La mise en œuvre d’une politique de sobriété numérique dans une bibliothèque publique

DOI : 10.35562/arabesques.3429

p. 18-20

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La Bibliothèque municipale de Lyon a inscrit une politique de sobriété numérique dans son projet d’établissement dans le cadre du programme Bibliothèque numérique de référence du ministère de la Culture.

L’impact carbone du numérique et ses conséquences socio-économiques est un sujet neuf pour le grand public des bibliothèques, qui a vu quasiment l’ensemble des services privés et publics se dématérialiser depuis 10 ans, l’impact social et environnemental de ce passage au tout numérique ayant eu peu de poids dans cette décision. Le déclenchement de la guerre en Ukraine corrélé à une nouvelle crise énergétique a redonné toute leur légitimité aux politiques de sobriété, y compris numérique.

Faut-il rappeler que le poids du numérique dans l’émission des Gaz à effet de serre (GES) ne cesse d’augmenter depuis qu’on a commencé à la mesurer ? Pour la Commission européenne, le numérique représentait, en 2021, entre 5 et 9 % de la consommation d’électricité mondiale et plus de 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (soit autant que l’ensemble du trafic aérien)1. Sans action particulière, le numérique pourrait représenter 14 % des émissions mondiales d’ici à 20402. La maîtrise de l’empreinte carbone des services numériques est donc un enjeu de société, que chaque acteur, public ou privé, pourvoyeur de services en ligne se doit d’intégrer à son organisation. Une politique de sobriété numérique n’est pas neutre pour l’organisation d’un service et elle implique de mesurer les conséquences techniques, juridiques, économiques et sociétales induites par sa mise en œuvre.

La Bibliothèque municipale de Lyon (BmL) a inscrit cette ambition dans son projet d’établissement. Grâce au programme Bibliothèque numérique de référence3 du ministère de la Culture, la BmL met en œuvre un ensemble de projets visant à promouvoir la sobriété numérique auprès des publics mais également en interne et dans ses relations avec des partenaires extérieurs. Cette action s’inscrit dans le même calendrier que celui de la ville de Lyon, qui a effectué en juin 2021 le bilan carbone de ses services numériques. Celui-ci pointe la surreprésentation de la fabrication du matériel informatique dans ses émissions (80 %) loin devant les usages (16 %), l’échange ou le stockage de données. Plus largement, la ville défend un numérique choisi, basé sur 5 axes de travail : sobriété, proximité, souveraineté, valorisation de la donnée et efficience des services numériques4, qui redonne toute sa place à un numérique accessible.

 

 

La sobriété numérique, un sujet de société, émergent et fédérateur, pour les publics des bibliothèques

Diffuser des connaissances sur la sobriété numérique, rendre visible la dématérialisation, permettre l’émergence de réflexions critiques sur un phénomène qui semble incontournable, promouvoir le débat, donner des clés et de bonnes pratiques pour agir, telles sont les premières actions mises en œuvre pour sensibiliser les publics sur l’impact environnemental du numérique à la BmL.

Depuis 2021, des conférences régulières sur la sobriété numérique (2021/2022), puis sur la Low-tech (2022/2023) ont permis d’ouvrir le débat sur les coulisses du numérique en mobilisant notamment des chercheurs des universités de Lyon. De l’extraction des ressources à la fin de vie des matériels, l’industrie du numérique repose sur l’exploitation sans relâche des ressources naturelles (minerais, eau, paysages…) et sur des droits humains bafoués5 dans des territoires où le recours au travail des enfants et l’exploitation des ouvriers sont rendus possibles par une économie post-colonialiste. En filigrane de tous ces échanges, auxquels participe un public nombreux et intergénérationnel, se pose toujours la question de l’éthique qu’implique notre usage massifié du numérique, à l’échelle individuelle et collective.

Des ateliers numériques tels que « À la découverte de la sobriété numérique », « Bonnes pratiques du numérique » explicitent concrètement aux usagers quels gestes adopter pour que leurs usages du numérique soient plus responsables et vers quels acteurs du territoire promouvant la sobriété numérique ils peuvent se tourner. L’organisation de fresques du numérique ou d’ateliers « 2 tonnes » pour les publics est à l’étude pour visualiser les trajectoires individuelles et collectives d’émissions Carbone et identifier les leviers les plus utiles pour atteindre des objectifs soutenables.

La sobriété numérique, une problématique transversale pour les agents de la bibliothèque

Sensibiliser : en interne, une stratégie numérique responsable débute par une phase de sensibilisation des agents et des acteurs directs du numérique (Web, service informatique, producteurs de contenus…). Cela implique de rendre visible le cycle de vie du matériel soutenant les services numériques (terminaux, réseaux, data-centres). Des fresques du numérique seront donc proposées dès cette année aux agents intéressés. Les participants y apprendront, qu’en fin de vie, le matériel numérique et informatique est très peu recyclé. L’Union européenne, qui est l’un des meilleurs élèves en matière de recyclage des déchets électroniques, couvrait en 2019 42,5 % du matériel. Au niveau mondial, toujours en 2019, seuls 17,4 % des déchets issus d’équipements électriques et électroniques (DEEE) étaient collectés et recyclés selon les Nations unies. Faire durer le matériel informatique, c’est éviter qu’il pollue notre environnement.

Inviter les collègues à mesurer leur empreinte carbone6, prêter des wattmètres pour mesurer et comparer la consommation énergétique des appareils et intégrer des fresques du numérique au plan de formation : les outils ne manquent pas pour aborder la sobriété numérique en se basant sur l’expérience individuelle plutôt que sur une injonction d’organisation. La création d’espaces de dialogues, « les expressos numériques », sera expérimentée dans le but de favoriser la montée en compétences des agents sur ces questions, tout en permettant à chacun d’exprimer ses interrogations quant à cette évolution des pratiques.

Faire durer le matériel : la fabrication du matériel et sa diffusion étant responsables de la majeure partie de nos émissions de gaz à effet de serre, l’objectif principal est de rallonger la durée d’usage des terminaux et des équipements, de préférer la mutualisation à l’achat et d’essayer autant que possible de réparer. Cela implique de renforcer les équipes informatiques et de former les agents en général.

Cette attitude constitue un changement de paradigme, qui n’est pas toujours en adéquation avec les pratiques des prestataires externes en charge de la maintenance informatique. Remplacer rapidement un matériel en panne par du neuf va aujourd’hui plus vite que de passer du temps à essayer de le réparer. Le ticket est clos, on n’en parle plus. Le travail de conviction doit donc aussi intégrer un dialogue avec ces partenaires externes.

En bibliothèque, dans des environnements budgétaires souvent contraints, l’objectif de durabilité est simple à mettre en œuvre et les pratiques des services informatiques sont souvent déjà vertueuses à cet égard. Avec la loi AGEC7, il faut désormais acquérir du matériel reconditionné à hauteur de 20 % minimum du parc informatique. Le marché informatique commun à la ville et à la métropole de Lyon intègre désormais cet objectif et vise à harmoniser le profil des postes informatiques déployés sur les 59 communes pour constituer un vivier de machines quasi identiques plus faciles à réparer et à réinjecter sur ce territoire que des terminaux hétérogènes.

 

 

Crédit photo Fairphone

Promouvoir l’écoconception des services numériques

La refonte du site web de la BmL puis de la bibliothèque numérique patrimoniale Numelyo fait partie du programme BNR2 de la BmL. Ces nouveaux services vont intégrer dans leurs consultations les préconisations Référentiel général d’écoconception de services numériques (RGESN)8 en matière de développement Web. En amont comme en aval, cela implique de former les équipes des services Web, communication et les producteurs de contenus à l’écoconception, mais également à l’accessibilité numérique dont les prérequis se complètent et se renforcent au bénéfice du public. Pour faciliter leur maintenance et leur mise à jour, cela oblige, d’une part à mieux dimensionner nos contenus en ligne en allant à l’essentiel, d’autre part à questionner la légitimité de développer à l’avenir de nouveaux services numériques si les critères de sobriété, d’accessibilité et d’inclusion numérique, ne sont pas respectés.

Pour les ressources externes mises à disposition, comme les contenus en ligne de presse, d’auto-formation ou de VOD, le problème reste entier puisque, malgré certaines améliorations, la majorité des contenus n’est pas accessible et l’écoconception de ces services reste difficile à évaluer. Là encore, il faut envisager un dialogue avec les éditeurs et le renforcement des critères de sélection lors des consultations.

Mesurer nos émissions de gaz à effets de serre

Enfin, la mesure de l’empreinte environnementale des services numériques est programmée et s’appuiera soit sur un bilan carbone, soit sur la méthode de l’analyse des cycles de vie (ACV). Cette dernière, en plus du calcul des émissions de GES, offre l’avantage de visualiser plus largement les conséquences environnementales des usages numériques, en décrivant aussi l’impact sur la biodiversité, la toxicité pour l’homme, la diminution des ressources, l’acidification des milieux, l’eutrophisation des eaux.

Ce projet implique de se former aux différentes techniques en amont pour bien calibrer le périmètre et identifier et mesurer la fiabilité des jeux de données à mobiliser. Bilan carbone ou ACV doivent déboucher sur un plan d’action, décrivant les leviers capables d’infléchir la trajectoire des émissions de la BmL dans le temps, avant le bilan suivant. La BmL sera accompagnée dans cette démarche par un acteur du secteur.

La sobriété numérique n’est qu’un des axes de réflexion sur la transition écologique des organisations. Dans tous les secteurs d’activités de la bibliothèque, de l’achat public à la médiation, les enjeux de la transition doivent être partagés et déclinés. À la BmL, un groupe de travail, Bibliothèque verte, travaille à la mise en commun des savoirs, des compétences et des bonnes pratiques sur ces sujets, et à définir des préconisations. Au sein de la communauté professionnelle, il faut maintenant envisager que ces problématiques de sobriété, tous secteurs confondus, constituent le fil rouge des projets d’établissement pour préparer agents et usagers au monde qui vient.

Quelques conférences sur la sobriété numérique et la low tech organisées à la bml

Sobriété numérique - les clés pour agir – Frédéric Bordage (Green IT)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1248

Des nuages, du brouillard, des réseaux ! – Laurent Lefèvre (INRIA, ENS Lyon)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1266

Le numérique de demain peut-il être plus vertueux et soutenable ? Stella Bitchebe (INRIA, ENS Lyon)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1271

L’enfer numérique, voyage au bout d’un like – Guillaume Pitron (Journaliste)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1313

Low tech, un levier pour le bien commun. Peut-on concevoir des produits éthiques et durables ? Agnès Crepet (Fairphone) et Isabelle Huynh (Institut transitions)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1314

Le rôle des low tech dans la transition écologique – Philippe Bihouix (AREP)
https://www.bm-lyon.fr/spip.php?page=video&id_video=1338

Notes

1 https://theshiftproject.org/article/pour-une-sobriete-numerique-rapport-shift

2 https://www.greenit.fr/2019/10/22/12982

3 Commission des affaires économiques. Avis sur la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France. Anne- Catherine LOISIER (Sénatrice) http://www.senat.fr/rap/a20-233/a20-2331.html

4 https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Les-bibliotheques-publiques/Numerique-et-bibliotheques/Les-Bibliotheques-numeriques-de-reference

5 https://unctad.org/publication/commodities-glance-special-issue-strategic-battery-raw-materials

6 https://nosgestesclimat.fr

7 https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041553759

8 https://ecoresponsable.numerique.gouv.fr/publications/referentiel-general-ecoconception

Illustrations

References

Bibliographical reference

Mélanie Le Torrec, « La mise en œuvre d’une politique de sobriété numérique dans une bibliothèque publique », Arabesques, 109 | 2023, 18-20.

Electronic reference

Mélanie Le Torrec, « La mise en œuvre d’une politique de sobriété numérique dans une bibliothèque publique », Arabesques [Online], 109 | 2023, Online since 12 mai 2023, connection on 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3429

Author

Mélanie Le Torrec

Responsable du développement numérique, chef de projet Bibliothèque numérique de référence

mletorrec@bm-lyon.fr

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