« Ne me parlez pas de la BU d’Angers »

DOI : 10.35562/arabesques.2192

p. 26-27

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Ateliers de médiation animale, bibliothèque en ligne accessible 7/7 et 24/24 : depuis son ouverture en 2004, la bibliothèque universitaire d’Angers a fait de l’expérimentation une philosophie de travail. Petite incursion dans les secrets de fabrication de la documentation à la sauce angevine.

« Ne me parlez pas de la BU d’Angers » : certains ont déjà entendu cette formule. Pourquoi ? Parce que, depuis 2004, la bibliothèque universitaire d’Angers (BUA) a beaucoup parlé de ce qui se jouait chez elle et a ouvert un vivier en ligne, sous forme de blogs divers, depuis le bon vieux temps du Web 2.0 au début du siècle, sur les tâtonnements et questionnements de son équipe de direction. Alors, quand Arabesques nous a écrit, en juin 2020, en nous disant : « il nous semble que les multiples services innovants mis en place à la BUA comme la bibliothèque en ligne 24/24 7/7, la formation à la bibliométrie, Ubib, la mise en valeur et décoration des espaces, les ateliers de médiation animale, méritent une place dans notre rubrique Pleins feux, il ne s’agirait pas de paraphraser ce que le blog “BUApro” dit déjà dans ses billets mais plutôt de présenter les principes sur lesquels se base la politique de services que vous menez, et qui fait de la BUA une BU “audastudieuse” », nous avons hésité à l’idée de renforcer notre image bien installée de « M’as-Tu-Vue-Dans-Ma-BU ». Et pourtant, vous voici en train de lire ce Plein Feux, non pour entendre parler de l’innovation à la BU d’Angers, qui n’est jamais qu’une petite BU de province assez classique, dans sa démographie, son public et son fonctionnement quotidien, mais pour démystifier cette image toute faite de BU « pas comme les autres » et décomposer la recette de la BU à la sauce angevine.

Bibliothèque universitaire Saint-Serge

Bibliothèque universitaire Saint-Serge

© BUA

Les ingrédients de la recette

Comme d’autres universités de villes moyennes, par opposition aux grandes métropoles et aux vénérables institutions parisiennes, la BU d’Angers n’a pas occupé ses cinq dernières années à réinventer un fonctionnement au sein d’une entité plus grande née d’une fusion plus ou moins désirée, avec le jeu de chaises musicales que cela implique. Elle bénéficie donc d’un ingrédient de base, souvent passé sous silence : la stabilité. Stabilité de son équipe, où les collègues travaillent en moyenne depuis plus de 15 ans, où, pendant les 10 dernières années, les départs à la retraite et mutations se sont comptés sur les doigts d’une main et où le recours aux contractuels est resté très marginal. Stabilité de ses locaux, conçus de manière visionnaire, quoique sans fioritures, à la fin du dernier millénaire par Jean-Claude Brouillard, directeur de 1971 à 2003, qui a su convaincre les financeurs de l’intérêt de deux grands vaisseaux de 1 000 places chacun, dans une université qui ne comptait alors que 13 000 étudiants. Stabilité de ses outils : Aleph et SFX nous rendent de bons et loyaux services depuis 2004, et ont été optimisés pour faire ce qu’on leur demandait. Le site Web, sous Drupal depuis 2012, ne connaît que des toilettages mineurs et réguliers et nous mettons un peu d’énergie au quotidien à améliorer nos processus plutôt que beaucoup d’influx ponctuel pour remplacer, de loin en loin, l’infrastructure. Stabilité du soutien institutionnel et financier de la gouvernance, y compris après la LRU, qui permet d’avancer en confiance sans attendre la prochaine tuile ou coupure de budget et de nous appuyer sur des fonctions support solides trop loin de nos réalités. Appuyée sur ce socle, l’équivalent du féculent dans un plat roboratif, liberté nous a été laissée d’ajouter quelques condiments et de les faire varier en fonction du climat du moment.

Dans quelles étagères d’épices avons-nous pu piocher ?

Notre taille réduite : 2 sites seulement, 50 agents en tout, pas de gros projets impliquant gros sous, grosse coordination et grosses équipes, de type SGBM ou construction nouvelle. Une petite pincée de sel parfumé permet facilement de changer le goût d’un tel plat, sans déployer de gros moyens. Notre ouverture sur l’extérieur : dans une équipe stable issue pour moitié de la région, aucune des cadres ne vient d’Anjou. De Lorraine, de Bourgogne, du Nord, de Vendée, de Paris ou d’ailleurs, nous sommes presque toutes et tous arrivés depuis moins de 15 ans, mus par la gourmandise devant la vitrine ouverte par Nicolas Morin, Olivier Tacheau et Nicolas Alarcon en 2004. Nous accueillons volontiers stagiaires Enssib et M2 bibliothèques, elles aussi plus désireuses de venir goûter sur place la sauce que de se rapprocher de leur famille. Nous sommes aussi stimulées par les collègues curieuses des journées BUApro, et sortons volontiers chercher des idées ailleurs, que cela soit par le biais d’Erasmus ou de voyages collectifs en équipe (journées professionnelles, voyages thématiques, BUATour en 2019), où nous bénéficions toujours du formidable accueil de notre réseau professionnel. Dans cet ordre d’idées, l’Abes Tour devrait faire étape prochainement chez nous, si l’épidémie en cours le permet. Notre goût des recueils de recettes : nous prenons le temps de mettre par écrit, avec sincérité, nos essais successifs. Ce carnet de recettes, d’abord nourri sous forme de blogs personnels, est depuis 2012 fédéré dans le blog BUApro, Marmiton© professionnel où nous partageons notre tambouille quand nous en avons aimé le goût. Nous lisons aussi beaucoup les productions des autres, dans une veille floue au gré de chacune et sommes très reconnaissantes de l’existence d’une presse professionnelle riche, maintenant que la vogue des « biblioblogs » est passée de mode en France. Enfin, la clé de tout reste de bien connaître nos produits, nos fournisseuses et nos clientes, pour parler comme un vrai restaurant, et de nous adapter, si faire se peut, aux propositions des unes comme aux demandes et besoins des autres.

Sélection de documents autour de la gourmandise pour fêter Noël en décembre 2019

Sélection de documents autour de la gourmandise pour fêter Noël en décembre 2019

© BUA

L’ardoise du jour

Dans la plupart des cas, il s’agit d’adaptations modestes de classiques avec une touche personnelle. Contrairement à ce que pouvait laisser croire l’invitation d’Arabesques, nous ne sommes pas des innovatrices. Nous nous voyons plutôt comme des improvisatrices, qui adaptons aux ressources disponibles idées et tours de mains vus ailleurs. Nous ne sommes pas dans la haute cuisine, maîtrisée au gramme près, à la recherche de l’accord parfait et du sacre des étoiles, mais plutôt dans les 1 001 improvisations bistrotières du quotidien, faites d’opportunités, de rencontres, d’envie. Cela peut parfois mal tourner. Un repas chassant l’autre, nous gardons une vraie décontraction par rapport aux essais ratés, aux alliances improbables, aux réussites fortuites qui ne reviendront jamais. Une partie de cet esprit « ardoise du jour » tient à l’événementiel et à l’accueil régulier d’autres métiers que les nôtres : les expositions se succèdent depuis 20 ans dans les bibliothèques, au rythme de trois par an, allant de l’art vidéo à l’installation monumentale (beaucoup se souviennent encore du lapin en fourrure blanche de 3 mètres de long de 2008), en passant par une programmation pointue de classe internationale en matière de photographie contemporaine en partenariat avec l’association Gens d’images. Nous accueillons volontiers d’autres services de l’Université, notamment celui de santé, et construisons depuis 10 ans avec eux des stands d’un jour. L’opération de médiation animale de l’automne 2019, qui a suscité curiosité et couverture médiatique, s’inscrit dans la droite ligne de ces partenariats où, pour sortir de notre cœur de métier, nous apprenons à construire des collaborations avec des gens très différents. La Nuit de la lecture de janvier 2020 a été l’une de ces bulles privilégiées, dont la recette, à base d’étudiants en théâtre, de professeur motivé et de l’imaginaire d’un public privé de sommeil s’emparant des mille-et-un recoins de la BU Saint-Serge, est sans doute perdue à jamais. Les fonds spécialisés sont des produits atypiques de choix à accommoder au quotidien. Ils se composent de manuscrits littéraires, allant des beaux dossiers documentaires dessinés d’Hervé Bazin aux legs des poètes de l’école de Rochefort qui nous valent un très beau phallus en plâtre propre à pimenter notre réputation, ainsi que du Centre des Archives du Féminisme, (CAF) qui nous apporte le souffle de l’histoire contemporaine, avec ses banderoles, ses diaphragmes et stérilets, ses lettres de menaces et ses périodiques rares. Tout cela est dûment décrit en EAD1 dans Calames et fait l’objet de centaines de consultations et prêts chaque année. Labellisée collection d’excellence, le CAF est de 2020 à 2022 la cheville ouvrière d’un projet CollEx-Persée, FemEnRev, et va alimenter la perséide Féminismes en revues, pour mieux partager des collections de périodiques rares et lacunaires, reconstituées grâce à l’utilisation de Périscope et à la collaboration avec d’autres bibliothèques du réseau Sudoc-PS. Au-delà de ces assaisonnements aromatiques, nous nous contentons d’une cuisine de base : horaires réguliers et élargis en soirée depuis 2009, 7 jours sur 7 depuis 2016, équipe à l’écoute, formations axées sur l’acquisition de compétences plutôt que sur des contenus. Nous répondons aux appels à projets pour financer des choses déjà dans les tuyaux qui répondent à des besoins de base et renforcent l’essentiel, en essayant de laisser à l’accessoire beaucoup de légèreté et d’évanescence. L’essentiel de cet esprit « audastudieux », que nous essayons de partager ici comme lors des visites BUApro, tient à notre capacité à essayer des choses, avec sérieux sans nous prendre au sérieux, à assurer leur développement progressif et leur amélioration au fil de l’eau ou à les abandonner pour passer à autre chose. Ainsi de feu Okina, notre archive ouverte institutionnelle pionnière en 2012, remplacée en 2018 par Hal-UA, mieux adapté au contexte et enjeux du moment, ou Ubib confié aux bons soins de l’université de Lille, qui sait désormais, mieux que nous, saisir l’opportunité d’en faire un réseau de déploiement personnalisé de la gamme d’outils de réponses LibAnswers. Reproduire ce qui fonctionne, ici ou ailleurs, ne rien tenir pour acquis et réussir à échouer, en quelque sorte !

1 EAD : Encoded Archival Description

Notes

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Illustrations

Bibliothèque universitaire Saint-Serge

Bibliothèque universitaire Saint-Serge

© BUA

Sélection de documents autour de la gourmandise pour fêter Noël en décembre 2019

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© BUA

Citer cet article

Référence papier

Nathalie Clot, « « Ne me parlez pas de la BU d’Angers » », Arabesques, 99 | 2020, 26-27.

Référence électronique

Nathalie Clot, « « Ne me parlez pas de la BU d’Angers » », Arabesques [En ligne], 99 | 2020, mis en ligne le 05 octobre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2192

Auteur

Nathalie Clot

Directrice des bibliothèques et archives de l’université d’Angers

Nathalie.clot@univ-angers.fr

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