Les pépinières de revues scientifiques : des lieux d’expérimentation éditoriale au service de la science ouverte

DOI : 10.35562/arabesques.3134

p. 4-5

Plan

Texte

Investies depuis plusieurs années dans la gestion de pépinières de revues, les bibliothèques universitaires sont aujourd’hui des actrices majeures de l’édition scientifique publique, inscrites dans des réseaux rassemblant professionnels de la documentation et de l’édition.

Depuis quelques années, les bibliothèques universitaires françaises se sont particulièrement impliquées dans le développement de plateformes et de pépinières1 de revues scientifiques en accès ouvert. Ces dispositifs visant à apporter une aide à des revues à l’échelle locale ou régionale – mais aussi souvent au-delà de ce périmètre – ont progressivement pris place dans le paysage éditorial de l’édition scientifique publique au point d’être évoqués dans plusieurs rapports nationaux publiés récemment2.

Des revues scientifiques en difficulté

Cette orientation des bibliothèques vers l’édition est, tout d’abord, le fruit d’une évolution interne : après plus d’une décennie d’incertitude et de tâtonnements, les années 2010 marquent un réinvestissement fort des BU dans le soutien aux chercheurs qui est favorisé par le développement de la science ouverte alors en voie d’institutionnalisation. Ce faisant, s’opère progressivement un changement de perspective : face aux enjeux de visibilité de la recherche pour les universités, face surtout aux difficultés que rencontrent souvent les chercheurs pour diffuser et valoriser leurs publications, les bibliothèques se mettent à intervenir en amont de leur champ d’action traditionnel et à prendre en charge des fonctions éditoriales. Au cours de cette même décennie 2010, une série d’enquêtes nationales et les travaux menés au sein de BSN (Bibliothèque scientifique numérique)73 permettent d’objectiver en partie la réalité des revues savantes : une part notable d’entre elles, notamment en science humaines et sociales, connaît une précarité économique accentuée par le passage rapide à l’électronique, maîtrise mal les exigences de l’édition scientifique numérique et manque de professionnels de l’édition sur lesquels s’appuyer pour répondre aux exigences de qualité éditoriale. Le phénomène est accentué par le fait que peu de revues sont prises en charge par des éditeurs scientifiques publics (279 sur plus de 2 000 revues produites en France en 20214). Cet éclairage cru projeté sur les revues a participé d’une prise de conscience générale qui a aidé les bibliothécaires à élaborer localement des dispositifs de soutien.

 

 

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Naissance et développement des pépinières de revues

Si certaines bibliothèques universitaires font figure de précurseuses – création des plateformes Revel5 à Nice en 2004 et PoPuPS6 à Liège en 2005 – c’est pendant la décennie 2010 que naissent la plupart des plateformes de revues : Le Polen7 à Clermont-Ferrand, Open U Journals8 à Bordeaux, Prairial9 à Lyon… Un maillage du territoire commence à se constituer, d’autant plus que d’autres acteurs, notamment les Maisons des sciences de l’homme, sous l’impulsion de l’InSHS (Institut des sciences humaines et sociales du CNRS), créent des dispositifs similaires, par exemple Préo10 à Dijon ou PépiNord11 à Paris. L’offre de service est, au départ, surtout centrée sur l’hébergement et la diffusion de revues mais très rapidement la plupart des plateformes s’engagent dans un accompagnement des équipes éditoriales qui devient progressivement le cœur de leur travail quotidien : formation, mise à disposition de documentation, référencement des revues, soutien juridique, prise en charge du secrétariat d’édition…, la palette de services est plus ou moins étendue d’une pépinière à l’autre.

Une professionnalisation progressive

Au sein de pépinières créées très majoritairement par des bibliothécaires et des documentalistes, l’évolution des services est la conséquence d’une professionnalisation des équipes. Cela a impliqué, pour elles, de se former aux problématiques propres à l’édition, d’acquérir des savoir-faire et la maîtrise d’outils nouveaux. Cette évolution est souvent le fruit de nombreuses heures de formation mais elle passe aussi par la participation croissante des bibliothécaires aux réseaux professionnels de l’édition, en particulier Médici12. Elle est aussi rendue possible par l’articulation progressive des pépinières avec les infrastructures nationales de l’édition scientifique publique que sont OpenEdition, Métopes ou Persée. Elle est, enfin, liée à l’intégration de professionnels de l’édition aux équipes de certaines pépinières, quelques bibliothèques intégrant désormais des ingénieurs d’étude en édition en leur sein.

La montée en qualité des plateformes est aussi la conséquence de leur regroupement au sein d’un réseau qui leur est propre, Repères13, créé en 2018. Espace d’échanges qui a nourri la réflexion de ses membres, lieu d’élaboration de projets et d’outils communs, il réunit aujourd’hui 16 plateformes portées par des agents venant d’horizon divers – bibliothécaires, documentalistes, professionnels de l’édition, informaticiens – qui apportent leurs compétences propres dans le soutien aux revues et qui apprennent, peu à peu, à parler un langage commun.

Les bibliothèques dans l’écosystème de l’édition scientifique publique. Quels enjeux ?

Pour les bibliothèques qui y participent, les pépinières de revues apparaissent rétrospectivement comme de véritables lieux d’expérimentation fondés sur un fort décloisonnement des métiers et une inscription dans des réseaux denses de collaborations à l’échelle locale et nationale.

L’expérimentation est tout d’abord organisationnelle puisqu’un certain nombre de pépinières sont désormais portées par des regroupements institutionnels, plus ou moins formalisés juridiquement, associant universités, MSH, presses universitaires, voire organismes de recherche. Les bibliothèques sont désormais rarement seules à porter une pépinière et ont participé activement à ces montages organisationnels permettant de réunir des moyens humains, techniques et financiers nécessaires à une édition ouverte exigeante et respectueuse du modèle diamant.

Les dispositifs sont aussi en train de se diversifier, certains prenant une orientation disciplinaire et tissant des alliances hors de leur ancrage initial, d’autre élargissant leur rayon d’action sur un territoire local plus large via la création de « pôles éditoriaux ». Pour les bibliothèques, il s’agit souvent d’expérimenter des partenariats inédits qui peuvent ensuite nourrir leur réflexion pour la création d’autres dispositifs de soutien à la recherche et à la science ouverte. L’expérimentation est aussi, il faut insister sur ce point, dans la collaboration entre bibliothécaires et éditeurs qui est particulièrement fructueuse. Malgré des cultures et des pratiques professionnelles qui peuvent, au premier abord, paraître éloignées, l’articulation des deux métiers peut permettre de mieux répondre à l’ensemble des exigences sans cesse en évolution d’une édition scientifique désormais soumises aux contraintes de la diffusion numérique. Cette collaboration nous montre qu’il est nécessaire de sortir d’une logique de travail en silo où chacun intervient dans son domaine de compétence sans connaître le travail de l’autre. La science ne nécessite pas seulement l’ouverture des données ou des publications. Elle nous incite aussi à garder l’esprit ouvert.

1 Les deux termes recouvrent des réalités proches. La notion de pépinière est surtout liée au fait que certains dispositifs se

2 IGÉSR, La place des bibliothèques universitaires dans le développement de la science ouverte, février 2021, p. 43 et suiv. ; Astrid

3 Voir, par exemple, Odile Contat, Anne-Solweig Gremillet, Publier : à quel prix ? Étude sur la structuration des coûts de

4 Caroline Dandurand, op. cit., p. 21.

5 https://epi-revel.univ-cotedazur.fr

6 https://popups.uliege.be/accueil

7 https://polen.uca.fr

8 https://open.u-bordeaux.fr/journals

9 https://www.publications-prairial.fr

10 https://preo.u-bourgogne.fr/portail

11 https://www.mshparisnord.fr/publication/revues

12 Réseau des métiers de l’édition scientifique publique : https://medici.cnrs.fr

13 https://reseau-reperes.fr

Notes

1 Les deux termes recouvrent des réalités proches. La notion de pépinière est surtout liée au fait que certains dispositifs se conçoivent comme un espace de transition vers des plateformes disposant d’une visibilité internationale comme OpenEdition.

2 IGÉSR, La place des bibliothèques universitaires dans le développement de la science ouverte, février 2021, p. 43 et suiv. ; Astrid Aschehoug, Les pôles éditoriaux : contexte, état des lieux et perspectives, mars 2022, 33 p. ; Caroline Dandurand, Préfiguration d’une structuration collective des éditeurs scientifiques publics engagés dans la science ouverte, juillet 2022, p. 25 et suiv.

3 Voir, par exemple, Odile Contat, Anne-Solweig Gremillet, Publier : à quel prix ? Étude sur la structuration des coûts de publication pour les revues françaises en SHS, 2016, 18 p. ; Jean-Yves Mérindol, L’avenir de l’édition scientifique en France et la science ouverte, novembre 2019, 63 p.

4 Caroline Dandurand, op. cit., p. 21.

5 https://epi-revel.univ-cotedazur.fr

6 https://popups.uliege.be/accueil

7 https://polen.uca.fr

8 https://open.u-bordeaux.fr/journals

9 https://www.publications-prairial.fr

10 https://preo.u-bourgogne.fr/portail

11 https://www.mshparisnord.fr/publication/revues

12 Réseau des métiers de l’édition scientifique publique : https://medici.cnrs.fr

13 https://reseau-reperes.fr

Illustrations

 

 

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Citer cet article

Référence papier

Jean-Luc de Ochandiano, « Les pépinières de revues scientifiques : des lieux d’expérimentation éditoriale au service de la science ouverte », Arabesques, 108 | 2023, 4-5.

Référence électronique

Jean-Luc de Ochandiano, « Les pépinières de revues scientifiques : des lieux d’expérimentation éditoriale au service de la science ouverte », Arabesques [En ligne], 108 | 2023, mis en ligne le 19 janvier 2023, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3134

Auteur

Jean-Luc de Ochandiano

Coordinateur de Prairial, pôle éditorial Lyon Saint-Étienne, université Jean Moulin Lyon 3

jean-luc.de-ochandiano@univ-lyon3.fr

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