Le KU Leuven Fund for Fair Open Access vise à développer des pratiques d’open access délivrées de toute implication commerciale.
Les discussions récentes autour de la transformation des publications scientifiques vers le libre accès, notamment les nombreuses réactions liées à la mise en œuvre du Plan S1, font souvent état, un peu contre-intuitivement, des implications financières négatives d’une telle évolution. En effet, au-delà des espoirs et des attentes, qui sont grands, on constate que le passage à l’open access (OA), lorsqu’il est réalisé en préservant la collaboration avec les éditeurs traditionnels, par exemple en concluant des accords de compensation2, ne réduit globalement pas les coûts de la dissémination des résultats de la recherche scientifique.
« Rentabilité » de l’OA ?
En tant que tel, l’OA n’est évidemment pas plus coûteux que le modèle d’abonnement traditionnel mais une approche commerciale de l’OA ne ferait qu’empirer les choses. En effet, les coûts des publications négociés selon le modèle Gold Open Access sont au moins aussi élevés que les coûts d’accès du modèle d’abonnement traditionnel. De ce fait, l’oligopole3 qu’exercent déjà les principaux acteurs commerciaux dans le domaine de l’édition scientifique risque de se renforcer, voire de s’étendre à d’autres éléments du cycle qui mène de la recherche à la publication4.
Dans ces conditions, de plus en plus de voix s’élèvent pour demander une alternative à l’approche commerciale de l’OA, et mettre en place un système de diffusion de la recherche scientifique, durable et peu coûteux. En témoigne l’abondance de projets OA pilotés par des universités ou des bibliothèques universitaires, qui s’appuient sur une infrastructure développée par la communauté universitaire concernée. De même, dans un récent rapport adressé à la Commission européenne au sujet de l’avenir de l’édition scientifique, il est souligné que « les éléments essentiels au fonctionnement du système de diffusion de la production scientifique devraient rester dans le secteur public » et que « la rationalisation des coûts est une question clé pour tous les acteurs de la communication scientifique, mais aussi pour la santé de l’écosystème en son entier »5. Force est de constater que, dans le paysage contemporain, ni l’une ni l’autre de ces exigences ne sont remplies. Ce rapport estime que l’élimination des profits commerciaux en matière de diffusion scientifique constitue une condition nécessaire à la transition vers un système qui n’incite pas aux abus.
Université Catholique de Louvain
Favoriser l’OA équitable avec les bibliothèques de l’Université de Louvain
Dans le passé, les bibliothèques de l’université de Louvain ont déjà témoigné de leur soutien à de telles alternatives non commerciales, par exemple en se déclarant parmi les premières en faveur du modèle Library Partnership Subsidy défendu par l’Open Library of Humanities6. En 2018, ce soutien a été intensifié avec la création du KU Leuven Fund for Fair OA, dans l’espoir d’accroitre la part de marché des acteurs à but non lucratif dans le domaine de la communication scientifique, et dans le souci de préserver une indispensable concurrence.
Le fonds sert à financer quatre groupes spécifiques d’activités, selon une même caractéristique : l’adhésion des bénéficiaires aux principes de l’OA équitable, ce qui implique notamment que les auteurs conservent leurs droits et que les redevances versées aux éditeurs soient faibles, transparentes et proportionnelles au travail effectué.
Le fonds apporte un soutien financier aux infrastructures communautaires ou à des initiatives novatrices en matière d’édition respectant les principes de l’OA équitable. Il s’agit par exemple de subventions pour le DOAJ - Directory of Open Access Journals7, le DOAB - Directory of Open Access Books8, OAPEN9, Open Book Publishers10 et F1000Research11.
Le fonds couvre également les frais d’adhésion à des consortiums et organisations œuvrant pour la promotion et la défense d’une approche non-commerciale de la communication scientifique, comme la FOAA (Fair Open Access Alliance)12, dont les objectifs correspondent parfaitement à l’implication des bibliothèques ou dans des structures connexes comme SCOSS (Global Sustainability Coalition for Open Science Services)13 et OPERAS (Open Access in the European Research Area through Scholarly Communication)14.
Le fonds finance en partie les frais d’édition des livres consacrés à l’OA publiés par les Presses Universitaires de Louvain (LUP), éditeur adhérant aux principes de l’OA équitable, et reconnu par le Conseil européen de la recherche (CER), le Wellcome Trust et l’Austrian Science Fund (FWF) comme un fournisseur fiable. Selon leur affiliation, les auteurs peuvent demander 1/3, 2/3 ou même 100 % de prise en charge des frais de publication des ouvrages15.
Le coût de base pour la publication d’un livre en OA aux LUP est de 7 500 euros, ce qui comprend le coût total de production, couvrant les services pré-presse, la composition, la mise en page, le marketing, la distribution et la promotion, ainsi que l’hébergement sur des plateformes de bibliothèques numériques. En plus de la production en OA (ePDF et ePUB), disponible gratuitement sur JSTOR, Project MUSE, OAPEN et DOAB, les Presses universitaires de Louvain garantissent qu’une version imprimée d’un livre en OA reste disponible simultanément à la vente. Les livres en OA suivent donc la même trajectoire de production et de commercialisation que les volumes produits traditionnellement et portent le label GPRC16.
Le financement des APC17 constitue le quatrième volet d’activités couvert par le fonds. Ce financement est réservé aux chercheurs affiliés à l’université de Louvain pour les articles publiés dans des revues adhérant aux principes de l’OA équitable.
Les conditions d’éligibilité sont les suivantes : la revue doit être répertoriée dans le DOAJ ainsi que dans le Web of Science et/ou VABB-SHW18 ; seules les publications en OA immédiat, dans leur intégralité et dans le monde entier, peuvent bénéficier du soutien financier ; le ou les auteurs doivent conserver le copyright ; le coût par article publié ne doit pas dépasser 1 000 euros.
Université Catholique de Louvain
Un premier bilan, des conclusions
Après une première année d’activité, quelques enseignements peuvent être tirés de l’expérience. L’attribution de fonds en soutien aux infrastructures OA portées par des communautés, aux initiatives novatrices de publication et aux coûts d’adhésion aux consortiums qui promeuvent l’approche non commerciale de la communication scientifique est une réussite. Celle-ci souligne l’engagement de l’université de Louvain pour développer de nouveaux modèles de publication, novateurs et rentables, qui rendent aux chercheurs la maîtrise de la diffusion des résultats de leurs recherches.
En ce qui concerne les frais de publication des ouvrages, le KU Leuven Fund for Fair OA a pour l’instant donné son accord au financement ou au co-financement de 19 livres publiés par les Presses Universitaires, ce qui peut aussi être considéré comme un succès. En revanche, sur les 40 demandes de financement d’APC reçues, 25 ont été acceptées, les 15 autres ayant été rejetées du fait que leur coût était fixé en fonction de critères contraires aux principes de l’OA équitable. La part de financement accordé pour couvrir les APC n’est donc a priori pas la plus efficace du dispositif, mais elle s’est révélée un bon « amorceur » pour ouvrir le débat sur les différences entre l’édition commerciale et l’édition à but non lucratif.
De manière générale, il s’avère que le résultat principal de ces initiatives en matière d’OA équitable a été de donner un nouvel élan aux discussions sur le sujet au sein de l’université de Louvain, mettant en lumière une alternative réaliste à un OA basé sur une vision purement commerciale, peu soutenable à long terme. Ce résultat arrive de manière particulièrement opportune au cœur des débats en cours sur l’application du Plan S.