Cinquante nuances de Jean-Raymond Lalande

DOI : 10.35562/arabesques.490

p. 28

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Parlez-nous de vos fonctions actuelles…

J’ai quitté par choix la fonction publique pour voler comme un avion sans ailes : celle-ci, me semble-t-il, ne répondait plus à mes aspirations et à mes convictions personnelles. On « produit de l’agent » qui attend la retraite en jouissant d’avantages. J’en reviens au libéralisme dans sa définition originelle, que je puise chez Tocqueville, et au personnalisme d’Emmanuel Mounier. J’ai monté mon propre cabinet de conseil aux bibliothèques, je me définis comme une sorte de spin doctor. En effet, comment re-soviétiser et rationaliser (comme l’Abes le fait si bien) la fonction publique sans effets de bord ? Comment éviter l’écueil des grévistes qui ne remplissent pas leurs objectifs et quémandent du congé ?

Permettez-moi, au crépuscule de ma carrière, de me prononcer POUR la fin du fonctionnariat et de l’assistanat. Aussi, j’ai préféré regagner ma liberté de penser : « libre-penseur » (pour reprendre les mots d’une consœur – le bon goût de la profession le lui avait dérobé comme jadis Jason s’empara de la Toison d’or) plutôt que moralisateur. Mais je n’ai pas brûlé mes ailes. Je me définis comme un influenceur, surtout pas comme un facilitateur : j’aime les plaisirs difficiles. En ce sens, je ne crois pas au travail-plaisir. Luc Ferry ne rappelait-il pas récemment le sens du tripalium, instrument de torture ?

Quelles sont les étapes qui vous semblent les plus importantes dans votre parcours professionnel ?

Je suis de l’argile aux pieds de colosse : une tendre jeunesse à Henri-IV, puis une entrée aux Chartes, et la soutenance d’une thèse d’archiviste-paléographe intitulée Folklore, mytiliculture et mysticisme dans les fêtes de Saint-Guénolé à l’époque de Louis d’Argouges (XVIIIe s.), avant de recevoir mon titre sous la Coupole. Mais passons sur ces menues broutilles : les humanités nous préservent de toutes ces sciences inhumaines. J’ai survécu à l’ENSB. Je peux témoigner devant le Tout-puissant. Et je dois dire sur ce point que la progressive démocratisation de l’Ecole des Chartes m’inquiète beaucoup : l’école dont nous rêvons est-elle celle du rap et de la BD ? Pardonnez la rodomontade, mais mes références vont de Suétone à Raymond Aron en passant par Edith Cresson. Je suis pour le manageur : lorsque je dis cela, je ne m’inscris pas dans une croyance. JE SUIS POUR.

À quand remontent vos premiers contacts avec l’Abes et dans quel contexte ?

J’étais dans le cockpit de l’Airbus bibliographique Abes. Il m’en souvient. Dès 1994, il fallait faire « tourner les servlets ». Au début des années 2000, je partais l’esprit léger et le sentiment du devoir accompli. Je ne peux que regretter la progressive érosion de la science bibliographique. Notre missel « Manuel de bibliographie générale » sombre comme le Titanic. Mais comment remédier à cela ? C’est là tout le travail de Sisyphe qui guette l’Abes : je recommande à tous ses agents de pratiquer régulièrement les squats et les pompes. Amateur de bonne chère, j’apprécie qu’on fournisse du bacon aux gens bons. Je suis pour un néo-jacobinisme bibliographique réticulaire.

Quels défis majeurs, d’après vous, aura à relever l’Abes dans les prochaines années ?

L’Abes doit prendre acte d’une montée en charge de la production et du stockage de données. Elle le sait. À elle de se mettre en marche, si vous permettez l’expression. Nonobstant l’obséquiosité dont on pourrait me tenir rigueur (marque de mon savoir-être), je félicite d’ailleurs son directeur exécutif – dont le nom m’échappe, car il reprend à sa manière mon credo – qu’il devienne à l’avenir mon épitaphe : « Amemus Viventem » (en français, « Mets de l’huile »). Je pense que l’Abes doit aussi affirmer son pouvoir d’agence événementielle, en faisant davantage de banquets (je salue au passage la qualité des animateurs et des orchestres). Bref, il faut prioriser : tel n’est pas le maître-verbe de tout manageur ? Et dans manageur il y a manger…

Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?

Mon métier est une combinaison subtile de verticalité et d’horizontalité. L’orthodoxe n’exclut pas le paradoxe. J’aime le pouvoir descendant. La hiérarchie, c’est la hiérarchie. Ceux qui veulent co-collaborer, co-créer dans une sorte de sauterie œcuménique : qu’ils s’en aillent tous ! Pour l’horizontalité, je crois en une communication directe et au service rendu in praesentia. Je prends plus volontiers mon téléphone que l’Internet (ma secrétaire s’en occupe). Il y a aussi une question de prestance. Vous côtoyez du beau monde, de François Couperin à Roger Carel en passant par Daniel Bouillon !

Qu’est-ce qui vous énerve le plus ?

Le café froid, les végans, les maoïstes et le « Dasein Singing ».

Si l’Abes était un animal, ce serait... ?

Une vache à hublot – cela va sans dire. J’y vois personnellement une référence au panoptique de Jeremy Bentham. Mais je ne voudrais en aucun cas m’égarer dans des paraboles dont vous n’êtes pas censé ignorer l’affection que je leur témoigne.

Votre expression favorite ?

La même qu’Yves Mourousi (Requiescat in pace) et à laquelle jamais je ne me soustrais : BONJOUR.

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Citer cet article

Référence papier

Jean-Raymond Lalande, « Cinquante nuances de Jean-Raymond Lalande », Arabesques, 91 | 2018, 28.

Référence électronique

Jean-Raymond Lalande, « Cinquante nuances de Jean-Raymond Lalande », Arabesques [En ligne], 91 | 2018, mis en ligne le 09 juillet 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=490

Auteur

Jean-Raymond Lalande

Conservateur général des bibliothèques, Pour faire valoir ce que de Michel Droit, etc.Twittos anonyme. @conservateurgen https://twitter.com/conservateurgen

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