À l’origine des journées d’études sur La presse et les périodiques en Lorraine (XVIII-XXe siècles), organisées par MEDIAL1, les 13 et 14 novembre 2006, il y eut la parution de deux volumes de la Bibliographie de la presse française politique et d’information générale2 (le BIPFPIG pour les initiés) : Vosges, en juillet 2005 et Meuse, en février 2007. Les quatre départements (Meuse, Meurthe-et-Moselle, Moselle, Vosges) n’avaient pas encore fait l’objet d’un recensement ; après la Moselle en préparation (parution échéance 2008-2009), il restera la Meurthe-et-Moselle à l’horizon 2010-2011. Par ailleurs, dans le cadre du « Plan d’action pour le patrimoine écrit » mis en œuvre par la DRAC Lorraine depuis 2005, la presse conservée par les bibliothèques et services d’archives méritait une attention particulière. Les spécialistes – universitaires, chercheurs, bibliothécaires, archivistes et érudits – ayant répondu à cette proposition avec beaucoup d’intérêt voire de passion, abordèrent ces journées selon une triple perspective :
- une approche historique de la naissance et du développement de la presse pour chaque département lorrain ;
- une approche liée à la constitution des fonds, leur conservation et l’élaboration de catalogues des collections de périodiques ;
- un aperçu de l’édition et de la diffusion de périodiques avec leurs responsables actuels : périodiques d’histoire et de patrimoine régional, revues de création, revues d’érudition.
L’histoire politique et administrative de la Lorraine depuis le XVIIIe siècle, point de départ chronologique de ces journées, explique en partie la spécificité des fonds de périodiques dont il fut question. Jouissant d’une sorte d’extraterritorialité par rapport au royaume de France jusqu’au rattachement du duché à la France en 1766, Les Trois-Évêchés (Metz, Toul et Verdun) et le duché de Lorraine autorisent l’impression d’almanachs, de calendriers, d’annuaires, sources importantes pour l’histoire administrative, politique, culturelle, sociale. Bien qu’elle vienne toujours de Paris, l’information générale et politique peut être imprimée par privilège royal, comme en témoigne La Gazette imprimée à Metz de 1699 à 1751 ou le Journal de Lorraine et du Barrois, créé en 1778 et devenu Journal de Nancy, qui comprend uniquement des articles littéraires, philosophiques, sans rapport avec Nancy. La période révolutionnaire voit nombre de titres apparaître : bien souvent, ils ne reprennent que des nouvelles de Paris ou sont au service d’une personnalité politique locale ; toutefois les annonces locales, comme la vente d’animaux et de biens, apportent une véritable information pratique qui, au XIXe siècle avec les premières publicités, vont être l’un des ressorts de la presse locale. Ces feuilles d’informations recto verso, d’au plus quatre pages, de périodicité variable, sont éditées et imprimées au chef-lieu du département mais aussi par arrondissement là où une ville importante existe – Commercy, Verdun, Bar-le-Duc pour la Meuse ; Neufchâteau, Saint-Dié, Remiremont, Épinal pour les Vosges.
Le cas de la Moselle est emblématique de son histoire mouvementée ; annexée en 1871 par l’Empire allemand, le département s’appelle Lothringen (Lorraine) et l’allemand devient langue officielle. Un processus de germanisation se met en place avec une presse partagée entre le français et l’allemand, surveillée par le gouverneur (Statthalter) installé à Strasbourg. Chaque courant de pensée possède son titre : catholiques de langue allemande, de langue française, libéraux, conservateurs, courants hostiles ou favorables à la germanisation. Après 1918, la Moselle est réintégrée à la France mais la population ayant reçu une éducation en langue allemande, la presse dans cette langue va continuer à exister au-delà de 1945 : France Journal, suite du Metzer Freies Journal, bilingue français-allemand, paraîtra jusqu’en 1989 grâce à la volonté du Républicain Lorrain.
La Lorraine du sud, dont Nancy devient après 1871 la capitale économique et universitaire, avec l’arrivée de nombreux industriels et universitaires strasbourgeois et alsaciens refusant l’annexion, voit naître des titres comme les Annales de l’Est, revue d’histoire universitaire en 1887, l’Est Républicain en 1889, Le Pays Lorrain en 1904. Dans la Meuse et les Vosges ainsi qu’en Meurthe-et-Moselle, de nombreux titres d’arrondissement sont liés à des personnalités politiques les utilisant comme tribunes ou bénéficiant de financements issus du patronat de la sidérurgie entre 1918 et 1939 en Meurthe-et-Moselle et des industries liées au textile dans les Vosges. Au XIXe siècle, naissent les revues d’érudition autour des sociétés savantes (Académie de Stanislas, Académie nationale de Metz, Société des lettres, sciences et arts de Bar-le-Duc, Journal de la Société d’émulation du département des Vosges) ou autour de mouvement artistique (Art et industrie). Ce n’est qu’au XXe siècle, après 1918, que des périodiques destinés à un large public voient le jour.
Plusieurs contributions ont permis d’appréhender la place prise depuis 1945 par les revues d’histoire et de patrimoine local ou régional ainsi que par les revues de création (littérature, art, poésie, fantastique) bénéficiant d’un recensement et/ou d’un soutien de la part du conseil régional de Lorraine. Dans la presse quotidienne, trois titres subsistent aujourd’hui : le Républicain Lorrain, l’Est Républicain et Liberté de l’Est se partageant géographiquement la région Lorraine. Tous trois sont adossés aujourd’hui directement ou indirectement à un même groupe (le Crédit Mutuel d’Alsace-Lorraine) comme d’ailleurs L’Alsace et les Dernières Nouvelles d’Alsace ; ainsi que la plupart des revues et magazines, cette presse quotidienne est dans un contexte de stagnation sinon d’érosion ou de non renouvellement de leur lectorat, situation non spécifique à la Lorraine.
Vient de paraître
N° spécial 2007 des Annales de l’Est, revue universitaire fondée en 1887, consacré à trois siècles de presse écrite en Lorraine, 140 p. 29,7 cm Association d’historiens de l’Est.
La bibliothèque municipale de Nancy, pôle associé pour le dépôt légal imprimeur pour les quatre départements lorrains, assure la collecte des titres ; les archives départementales pour leur part sont attributaires d’un exemplaire du dépôt des périodiques auprès de la préfecture. Ceci a permis la constitution d’un patrimoine écrit, aujourd’hui inventorié dans le cadre du BIPFPIG, mais menacé par la nature du support (de nombreuses collections de journaux sont dans un état critique), par un usage trop souvent incontrôlé et par l’absence de support de substitution.
Si les périodiques suscitent aujourd’hui un fort intérêt, il n’en a pas toujours été ainsi par le passé de la part des professionnels devant les conserver : les périodiques encombrent, sont éphémères, ne sont pas crédités de la légitimité accordée au livre, des numéros disparaissent, ne sont pas reçus ou s’égarent. Ainsi, une intervention lors des journées d’études relative au désherbage des périodiques dans une grande bibliothèque de notre région a créé une grande émotion, voire provoqué l’incompréhension de la part des auditeurs sur notre mission de conservation. Les problématiques liées à la conservation et à la sauvegarde de la presse ont été largement développées : appel aux initiatives locales pour qu’elles prennent en charge les opérations urgentes de micro-filmage et de numérisation, qui jusqu’à ce jour ne concernent que quelques grands titres, comme le programme de numérisation conduit par la BNF – au chapitre « Revues de sociétés savantes d’Alsace-Lorraine et Aquitaine » de GALLICA.
Au niveau de leur signalisation dans le Sudoc-PS, les fonds de périodiques des bibliothèques municipales de Lorraine sont trop peu ou mal représentés. Par exemple, la BM de Nancy a versé environ 1 000 titres qui seront « retravaillés » (notices et état de collection corrigés !) mais n’envisage pas d’en verser d’autres ; la BM de Metz, quant à elle, a déjà versé 500 titres environ mais projette début 2008, de basculer tous ses titres, d’autant que les titres de périodiques ne sont pas sur le catalogue en ligne de la bibliothèque ; la réalisation (en cours) du BIPFPIG Moselle permettra de trouver dans BN Opale Plus les titres recatalogués (horizon mars 2008). Le versement des titres dans la base Patrimoine du CCFr ou dans le Sudoc-PS n’a obéi jusqu’à présent à aucune logique : une interrogation sur Pays Lorrain et Annales de l’Est illustre cette situation quelque peu irrationnelle. En revanche, ces trois dernières années, plusieurs réalisations concernant l’inventaire des titres ont été conduites :
- le catalogue collectif des périodiques lorrains des Vosges (AD des Vosges, bibliothèque intercommunale Épinal-Golbey) concerne 1 600 titres ; il a permis de compléter les volumes du BIPFPIG parus ou à paraître pour des titres postérieurs à 1944 ou non pris en compte, par principe par le BIPFPIG ; les bulletins paroissiaux par exemple ont fait l’objet d’un catalogue spécifique dans les Vosges ;
- l’inventaire des Revues d’histoire et patrimoine en Lorraine, par le comité d’histoire régionale, a été réalisé en janvier 2007 ;
- l’intégration de plus de 900 titres lorrains de la BM de Metz au Catalogue des périodiques lorrains réalisé par la bibliothèque municipale de Nancy ; à terme, plus de 3 700 titres lorrains seront recensés dans cette base (http://www.nancy.fr/documents/pdf/mediatheque/perio-lorrains.pdf) ; un projet important, en partie issu des rencontres nouées lors des journées d’études ; tout un symbole pour qui connaît les subtiles relations entre ces deux grandes villes !
- enfin de manière émouvante voire passionnelle, la mémoire de la presse lorraine a pu être montrée lors d’une exposition éphémère de journaux anciens présentée par l’Association de la presse du Grand Est. Cet ensemble de contributions a été accompagnée d’une bibliographie critique et exhaustive ainsi que d’une importante iconographie sur la presse lorraine. Disponible dans un premier temps sur le site Internet de MEDIAL - http://www.univ-nancy2.fr/medial/archives.html?depuis_id=1169, ces contributions sont éditées sous forme papier dans le numéro spécial des Annales de l’Est de septembre 2007, au format inhabituel A4 sur 2 colonnes de 140 pages, servi aux abonnés de la revue3. Tout chercheur et curieux de l’histoire et de la situation de la presse lorraine dispose désormais d’un ouvrage qui, s’il n’est pas définitif, s’impose comme document de référence.