Les licences nationales, ailleurs…

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Comment les licences nationales sont-elles mises en place au-delà de notre périmètre national ? Arabesques vous propose un petit détour par le Japon et l’Irlande pour illustrer la diversité des approches en fonction du cadre institutionnel et des besoins exprimés par les professionnels. Propos recueillis et traduits par Carole Melzac, coordinatrice du pôle Achat de documentation électronique de l’ABES.

Au Japon : la structuration préalable à l’achat

Propos recueillis auprès de Yasuko Shibata et des membres du secrétariat du consortium JUSTICE (Akikazu Imamura, Fumiyo Moriya, Yutaro Fujie, Koichi Ojiro, Ayuko Nishiwaki).

Pourriez-vous décrire succinctement le consortium JUSTICE ?

JUSTICE est un nouveau consortium résultant de la réunion des deux consortia de bibliothèques universitaires qui existaient au Japon : Japan Association of National University Libraries Consortium (JSNUL) et Private and Public University Library Consortium (PULC). JUSTICE a été mis en place en avril 2011, avec le soutien du National Institute of Informatics (NII).
JUSTICE s’est donné pour mission de contribuer à l’amélioration de l’infrastructure documentaire au niveau national ; cela recouvre l’acquisition, la gestion et la conservation des ressources électroniques, mais également la formation continue du personnel des bibliothèques. Par ressources électroniques, nous entendons aussi bien les périodiques électroniques que les e-books et les bases de données en ligne.

Quels sont les projets nationaux via ce consortium ?

Le projet de JUSTICE est d’aller au-delà du travail sur les licences en s’impliquant dans la chaîne complète de la documentation électronique. Tout d’abord, bâtir une collection nationale de ressources électroniques, à partir d’archives de périodiques et de ressources électroniques couvrant le champ des sciences humaines et sociales. Le second objectif est d’améliorer l’usage et la gestion des ressources acquises, avec un ERMS (Electronic Resources Management System) et des services de découvertes, et le troisième d’assurer l’archivage pérenne, ainsi qu’une garantie d’accès, en prenant part au dispositif CLOCKSS. Enfin nous souhaitons développer les compétences par une offre de formation permanente.

Quel est l’environnement institutionnel de la recherche et de l’enseignement supérieur au Japon ?

C’est difficile de répondre en quelques mots, les avis sont multiples sur le paysage de la recherche japonaise. Pour donner quelques chiffres, il y a 86 universités nationales, 95 universités publiques (préfectorales ou municipales) et 599 universités privées, soit près de 780 institutions au total. Dans ce foisonnement, JUSTICE, en regroupant les membres de JSNUL et PULC, compte près de 500 membres.

Comment se passe la collaboration ?

Plutôt bien ; et les deux autres consortia thématiques japonais, Japan Medical Library Association (JMLA) et Japan Pharmaceutical Library Association (JPLA), sont désireux de collaborer avec JUSTICE. Plus précisément, ils voudraient une démarche commune envers les éditeurs pour renforcer encore le poids de JUSTICE et bénéficier en retour des conditions négociées.

Les membres du secrétariat du consortium Justice.

Les membres du secrétariat du consortium Justice.

De g. à dr. : Akikazu Imamura, Fumiyo Moriya, Yutaro Fujie, Koichi Ojiro, Ayuko Nishiwaki, Yasuko Shibata

De quel budget disposez-vous ?

JUSTICE n’a actuellement pas de financement stable qui nous assurerait une visibilité à long terme. En 2011, nous avons bénéficié de 500 millions de yens [environ 500 000 €] de la part du NII. Les membres du secrétariat (3 ETP) sont payés par leurs universités de rattachement. Le budget a principalement été affecté aux frais de fonctionnement.

Comment les acquisitions au niveau national, de la sélection à l’achat, sont-elles organisées pour les ressources courantes ?

Au départ, c’est le secrétariat de JUSTICE qui effectue le travail de sélection. Nous recevons toutes les propositions et décidons si l’acquisition est pertinente ou non. Après cette pré-sélection, nous soumettons les propositions au comité de pilotage. Le comité, accompagné de bibliothécaires, mène alors les négociations avec les éditeurs au sujet du prix et des conditions d’utilisation.
Nous sélectionnons les ressources autant sur proposition des éditeurs que selon la remontée des besoins exprimés par les membres de JUSTICE. Chaque bibliothèque ou bibliothécaire peut requérir l’achat d’une ressource qui lui semble intéressante ; JUSTICE se charge alors d’obtenir une proposition de l’éditeur. Si la négociation menée par le comité aboutit, JUSTICE met l’offre à disposition de ses membres. Les bibliothèques se positionnent alors sur la proposition négociée.

Tokyo University arches.

Tokyo University arches.

L’université de Tokyo a été fondée en 1877.

Photo: Stefano Costanzo sur Fotopedia (licence CC BY-NC 3.0)

L’achat d’archives sous forme de licence nationale est-il perçu comme un premier pas ?

Oui. L’une des missions de JUSTICE est d’acquérir, pour commencer, des archives de périodiques et des bases de données en sciences humaines et sociales (comme House of Commons Parliamentary Papers, Making of Modern World), en leur assurant un accès pérenne. Nous voyons ces achats d’archives comme une contribution décisive au développement de l’ensemble des institutions japonaises réunies dans JUSTICE.

Quelles priorités avez-vous fixées pour la suite ?

JUSTICE, comme les autres consortia dans le monde, considère que les abonnements courants aux périodiques électroniques, majoritairement en sciences dures, sont d’une importance capitale. Mais nous voulons aussi nous consacrer à des achats concernant les sciences humaines et sociales (SHS).
Voilà donc nos priorités : les abonnements courants et les contenus en SHS.

Prévoyez-vous des achats en langue japonaise ?

Pas vraiment. Concernant les ressources électroniques en japonais, il y a une forte demande pour les bases de presse. Nous recevons aussi quelques sollicitations pour des périodiques écrits en japonais. Mais JUSTICE n’a encore jamais négocié avec des éditeurs nationaux.

Quelles seraient vos remarques pour conclure ?

Fin 2011, JUSTICE a lancé une enquête sur les archives à destination de tous ses membres. À partir des résultats de ce sondage, nous débattrons de l’achat d’archives de périodiques en licence nationale. Ce symposium sur l’achat d’archives sur une base nationale se tient en février 2012 et un membre de Couperin [André Dazy] est notre invité. JUSTICE espère beaucoup de ces échanges inter-consortium et envisage de les développer à l’avenir.

En Irlande : l’achat massif de ressources courantes, un modèle ambitieux mais fragile

Propos recueillis auprès de Fiona McGoldrick, responsable d’IRIS, et John Fitzgerald, directeur de la bibliothèque de l’University College Cork

Pouvez-vous décrire l’infrastructure irlandaise pour les achats nationaux ?

Il faut distinguer deux structures : IRIS et IReL.
IRIS a été créée au départ pour mettre en place un catalogue informatisé et organiser le prêt entre bibliothèques en Irlande. La société est détenue uniquement par les universités ; c’est l’équivalent d’une association reconnue d’utilité publique et dans son conseil d’administration siègent les directeurs des sept universités irlandaises. Cette structure sert dorénavant exclusivement à la coordination du programme Irish e-library, IReL.
IReL est le programme de mise à disposition des ressources électroniques (périodiques scientifiques, bases de données et livres électroniques) pour les établissements d’enseignement supérieur : les sept universités irlandaises, le Royal College of Surgeons in Ireland [institution nationale pour la formation médicale et paramédicale] et les instituts de technologie. Le conseil d’administration d’IRIS pilote la politique de IReL et bénéficie, par ce biais, de 2,5 salariés (ETP) basés à la bibliothèque de l’une des universités partenaires, l’University College of Dublin. Ces personnes assurent les tâches d’administration relatives à IReL : suivi des négociations, préparation des licences, commande et mise en paiement des ressources, compilation et exploitation des statistiques, rapport financier.

Cela a-t-il représenté un défi que de faire travailler ensemble toutes ces institutions ?

Non, car les universités irlandaises, et en particulier leurs bibliothèques, ont une longue tradition de collaboration.

Pouvez-vous expliquer le mode de gouvernance du programme IReL ?

La gouvernance est assurée par un comité directeur (Steering Group) et un comité de pilotage (Monitoring Group). Le comité directeur comprend un représentant de chaque bibliothèque pour les institutions concernées ainsi que le personnel affecté à IRIS. Il se réunit régulièrement pour évaluer les offres des éditeurs, faire le bilan des dépenses et discuter des clauses de licences. L’information et les rapports de négociation sont coordonnés par IRIS.
Le comité de pilotage se compose également de représentants des bibliothèques et des permanents d’IRIS. Il assure la promotion d’IReL et évalue sa performance. Il rédige le rapport statistique annuel, basé sur la compilation des données assurée par IRIS, et conduit des études d’usage plus ponctuelles. Il rend des avis pour que soit maintenue une couverture suffisante et adéquate des ressources en fonction des besoins des chercheurs, amenés à évoluer.

University College Cork, université irlandaise fondée en 1847 à Cork.

University College Cork, université irlandaise fondée en 1847 à Cork.

Photo: Kman999 sur Flickr (licence CC BY-NC-ND 2.0)

Pouvez-vous présenter le processus de sélection des ressources à acquérir ?

Le choix des ressources acquises via IReL reflète clairement l’orientation de ses financeurs : la Science Foundation Ireland (SFI) et la Higher Education Authority (HEA). Je pense qu’il faut revenir un peu sur l’historique pour mieux comprendre.
SFI est une agence gouvernementale financée par le ministère de l’Entreprise et de l’Innovation. Elle a été mise en place à la suite d’une étude commandée par le gouvernement irlandais en 1998. Des personnalités influentes, issues des milieux politiques, académiques et industriels, se sont penchées sur l’économie irlandaise, de l’industrie pharmaceutique à la biologie, des transports au secteur manufacturier, et ont cherché à savoir comment ces domaines pouvaient évoluer sur le long terme. Leur conclusion fut la suivante : les biotechnologies et les technologies de l’information et de la communication représentent les moteurs de la croissance future. En conséquence, des capacités de recherche de niveau mondial, développées par niches dans ces deux domaines majeurs, sont essentielles pour poser les bases d’un développement à venir.
SFI fut mis en place en 2000 pour gérer le Technology Foresight Fund [dotation pour les technologies d’avenir]. Le troisième domaine de recherche, sur les énergies renouvelables et les économies d’énergie, a été ajouté par la suite aux attributions de SFI.
HEA est l’instance politique de développement et de planification pour l’enseignement supérieur et la recherche en Irlande. Le HEA a un rôle consultatif sur l’ensemble du secteur de l’enseignement supérieur, mais c’est surtout le pourvoyeur de fonds des universités, des instituts de technologie et d’autres institutions ayant des missions d’enseignement supérieur.
En tant qu’autorité qui finance les universités, la HEA a apporté son soutien à la première phase d’acquisition qui a porté sur les sciences dures (2004-2008), en élargissant le spectre d’IReL à d’autres disciplines que celles favorisées par le SFI. Depuis 2006, suite à des initiatives financées via le Programme for Research in Third-Level Institutions [Programme pour développer la recherche dans l’enseignement supérieur], il a fourni des subventions complémentaires pour acquérir des ressources en sciences humaines et sociales. Et voilà comment IReL s’est trouvé partie prenante de tous les grands domaines de recherche des universités.

Pourquoi avoir choisi d’acheter de suite des ressources courantes et non des archives ?

Les directives de SFI étaient de venir en complément de l’offre documentaire déjà fournie par les universités, en mettant l’accent sur les périodiques électroniques courants, les revues à haut facteur d’impact et soumises à peer review. En réalité, c’était tout simplement la demande des chercheurs.

Comment les négociations se sont-elles déroulées ?

Nous avons fait appel à des négociateurs professionnels, Content Complete [désormais incorporé à JISC Collections], qui ont rendu des comptes détaillés, au moyen de rapports hebdomadaires et de rapports d’étape sur les économies réalisées par rapport aux souscriptions individuelles.

Et quel a été votre budget initial ?

Le programme a été lancé en deux phases. La première, consacrée à des acquisitions en sciences, technologies et médecine (STM), de 2004 à 2008, a bénéficié de 4,5 millions d’euros par an. La seconde, pour des acquisitions en sciences humaines et sociales (SHS), de 2006 à 2009, a bénéficié d’environ 4,2 millions d’euros par an. Au total, cela nous fait près de 40 millions d’euros.

La crise, nationale puis mondiale, a-t-elle porté atteinte à ces généreuses dotations ?

Absolument. Nos subventions se réduisent chaque année depuis 2009 : moins 12 % par an en moyenne jusqu’à 2011. En 2012, nous tablons sur une baisse de 2 %, sans certitude définitive sur les subventions. Nous avons dû interrompre certains abonnements à partir de 2010. Mais finalement, nous pouvons nous considérer comme très chanceux d’avoir pu maintenir la grande majorité des titres dans un contexte très tendu.

Avez-vous pu organiser la continuité d’accès aux contenus auxquels vous n’êtes plus abonnés ?

Malheureusement, la plupart du temps, non. Nous avons pour certaines ressources des CD de données, ce qui n’est évidemment pas satisfaisant pour un achat au niveau national. Nous adhérons à Portico, nous pouvons donc par ce biais maintenir un accès sur certains titres. Mais il est certain que les clauses relatives au « post-cancellation access » attirent maintenant toute notre attention dans la négociation des licences.

Pour finir, comment voyez-vous l’avenir ?

Demandez plutôt leur avis au FMI et à la Troïka ! [rires]. En 2013 et 2014 est prévue une baisse de 5 % pour la partie STM. Pour la partie SHS, le renouvellement des subventions se fera sur une base annuelle, et non plus pluriannuelle, qui laisse augurer un régime similaire. Nous nous attendons à une baisse de nos financements à moyen terme. En fait, notre principal problème est plutôt l’absence de certitude sur les années à venir – nous naviguons à vue.
Et quand bien même IReL a prouvé son efficacité en tant que programme d’achat national et est considéré comme capital par de nombreux chercheurs, il reste nécessaire de fournir des données qualitatives et quantitatives pour légitimer les sommes engagées et convaincre nos financeurs de l’impact décisif de ces achats nationaux.

Illustrations

Les membres du secrétariat du consortium Justice.

Les membres du secrétariat du consortium Justice.

De g. à dr. : Akikazu Imamura, Fumiyo Moriya, Yutaro Fujie, Koichi Ojiro, Ayuko Nishiwaki, Yasuko Shibata

Tokyo University arches.

Tokyo University arches.

L’université de Tokyo a été fondée en 1877.

Photo: Stefano Costanzo sur Fotopedia (licence CC BY-NC 3.0)

University College Cork, université irlandaise fondée en 1847 à Cork.

University College Cork, université irlandaise fondée en 1847 à Cork.

Photo: Kman999 sur Flickr (licence CC BY-NC-ND 2.0)

Citer cet article

Référence papier

« Les licences nationales, ailleurs… », Arabesques, 66 | 2012, 15-17.

Référence électronique

« Les licences nationales, ailleurs… », Arabesques [En ligne], 66 | 2012, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1301

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0