Le développement de formations spécifiques à l’univers des données s’avère dès lors pertinent pour accompagner cette transformation, tant pour l’acquisition de savoir-faire spécifiques que pour le développement d’une culture de la donnée, conjuguant esprit critique et capacité à en exploiter le potentiel innovant. De telles formations doivent cependant tenir compte des particularités de l’univers actuel des données en France.

Caractéristiques de l’écosystème des données

La première caractéristique de l’écosystème contemporain des données tient à la diversité et à la fluidité du domaine. La nature et les usages des données numériques sont diversifiés : données personnelles générées par les objets connectés, dématérialisation des processus administratifs, numérisation des pratiques scientifiques. Les motivations sous-tendant ces déploiements de données sont tout aussi variées, allant de la recherche de performance industrielle, à la conformité réglementaire et la satisfaction d'objectifs sociaux ou environnementaux. Cette diversité des objectifs mène à des approches et des pratiques contradictoires (p. ex., open data vs vie privée vs compétitivité) qui coexistent sans converger.

Le déploiement des données dans l’espace collectif est donc un phénomène non seulement hétérogène, mais encore bien loin d’être stabilisé au niveau des usages, des institutions, des pratiques et des rôles professionnels. Ces éléments pointent dans la direction de formations qui gagnent à mettre l’accent sur le développement des capacités et compétences d’adaptation, d’anticipation, d’accompagnement au changement, et de réflexion critique, plutôt que la simple acquisition de savoirs statiques.

Par ailleurs, les usages des données connaissent des développements inégaux, marqués par des résistances locales, des défis réglementaires, et des dynamiques culturelles spécifiques. Pour accompagner le changement, les professionnels ne peuvent se contenter d’adopter une vision axée sur le besoin de « changer les mentalités ». Ils doivent plutôt développer leur capacité à saisir les dynamiques de transformations, sociales, économiques, et culturelles induites par les données, leur permettant d’anticiper les évolutions futures du domaine et de pouvoir réagir avec souplesse et efficacité aux défis et obstacles imprévus.

Enfin, en dépit de leur omniprésence dans les décisions politiques et économiques, les données peinent encore à s’imposer dans le débat public en France, où la culture publique de la donnée semble encore timide. À la différence d’autres pays où l’analyse des données est intégrée dans la culture commune, le traitement des données dans les discussions citoyennes françaises demeure embryonnaire. Cette situation appelle les professionnels de l’information à jouer un rôle clé, en fournissant au grand public des outils de compréhension et des cadres d’usage qui participent à une culture publique de la donnée.

Laboureur, gouache attribuée à un artiste de Tanjore (Thanjavur) - Inde, ca. 1840

Crédit illustrations Wellcome collection

Développer une offre de formation adaptée au contexte et aux enjeux

L’offre de formation de l’Enssib cherche depuis de nombreuses années à répondre aux réalités des communautés professionnelles en tenant compte des évolutions actuelles perceptibles dans la gestion des données, mais aussi à se nourrir de problématiques scientifiques (science ouverte par exemple). Aujourd’hui, portée par l’équipe d’enseignants-chercheurs de l’école et adossée à une activité de recherche dans le domaine de la donnée, cette offre se déploie aussi bien en matière de formation initiale que de formation continue.

Deux des masters actuellement délivrés par l’Enssib touchent de près à la gestion des données. Sensibilisés dès la première année au sujet de la donnée dans les métiers de l’information, les étudiants du master sciences de l’information et des bibliothèques (SIB) sont ensuite formés à la gestion des données et de leur cycle de vie dans un but d’archivage (conservation, pérennisation, information management, etc.) ou de gestion de flux (traitement des données, visualisation, etc.). Le master humanités numériques, accessible en double diplôme et opéré avec les universités Lyon 2 et Lyon 3 ainsi que l’ENS de Lyon, se concentre quant à lui sur des problématiques de collecte, production et valorisation des données. Ces formations offrent des débouchés aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé.

Les formations d’élèves fonctionnaires intègrent aussi des enseignements sur la gestion des données, notamment au sein d’une unité sur la transition bibliographique récemment élargie à la production et la gestion des données en bibliothèque. Tant au niveau national qu’à l’échelle de l’établissement, cette unité d’enseignement permet d’appréhender les objectifs stratégiques en matière de signalement et de valorisation des collections dans le web de données, ainsi que le rôle des instances décisionnelles, en particulier celui des deux agences bibliographiques nationales, Abes et BNF. Une autre UE sur Données et science ouverte complète cette approche en s’intéressant à l’ouverture des données et le rôle que peuvent jouer les établissements dans ce mouvement. Y sont aussi abordées les questions de publication en open access et la manipulation de données. Cet enseignement s’inscrit dans le deuxième Plan national pour la science ouverte.

Depuis l’année 2024 l’Enssib renforce son offre de formation dans le domaine de la donnée en ouvrant une formation courte (3,5 jours) sur la gouvernance responsable des données, orientée sur une approche diagnostique des organisations. L’école ouvre également en septembre 2025 un diplôme d’établissement sur la « gouvernance responsable » des données, notion qui s’impose comme un cadre de référence dépassant les simples considérations techniques pour prendre pleinement en considération trois dimensions essentielles : pouvoir, anticipation et ressources.

• Le pouvoir des données : les données ne sont pas neutres ; elles reconfigurent les rapports de force dans la société. Ce pouvoir s’exerce à travers les choix de collecte, de traitement et d’utilisation, influençant les normes et les comportements. La gouvernance responsable implique une compréhension et une appréciation critique de ces mécanismes de pouvoir, en tenant compte des biais, des exclusions et de la performativité des données, leur capacité à créer des phénomènes par la mesure.
• L’anticipation des évolutions : une gouvernance responsable exige d’anticiper les impacts des innovations technologiques. Cette anticipation doit éviter les écueils de l’utopie technologique et du pessimisme, pour se fonder sur une compréhension équilibrée des risques, des opportunités et des obstacles. Elle permet aux professionnels d’adopter des stratégies adaptées aux transformations sociétales et techniques.
• Les ressources nécessaires : il s’agit d’évaluer les coûts et les impacts matériels, institutionnels et humains d’une politique de données sur les organisations, mais aussi d’assurer la durabilité des infrastructures et la pérennité des compétences nécessaires pour maintenir un usage responsable des données.

Conclusion

En intégrant les principes de responsabilité, d’anticipation et de maîtrise des ressources, l’objectif est de créer une nouvelle génération de spécialistes capables de faire face aux défis complexes de l’écosystème des données. Ainsi, les professionnels de l’information deviendront les garants d’une gestion éthique et éclairée, participant activement à la transformation des pratiques et des usages des données dans la société.

L’Enssib lance un nouveau diplôme d’établissement en gouvernance responsable des données à l’automne 2025

S’étalant sur 360 heures, d’octobre à juin, la formation s’adresse aux professionnels de l’information intéressés à joindre innovation par les données et responsabilité numérique.

Elle vise un public de managers, professionnels de la donnée, spécialistes en documentation, archives et bibliothèques, chefs de projets numériques, acteurs du service public ou privé concernés par les données ouvertes, et tout autre professionnel désireux d’acquérir une expertise sur les enjeux stratégiques liés à la gouvernance des données, leur exploitation et leur valorisation.

Elle sera conduite en partie en distanciel (24 semaines de 3 heures), en présentiel (4 semaines intensives à l’Enssib, en octobre, janvier, février et juin), et inclut un stage professionnel d’un mois en mai. Plus d’informations : https://www.enssib.fr/formations-GRD