Depuis plus de 10 ans, le consortium Couperin travaille à la mise en œuvre d’accords avec les éditeurs intégrant des options de publication en accès ouvert. Un long processus vers un modèle « idéal » de science ouverte totale ?
Basculer toute la production scientifique académique en accès ouvert, tel est LE rêve pour un partage de la connaissance sans entrave au niveau international. Mais comment passer d’un monde de l’abonnement (d’ailleurs très rémunérateur pour certains éditeurs) à un monde où tous les articles scientifiques seraient accessibles librement ? En effet, le travail d’édition, intégrant notamment la coordination du reviewing par les pairs, qui garantit la qualité des articles, nécessite un financement. Il faut donc réussir à concevoir de nouveaux modèles économiques.
Une des options a été la mise en place d’accords dits « transformants » entre des consortiums et des éditeurs, pour négocier globalement les deux services « lecture » et « publication ». Ces accords devaient permettre aux éditeurs de basculer progressivement les revues d’un mode d’abonnement à un mode de publication en accès ouvert, en maintenant leur financement. Le développement de ces accords a vraiment débuté en 2012, avec la publication au Royaume-Uni du rapport Finch, visant à accroître l’accès ouvert aux publications de la recherche en privilégiant le modèle « auteur-payeur ». L’initiative OA 2020, lancée par la société Max Planck, a également joué un rôle important dans la mise en place de ce type d’accords.
Après plus de 10 ans, force est de constater que la révolution espérée n’a pas eu lieu : beaucoup de revues sont encore diffusées en mode hybride, avec des articles sous abonnement et d’autres en accès ouvert, souvent après paiement de frais de publication (APC, Article processing charges) par l’auteur ou par son établissement. La Ligue des bibliothèques européennes de recherche (Liber), forte des retours d’expérience de ses membres, propose des recommandations pour intégrer les stratégies d’accès ouvert dans les négociations avec les éditeurs. Elle pointe notamment le principe essentiel d’une transition à coût neutre, limitant les dépenses d’APC, qui doit guider les établissements engagés dans ce type d’accords.
Le Royaume-Uni1et la Suède2, par exemple, ont publié des évaluations de leurs accords afin d’orienter leurs négociations futures.
De multiples formes d’accords
En 2021, une analyse détaillée3 des conditions contractuelles de près de 200 accords intégrant des options de publication en accès ouvert a montré que la diversité est grande et que chaque accord est quasiment unique, en fonction du contexte financier et de la politique de science ouverte des abonnés. L’intégration dans l’accord d’un volet sur la publication peut en effet se concevoir de différentes manières.
L’étude distingue notamment trois grands types d’accord qui, pour l’option « publication », ne concernent que les articles tous concernant uniquement les articles dont les « auteurs de correspondance »4 sont affiliés aux établissements bénéficiaires :
- des accords financiers sans prise en compte des frais de publication mais permettant des remises plus ou moins importantes sur les APC (« Read and discount »). Ces accords ne garantissent pas la maîtrise budgétaire globale
- des accords d’abonnement donnant droit à un quota d’articles sans frais de publication, souvent assez faible (« Read & Free Articles »)
- des accords globalisant la dépense pour la lecture et la publication. Le but est de négocier un volume d’articles suffisant pour couvrir l’entièreté de la production scientifique des abonnés. Le montant de l’accord divisé par le nombre d’articles donne un montant appelé « PAR Fee » (« Publish & Read fee »).
Prudence et expérimentation pour les accords français
En France, le consortium Couperin a négocié son premier accord intégrant la lecture et la publication en accès ouvert sans frais pour les auteurs de correspondance français avec EDP Sciences, dans le cadre du 1er Plan de soutien à l’édition scientifique française. Cet accord, établi sous forme d’un groupement de commandes porté par l’Abes pour la période 2017-2021 et renouvelé presque à l’identique pour 2022-2026, a permis l’ouverture de près de 650 articles par an. Il garantit également aux auteurs la préservation de leurs droits d’auteur.
Après ce premier accord, la réticence de certains établissements membres de Couperin a pondéré la négociation systématique d’accords de ce type, en particulier en l’absence d’un engagement calendaire des éditeurs sur le basculement de leurs revues en accès ouvert complet. Cette modération a permis de poser prudemment les bases de nouveaux accords intégrant des options d’accès ouvert pour les établissements volontaires. Celles-ci s’appuient sur un principe strict de neutralité financière : aucune hausse supérieure aux coûts d’abonnement n’est en principe acceptée. L’intégration de toutes les revues, hybrides et « full OA » (revues entièrement en accès ouvert) est également une condition importante pour l’acceptation de l’accord.
Toutefois, les politiques de diffusion en accès ouvert immédiat des financeurs de la recherche (Commission européenne, ANR,…) ont entraîné une hausse continue des dépenses de frais de publication, mesurée en France depuis 2015 par l’enquête APC5menée chaque année par Couperin.
En vue de limiter, voire de supprimer ces frais supplémentaires, le consortium a mené différents types de négociations expérimentant plusieurs modèles :
- En 2019, l’accord national Elsevier intègre le versement automatique des « manuscrits auteurs acceptés » français en accès ouvert, au bout d’un an sur une plateforme de l’éditeur, et au bout de deux ans sur HAL. L’accord prévoit également une remise sur le prix public des frais de publication en accès ouvert, compensant leur hausse (remise de 34,5 % en 2022 et de 40,88 % en 2023).
- En 2022, le consortium mène une expérimentation avec l’éditeur Wiley avec un accord global de publication et de lecture (Publish & Read) pour la période 2022-2024. Il se traduit par un marché à groupement de commandes porté par l’Abes, pour 141 établissements.
- En 2024, un accord global de 3 ans de publication en libre accès et de lecture (Publish & Read) est négocié pour les revues et les conférences d’ACM (Association for Computing Machinery). Cet accord est particulier car il est associé à un engagement de l’éditeur sur la transition de tout son catalogue vers de l’accès ouvert, le modèle hybride étant normalement un modèle commercial temporaire et transitoire.
- Le dernier accord négocié en licence nationale par Couperin avec Elsevier (2024-2027) est un accord global de lecture et de publication en accès ouvert, avec un volume annuel potentiel de plus de 11 000 articles. La publication en CC-BY permet à l’auteur de conserver l’ensemble de ses droits.
Attachement aux bonnes pratiques
Le consortium Couperin poursuit ses négociations avec des options « science ouverte » pour les établissements qui le souhaitent.
Le consortium définit des bonnes pratiques et des lignes directrices dans la lettre de cadrage annuelle de ses négociations6 :
- appliquer des licences ouvertes de cession non-exclusive des droits aux articles, de type licence Creative Commons afin que les auteurs conservent tous leurs droits
- favoriser la diversité des modèles de financement de l’édition scientifique, par exemple en soutenant des accords de type « Subscribe to open »7, modèle économique alternatif et transparent de financement, et en négociant avec des éditeurs ne disposant que de revues en accès ouvert, sans dépense d’abonnement à transformer
- renforcer le suivi des dépenses d’APC et de l’activité de publication des établissements, pour éviter les dérives et analyser les pratiques et les besoins.
En conclusion, ces accords commerciaux ne peuvent être l’unique voie pour l’accès ouvert. Le dépôt systématique des articles dans HAL est une pratique indispensable pour assurer la conservation souveraine des articles des chercheurs français, d’autant que ces accords ne couvrent que les articles avec auteurs de correspondance français. Le développement de nouvelles formes d’édition est également un moyen d’accéder à des systèmes d’édition scientifique durables, transparents, éthiques et de qualité.