Dans quelle mesure l’évaluation des collections permet-elle la définition de nouvelles orientations documentaires ? Éléments de réponse avec l’exemple de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.
La mise en relation optimale des collections et des usagers constitue un objectif prioritaire qui détermine les choix qu’ont à trancher les professionnels en matière de gestion, d’accès et de valorisation des collections. De nombreuses bibliothèques ont à cœur de formaliser leur politique documentaire ou de l’actualiser à intervalle régulier. D’une part, il s’agit pour elles de mettre en lumière leurs missions, de se situer dans leur environnement institutionnel et par rapport aux gisements documentaires environnants, de déterminer les publics visés et de définir leurs contraintes éventuelles. D’autre part, elles ambitionnent de donner à connaître, à l’intérieur comme à l’extérieur, les grands principes retenus pour le développement, la conservation et l’accessibilité des ressources documentaires. Mieux servir les usagers ne revient-il pas, en dernière instance, à offrir une meilleure visibilité, disponibilité et complémentarité des ressources aux utilisateurs dans une logique de réseau documentaire, ainsi qu’à articuler politique d’acquisition, de conservation et d’accessibilité à une politique de services adaptés ?
L’évaluation des collections en soutien à l’élaboration d’une politique documentaire
C’est dans cet esprit que la Bibliothèque Sainte- Geneviève (BSG) a engagé à partir de 2009 une redéfinition de sa politique documentaire à travers la rédaction d’une charte et d’un plan de développement des collections (PDC). Ayant déjà participé en 2005 à l’analyse d’une année d’entrées de monographies et périodiques imprimés dans 8 bibliothèques appelées à coordonner leurs acquisitions dans le cadre d’une politique documentaire de site1, à des fins de rationalisation des dépenses documentaires et de meilleure lisibilité de l’offre, elle a alors reconduit cette évaluation de sa politique d’acquisition sur 3 ans. Cette phase préalable à la rédaction d’un PDC vise habituellement à objectiver des pratiques, des coûts et des axes de développement documentaire souvent installés de longue date, mais pas toujours formulés ni confrontés à l’évolution des besoins. Elle devait dans le cas présent se révéler d’autant plus riche d’enseignements que l’analyse des « flux entrants » d’imprimés s’élargit aux ressources électroniques et se doubla d’une analyse assez fouillée des « stocks », significatifs dans une bibliothèque interuniversitaire à vocation patrimoniale forte et dont les collections accumulées au fil des siècles2, – générales ou spécialisées – , affichent un caractère encyclopédique.
Pour une approche orientée collections associée à une approche orientée usagers.
Cette démarche d’évaluation préalable procéda d’une approche orientée collections, basée notamment sur des méthodes statistiques descriptives classiques appliquées aux données bibliographiques et d’exemplaires, voire aux données d’éditeurs pour les ressources électroniques. À travers des éléments de volumétrie par titres et exemplaires, de ventilation par langues et par dates ou encore de codes de niveau obtenus par l’intermédiaire du module statistique du SIGB ou de données d’inventaire et traités avec un tableur, une première carte des collections rétrospectives et des entrées annuelles fut esquissée.
À cette occasion, l’analyse des contenus buta partiellement sur l’incomplétude ou le caractère difficilement exploitable des notices bibliographiques en matière d’indexation systématique. Du moins pour le stock, puisque les entrées annuelles font désormais l’objet d’une indexation obligatoire et spécifique (un code de domaine unique par titre, quel que soit le support) par les catalogueurs (champ L686, utilisé à des fins d’évaluation comparative dans le temps ou, potentiellement, entre établissements), selon une liste d’autorité d’indices Dewey permettant de restituer les 176 sous-disciplines de la nomenclature élaborée pendant le projet Quartier latin3 ; ces segments proposent aux étudiants et enseignants - chercheurs des intitulés plus proches du contenu de l’offre de formation et de recherche que ceux d’une classification strictement bibliothéconomique. Des méthodes tout aussi classiques de checking lists (listes de références bibliographiques) ou d’analyse comparative avec des bibliothèques de référence environnantes furent également mobilisées, en particulier en exploitant les résultats de l’enquête statistique et les travaux des groupes disciplinaires réunis de 2007 à 2009 pour la mise en œuvre du projet de carte documentaire du Quartier latin. Concernant les titres de périodiques imprimés par exemple, une comparaison entre le portefeuille de titres reçus et les listes de référence de l’Aeres ou le classement européen des revues dans le domaine des Sciences humaines et sociales4 fut conduite dans les disciplines classées par la bibliothèque au rang de ses pôles forts, avec toutes les réserves d’usage concernant ces listes recourant en partie aux méthodes de ranking (classement de visibilité des revues) ; cette même comparaison, non exhaustive, fut étendue aux titres de périodiques électroniques accessibles par abonnement ou achat dans ces mêmes disciplines, en rapprochant la couverture offerte par les deux supports lorsqu’ils existaient. Des exports à la demande, en particulier le catalogue des ressources continues de l’établissement et des listes d’unica, furent sollicités auprès de l’Abes : ils permirent de préciser l’identification des ressources et d’en dégager des points forts au regard de leur faible diffusion. L’objectif n’était cependant pas uniquement de projeter les pratiques d’acquisition à partir des points forts identifiés de la collection ou des orientations documentaires du moment mais bien de vérifier leur adéquation avec la réalité des besoins et des pratiques identifiées des publics, en termes de fréquentation et de consultation. Dès lors, la démarche d’évaluation s’est également ouverte à une approche davantage orientée usagers5 à travers des analyses d’usage principalement : rotation des fonds sur support physique, conservés sur place ou à distance, rapportée au profil des emprunteurs ; statistiques d’usage des ressources électroniques en privilégiant celles conformes au code de bonnes pratiques Counter ; enquêtes qualitatives de public sur la fréquentation, les pratiques et les attentes relatives aux collections.
"Dot", Phot. Themostinept
Phot. Themostinept (Flickr - CC BY SA 2.0)
Définir de nouvelles orientations et de nouveaux services documentaires
La charte des collections et le PDC reflètent les orientations documentaires aujourd’hui privilégiées par l’établissement. Plusieurs sont directement inspirées par les résultats de l’évaluation préalable des collections et de leurs usages. La politique d’acquisition en particulier a été affinée pour soutenir la diversification des supports, pour mieux affermir le socle Lettres, Arts, Sciences humaines et sociales des collections, pour favoriser un rééquilibrage en faveur du lectorat de niveau recherche/apprentissage de la recherche. Sans renoncer à la tradition d’un accueil large des publics ni au caractère généraliste des collections héritées du passé, cette politique d’acquisition renouvelée permet de mieux inscrire la bibliothèque dans son environnement documentaire et de renforcer la cohérence scientifique et la lisibilité de l’offre. L’instauration d’une politique de désherbage sélective et l’intensification du stockage distant au CTLES ménagent une plus grande qualité de service entre la demande des usagers et les collections conservées sur place. Cela vaut pour les monographies et, plus encore, pour les périodiques imprimés, dont l’accès pérenne en ligne garanti via Persee.fr, istex.fr ou revues.org a été préalablement vérifié durant la phase d’évaluation, de même que l’utilisation régulière de l’outil Périscope facilite les arbitrages en matière de conservation. La politique de numérisation initiée à partir de 2009 s’est elle aussi en partie appuyée sur cette évaluation. Riche à ce jour de plus de 2 000 références, la bibliothèque numérique de la BSG rassemble des documents issus de ses 3 fonds (Réserve, Bibliothèque nordique et Fonds général) et valorise au profit du plus grand nombre des unica du XIXe siècle ou des corpus remarquables (manuscrits et incunables, récits de voyage, factums, etc.). Les flatteuses statistiques de consultation valident les choix des chargés de collection dans le cadre d’une numérisation sélective ainsi que les choix de diffusion sur la plateforme archive.org, privilégiée pour son bon référencement par les moteurs de recherche6
