Alors que se profile pour 2025 l’échéance fixée par l’Acte européen d’accessibilité, l’accessibilité numérique au sein des bibliothèques de l’enseignement supérieur reste très variable selon les établissements et constitue un défi à relever collectivement.
Dans l’immense, permanent et toujours perfectible chantier que constitue la réalisation de l’accessibilité universelle, le numérique représente, pour les personnes empêchées de lire ou du moins en difficulté pour y parvenir, à la fois une chance formidable et potentiellement un redoutable obstacle. Ainsi, dans une société hybride qui voit la dématérialisation gagner sans cesse du terrain, mettre en œuvre l’accessibilité numérique est une préoccupation urgente, de tous les instants et qu’il importe de partager et diffuser très largement.
Les professionnels de l’information que sont les bibliothécaires et les documentalistes se retrouvent naturellement dans les premiers rangs des acteurs concernés, en même temps que tous les maillons de la chaîne du livre ou encore, notamment, les chargés de communication, les médiateurs numériques et bien sûr les informaticiens. Tous ces intervenants doivent être sensibilisés et formés à la question de l’accessibilité numérique, chacun jouant sa partition pour la réussite de l’orchestre et donc la pleine satisfaction des publics, en particulier les personnes malvoyantes ou dyslexiques.
Le fait est que l’accessibilité numérique effective est le fruit d’un continuum qui va de l’outil de lecture (ou d’audio-lecture) à la prise de connaissance de l’information finale ou du document souhaité, en passant par une application, un site Web, un catalogue de bibliothèque, un moteur de recherche, une base de données, etc. L’enquête et la méthodologie déployées à l’initiative du ministère de la Culture pour réaliser, à intervalles réguliers, le « Baromètre de l’accessibilité numérique en lecture publique » (cf p. 8) montre bien qu’un maillon qui bloque le passage compromet les efforts de l’amont et de l’aval du circuit et peut rendre en définitive toute la démarche de l’usager infructueuse. C’est le cas, par exemple, lorsqu’un site Web qui répond aux critères d’accessibilité mène en bout de parcours de recherche à une ressource qui s’avère inaccessible, à l’instar d’une plateforme pédagogique sur laquelle enseignants ou bibliothécaires ont déposé des fichiers non-accessibles. Il faut donc bien avoir conscience que l’accessibilité numérique est une œuvre collective, dans laquelle chaque intervenant de la chaîne a sa part de responsabilité pleine et entière.
L’accessibilité des services numériques : un droit qui reste une exception
Les dimensions collective et coopérative sont également présentes à diverses échelles et sur différents pans du grand édifice. Ainsi, l’Acte européen d’accessibilité, transposé en droit national dans chaque pays de l’Union européenne, édicte l’accessibilité des produits et services numériques à travers l’Union à échéance de l’année 2025. Il restera à faire appliquer concrètement ces dispositions : on voit bien aujourd’hui que l’existence en France d’un Référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (ou RGAA) n’empêche pas que l’accessibilité réelle d’un service numérique demeure l’exception, ce que dénoncent aussi bien le Conseil national du numérique, le Défenseur des droits ou les associations. Le collectif permet également de développer et promouvoir, y compris à l’échelle internationale, un écosystème de formats et logiciels ouverts, interopérables et accessibles, comme le format EPUB 3 (cf p. 25) et le verrou LCP (mesure technique de protection ou DRM) pour le livre numérique.
Inclusion digitale, illustration par bsd studio - Adobe Stock
Un portail des données éditoriales et réservoirs bibliographiques en 2025
Pour favoriser le repérage et l’accès aux œuvres, soit nativement accessibles, soit adaptées dans le cadre de l’exception handicap au droit d’auteur, la puissance publique prépare l’ouverture pour 2025 d’un vaste portail qui orientera vers les données éditoriales, les grands réservoirs bibliographiques associatifs et la base PLATON créée et gérée par la Bibliothèque nationale de France (cf p. 6-7). La vocation de PLATON s’est en effet élargie, puisqu’aux fichiers-sources des œuvres collectés auprès des éditeurs, s’adjoignent depuis 2018 les fichiers produits par les organismes adaptateurs – à condition que ceux-ci s’astreignent effectivement à alimenter ce dépôt mutualisé qui permet de faciliter la circulation des œuvres adaptées et d’éviter de doublonner un travail souvent lourd et chronophage.
Un nombre croissant de bibliothèques, et en particulier de bibliothèques de l’enseignement supérieur, sollicitent, auprès de la commission nationale en charge de l’exception handicap au droit d’auteur, leur habilitation – leur inscription, et éventuellement, de surcroît, pour pouvoir accéder aux fichiers-sources éditoriaux, leur agrément – afin de rejoindre les rangs des structures adaptatrices. Dans un récent rapport1, l’IGÉSR a dressé une ébauche de premier bilan de l’activité des bibliothèques en matière d’adaptation d’œuvres, en l’occurrence, s’agissant de l’enseignement supérieur, à destination majoritairement d’étudiants mais parfois aussi d’enseignants, et formulé quelques préconisations – en prenant toutefois en compte le fait que, dans la plupart des cas, cette habilitation n’a été demandée et obtenue que récemment.
La force du collectif peut aussi s’exercer à travers l’action du consortium Couperin (cf p. 11), et celle de Réseau Carel du côté de la lecture publique, en sorte de sensibiliser, inciter et exhorter les fournisseurs de ressources numériques à rendre leurs produits accessibles, en faisant même de ce paramètre un critère de négociation.
Le rôle essentiel des référents handicap
Au sein de chaque bibliothèque, le moteur, la force d’entraînement du collectif – et l’aiguillon – sera le référent handicap qui, sur toutes les facettes de l’accessibilité, et en particulier dans le champ du numérique, et en s’appuyant sur un schéma directeur ad hoc, a mission de rappeler inlassablement et contre vents et marées l’importance et la nécessité de prendre en compte dès le début d’une action la dimension de l’accessibilité : par exemple, dans l’élaboration du cahier des charges du nouveau site Web ou de la réinformatisation, dans l’alimentation du portail en nouveaux contenus, le dépôt de documents sur la plateforme pédagogique… ou encore, naturellement, l’équipement en matériels et en logiciels informatiques. Le référent handicap travaille en liaison avec le service handicap et la direction informatique de l’établissement. Il veille, par l’information, la sensibilisation et la formation, à ce que tous les agents du service documentaire s’approprient le sujet de l’accessibilité, d’autant plus que le nombre d’étudiants reconnus en situation de handicap croît régulièrement dans l’enseignement supérieur, pour atteindre actuellement un chiffre d’environ 35 000 (soit plus de 1,5 % de la population étudiante totale). C’est le signe d’un accès facilité des jeunes handicapés dans l’enseignement supérieur, mais aussi une donnée révélatrice de la prévalence des troubles « Dys » tout comme de l’extension ou de la meilleure reconnaissance des troubles psychiques chez les étudiants.
Dans la population étudiante de l’année universitaire 2018-2019, les troubles générant le handicap étaient : les troubles du langage et de la parole (28 %), les troubles moteurs (19 %), les troubles psychiques (17 %), les troubles viscéraux et maladies invalidantes (14 %), l’association de plusieurs troubles (8 %), les troubles visuels (5 %) et les troubles auditifs (4 %). Outre les personnes dyslexiques ou malvoyantes, d’autres ont aussi des besoins en termes d’accessibilité numérique.
Le rapport de l’IGÉSR a fait le constat d’une prise en compte très variable, selon les bibliothèques, de la dimension de l’accessibilité. Formons le vœu que toutes s’investissent désormais au même niveau dans ce grand chantier collectif !