Répondant à un besoin croissant de gestion des données dans le domaine des sciences humaines, les formations en humanités numériques se sont multipliées au cours des dernières années. Illustration avec le master de l’École nationale des chartes et celui coaccrédité par quatre institutions d’enseignement supérieur de Lyon.
Thibault Clérice
« La numérisation produit un déluge de données »
Arabesques : quand et pourquoi a été créé ce master à l’École nationale des chartes ?
Thibault Clérice : le master Technologies Numériques Appliquées à l’Histoire (TNAH) a été créé en 2006. L’École des chartes s’est alors dotée d’une équipe numérique formée d’ingénieurs ayant une expertise en informatique appliquée aux sources primaires. Le milieu des années 2000 voit se matérialiser une « révolution » numérique des pratiques en sciences humaines et dans le monde du patrimoine : une seconde version de Gallica voit le jour en 2000, Google Books apparaît en 2005, le Web commence à changer la manière de publier les produits de la recherche et on commence alors à parler « d’humanités numériques » en France. Face à cette révolution, l’École des chartes se rend rapidement compte d’un manque en termes de compétences sur le marché de l’emploi et donc de formation, en particulier initiale. Il existe alors très peu de personnes avec une double compétence en informatique et sciences humaines. Les institutions, de recherche et du patrimoine, se retrouvent très peu accompagnées dans cette course à la numérisation. La pérennisation des données numériques, la production de corpus, la valorisation et la standardisation des données et métadonnées requièrent des compétences rares.
À quels besoins répond ce master ?
T. C. : les besoins actuels ont évolué en même temps que les technologies. D’abord, les besoins d’aujourd’hui continuent de tourner autour de la standardisation et de la mise à disposition de données, qu’il s’agisse de données textuelles ou (audio)visuelles, nativement numériques ou non. Ensuite, après un premier temps de numérisation intensive, les besoins changent ou s’accumulent. Les institutions patrimoniales, les laboratoires de recherche ou encore les entreprises privées se retrouvent confrontés à un « déluge des données » produit par la numérisation. Enfin, toutes les institutions, privées ou publiques, commencent à prendre conscience de la valeur de leurs données, qu’il s’agisse de tableurs ou de textes : ces données, reformatées, « repréparées » puis exploitées peuvent devenir de véritables leviers pour elles. Notre master répond à tous ces besoins en formant de futurs professionnels pour lesquels la manipulation de données – qu’il s’agisse de valorisation ou de préparation à l’exploitation – est au cœur du métier.
Quel est le profil des étudiants ?
T. C. : les profils sont extrêmement divers mais les étudiants sont très majoritairement issus des cursus de sciences humaines, en particulier d’histoire, d’histoire de l’art et de lettres, avec souvent une première formation en master. Les étudiants sont d’ailleurs souvent des étudiantes. Nous avons eu historiquement trois quarts de jeunes femmes dans nos promotions. Ils ont généralement une appétence préalable pour le numérique et cherchent une voie professionnelle autre que celles de la recherche, au sens de chercheurs, ou de l’enseignement. Dans le cadre de la formation continue, nous avons d’autres profils, notamment des personnes cherchant à changer de spécialité, venant parfois de milieux très éloignés comme celui de la banque, ou au contraire des personnes issues d’institutions patrimoniales qui veulent monter en compétence pour prendre en charge de nouvelles missions.
Quels types de poste trouvent-ils à l’issue de leur formation ?
T. C. : là encore, les postes sont très variés. Une partie de nos diplômés rejoignent les institutions patrimoniales comme responsables de mission numérique ou chargés de projet. Une autre se dirige vers l’ingénierie en appui à la recherche, dans les laboratoires comme dans les institutions patrimoniales. Quelques-uns vont vers le privé, parfois comme techniciens, plus souvent comme consultants. Au cœur de chacun de ces métiers divers, il existe une spécialité, celle de la connaissance des données et de leurs standards.
Interview réalisée par Véronique Heurtematte, coordinatrice éditoriale d’Arabesques