André Miquel à l’honneur à l’université d’Aix-Marseille

DOI : 10.35562/arabesques.1330

p. 18-19

Plan

Texte

Les modalités de collaboration avec les enseignants-chercheurs, bien connues des bibliothécaires et déployées dans toutes les universités, se sont enrichies à l’université d’Aix-Marseille de nouvelles pratiques inspirées par le contexte local. Aussi le SCD de l’Université de Provence1 a-t-il choisi de développer, parce qu’elles accompagnent des secteurs d’excellence de l’université, des collections particulières relatives aux études asiatiques et aux études arabes, organisées autour de dons en provenance de personnalités remarquables.

Ainsi est né le concept d’Espace de recherche et de documentation (ERD) qui valorise les pôles de recherche et d’excellence, tout en assurant une bonne conservation de leur patrimoine écrit. Il s’agit d’accueillir des dons dans des espaces à la fois physiques et virtuels, sortes de « niches documentaires », qui offrent une ambiance de travail originale pour approcher au plus près la création et la recherche.

Après l’installation de l’ERD consacré à l’écrivain dramaturge et peintre chinois Gao Xingjian2, docteur honoris causa de l’université de Provence et prix Nobel de littérature en 2000, c’est le professeur André Miquel qui a été invité à enrichir les fonds consacrés aux études arabes.

Un contexte favorable

Aix-en-Provence s’est imposée, sur le plan national et international, comme un des grands centres d’études arabes et, au-delà, islamiques. Si les études arabes lui doivent leur renommée, c’est parce qu’une longue lignée d’enseignants et de chercheurs éminents, dont le professeur Roger Le Tourneau et le professeur André Raymond, ont œuvré ici à leur développement. Avec l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (IREMAM), le Département d’études moyen-orientales de l’université de Provence constitue un pôle d’excellence des études arabes. Les collections du SCD sont alimentées de façon régulière par les chercheurs de ce département et elles sont d’autant plus riches dans cette discipline que le SCD héberge un CADIST sur l’histoire des sciences arabes et sur la civilisation arabo-musulmane classique.

André Miquel, donateur

Pourquoi André Miquel a-t-il choisi de donner sa bibliothèque de travail et ses manuscrits à l’université de Provence ? Chercheur arabisant, André Miquel fut titulaire de la chaire de langue et littérature arabes à Aix-en-Provence, au début de sa carrière en 1962. Il s’est depuis lors constitué une bibliothèque de travail propre à susciter la curiosité des jeunes doctorants engagés dans cette discipline. Au contact d’un de ses anciens élèves et ami, Pierre Larcher, professeur de linguistique arabe à l’université de Provence, l’idée lui est venue de revenir aux sources et de proposer sa bibliothèque au SCD de l’université.

Sollicitée, et bien que n’étant pas spécialiste des études arabes, j’ai répondu « oui » immédiatement, reconnaissant en André Miquel moins le savant que l’auteur du rapport éponyme qui a servi de livre de chevet à toute une génération de bibliothécaires. André Miquel, rappelons-le, avait été aussi administrateur général de la Bibliothèque nationale de 1984 à 1987 et était – et reste toujours – tout particulièrement attaché à la cause des bibliothèques.

J’ai donc rencontré André Miquel. Puis, avec Nelly Kuntzmann, responsable des collections au SCD, nous avons fait une première expertise du fonds. Ce qui ne devait être au départ qu’un don de livres est rapidement devenu le don d’un fonds entier, livres et archives, que nous avons déménagé depuis sa maison de campagne en Champagne jusqu’à notre bibliothèque des Lettres et Langues sur le campus aixois. L’ERD André Miquel a été inauguré en avril 2011.

Kalîla wa-Dimna, un des « trésors » de l’ERD André Miquel.

Kalîla wa-Dimna, un des « trésors » de l’ERD André Miquel.

Photo : Université de Provence

Un fonds diversifié

L’ERD est constitué de la documentation de travail d’André Miquel (en français, en arabe et en différentes autres langues), de son œuvre scientifique (portant sur la civilisation arabo-musulmane et les sciences arabes, la géographie du monde musulman, la littérature arabe classique et contemporaine, la grammaire et la linguistique arabe et littéraire), de la documentation ayant accompagné la traduction des Mille et une nuits ainsi que de son œuvre littéraire complète et de ses traductions.

Des dossiers documentaires ont été constitués, portant la trace de son passage à la Bibliothèque nationale et de son engagement en faveur des bibliothèques universitaires. L’ERD compte environ 2 500 livres, reflets de son activité d’analyste et de traducteur de la littérature arabe classique, dans ses trois genres fondamentaux : poésie, récit, littérature technique.

Selon Pierre Larcher, quelques trésors jalonnent les rayons de cette bibliothèque dont deux, tout particulièrement, méritent d’être nommés :

« D’abord, Kalîla wa-Dimna d’Ibn al-Muqaffa‘ (m. 139/756), adaptation arabe de la version pehlevie des fables indiennes de Bidpaï, qui fut sa première traduction publiée chez Klincksieck en 1957. L’exemplaire de sa bibliothèque est presque la plus ancienne édition imprimée arabe : elle date de 1251H3 (=1835), la toute première étant de 1248H, les deux imprimées à Bûlâq. La valeur de son exemplaire tient au fait qu’il est couvert de notes manuscrites. Ensuite, le Dîwân de Mutanabbî (m. 354/965), avec le commentaire du grammairien ‘Ukbarî (m. 616/1219), imprimé à Bûlâq en 1308H (=1891). Ce n’est certes pas la plus vieille édition imprimée – la première remonte à 1261H (=1845) –, mais, là encore, la valeur de l’exemplaire est augmentée par le fait qu’il a appartenu à son maître Régis Blachère, qui contesta jadis l’attribution du commentaire à ‘Ukbarî ».

L’alcôve « Excursion dans la littérature arabe moderne ».

L’alcôve « Excursion dans la littérature arabe moderne ».

Photo : Université de Provence

Concernant la typologie des documents, comme dans l’ERD Gao Xingjian, on y trouve toutes les formes : du manuscrit à l’ouvrage imprimé, en passant par les tapuscrits, les épreuves corrigées, la correspondance et les critiques ainsi que des dossiers d’archives contenant les textes de cours et de conférences, prononcés en France et à l’étranger. Les collections confiées au Collège de France, dont il fut l’administrateur de 1991 à 1997, ont également été rapatriées en Provence.

« L’attractivité » étant constitutive du concept d’ERD, une exposition permanente retrace l’itinéraire d’André Miquel. Pour la réaliser, il a gratifié l’ERD d’un texte inédit « Je ne suis pas né avec l’amour des bibliothèques », consacré à son cheminement parmi les livres et spécialement écrit pour accompagner sa donation.

Ce texte a servi de support non seulement à l’exposition pérenne4 présentée dans l’ERD, mais aussi à l’organisation des collections et à la création d’un site web, consacré à sa vie et à son œuvre5. Ces trois projets (exposition, espace documentaire et site web) ont été réalisés avec la collaboration du service des collections, du CADIST, dont la responsable est Nicole El-Ajmi, et d’une petite équipe de concepteurs spécialisés dans la réalisation d’expositions et de sites web. À chaque étape, le professeur Pierre Larcher a été sollicité en tant qu’expert de la discipline.

De nouvelles perspectives

Notre objectif actuel est le développement du site web avec l’enrichissement du catalogue grâce à un accès au texte intégral. Avec le concours du professeur Larcher, quelques ouvrages ont été identifiés pour être numérisés et mis en ligne. Ce projet cofinancé par l’université de Provence et la Bibliothèque nationale de France, dans le cadre du Pôle associé « Échanges en Méditerranée » est en cours d’achèvement. Les ouvrages suivants seront bientôt accessibles :

  • l’édition en arabe des Mille et une nuits, en quatre volumes, éditée au Caire en 1910, collationnée et corrigée d’après l’édition de Bûlâq de 1862, annotée de la main d’André Miquel. Cette édition fait référence. Elle a servi de base à la traduction d’André Miquel et Jamel Eddine Bencheikh, parue dans « La Pléiade » en 2005-2006.
  • Dîwân, le recueil du poète Al-Mutanabbî, en deux volumes, édité en 1891 au Caire et accompagné d’un commentaire du grammairien ‘Ukbari.

Pour conclure

L’exploration et l’exploitation de ces collections particulières intéressent de jeunes chercheurs, d’ici ou d’ailleurs, et donnent à notre bibliothèque une visibilité internationale. Cet exemple, comme celui de l’ERD Gao Xingjian, illustre à quel point la bibliothèque est en devenir, et combien, plus que tout autre équipement culturel ou éducatif, ses missions sont en perpétuelle évolution ; son insertion plus grande dans l’université lui permet de se mettre en résonance avec les perspectives de la recherche, en les valorisant avec les moyens qui sont les siens. Il montre que, finalement, la bibliothèque, injustement considérée comme une institution traditionnelle de conservation de la mémoire écrite, n’a jamais failli à sa vocation à innover et à se transformer. Se situer sur le terrain de la valorisation des savoirs lui permettra sans aucun doute une meilleure intégration dans l’université.

Le rapport Miquel sur les bibliothèques universitaires

Ce rapport, remis en 1989, constitue une date charnière dans l’histoire des bibliothèques universitaires françaises. La commission Miquel, composée d’universitaires et de professionnels des bibliothèques, a dressé un constat sans concession de la situation des bibliothèques universitaires et a défini une politique, aussi vaste qu’ambitieuse, concernant les acquisitions d’ouvrages, les abonnements, les emplois affectés, l’équipement des salles en nouvelles technologies, le prêt à domicile ou le prêt interbibliothèques, les horaires d’ouverture, le budget de fonctionnement et le nombre de places offertes. Le rapport fut accueilli de manière positive par les communautés universitaire et bibliothécaire. Certains articles ont souligné la portée historique du rapport : « Ne serait-ce que par sa seule publication, le rapport Miquel fera sans doute date dans l’histoire des bibliothèques universitaires : c’est la première fois qu’on voit aussi brutalement énoncés les enjeux scientifiques et économiques liés à la mise en œuvre d’une politique nationale en leur faveur » (« BU d’hier et de demain, entretien avec André Miquel », BBF, t. 33, n° 5, 1988). 20 ans après, il demeure un document irremplaçable pour quiconque veut tenter de saisir l’évolution récente des bibliothèques universitaires françaises.

1 Depuis la rédaction de cet article, les trois universités d’Aix-Marseille ont fusionné.

2 http://gsite.univ-provence.fr/gsite/document.php?pagendx=7096&project=scd

3 Les dates indiquées correspondent à celles du calendrier musulman (calendrier hégérien), les dates correspondant à notre calendrier usuel sont

4 Commissaire de l’exposition : Nelly Kuntzmann.

5 http://www.erd-miquel.org

Notes

1 Depuis la rédaction de cet article, les trois universités d’Aix-Marseille ont fusionné.

2 http://gsite.univ-provence.fr/gsite/document.php?pagendx=7096&project=scd

3 Les dates indiquées correspondent à celles du calendrier musulman (calendrier hégérien), les dates correspondant à notre calendrier usuel sont indiquées entre parenthèses.

4 Commissaire de l’exposition : Nelly Kuntzmann.

5 http://www.erd-miquel.org

Illustrations

Kalîla wa-Dimna, un des « trésors » de l’ERD André Miquel.

Kalîla wa-Dimna, un des « trésors » de l’ERD André Miquel.

Photo : Université de Provence

L’alcôve « Excursion dans la littérature arabe moderne ».

L’alcôve « Excursion dans la littérature arabe moderne ».

Photo : Université de Provence

Citer cet article

Référence papier

Martine Mollet, « André Miquel à l’honneur à l’université d’Aix-Marseille », Arabesques, 66 | 2012, 18-19.

Référence électronique

Martine Mollet, « André Miquel à l’honneur à l’université d’Aix-Marseille », Arabesques [En ligne], 66 | 2012, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 17 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1330

Auteur

Martine Mollet

Espace de recherche et de documentation André Miquel, http://www.erd-miquel.org, directrice du SCD de l’université de Provence de 2007 à 2011

martine.mollet@univ-provence.fr

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