Plan

Texte

L’Espagne est le contraire d’un pays centralisé. Administrativement organisé en 17 communautés autonomes depuis la constitution de 1978, son territoire offre une diversité extraordinaire tant sur le plan géographique, historique, culturel que linguistique. N’oublions pas qu’en Catalogne les cours sont donnés en catalan, les films traduits ou sous-titrés… Il en est de même au Pays basque où il est habituel de trouver dans une bibliothèque la traduction en basque de romans espagnols ; chaque « autonomie » a ses programmes de télévision, ses journaux en basque, en catalan, en valencien, en galicien ou en espagnol !

Actions communes des BU

Les bibliothèques reflètent cette diversité car elles dépendent des « autonomies » ; des villes, pour les bibliothèques publiques, et des universités, pour les bibliothèques universitaires. Les salaires des bibliothécaires sont compris dans le budget de l’université, varient d’une université à l’autre et pour changer d’emploi un fonctionnaire n’a d’autre perspective que de se présenter comme n’importe quel autre candidat aux concours organisés dans chaque « autonomie ».

Les budgets des bibliothèques sont fixés par chaque université, mais si l’on se base sur les recommandations du projet de norme proposé par Rebiun, le budget ordinaire d’une BU doit être égal ou supérieur à 5 % du budget global de l’université ; réparti entre 50-55 % pour les salaires, 35‑40 % pour les collections, 10 % pour les autres dépenses de fonctionnement.

Le rôle du ministère, qui dans le tout récent gouvernement regroupe l’éducation, la culture et le sport, est essentiellement administratif ; il indique les priorités, donne des directives au plan national et finance directement les grands établissements comme la bibliothèque nationale.

Les associations professionnelles de documentalistes et bibliothécaires sont très actives et nombreuses en Espagne. On dénombre 13 associations dans la FESABID – Federación Española de Sociedades de Archivística, Biblioteconomía y Documentación. Chaque association mène des actions originales, en collaboration avec des organismes privés ou institutionnels, mais leur finalité est la même : améliorer l’accès aux documents.

Dans le domaine des nouvelles technologies de l’information, actuellement, on assiste en Espagne comme en France à une mise en commun des ressources documentaires numérisées pour en faciliter la consultation. La différence entre les deux pays est plutôt dans la méthode ; contrairement à la France où les grands projets de catalogues communs sont décidés au niveau national, en Espagne, ce sont les réalisations de la base qui peu à peu s’agglutinent pour former, dans le cas des bases de données par exemple, des catalogues compatibles et accessibles par un même portail.

REBIUN

REd de BIbliotecas UNiversitarias a été créée entre 1983 et 1985 à l’initiative de quelques directeurs de bibliothèques universitaires comme un simple forum d’échanges d’informations, avec l’idée de proposer et développer des actions de coopération entre bibliothèques d’universités. Une des priorités a été le catalogage partagé consultable jusqu’à présent sur cédérom, refondu annuellement.

Ce cédérom est un des outils les plus consultés des chercheurs espagnols ainsi que des bibliothécaires catalogueurs qui peuvent capturer les notices en format Marc. En quinze ans, le nombre des bibliothèques participant au réseau est passé de 9 à 44. Rebiun, c’est aussi un site web, des publications, des protocoles d’organisation pour le prêt entre bibliothèques par exemple, des journées de formation, des forums portant essentiellement sur la mise en commun des expériences et des possibilités d’harmonisation des actions ; une réussite exemplaire, née d’une initiative privée.

Parmi des dizaines de réalisations de ce type, nous mentionnerons aussi l’initiative du consortium des bibliothèques universitaires catalanes qui consiste à créer une base de sommaires de revues reçues dans les bibliothèques adhérentes. Cette base ne cesse de s’enrichir et on dispose déjà sur internet de 1 355 339 articles correspondant à 79 368 sommaires de 6 832 revues.

Il est bien clair que les bibliothèques universitaires espagnoles ont les mêmes ambitions que les françaises : mettre en valeur leur patrimoine, en utilisant de manière concertée les avantages qu’apporte l’édition électronique partagée. Les résultats tangibles au niveau national laissent espérer une coopération plus large, et si l’on regarde du côté des projets européens, il est évident que les Espagnols y sont aussi très présents.

De l’Espagne à l’Europe

On distingue deux approches de la coopération européenne dans le domaine documentaire. Les initiatives individuelles à tous les niveaux, via l’organisme de tutelle ou avec l’aide d’une société privée intéressée à l’émergence d’un fonds spécialisé, (projets Dioscorides ou Edad de Plata par exemple) ou les actions concertées institutionnelles correspondant aux appels d’offres de la CEE.

  • Dioscorides associe la Fondation des sciences de la santé, l’université Complutense et le laboratoire pharmaceutique Glaxo‑Wellcome, pour une opération de numérisation de documents. A terme, sera édité en fac-similé un fonds bibliographique historique en biomédecine de 13 000 ouvrages. 900 sont pour l’instant disponibles sur la base de données de l’université Complutense de Madrid.
  • Edad de plata. La Residencia de estudiantes et la fondation Botin sont à l’origine du projet d’un réseau d’archives virtuelles pour la période 1868-1936, « Edad de Plata », qui a pour but de sauvegarder et diffuser les témoignages de l’histoire intellectuelle de cette étape de la culture espagnole dans les milieux littéraires, scientifiques et artistiques.
    Depuis 1999, ce projet bénéficie d’une subvention de l’Europe et à terme il réunira des fonds provenant de différents centres ; 26 institutions d’Europe, d’Amérique latine et des USA sont intéressées au projet, qui constituera une collection unique consultable et localisable via internet. Actuellement, 57 000 notices sont dans la base, mais la prévision porte sur 790 000 documents dans les quatre ans à venir.
  • Les actions pilotées par la BNE. Plusieurs bâtiments de bibliothèques universitaires espagnoles ont été construits avec l’aide du FEDER, fonds européen de développement régional, et les BU ont l’habitude de concourir sur les projets de la CEE.

Dans le 5e plan-cadre en cours cette année, les bibliothèques espagnoles sont partie prenante dans trois projets : ETB, COVAX, CULTIVATE-EU.

  • ETB : European Schools Treasury Browser
  • COVAX : Contemporary Culture Virtual Archive in XML
  • CULTIVATE-EU : Cultural Heritage Applications Network‑European Union

L’information sur les directives et les propositions européennes en Recherche et développement pour les bibliothèques est bien relayée par le point de contact espagnol, Punto focal, qui dépend de la Bibliothèque nationale de Madrid. Depuis sa création, il joue parfaitement son rôle de trait d’union entre les appels d’offres de la commission européenne et les bibliothèques espagnoles. Une page du site web de la BNE lui est réservée et les informations sont régulièrement mises à jour ; en outre, la responsable du point focal diffuse chaque semaine les annonces européennes susceptibles d’intéresser les bibliothèques dans la liste iwetel, l’équivalent espagnol de biblio.fr.

  • Memoria Hispanica, Hand Press book et Redial.
    Memoria Hispanica. Il s’agit du projet de digitalisation des documents les plus importants et les plus fragiles, piloté par la BNE. Ce chantier a été retenu pour le projet Bibliotheca Universalis qui, il est vrai, n’est pas qu’européen…
    Hand Press book. La BNE fait aussi partie du consortium des bibliothèques qui alimentent la base de données des livres imprimés antérieurs à 1830 qui contient déjà 820 000 registres provenant de plus de dix bibliothèques européennes ; Hand Press Book (HPB), d’ici trois ans, devrait compter trois millions de notices.
    Redial. La part que prend la BNE dans REDIAL, le réseau européen de documentation et information sur l’Amérique latine, est essentielle.

Avec 14 institutions impliquées, l’Espagne occupe une place prépondérante dans ce programme et c’est au Cindoc, l’équivalent de l’Inist français, qu’est hébergée la base de données des thèses sur l’Amérique latine soutenues dans les universités européennes. Evidemment, le manque de moyens financiers freine les ambitions affichées car le patrimoine documentaire encore inaccessible est énorme. La volonté des bibliothécaires, documentalistes et archivistes est cependant semblable à celle des autres pays : faciliter les accès en améliorant les outils, les moyens de communication, en profitant au maximum des avantages du réseau internet et surtout en harmonisant les moyens d’accès ou tout au moins en proposant des passerelles confortables pour l’utilisateur.

Casa & coopération

La BCV, Bibliothèque de la Casa de Velázquez, est une bibliothèque spécialisée dans le domaine des sciences humaines pour l’aire ibérique et ibéro‑américaine. Elle s’adresse à un public de chercheurs, universitaires ou étudiants de 3e cycle. Depuis quelques années, la BCV est membre de deux entités espagnoles de coopération :

  • l’association des bibliothèques d’art, car ses collections dans ce domaine, périodiques et monographies, sont riches en documents introuvables à Madrid ;
  • le club des utilisateurs d’Absys, le système intégré de gestion de bibliothèque, connu en France sous le nom d’AB6.

En outre, une coopération s’est établie sous forme de complémentarité dans l’enrichissement des fonds avec des bibliothèques de recherche similaires, comme par exemple celle de l’Institut archéologique allemand de Madrid ou celle de l’AECI, l’Agence espagnole de coopération ibéro‑américaine.

Le catalogage

Dans les bibliothèques, le progrès technologique passe par l’automatisation du catalogage ; la bibliothèque de la Casa de Velázquez s’y est conformée puisque maintenant l’ensemble du catalogue, 74 000 monographies et 1 600 titres de périodiques, est informatisé ; hélas, en matière de catalogage, l’incompatibilité des formats Marc, Ibermarc espagnol et Intermarc français représente un obstacle majeur à la coopération européenne.

Notre expérience a valeur d’exemple : nous cataloguons en format Ibermarc ; il s’avère donc impossible d’importer les notices de la BNF, bien que 40 % des acquisitions soient en français ; pour la même raison, il faut renoncer à l’idée d’un catalogage partagé avec les CADIST de Toulouse et Bordeaux.

Pour la consultation des notices, le passage à internet va régler le problème puisque l’accès sera mondial ; il n’en reste pas moins que l’incompatibilité des formats Marc est un véritable boulet et entrave gravement les meilleures intentions de coopération entre bibliothèques de langues différentes.

Le catalogage n’est heureusement qu’une des composantes des activités d’une bibliothèque, et si nous laissons ce point noir de côté, en regardant les chiffres du rapport d’activité, nous constatons que la bibliothèque de la Casa a un réel impact sur la coopération franco‑espagnole, sans doute en raison de sa situation stratégique au sein d’un établissement qui jouit d’une excellente réputation dans les milieux universitaires espagnols.

Il reste certes beaucoup à faire ; par exemple la bibliothèque de la Casa n’est pas aussi sollicitée qu’elle le devrait pour l’accueil de stagiaires ou comme lieu d’hébergement pour des journées d’études ou des rencontres professionnelles ; cependant, il est indéniable que quelles que soient les technologies innovantes, qui d’ici peu vont abolir la distance et le temps, rien ne remplacera la coopération de proximité, ces liens qui se tissent au fil des jours dans des lieux d’exception comme les écoles françaises à l’étranger.

La Casa de Velásquez

La Casa de Velásquez

Cliché de Carlos Sanchez. Service des publications de la Casa

Illustrations

Citer cet article

Référence papier

Anne-Marie Duffau, « Biblio. en Espagne », Arabesques, 20 | 2000, 11-13.

Référence électronique

Anne-Marie Duffau, « Biblio. en Espagne », Arabesques [En ligne], 20 | 2000, mis en ligne le 23 avril 2024, consulté le 19 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=4156

Auteur

Anne-Marie Duffau

Directrice de la bibliothèque de la Casa de Velazquez

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • ISNI
  • VIAF

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0