Retour d’Amérique

Que sont les bibliothèques devenues...

DOI : 10.35562/arabesques.3885

p. 16-19

Plan

Texte

Un groupe de six conservateurs de bibliothèques1 a effectué, avec le soutien et le conseil de la sous-direction des bibliothèques et de la documentation, un voyage d’études aux USA, sur le thème de l’offre électronique et des services associés. Du 23 septembre au 1er octobre 2002, ont été visités trois bibliothèques universitaires, celles du MIT, d’Harvard et de l’Université de Chicago, autant de bibliothèques publiques (Boston, New York et Chicago) et le siège d’OCLC, à Dublin (Ohio). Dans les bibliothèques publiques, ce sont les services dits « d’études » ou de « recherche » qui ont été privilégiés, pour leur complémentarité, du point de vue des publics et des collections, avec les « bibliothèques académiques ».

Des établissements puissants et dynamiques

De par leur histoire, leurs moyens et la richesse de leurs fonds, les bibliothèques visitées ont en commun de figurer parmi l’élite des établissements nord‑américains. Cela dit, par leur dynamisme et leur influence, ces bibliothèques, qu’elles soient publiques ou « académiques », sont aussi révélatrices des grandes tendances actuelles et à venir et apportent un certain nombre de réponses aux questions que se pose aujourd’hui la profession.

Chacun de ces établissements est en réalité un réseau. C’est ainsi que la bibliothèque du MIT regroupe une cinquantaine de départements, tandis que celle d’Harvard totalise 90 sites, répartis sur d’immenses campus, dont certains situés à l’étranger. La dimension des réseaux des bibliothèques publiques est comparable, avec 85 annexes et 4 bibliothèques de recherche à New York ou bien encore 78 sites à Chicago.

À ce gigantisme répond celui des collections. La New York Public Library possède environ 55 millions de documents, soit plus qu’aucune bibliothèque française. Quant à celle d’Harvard, elle est, avec ses 14 millions de documents, la plus grande bibliothèque universitaire du monde.

Surtout, ce sont les moyens financiers dont bénéficient ces bibliothèques qui leur permettent d’offrir des équipements modernes, des ressources documentaires et des services d’une grande diversité. En effet, que ce soit en bibliothèque « académique » ou en bibliothèque publique, les sources de financement pour l’équipement et la documentation sont multiples. Certes, les premières profitent largement de frais de scolarité élevés (de l’ordre de 15 000 $ par an et par étudiant dans une université d’État moyenne, et jusqu’à 27 000 $ au MIT), mais elles sont également impliquées, comme leurs homologues publiques, dans des projets financés sur des fonds nationaux, régionaux ou privés. Citons pour exemple l’opération de catalogue virtuel du Massachusetts2, à laquelle participent la Boston Public Library, le MIT ainsi qu’un grand nombre de bibliothèques scolaires et privées. En outre, la tradition de dons y est très ancrée et contribue à la création de fonds particuliers, tel un fonds Jeanne d’Arc, constitué à Harvard grâce à la donation d’un ancien étudiant. Dans les bibliothèques publiques, les budgets alloués par les municipalités sont largement complétés par des financements fédéraux3 et régionaux qui s’imbriquent, ainsi que par des ressources émanant de fondations (à l’image de celle de Bill Gates qui a notablement contribué à l’informatisation des bibliothèques) ou de donateurs privés, comme la société Boeing à Chicago.

La diversité des sources de financement pousse les établissements à se montrer particulièrement innovants et à se distinguer afin de bénéficier au maximum des subventions publiques et des faveurs des investisseurs privés4. Face à cette surenchère de programmes et d’initiatives, le bibliothécaire français a parfois du mal à percevoir une politique réfléchie et cohérente.

Quand l’accès au savoir s’appuie sur une démarche marketing

Et pourtant, l’on trouve bien, en arrière-plan, une mission commune qui est d’ouvrir au plus grand nombre l’accès à la connaissance. Rien de très original par rapport à la situation française... Ce qui l’est peut‑être davantage, c’est la manière dont cet objectif se combine avec une démarche de séduction et de satisfaction de « l’usager-client », démarche qui peut prendre à l’occasion la forme d’une véritable opération marketing.

La volonté de démocratiser l’accès au savoir se traduit, dans les bibliothèques publiques, notamment, par l’implantation d’annexes dans tous les quartiers, y compris les plus défavorisés, où elles sont souvent le seul équipement public. La gratuité y est de règle pour la plupart des services ; seules des prestations complémentaires telles que les photocopies et réservations peuvent faire l’objet d’une tarification. De plus, dans chacun de ces établissements, des salles de formation dernier cri ont été conçues, pour y accueillir des sessions de formation initiale ou continue, assurées parfois par des intervenants extérieurs. Dans le domaine des nouvelles technologies les bibliothèques se positionnent même comme de véritables établissements d’enseignement.

De gros efforts sont enfin accomplis pour refléter la diversité culturelle du pays, puisque chaque communauté se voit consacrer un fonds spécifique et dispose, de plus en plus fréquemment, d’interfaces d’OPAC ou de bases de données dans sa langue maternelle5.

Du côté des « bibliothèques académiques », cette vocation démocratique paraît moins nette, puisque c’est avant tout la communauté universitaire qui est desservie. Elles n’en sont pas moins confrontées à une certaine volatilité du public, tenté par d’autres modes d’accès à l’information, et se voient contraintes de le (re)conquérir par tous les moyens. C’est dans un tel contexte qu’il faut entendre la devise radicale d’une bibliothécaire d’Harvard « Whatever they want, we will do ». Séduction et satisfaction des usagers constituent en effet les maîtres mots de la politique de ces établissements, de sorte qu’il est parfois malaisé de faire la part entre ce qui relève d’un ajustement légitime de l’offre à la demande et ce qui ressortirait à des stratégies de conquête plus agressives.

Cela passe tout d’abord par des horaires d’ouverture très larges : au MIT et à la bibliothèque Rugenstein de l’université de Chicago, certaines salles automatisées sont ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sans aucun personnel de bibliothèque. Après la fermeture des bâtiments, les sites Web prennent partout le relais, tandis que les services de référence en ligne permettent de répondre à n’importe quelle heure aux questions de l’usager.

Plus frappante encore, vue de France, cette volonté d’adapter l’offre documentaire aux goûts des lecteurs, sans jugement de valeur : les best-sellers occupent naturellement une place de choix dans les collections publiques américaines.

Mais la satisfaction de l’usager passe par une offre de services qui déborde bien souvent la seule fourniture d’informations ou de documents. La bibliothèque publique de Chicago propose ainsi du baby-sitting après l’école, tandis que la Science Industry and Business Library de New York héberge un service municipal d’aide à la création d’entreprises confié à des bénévoles. Dans ce dernier établissement, les employés qui ont perdu leur bureau le 11 septembre 2001 peuvent disposer d’un espace de travail et de connexions réseau pour leurs ordinateurs portables.

Le développement des nouvelles technologies, très fortement encouragé par l’État, participe lui aussi pleinement des efforts accomplis pour « capter » les différents publics, d’autant que se profile la menace (réelle ou supposée) d’une désertification des bibliothèques au profit d’Internet6. L’histoire relatée par un bibliothécaire de Chicago, d’une petite bibliothèque qui a dû mettre la clé sous la porte, faute d’avoir su s’adapter aux NTIC, démontre bien que les bibliothèques doivent rester vigilantes et réactives.

C’est précisément ce qu’ont fait nos établissements, en mettant à la libre disposition des usagers de très nombreux ordinateurs (1 800 postes sur le réseau de Chicago par exemple, 2500 à la New York Public Library) dont une grande partie est connectée à l’internet. Le succès a été franc et massif, comme on s’en doute - à tel point que la messagerie et le chat ont bientôt éclipsé les outils documentaires ! Nos collègues américains se sont alors trouvés confrontés à un dilemme : satisfaire à tout prix le public ou l’inciter plus fortement à utiliser les ressources de la bibliothèque, au risque de le mécontenter… Cette dernière option a finalement été choisie. Depuis l’été 2002, la bibliothèque publique de New York, a mis en place un proxy gérant deux types de postes : certains dédiés au catalogue et aux ressources de la bibliothèque, d’autres connectés à Internet, mais sans accès à la messagerie. Une campagne de communication accompagne cette nouvelle politique. De son côté, la bibliothèque publique de Chicago a récemment décidé d’instaurer des time-out pour canaliser l’usage du Web et dédié 20 % des ordinateurs à la recherche documentaire. Ces deux exemples illustrent la situation délicate dans laquelle se trouvent parfois nos collègues d’outre‑Atlantique, contraints qu’ils sont de contenter leur public par tous les moyens, sans pour autant renoncer à leur métier.

Or, actuellement, l’un des enjeux majeurs de celui-ci réside dans le développement et la valorisation de la documentation électronique.

Bibliothèque publique de Chicago. Patio de la bibliothèque centrale

Bibliothèque publique de Chicago. Patio de la bibliothèque centrale

L’explosion des ressources électroniques

Même lorsque l’on est prévenu, il est toujours étonnant de constater combien l’offre en documentation électronique est ici profuse, séduisante et variée. Quelle surprise de constater, dans les listes de la bibliothèque de l’Université de Chicago, la mention de l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert en ligne, de la Poésie provençale, et d’autres bases de données, dont la présence n’est pas si courante dans les bibliothèques universitaires françaises ! Et les bibliothèques publiques ne sont pas en reste qui proposent à leurs lecteurs des centaines de databases (terme générique désignant aussi bien les bases de données que les revues en plein texte) tels que Eric, JSTOR, ABI-Inform, MUSE Project ou Dissertation Abstracts, etc.

Au MIT, ce sont quelque 4 261 revues et 310 bases de données qui sont ainsi accessibles de tous les points des différents campus, tandis que la collection électronique de la bibliothèque de l’Université de Chicago atteint 19 000 titres. De son côté, la New York Public Library propose plus de 400 bases de données et celle de Chicago 20 000 journaux électroniques. Il est vrai qu’une part non négligeable de cette documentation est constituée de ressources gratuites, que les bibliothécaires américains se sont fait une spécialité de recenser et de signaler.

Les budgets sont bien sûr à la mesure de l’offre. A la bibliothèque publique de Chicago, la somme consacrée à la documentation en ligne atteint 1 110 000 $, soit 10 % du budget documentaire ; pour la seule Science Industry and Business Library de New York, 500 000 $ sont consacrés aux e‑resources.

Celles-ci sont sélectionnées selon des procédures formalisées. À la bibliothèque publique de Boston un comité a été créé pour gérer le budget des ressources électroniques et le répartir entre les différents départements thématiques. Un document de référence, listant un certain nombre de critères à la fois intellectuels et techniques, a été conçu pour préparer le travail de ce comité. De même, à l’université d’Harvard, un comité transversal, composé de bibliothécaires, évalue les produits, teste les interfaces et transmets ses recommandations à un comité d’acquisition, lequel a pour mission de coordonner les achats sur l’ensemble de l’université et favoriser la mutualisation des moyens financiers. Il faut rappeler que ces procédures interviennent dans un contexte budgétaire relativement favorable et que l’offre paraît au final susceptible de contenter les usagers les plus difficiles.

Ajoutons que les licences, négociées au sein de puissants consortia7, permettent (sauf exception), d’ouvrir cette documentation à l’ensemble des campus ou des agglomérations urbaines : dans les bibliothèques publiques, un accès « hors les murs » est désormais possible en s’identifiant avec le numéro de carte de lecteur.

Parallèlement au développement de leurs collections électroniques, les bibliothèques visitées se sont lancées dans d’ambitieux programmes de numérisation, dont l’objectif est double : assurer la conservation des documents patrimoniaux, rares et précieux (objectif rendu plus crucial encore après le 11 septembre 2001) et les diffuser de la manière la plus large possible, dans la limite des contraintes juridiques. L’exemple de la bibliothèque publique de Chicago est sans doute le plus intéressant. Cette institution pilote en effet le plus important programme de numérisation des États‑Unis. Sont concernés en particulier les documents fragiles et les fonds uniques, tels que les archives de la guerre de Sécession ou bien encore une exceptionnelle collection d’enregistrements de blues. Dans ce dernier cas, la technique du « streaming »8 a résolu en partie la question des droits d’auteur.

De manière générale, les bibliothèques publiques américaines n’hésitent pas à établir des partenariats avec d’autres établissements (des universités notamment) et des sociétés commerciales pour mener à bien ce type de projets9. Les bibliothèques universitaires ne sont pas en reste. Au MIT, une initiative nommée DSpace est en chantier depuis deux ans, afin d’héberger, diffuser et surtout archiver la production des membres du MIT, et tout particulièrement les thèses. Ouvert en septembre 2002, DSpace s’adresse à toute la communauté du MIT. Par ailleurs, les universités américaines mettent en ligne des cours, souvent réservés à l’usage exclusif de leurs étudiants, comme c’est le cas à l’université de Chicago. A contrario l’opération du MIT, baptisée OpenCourseWare, est destinée à terme à diffuser librement l’ensemble des cours de l’institut, ainsi que la plate-forme logicielle associée10. La bibliothèque est partie prenante du projet, puisque les cours seront accessibles par le biais des outils de recherche fédérée qu’elle conçoit.

Ce dernier exemple montre le rôle capital que les bibliothèques sont appelées à jouer pour structurer une offre aussi abondante et éparpillée.

De l’intégration des ressources électroniques à la construction de la bibliothèque virtuelle

Un peu partout, des dispositifs permettent d’appréhender les ressources « on line » dans leur globalité, d’en mesurer la complémentarité avec les collections papier et d’y accéder de manière rapide et pertinente : signalement dans les OPAC, création de portails et, plus récemment, choix de logiciels intégrateurs.

Les ressources électroniques sont cataloguées de manière exhaustive dans les trois bibliothèques universitaires que nous avons visitées, et de manière plus partielle dans les bibliothèques publiques ; ces dernières avouent parfois ne pas être en mesure d’en fournir une liste complète ! Le principe d’une notice commune aux différentes « manifestations » d’un même titre (catalogage FRBR) a été adopté à New York et devrait l’être à la Chicago Public Library, par souci d’améliorer la lisibilité de l’ensemble des collections.

Parallèlement, les établissements maintiennent des portails dédiés à la documentation électronique, lesquels permettent de feuilleter des listes alphabétiques11 et d’effectuer une recherche par mots du titre et par mots matière. Les mises à jour sont facilitées par une gestion sous base de données12, et par des solutions externes, comme le produit Serial solutions13 qui actualise périodiquement la liste des titres et les URL.

De nouvelles technologies, telles que Metalib14 vont plus loin dans l’intégration, puisque, en une seule requête, l’utilisateur peut interroger simultanément l’OPAC, le portail et des bases externes. Ainsi, à la bibliothèque de l’université de Chicago, un seul clic suffit pour lancer une recherche sur les outils internes et sur 244 serveurs distants. La liste de résultats est dédoublonnée et propose, en fonction des droits de l’utilisateur, un état de collection papier, un lien vers le texte intégral du document ou le recours à un formulaire de prêt entre bibliothèques. Le développement de semblables outils fédérateurs participe d’une volonté plus générale qui est d’offrir une image cohérente des collections et services, et au-delà, de la bibliothèque elle-même.

L’instrument privilégié de cette politique est certainement le site Web. Celui-ci fait fonction d’espace commun aux multiples sites des réseaux, centralisant les informations pratiques et constituant un point d’accès unique aux services et aux collections. Mais dans l’esprit de nos collègues américains, l’intérêt premier du site Web est d’offrir, à distance et en permanence, de nouveaux services qui répondent encore mieux aux attentes de l’usager.

À la bibliothèque de l’université de Chicago, chaque promotion d’étudiants dispose de pages spécifiques avec une sélection de signets, de bases de données, des pages d’aide et des « tutorials », et est incitée à contacter son bibliothécaire « tuteur » grâce à ses coordonnées détaillées et à sa photo. Plus exotique encore, pour un professionnel français, la généralisation des services de référence à distance, ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qui fournissent, dans des délais très serrés, des réponses personnalisées aux questions les plus variées. La bibliothèque publique de Boston participe à 24/7 reference service15, système collectif conçu par différentes bibliothèques et qui permet aux usagers de poser une question à un bibliothécaire par formulaire en ligne, e-mail ou chat, à toute heure du jour et de la nuit, la demande étant réorientée si besoin vers un établissement plus spécialisé. OCLC propose un système comparable, baptisé QuestionPoint. Moyennant un abonnement annuel, les bibliothèques utilisent un logiciel fourni par OCLC et profitent d’une base de connaissances coopérative et modérée. Avec QuestionPoint, le bibliothécaire peut également partager des fichiers et des applications avec l’usager distant. Ces services, qui n’ont pas encore gagné les bibliothèques universitaires en raison sans doute de leur caractère trop généraliste, font la fierté des bibliothèques publiques.

On ne s’étonnera donc pas, compte tenu de leur richesse et de leur intérêt, que les sites Web des bibliothèques soient très fréquentés (celui de la bibliothèque publique de Chicago ne totalise pas moins de 13 millions de « hits » par mois !) et que le nombre de connexions soit devenu un indicateur tout aussi stratégique que le compteur de passages à l’entrée de la bibliothèque16. Cela explique le soin tout particulier accordé à leur conception, à laquelle les usagers sont régulièrement associés au travers d’enquêtes et de tests17. Enfin, pour améliorer la maintenance des sites et réduire les délais de mise à jour, les anciennes pages « à plat » tendent à être remplacées par une gestion dynamique, sous bases de données18.

Changements organisationnels et impacts sur le métier

Compte tenu de l’ampleur et de la rapidité de ces évolutions, l’avenir de nombre d’activités traditionnelles se pose, tandis que d’autres, sans être menacées, sont appelées à prendre de nouvelles formes.

L’explosion des ressources en ligne a rendu obsolètes certains supports et signifie à terme la disparition des activités d’acquisition et de traitement associées. C’est le cas des microfiches et très certainement des cédéroms, qui posent partout des problèmes techniques. Quant aux périodiques papier, la question reste plus ouverte : à la Public Library de Chicago, la tendance est (quand c’est possible) au remplacement du papier par l’électronique, le « tout électronique » y étant jugé plus simple et meilleur marché. À l’inverse, la bibliothèque publique de New York a choisi de conserver systématiquement des exemplaires papier, dans l’attente d’une solution concernant l’archivage des ressources « on line ».

Autre service traditionnel, le PEB semble lui promis à un long avenir, d’autant que la multiplication des bases de données ne fait qu’accroître la demande. Les formulaires de réservation et de commande en ligne sont monnaie courante sur les sites Web et les OPAC. Il est vrai que la dimension des réseaux rend la fourniture de documents à distance indispensable.

Les projets internationaux
Les bibliothèques universitaires américaines concourent activement au développement d’un mode de diffusion de la production scientifique alternatif au circuit des grands éditeurs. Elles ne se contentent pas de signaler les serveurs de « pre-prints » et autres ressources gratuites sur leurs sites Web, mais participent à des projets internationaux tels que Sparc ou Biomed Central. Le réseau des bibliothèques de Harvard effectue en ce sens un gros travail de persuasion au sein de la communauté universitaire.

Les « e-books »
Les bibliothécaires américains sont dubitatifs quant à l’avenir des « e-books », tout au moins en bibliothèque publique. La Chicago Public Library a ainsi tiré un bilan négatif de son abonnement au service d’« e-books » Netlibrary, avant son rachat par OCLC. L’éventail de titres n’y était pas assez large et ne correspondait pas toujours aux besoins des lecteurs. La nouvelle stratégie d’OCLC, qui propose aux établissements d’acquérir des droits annuels ou perpétuels, la garantie d’un archivage pérenne et des possibilités de recherche accrues devrait séduire davantage les bibliothèques américaines et étrangères, d’autant que cette société a une politique de négociation très active avec les éditeurs et offre d’ores et déjà 50 000 monographies et encyclopédies.

Cela dit, même quand ils se maintiennent, les anciens services ont dû composer avec les performances imposées par un public exigeant et souvent pressé. C’est la raison pour laquelle la bibliothèque de l’université de Chicago a créé un service de « fourniture expresse », délivrant en urgence des photocopies de documents, par fax, e-mail ou via le Web. Toujours à Chicago, la bibliothèque publique s’astreint à mettre les documents en rayon vingt-quatre heures à peine après les librairies !

Tout cela n’est pas, on l’imagine, sans influer profondément sur l’organisation de ces institutions et sur la pratique de nos collègues.

Pour faire face à l’explosion des nouvelles technologies, des moyens humains accrus ont été affectés à la gestion des Web et des OPAC, ainsi qu’à celle des ressources en ligne. Au MIT par exemple, une vingtaine de personnes sont impliquées dans la refonte du site Web, alors qu’elles sont six, dont un programmeur, pour améliorer l’OPAC. Dans le domaine du document électronique, les bibliothécaires ont dû se spécialiser davantage qu’en France, certains s’occupant plus spécifiquement des questions juridiques, tandis que d’autres se trouvent en charge de l’analyse des offres, ou bien encore du signalement et de l’indexation des documents. Une étude sur le métier de « serials librarian »19 montre par ailleurs que, pour s’adapter à ce nouveau contexte, les bibliothécaires ont dû acquérir un certain nombre de compétences nouvelles (comme par exemple une expertise dans le domaine des métadonnées), et que celles-ci ont tendance à être plus techniques qu’auparavant. En contrepartie, des fonctions assumées autrefois par les équipes de la bibliothèque sont maintenant traitées de manière centralisée (à New York, un service central assure le catalogage), voire totalement externalisées. Le recours à des sociétés privées est fréquent pour la maintenance informatique et de plus en plus répandu pour des activités plus traditionnelles, comme le traitement des documents. La bibliothèque publique de Chicago a ainsi choisi, après une étude des coûts, de confier le catalogage et l’équipement au grossiste Ingram. Et ce n’est pas là un cas isolé : témoin la société OCLC, qui propose aux bibliothèques de leur constituer de toutes pièces (sélection, catalogage et équipement) des fonds spécifiques, en particulier pour des langues « rares » comme le coréen ou l’hindi, mais aussi... l’espagnol !

Voilà, esquissé à grands traits, le paysage que nous avons traversé cet automne. Paysage aux contours souvent mouvants, où il n’est pas toujours facile de se repérer. Il est vrai que les modes de financements, l’essor des nouvelles technologies et surtout la volonté de placer l’utilisateur au cœur de leur activité conduisent nos collègues américains à remettre constamment leur ouvrage sur le métier. Ainsi, la première image que l’on garde de ces bibliothèques est celle d’un monde en pleine effervescence, où les projets succèdent aux projets, de manière parfois un peu étourdissante... Mais passé le premier mouvement d’étonnement, l’on finit par éprouver un certain sentiment de déjà vu : les enjeux ne sont, après tout, pas si éloignés des nôtres ; la réflexion sur les portails ou les sites Web, pour ne citer qu’eux, avance aussi en France. Si les nouvelles solutions techniques tardent à franchir l’Atlantique, c’est sans aucun doute une affaire de moyens et peut-être aussi parce qu’ici, la technologie n’est pas toujours perçue comme une panacée.

Bibliothèque publique de New York. Humanities and Social Sciences Library

Bibliothèque publique de New York. Humanities and Social Sciences Library

Notes

1 Alain Colas et Véronique de Kok, de la bibliothèque Sainte-Geneviève ; Catherine Roussy et Florence Lunardi, du SICD de Toulouse ; Philippe Vaïsse, de la BIU de Montpellier et Katie Brzustowski, de l’ABES. Retour au texte

2 http://www.mlin.lib.ma.us/catalogs/vc.shtml Retour au texte

3 À titre d'exemple, une taxe sur les télécommunications (E-Rate), redistribuée par l’État aux écoles primaires et secondaires ainsi qu’aux bibliothèques publiques, assure un remboursement de 20 à 90 % des investissements effectués pour les connexions réseau. Retour au texte

4 Cf. BERARD, Raymond. « Les bibliothèques universitaires américaines : exemple ou modèle ? », BBF, 1998, t. 43, n° 6, p. 18. Retour au texte

5 L’OPAC de la bibliothèque publique de Chicago est disponible en chinois, coréen, polonais, russe et espagnol. Il le sera bientôt en 14 langues et, à terme, en 70. Retour au texte

6 Cf. GAUDET, Françoise, LIEBER, Claudine. « L'Amérique à votre porte », BBF, 2002, t. 47, n°6, p. 71-72. Retour au texte

7 Cf. GAUDET, Françoise, LIEBER, Claudine, p. 75 Retour au texte

8 Le « streaming » ou flot permet, comme à la radio, d'écouter les morceaux les uns à la suite des autres, et non à partir de fichiers séparés téléchargeables. Retour au texte

9 La bibliothèque publique de Boston travaille ainsi avec CISCO, Xerox et Epixtech à la restauration de son fonds d’archives sonores. Retour au texte

10 http://ocw.mit.edu/ et http://www.dspace.org Retour au texte

11 Pour les revues électroniques, la quantité de titres est telle que le signalement est souvent limité au nom de la plate-forme (ex. Science Direct). Retour au texte

12 Sous File maker pro, par exemple, pour VERA (Virtual Electronic Resources Access) pour le portail du MIT. Retour au texte

13 http://www.serialssolutions.com/Home.asp Retour au texte

14 Produit développé par la société Ex-Libris et basé sur le système SFX. Retour au texte

15 Http://www.247ref.org/ Retour au texte

16 Cf. GAUDET, Françoise, LIEBER, Claudine, p. 73. Retour au texte

17 Voir à ce propos les procédures mises en place par le MIT : http://macfadden.mit.edu:9500/webgroup/ usability.html Retour au texte

18 La bibliothèque publique de Chicago utilise en outre le produit Macromedia ColdFusion qui élimine automatiquement du site les informations périmées. Retour au texte

19 KWASIK, Hanna. « Qualifications for a SerialsLibrarian in an Electronic Environment », Serials Review, 2002, t. 28, n° 1, p. 33-37. Retour au texte

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Katie Brzustowski et Philippe Vaïsse, « Retour d’Amérique », Arabesques, 29 | 2003, 16-19.

Référence électronique

Katie Brzustowski et Philippe Vaïsse, « Retour d’Amérique », Arabesques [En ligne], 29 | 2003, mis en ligne le 19 janvier 2024, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3885

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Katie Brzustowski

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