Des Fab Labs en bibliothèque ?

DOI : 10.35562/arabesques.830

p. 14-15

Plan

Texte

En quoi Fab Labs et bibliothèques partagent-ils des points communs ? Dans quelle mesure leurs missions et les objectifs qu’ils se donnent sont-ils complémentaires ? Approche et enjeux par un bibliothécaire engagé.

Des États-Unis à l’Europe, en passant par l’Afrique, nous assistons à l’émergence de nouveaux lieux ouverts sur leur territoire, accessibles à tous, avec une dimension collaborative et sociale très forte. Si ces éléments font penser aux caractéristiques d’une bibliothèque, ce n’est pas de cela qu’il est question. Il s’agit des nouveaux lieux de fabrication numériques regroupés généralement sous l’appellation « Fab Lab ». Nous reviendrons dans un premier temps sur la notion de Fab Lab. Puis, nous comparerons bibliothèques et Fab Labs du point de vue de leurs missions.

Qu’est-ce qu’un Fab Lab ?

Si les Fab Labs, abréviation de Fabrication Laboratory, bénéficient actuellement d’une visibilité médiatique, leur histoire n’est pourtant pas si récente. En effet, les laboratoires de fabrication sont nés à la fin des années 1990 aux États-Unis. On attribue la paternité de ces lieux au professeur Neil Gershenfeld du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a mis en place un cours intitulé « How to make (almost) everything », durant lequel ses étudiants ont pu s’initier à des machines industrielles pour créer leurs propres objets, qui a rencontré un vif succès. Le premier Fab Lab est ainsi né au sein du MIT. Peu à peu, le concept s’est développé et a acquis une dimension internationale1, une fondation2 a été créée et une charte3 des Fab Labs a été mise au point par le MIT. Le respect impératif des points de la charte est nécessaire pour bénéficier du label « Fab Lab ».

Ces lieux de fabrication numérique se caractérisent par leur ouverture. Ils sont accessibles à tous : étudiants, particuliers, entrepreneurs, designers, bricoleurs... Il n’y a pas de restriction liée à l’âge ou au niveau d’expertise. Au contraire, les personnes novices dans la fabrication numérique peuvent bénéficier de l’expérience et des compétences des autres utilisateurs du Fab Lab. En effet, ces lieux reposent sur l’échange et le partage, en résonance avec le principe du Do It With Others (DIWO)4. Ces espaces d’apprentissage collaboratif fonctionnent sur un modèle de pair à pair physique. L’horizontalité des rapports entre les utilisateurs et la transmission des savoirs y dominent : j’apprends des autres et j’apprends aux autres.

Enfin, les activités menées dans les Fab Labs sont variées. On y vient pour acquérir des compétences dans le domaine de la conception assistée par ordinateur (CAO), la programmation (Arduino5), utiliser des machines-outils pour réparer ou pour réaliser un prototype. Les appareils présents dans ces lieux vont au-delà de l’imprimante 3D. On peut également y trouver des découpeuses laser ou vinyles, fraiseuses à commande numérique...

En théorie, chaque activité doit être documentée. En effet, la notion de documentation6 est fondamentale dans ces nouveaux lieux. Elle sert de mémoire collective des projets qui y sont menés. C’est aussi un processus nécessaire dans la construction et la diffusion des connaissances. Dans ces espaces, il est indispensable de publier des contenus sous Creative Commons pour favoriser le partage et la réutilisation. Documenter, à travers un wiki par exemple, est la clé pour apprendre ensemble et partager.

Des bibliothèques aux Fab Labs

La réflexion sur le lien entre les espaces de fabrication numérique et les bibliothèques n’est pas nouvelle. Si le lien entre les deux types d’établissement n’est pas toujours admis en France7, la réflexion est bien avancée outre-Atlantique. Des bibliothécaires de Montréal8 travaillent depuis quelque temps sur cette question. Au regard des missions des bibliothèques et celles des Fab Labs, des passerelles peuvent être faites de façon relativement évidente. À l’image du bibliothécaire, le Fab Manager (celui qui anime l’espace de fabrication numérique) est un facilitateur d’accès aux savoirs et aux savoir-faire. Il met en relation un usager, ayant un besoin identifié, à des dispositifs informationnels. Ces dispositifs recouvrent diverses formes. Cela peut être la documentation générée par les activités antérieures produites par la communauté ou bien l’accompagnement à la maîtrise d’une technique (code) ou d’un outil (imprimante 3D). Les bibliothèques peuvent être complémentaires et fournir à travers leurs collections des documents qui serviront aux usagers à acquérir des connaissances théoriques pour apprendre à utiliser les outils des Fab Labs.

Les missions des bibliothèques et des lieux de fabrication numérique se font écho à travers leur capacité à fournir un accès ouvert aux technologies. En 2012, Lauren Britton, responsable de la bibliothèque de Fayetteville (FLL) aux États-Unis, expliquait : « Les bibliothèques publiques sont là pour fournir un accès libre et ouvert à l’information, aux technologies et aux idées. Construire un makerspace (ce que nous appelons un Fabulous Laboratory) à la FFL offrira à notre communauté la possibilité d’avoir un accès à cette technologie qui change le monde »9. Les bibliothèques ont été pionnières dans l’accès aux technologies de l’information et de la communication (ordinateur, connexion à Internet...). De ce fait, elles ont une certaine légitimité à proposer un accès libre aux nouveaux outils10 de fabrication numérique. Plus encore, cela leur permet de renforcer leur utilité sociale et civique11. Les bibliothèques qui intègrent dans leur projet d’établissement une dimension fabrication numérique ne sont pas uniquement des bibliothèques municipales. En effet, à l’heure des projets de Learning Centres, les bibliothèques de l’enseignement supérieur et de la recherche peuvent aussi inclure dans leur offre de services des espaces de fabrication numérique. Cela peut avoir particulièrement de sens dans certaines disciplines. Les étudiants en architecture peuvent ainsi réaliser des maquettes imprimées en 3D. Les étudiants en histoire de l’art ont la possibilité de reproduire des œuvres à partir de scanners 3D. De même, les étudiants de médecine peuvent recourir à l’impression 3D pour mieux comprendre le fonctionnement du corps humain. Ce ne sont que quelques exemples imaginables, la technique ouvre de nouvelles possibilités aux bibliothèques qui peuvent diversifier l’accès à la connaissance grâce à la fabrication numérique. Cette tendance se développe de plus en plus dans les bibliothèques universitaires américaines12. En France, les établissements d’enseignement supérieur qui proposent ce type de service sont pour le moment minoritaires. Nous pouvons signaler le FacLab de l’université de Cergy-Pontoise qui s’illustre par son accessibilité et les ateliers proposés. Pour les autres établissements, il s’agit souvent d’événements ponctuels : Fête de la science, exposition scientifique...

Dans le cadre des bibliothèques municipales, certaines collectivités se sont déjà emparées de cette problématique comme celles des Ulis13, de Locminé, de Quimperlé... Quelques espaces publics numériques (EPN) ont su trouver un dynamisme en renouvelant leurs actions et en proposant des ateliers de fabrication numérique14.

Pour conclure, les missions, l’ouverture la plus large, la variété des publics, les technologies font des Fab Labs et des bibliothèques des lieux très proches. La mise en commun des compétences apparaît de plus en plus comme une évidence. Des partenariats sont à mettre en œuvre. Certains établissements qui ne possèdent pas les compétences pour gérer un espace de fabrication numérique en confient l’animation à des associations dédiées aux Fab Labs. Dans un contexte de questionnement sur l’évolution des bibliothèques, la mise en place d’ateliers de fabrication numérique peut être l’occasion de repenser l’organisation et les projets des établissements qu’ils soient de lecture publique ou dans le champ universitaire.

Fab Lab de la Cité des Sciences à Paris, en novembre 2013

Fab Lab de la Cité des Sciences à Paris, en novembre 2013

Benoît Prieur (Agamitsudo) / Commons Wikimedia (CC BY-SA 4.0)

Notes

1 Carte des fablab : http://www.fablabs.io/map Retour au texte

2 Fab Foundation : https://www.fabfoundation.org/ Retour au texte

3 http://fab.cba.mit.edu/about/charter Retour au texte

4 «Les mots clés de l’univers des fab-labs», La revue du projet, 3 novembre 2014, http://blogs.mediapart.fr/edition/la-revue-du-projet/article/031114/les-mots-clefs-del-univers-des-fab-labs Retour au texte

5 Carte électronique libre programmable qui permet de mettre en oeuvre des robots, des imprimantes 3D, des capteurs, des automatismes et toute sorte d’objets connectés. Retour au texte

6 Laurence Battais, «La documentation, le graal des Fab Labs et autres lieux de bidouilles», Carrefour Numérique, http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/blog/la-documentation-le-graal-des-fab-labs-et-autres-lieux-de-bidouille/ Retour au texte

7 Sabine Blanc, «Que peuvent bien fabriquer bibliothèque et Fab Lab ensemble?», Carrefour Numérique, http://carrefour-numerique.cite-sciences.fr/blog/que-peuvent-bien-fabriquer-bibliotheque-et-fab-lab-ensemble/ Retour au texte

8 Gaëlle Bergougnoux, Marie D. Martel, «Un fab lab dans ma bibliothèque», Espace B, 14 juin 2013, http://espaceb.bibliomontreal.com/2013/06/14/un-fab-lab-dans-ma-bibliotheque Retour au texte

9 Sabine Blanc, «Made in ma bibliothèque», OWNI, 10 juillet 2012, http://owni.fr/2012/07/10/made-in-my-bibliotheque Retour au texte

10 Jason Griffey, «The case for 3D printing», American libraries magazine, 16 septembre 2014, http://www.americanlibrariesmagazine.org/article/case-3d-printing Retour au texte

11 Carolyn Sun, «Kansas boy gets new hand, created at a library makerspace», The Digital Shift, 11 février 2014, http://www.thedigitalshift.com/2014/02/k-12/library-innovation-leads-new-hand-kansas-boy Retour au texte

12 Libraries & Maker Culture : A Ressource Guide, http://library-maker-culture.weebly.com/makerspaces-in-libraries.html Retour au texte

13 FabLab Mobile des Ulis, http://fabriquesnumeriques.tumblr.com/fablab Retour au texte

14 EPN de Folelli, http://folelli.blogspot.fr/2014/07/impression-3d.html Retour au texte

Illustrations

  • Fab Lab de la Cité des Sciences à Paris, en novembre 2013

    Fab Lab de la Cité des Sciences à Paris, en novembre 2013

    Benoît Prieur (Agamitsudo) / Commons Wikimedia (CC BY-SA 4.0)

Citer cet article

Référence papier

Thomas Fourmeux, « Des Fab Labs en bibliothèque ? », Arabesques, 77 | 2015, 14-15.

Référence électronique

Thomas Fourmeux, « Des Fab Labs en bibliothèque ? », Arabesques [En ligne], 77 | 2015, mis en ligne le 07 janvier 2020, consulté le 28 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=830

Auteur

Thomas Fourmeux

Bibliothèque d’Aulnay-sous-Bois, Membre de SavoirsCom1, Auteur du blog Biblio Numericus

thomas.fourmeux@gmail.com

Articles du même auteur

Droits d'auteur

CC BY-ND 2.0