Sciences et recherches participatives : les BU en quête du bon positionnement

DOI : 10.35562/arabesques.3687

p. 18-19

Plan

Texte

Expertes en matière de gestion documentaire et de médiation auprès des publics, les bibliothèques universitaires ont tout leur rôle à jouer dans les démarches de sciences et recherches participatives. Une nouvelle mission dans laquelle elles s’engagent progressivement.

On les appelle sciences et recherches participatives (SRP) en France ou Citizen Science (CS) dans la plupart des pays européens1. Il s’agit de mener un projet scientifique avec une implication conséquente, pouvant être de nature diverse, de citoyens non spécialistes (bien que cette définition minimaliste2 ne rende pas justice à la diversité des pratiques, des objets, des méthodes et des acteurs des projets de CS). Les bibliothèques universitaires (BU) commencent à s’intéresser sérieusement à ces pratiques qui, sans être nouvelles, connaissent un développement considérable depuis une dizaine d’années. La création du Citizen Science Working Group (CSWG) de LIBER en 2019 a permis d’amorcer des réflexions et des échanges de pratique sur ces enjeux. Si en France l’intérêt est bien présent et que nombre de bibliothécaires suivent les formations assurées par l’Urfist de Bordeaux, c’est pourtant assez timidement encore qu’il se concrétise3.

Une expertise stratégique

De fait, les BU peinent à déterminer leur rôle vis-à-vis des SRP. C’est dans le sillage du pilotage des politiques de science ouverte que la mission d’implémentation des SRP s’est mise en œuvre dans plusieurs établissements européens. L’embauche d’un Citizen Science Officer à la BU d’Edimbourg4 ou la création d’un Citizen Science Knowledge Center par la BU du Sud Danemark5 sont deux exemples d’actions menées par des BU pour engager leurs établissements dans les SRP. En France, les politiques Sciences et société6 de ces deux dernières années ont été clairement distinguées des politiques de science ouverte (SO), si bien qu’elles se construisent parallèlement sans forcément se croiser. Il est vrai que, si les SRP sont une des branches de la science ouverte, elles sont souvent oubliées par rapport à celles qui relèvent davantage de la diffusion des savoirs que de leur production. Intégrer la dimension SRP dans les feuilles de route SO revient à promouvoir non seulement une ouverture des méthodes scientifiques aux citoyens, mais aussi à valoriser des modes d’expression scientifique qui ne soient pas qu’académiques7. C’est là que réside la compétence stratégique de la BU : dans sa capacité à voir les enjeux documentaires des transformations académiques et à y répondre pour engager l’université dans une circulation des savoirs la plus large possible.

Une expertise documentaire

Les bibliothèques peuvent mobiliser leur expertise documentaire en termes de données, de publications et de collections. Un des enjeux des SRP est d’assurer que les données collectées soient de bonne qualité. La BU peut y contribuer par la formation des participants des projets de SRP. Les BU de Zagreb ou encore de Washington and Lee University (USA)8 ajoutent ainsi un volet sur les pratiques participatives aux formations à l’information numérique, aux données ou aux sciences ouvertes. Les BU peuvent aussi être appelées à mobiliser leur expertise en matière de PGD, encore en développement mais de plus en plus assurée, pour des projets à la fois axés sur la qualité des jeux de données et leur mise en circulation. De fait, la circulation des savoirs produits dans un projet de SRP est un enjeu peut-être trop souvent oublié, bien qu’il relève d’un engagement politique et éthique envers les participants. Les Citizen Science Centers assurent rarement une valorisation documentaire des productions de ces projets et il y a là un champ bibliothéconomique à explorer. Par ailleurs, les demandes bibliométriques sur les publications des projets de SRP se multiplient et appellent à ce que les bibliothécaires aient une connaissance claire de ce que sont les SRP. Pour cela, on pourra se reporter aux thesaurus Citizen Science d’Inrae9 et de l’Inist10 ou aux recommandations de l’Urfist de Bordeaux en matière de thesaurus CS11. Les BU peuvent aussi participer au signalement des projets SRP, comme le fait la BU de Ljubljana en Slovénie12 qui en propose un catalogue. Certes, la couverture géographique et l’identification des projets rendent ce type de catalogues complexes, mais néanmoins la signalisation peut trouver d’autres formes, comme l’intégration au catalogue de kits de sciences participatives13.

 

 

Crédit photo Adobe Stock - FrankBoston

Collections, médiation et formations

Les BU peuvent également être des partenaires actives des projets SRP. Si les pratiques participatives sont déjà très mobilisées dans les bibliothèques nationales et territoriales14 , elles n’ont pas fait l’objet d’un fort développement en BU. Pourtant, les projets Collex-Persée, qui sont déjà des partenariats entre une bibliothèque et une équipe de recherche autour d’une collection, pourraient facilement être prolongés par des temps de participation du grand public pour de la transcription, de la géolocalisation, etc. De même, la BU peut être une partenaire de la promotion des projets SRP par son travail de médiation scientifique. Pour exemple, en 2022, la BU de l’université de Bordeaux a participé à la valorisation du projet participatif Spipoll15 : cocréation d’une exposition, installée dans le hall, organisation de deux ateliers (plateforme Spipoll et fonds anciens en entomologie) à destination des scolaires et du grand public, et sélection de ressources imprimées et numériques (dont des jeux de données).Le rôle des bibliothèques universitaires dans le développement des projets de SRP est légitime, mais bien sûr, il faudra se former. Pour cela, il est possible de suivre les formations des Urfist, le MOOC de Vigie-Nature, les modules de CitizenScience.eu, ou encore les séminaires et ateliers du CSWG de LIBER. Avec tant de formations proposées, les BU trouveront vite matière à défendre leur rôle dans ce renouvellement des pratiques de recherche et de diffusion des savoirs.

RÉSONA : UNE RÉSIDENCE WIKIMÉDIA À L’URFIST DE BORDEAUX

Depuis février 2023, Pierre-Yves Beaudouin a rejoint l’équipe de l’Urfist de Bordeaux pour un an afin de mettre en œuvre le projet RéSoNA (Résidence Science Ouverte en Nouvelle-Aquitaine) articulé autour de 5 axes :

• IDENTIFICATION : de l’analyse de la diffusion des productions scientifiques sur Wikipédia et Wikidata à une enquête sur les pratiques documentaires des rédacteurs de Wikipédia, la résidence travaille à mieux comprendre les relations entre science ouverte et Wikimedia.
• VALORISATION : plusieurs initiatives sont mises en place dans le calendrier des temps forts de Wikimedia, contribution à Wikipédia dans le cadre de la campagne 1Lib1Ref ou avec l’association des sans pagEs, concours photo Wiki Science Competition, etc.
• ANIMATION : de nombreux ateliers de découverte des projets Wikimedia sont organisés avec l’appui des réseaux de professionnels, réseau Mate-SHS, réseaux Repères et Médici, etc. Les actions nationales, pensées par la résidence bordelaise (WikiCafés, infolettre WikiL@b), complètent ce travail de réseau.
• FORMATION : pour que la formation ne s’arrête pas à la fin de la collaboration, la résidence bordelaise travaille à la conception d’une formation en ligne sur la plateforme Moodle du réseau des Urfist (Callisto) intitulée « outils pour la recherche : données et datavisualisation ».
• COMMUNICATION : pour favoriser la réplicabilité de la résidence, un important effort de documentation est réalisé, rédaction d’un guide des premiers pas du wikimédien en résidence, mode d’emploi pour réaliser la veille et la diffusion de l’infolettre wikil@ab, etc.

À l’heure du bilan à mi-parcours, la résidence est un succès et devrait permettre d’enclencher des pratiques pérennes d’échange entre les deux communautés.

Notes

1 Voir le tableau des termes par pays dans Eitzel, M. V., et al. (2017). Citizen Science Terminology Matters: Exploring Key Terms. _Citizen Science: Theory and Practice_, _2_(1), 1. https://theoryandpractice.citizenscienceassociation.org/articles/10.5334/cstp.96 Retour au texte

2 Voir Haklay, M., et al. (2021). What Is Citizen Science? The Challenges of Definition. In K. Vohland, A. et al. (Éds.), _The Science of Citizen Science_ (p. 13 33). Springer International Publishing. https://doi.org/10.1007/978-3-030-58278-4_2 Retour au texte

3 Comme en témoignent les résultats de l’enquête lancée par Nahelou May en juin 2023 pour son mémoire de master à l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques). Retour au texte

4 www.youtube.com/watch?v=J1ePWvcxn3g&ab_channel=LIBEREurope Retour au texte

5 https://sdunet.dk/en/research/citizenscience/om-videncentret Retour au texte

6 Dont le label SAPS, Science Avec et Pour la Société, lancé en 2021 par le MESR, et dont les projets comportent en général un volet SRP Retour au texte

7 Voir le texte de présentation de la journée nationale d’étude « Sciences participatives et communication scientifique : écrire, publier, valoriser », organisée par le réseau Urfist en novembre 2023. Retour au texte

8 www.youtube.com/watch?v=J1ePWvcxn3g&list=PLHA3lUmrYM3uQnOI0M8uYCr00vwp_6kf3&index=11 Retour au texte

9 https://consultation.vocabulaires-ouverts.inrae.fr/thesaurus-inrae/fr/page/c_20199 Retour au texte

10 https://skosmos.loterre.fr/TSO/fr/page/-KBRVB4PD-K et Science citoyenne : https://skosmos.loterre.fr/TSO/fr/page/-GW6WNBGQ-X Retour au texte

11 https://ecodoc.u-bordeaux.fr Retour au texte

12 https://citizenscience.si Retour au texte

13 L’association SciStarter propose aux bibliothèques américaines des kits de science participative : https://scistarter.org/library-kits Retour au texte

14 Voir Raphaëlle Bats, « De la participation à la mobilisation collective, les bibliothèques à la recherche de leur vocation démocratique » : https://hal.science/tel-02465951 Retour au texte

15 Le programme Spipoll est un projet participatif d’inventaire des pollinisateurs. https://spipoll-bordeauxmetropole.fr Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Raphaëlle Bats et Nahelou May, « Sciences et recherches participatives : les BU en quête du bon positionnement », Arabesques, 111 | 2023, 18-19.

Référence électronique

Raphaëlle Bats et Nahelou May, « Sciences et recherches participatives : les BU en quête du bon positionnement », Arabesques [En ligne], 111 | 2023, mis en ligne le 03 octobre 2023, consulté le 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3687

Auteurs

Raphaëlle Bats

Coresponsable de l’Urfist de Bordeaux

raphaelle.bats@u-bordeaux.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ORCID
  • ISNI
  • VIAF
  • BNF

Articles du même auteur

Nahelou May

Élève en master PBD à l’Enssib (École des sciences de l’information et des bibliothèques)

nahelou.may@enssib.fr

Autres ressources du même auteur

  • IDREF

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0