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Une arrivée récente dans la « grosse » université du Mirail – Toulouse II – m’a permis de mieux évaluer ce qui avait été mon pain quotidien pendant un très long séjour à l’université des Antilles et de la Guyane. Il ne s’agit pas en l’occurrence pour moi de comparer ce qui n’est pas comparable, mais de cerner les besoins, les missions, les moyens dans une situation étonnamment éloignée, et d’en témoigner.

L’UAG n’était à mon entrée qu’un centre universitaire, devenu université de plein exercice à partir de 1981, avec moins de 5 000 étudiants sur deux sites en discontinuité géographique, maritime. Les effectifs pouvaient paraître insignifiants, mais pour autant les besoins qualitatifs demeuraient. Cette région a alors connu une véritable explosion de la présence universitaire en moins de vingt ans. À mon départ, l’UFR de lettres et sciences humaines atteignait, à elle seule, ces effectifs et il fallait ajouter quatre autres UFR, un institut pluridisciplinaire, un IUT, un 3e cycle de médecine, un troisième site à 2 000 km, quelques délocalisations… et quelques oublis de ma part. Elle délivrait 26 diplômes et 9 mentions de diplômes. Comment gérer autant de besoins, et si diversifiés, de documentation ? Ma discipline, l’histoire médiévale, un brin exotique sous les cocotiers, m’avait rendue particulièrement attentive aux contraintes documentaires. Voilà un savoir qui, autant pour les étudiants que les enseignants, ne se construit que grâce à la lecture et à la réflexion. Chargée de mission du président pour la politique documentaire, puis présidente du conseil d’administration de la BU, j’étais bien placée pour accompagner cette réflexion. La situation en Martinique était quasiment celle d’un monopole, et donc d’une lourde responsabilité scientifique et pédagogique. Pas d’autres ressources, à part quelques volumes, à la Bibliothèque Schoelcher de Fort-de-France. De plus, la jeunesse de l’université la rendait orpheline de collections que des générations passées de conservateurs n’avaient pu constituer faute d’existence. Partir de peu et tout à construire ! Le choix fondamental, évident par la limitation des moyens humains et financiers, avait été d’implanter une BU centrale, sans bibliothèque d’UFR ou de section, impliquant une centralisation des besoins et de leur traitement.

L’histoire offre la particularité d’une production éventuellement pléthorique et pas toujours de qualité, mais souvent riche et foisonnante. J’ai apprécié de trouver, chaque mois dans mon casier, les photocopies de la revue Les livres du mois, pour les rubriques de ma discipline, et de pouvoir ensuite, avec la bibliothécaire spécialisée, établir les listes de commandes. J’ai encore plus apprécié le passage au libre accès, malgré la masse des travaux et aménagements nécessaires, qui ont été pris dans la refonte et l’extension du bâtiment même. La répartition des volumes en aires disciplinaires, la classification offraient à l’étudiant en quête du livre sur son exposé de quoi trouver l’équivalent et découvrir plein d’autres choses. Finies les étagères endormies, désormais l’urgence était au rangement après utilisation !

Ce qui m’a souvent troublée a été de classer les priorités en terme d’acquisitions, sachant que l’alternative signifiait parfois l’exclusion et l’abandon d’un secteur. Les étudiants ou les enseignants ? L’enseignement ou la recherche ? Les volumes ou les revues ? Les manuels ou les thèses ? Le Moyen Âge ou les Antilles ? Les diplômes – DEUG, LICENCE, MAÎTRISE –  ou les concours – CAPES, AGRÉGATION ? La réponse, lapidaire, peut se résumer ainsi : les étudiants, l’enseignement, les volumes, les manuels et les thèses et les collections, les Antilles, les diplômes et les concours. Il a donc fallu trier en permanence les besoins à court terme et ceux plus lointains. Offrir, aux étudiants de premier cycle, l’outil dont ils ont besoin, mais dans une panoplie diversifiée, suivre la construction du savoir historique par l’acquisition systématique des ouvrages incontournables, anticiper les besoins des concours par le suivi de l’actualité éditoriale.

Et nous avons fait cela, pour un budget d’environ 60 000 F par an, couvrant l’histoire et l’histoire de l’art, pour un département sans doute le plus gourmand, en tout cas le plus demandeur pendant très longtemps en Martinique. Mais aussi, accepter de ne disposer ni des revues de sa spécialité, ni des sources éditées et instruments de travail divers, ni des fondements documentaires de ses propres orientations de recherche. Comprendre, dans un partenariat mémorable avec le personnel de la bibliothèque, que la priorité en recherche allait au fonds documentaire sur la Caraïbe, l’UAG étant centre-ressource au niveau international.

Mais alors, découvrir de manière très précoce tous les moyens possibles et imaginables pour contourner l’isolement et l’éloignement. Le prêt entre bibliothèques a vu ses délais passer, pour satisfaire une demande, de 8 mois vers 1980 à 10 jours en 1998 ; l’interrogation des bases de données, Francis et autres, les liaisons transpac, les cédéroms, les postes informatiques de consultation des fonds documentaires et, très tôt, internet avec un cortège de formations à l’utilisation du réseau.

Dirais-je que l’expérience a été passionnante ?

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Référence papier

Mireille Mousnier, « Questions d’une enseignante », Arabesques, 24 | 2001, 15.

Référence électronique

Mireille Mousnier, « Questions d’une enseignante », Arabesques [En ligne], 24 | 2001, mis en ligne le 22 février 2024, consulté le 02 septembre 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=3984

Auteur

Mireille Mousnier

Professeur d’histoire à l’université du Mirail

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