Quel est votre sujet de thèse ?
Je prépare actuellement une thèse de doctorat en histoire contemporaine à l’Université de Nice-Sophia Antipolis, sous la direction du professeur Ralph Schor, consacrée à l’étude des étrangers dans les régions frontalières françaises (1860-1920).
Le choix de votre sujet a-t-il été influencé par la disponibilité des documents ?
Toute thèse de sciences humaines nécessite une quantité de documents suffisante, c’est indéniable. Cependant il ne faut pas oublier que l’élaboration d’une thèse d’histoire repose avant tout sur la collecte de sources dans les divers dépôts d’archives qu’ils soient à l’échelle départementale (Archives départementales) ou nationale (Archives nationales, archives de l’armée de terre…) ou à l’étranger (Archives fédérales suisses, archives d’État en Italie…). Ceci étant dit, dans un second temps il est nécessaire de constituer une solide bibliographie indispensable à la mise en perspective historiographique de la thèse. Ainsi, à ce jour ma bibliographie de travail ne compte pas moins de 80 pages. De plus il faut ajouter que les sources imprimées constituent parfois pour certains sujets une part prépondérante de la bibliographie.
Sur vos trois années de travail, à combien estimez-vous le temps consacré à la recherche documentaire ?
Cela est fort variable d’un mois à l’autre, mais on peut dire que l’on passe globalement un quart à un tiers de son temps à rechercher des livres et à les faire venir.
Quels outils de recherche avez-vous utilisés ?
Pour tout historien la bible de la recherche documentaire, si je puis dire, est sans conteste la Bibliographie annuelle de l’histoire de France publiée chaque année par le CNRS depuis 1955. Cet ouvrage recense en effet tous les travaux, ou presque, produits sur l’histoire de notre pays et les rend facilement accessibles par un index thématique et par auteur. Cette publication a cependant un inconvénient majeur, elle paraît plus d’un an après la publication des ouvrages. Il est donc important de consulter les dernières thèses soutenues et surtout de se tenir au courant des séminaires, colloques, tables rondes et autres journées d’études (je recommande ici le site calenda1), car ils débouchent souvent sur la publication de synthèses fort pratiques. Internet a en effet révolutionné la recherche documentaire en la rendant plus simple et plus rapide, en donnant accès à un grand nombre de bases de données (j’utilise principalement Francis et Historical Abstracts). Je ne peux terminer ce rapide panorama des outils de recherche sans mentionner le Sudoc qui permet de rechercher et de localiser par titre, par auteur, par thème, etc. les livres contenus dans les différentes bibliothèques universitaires françaises. Cet outil est également fort utile pour compléter une notice bibliographique.
Avez-vous eu recours à de la documentation étrangère ? Si oui comment ?
La nature même de mon sujet nécessite en effet la lecture d’ouvrages en allemand (émigration suisse et allemande), italien (émigration italienne) et bien sûr en anglais (pour la partie théorique et les concepts migratoires). Ne lisant pas couramment l’espagnol je n’ai pratiquement pas eu recours à cette littérature. Pour trouver rapidement des références bibliographiques à l’étranger j’utilise le merveilleux catalogue de la bibliothèque de Karlsruhe qui permet de chercher les livres dans différents pays européens. Pour les consulter j’ai recours au prêt entre bibliothèques : les livres en langue italienne sont conservés en majeure partie à Grenoble et à l’université Paris-III. Les ouvrages en anglais sur les migrations peuvent souvent être achetés à moindre coût (10 à 15 euros par livre) sur les sites anglosaxons de vente en ligne. Par contre les bibliothèques universitaires françaises sont dramatiquement pauvres en ouvrages sur les migrations en Allemagne et en Suisse et plus généralement en documents en langue allemande. La documentation que je ne trouve pas en format pdf sur Internet (La Suisse a mis un nombre non négligeable de ses thèses en ligne, un exemple à suivre…) je vais la chercher directement dans les bibliothèques bâloises (je précise que je suis né et que mes parents résident non loin de la frontière).
Avez-vous eu des difficultés pour vous procurer les documents ?
Ayant fait mes études à Strasbourg jusqu’à la maîtrise, je disposais avec la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg d’un merveilleux outil dont je n’avais pas alors pleinement conscience de la perfection. Lors de ma maîtrise l’essentiel des documents se trouvaient sur place et je n’ai commandé par le prêt entre bibliothèques (PEB) qu’une vingtaine d’ouvrages. Je n’ai pas retrouvé à Nice des fonds aussi riches mais je me suis vite mis à demander les ouvrages par le PEB ; cela est fort rapide quoiqu’un peu onéreux à la longue mais on n’a pas le choix si on veut faire une bonne thèse ! De plus je continue d’emprunter des ouvrages dans des bibliothèques de l’Est de la France, en particulier la bibliothèque universitaire de Besançon, que je souhaite ici publiquement remercier, car elle me rend vraiment la vie plus facile. Sans elle le nombre de livres que je devrais faire venir par le PEB serait beaucoup trop élevé. Comme je l’ai déjà précisé plus haut, les ouvrages en allemand sur la Suisse sont difficilement accessibles en France et c’est dommage car ils sont riches et pourraient renouveler bon nombre de perspectives historiographiques. Seconde chose, singulière, en France, c’est le refus de certaines bibliothèques de prêter les thèses sous prétexte qu’elles existent sous forme de microfiches. Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de lire de bout en bout une thèse sur microfiche, c’est très éprouvant pour les yeux et pour ainsi dire presque impossible, surtout lorsque vous devez en lire plusieurs à la suite.
Quel regard portez-vous sur les outils de recherche mis à disposition des doctorants ?
À l’échelle française on ne peut pas se plaindre : la majeure partie des ouvrages est disponible au moins dans une bibliothèque (bien que parfois il soit très difficile de les faire venir). Mais les inégalités territoriales sont grandes et globalement, dans le domaine des migrations, on en est encore à Paris et le désert français. La BSG, CUJAS ou la BIU de la Sorbonne n’ont pas d’équivalent en province, y compris à Strasbourg qui bénéficie pourtant en principe du dépôt légal. Espérons qu’Internet réduise ces disparités comme il a commencé à le faire, mais nous ne sommes pas encore au niveau des Canadiens ou des Australiens qui ont fait du web un véritable outil de rééquilibrage.
Quel serait l’outil de recherche idéal ?
Il n’existe pas et n’existera jamais ; cependant un outil fort utile serait un système permettant de consulter les livres et les articles en texte intégral et gratuitement par Internet, mais on peut toujours rêver !
Comment avez-vous découvert ces outils ?
Le problème de la formation aux outils de recherche est une question centrale et elle est fort défaillante en France. Pour ma part je n’ai eu qu’une journée de formation au début de ma maîtrise et deux journées en DEA. Comme souvent c’est le bouche à oreille et les lectures sur Internet qui permettent de découvrir l’existence puis toute la potentialité de ces outils. Encore aujourd’hui je suis sûr qu’une formation plus poussée me permettrait de découvrir des bases de données spécialisées ou des sites de ressources à l’étranger.
Quels conseils donneriez-vous à un futur doctorant, concernant la partie « recherche documentaire » ?
Il doit être persévérant et volontaire, y compris s’il habite dans une ville ne disposant pas de fonds documentaires importants, car le PEB existe et peut être complété par quelques voyages à Paris. Il doit toujours aller du général au particulier et lire les documents au fur et à mesure qu’il les obtient. L’essentiel est, enfin, de se tenir au courant de l’actualité de la recherche, c’est-à-dire de la tenue des colloques les plus importants, dont la lecture des actes fait souvent gagner beaucoup de temps.
Propos recueillis par Laurent Piquemal
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