Président de l’université de Strasbourg, président de Couperin et du CA de l’Abes, Michel Deneken livre sa vision de la place de la documentation en ligne pour la recherche.
La documentation en ligne occupe une place importante dans le nouveau projet d’établissement de l’Abes. Quels sont les enjeux liés à cette question ?
Michel Deneken : Les ressources électroniques, leur gestion et leur accessibilité sont devenues des éléments majeurs de la documentation, qui contribuent à la qualité du service rendu aux chercheurs et à la communauté académique mais qui contribuent aussi, de plus en plus, aux questions de pilotage et de maîtrise des coûts. Ce domaine constitue un élément déterminant de l’engagement de l’Abes et est bien évidemment présent dans son projet d’établissement. Il est important aussi de s’emparer des indicateurs de pilotage, comme le fait un groupe de travail dédié, car c’est sur cela que se construisent la stratégie et la réflexion avec tous les partenaires sur ce qui peut être partagé, mutualisé.
Vous êtes président à la fois du CA de l’Abes et de Couperin. Quel est, selon vous, l’enjeu de la collaboration entre les différents opérateurs nationaux autour de la documentation en ligne ?
M. D. : Je pense que la mutualisation est indispensable et doit passer par des espaces d’échange qui, me semble-t-il, pourraient être encore améliorés, et par un travail plus rapproché entre les différents acteurs. Ce que je sens de la volonté des différentes directions du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, c’est que ces partenaires soient mieux dans le dialogue et dans le partage, avant même de parler de mutualisation concrète, avec une meilleure connaissance de leurs pratiques respectives en matière de négociations. Il y a déjà des éléments extrêmement forts qui conduisent tous les partenaires à travailler ensemble et à se concerter, comme CollEx-Persée, Istex dans le cadre du programme d’acquisitions de licences nationales.
Vous mentionnez CollEx-Persée. Comment voyez-vous sa place dans cette mission globale autour de la documentation en ligne ?
M. D. : La mission de CollEx-Persée est de contribuer à l’excellence scientifique entre autres par l’acquisition et la gestion de ressources au service de la communauté des chercheurs. Aujourd’hui, les organisations en silos ne fonctionnent plus ; les moyens technologiques, mais aussi politiques, nous incitent à travailler ensemble et très en amont ; je suis tout à fait prêt à collaborer avec le président de Condorcet, qui a désormais la gestion de CollEx, Couperin et l’Abes pour construire Collex-Persée 2. Ce serait une belle preuve de concept.
Quels sont, pour la recherche, les enjeux liés à la poursuite d’une politique nationale ?
M. D. : Cette politique nationale, le rassemblement de toutes les forces en matière de gestion et de partage des données, sont indispensables pour être à la hauteur des enjeux internationaux. Le deuxième point important, qui me tient à cœur, c’est la souveraineté. Cette politique doit servir aussi une stratégie permettant à nos ressources documentaires d’être d’une qualité et d’une intégrité scientifique absolues. Il s’agit donc d’un enjeu de souveraineté mais aussi de crédibilité. Je vois que l’Abes et Couperin ont la même volonté farouche d’assurer la souveraineté, l’accessibilité, mais aussi la qualité des données et de garantir une éthique de la documentation. Cela conduira, à terme, à interroger nos modèles économiques.
Quel est l’impact de la science ouverte sur la documentation en ligne et ces changements de modèles économiques ?
M. D. : En décembre dernier, le président de la République a dit que la recherche française était une priorité de sa politique. Comment assurer cette montée en puissance indispensable et la soutenabilité des moyens dans un contexte budgétaire contraint ? Une inflation, même légère, dans les négociations avec certains éditeurs impliquera forcément à un moment donné une dégradation de la qualité de l’offre à la publication. Notre seule réponse pour peser est d’avoir une communauté académique et scientifique unie. La science ouverte permet à un nombre grandissant de chercheurs de s’émanciper des pressions des éditeurs pour aller vers l’ouverture totale des publications. Donc, je ne suis pas sûr que les opérateurs qui aujourd’hui sont leaders sur le marché auront encore autant de moyens de pression sur les chercheurs à l’avenir. La réflexion sur la science ouverte se joue en ce moment, avec un effet d’accélération sous la pression du mouvement international. Je pense que dans les années, voire même les mois à venir, la science ouverte va énormément jouer dans l’évolution du financement des publications en ligne et dans notre rapport de négociation avec les éditeurs.