univ-paris1.fr

Catherine.Desos-Warnier@univ-paris1.fr

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