La place des réseaux de l’Abes à l’heure du décloisonnement

DOI : 10.35562/arabesques.942

p. 8-10

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Nombreux, très nombreux, sont ceux qui, depuis longtemps, regrettent les incohérences provoquées par le cloisonnement des réseaux de l’IST en France. Mais depuis quand existent-elles ? Et pourquoi n’y a-t-on pas porté remède plus tôt ? Probablement parce qu’à l’époque, pas totalement révolue, de la documentation papier, ces incohérences n’en étaient pas, ou pas vraiment.

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Cocoparisienne/Pixabay (Public Domain CC0)

Étalées sur ces 15 dernières années, ces transformations ont été progressives, fonctionnant davantage par addition que par substitution et accentuant par là même les difficultés inhérentes à toute conduite du changement. La réorganisation du paysage de l’information scientifique et technique (IST) est désormais à l’œuvre, pour l’essentiel dans le cadre du programme de la Bibliothèque scientifique numérique (BSN). Elle conduit à s’interroger sur le rôle et le positionnement de chacun des acteurs, dont l’Abes.

La BSN a très nettement fait progresser la coopération entre les acteurs de l’IST de l’enseignement supérieur et ceux de la recherche : meilleure coordination, partage des stratégies et des objectifs, coopération de plus en plus fonctionnelle ; participation à des projets communs permettant aux équipes d’échanger, de mieux se connaître, de s’acculturer. À l’heure de l’autonomie des établissements, la coopération ne se décrète pas, elle se construit chaque jour. De nouvelles tâches et fonctions émergent, d’autres pratiques tendent à disparaître.

L’Abes est née à une époque où la documentation électronique en était à ses premiers balbutiements, les articles scientifiques au format numérique encore confidentiels. Mais déjà surgissait le besoin de cohérence dans la gestion des métadonnées. Sudoc, Catalogue collectif national des publications en série (CCNPS), Prêt entre bibliothèques (Peb) puis Theses.fr, Calames, acquisition de ressources électroniques, normalisation, l’Agence a su porter avec succès un nombre croissant de missions qui lui ont été confiées par l’État. Devenue une référence, elle bénéficie de la part de ses utilisateurs, et au‑delà, d’un solide socle de confiance. Autant de missions, autant de réseaux qui se sont constitués autour de ses projets et de ses applications. Liés à chaque application, mais fortement imbriqués, les divers réseaux adhèrent et défendent une identité forte, constituée au fil des années.

Mécanismes de prise de décision

Les mécanismes de prise de décision ont aussi évolué au fil du temps. En tant qu’opérateur de l’État, l’Abes doit rendre des comptes à une tutelle qui, longtemps, lui a dicté sa conduite. L’autonomie des établissements, la délégation de missions à l’Agence et une certaine évolution des mentalités ont infléchi cette ligne de conduite. La voix du réseau s’est exprimée à travers une association d’utilisateurs qui a su mieux se faire entendre. La complexification de ses activités, l’augmentation du nombre de tâches, les fortes évolutions en cours l’ont également amenée à s’entourer d’un conseil scientifique. Autant d’instances au travers desquelles les acteurs du réseau ont été invités à prendre une part croissante dans le choix des orientations, la définition des besoins ou spécifications, voire dans les décisions stratégiques.

Influence des méthodes informatiques sur les relations avec les utilisateurs

L’exemple de Calames illustre le cas de décisions techniques et opérationnelles où le réseau a pris une part déterminante. Mais il ne s’agit pas simplement d’une volonté d’associer celui-ci pour la beauté du geste. Il est apparu en effet que, en termes de développement informatique, impliquer le(s) demandeur(s) au fur et à mesure des évolutions en cours permet une meilleure réactivité et conduit à des résultats bien plus conformes aux attentes que les méthodes traditionnelles. Ces dernières, basées sur la rédaction de spécifications puis la livraison d’un résultat « clé en main » peuvent générer des dysfonctionnements. Entre le lancement d’un projet et son aboutissement, l’état de l’art peut avoir évolué à un tel point que le produit livré risque de s’avérer obsolète avant même son implémentation. L’adoption de méthodes itératives, inspirées de la méthode agile où l’équipe est bien plus importante que les outils, modifie les circuits de décision et, en l’espèce, implique bien plus fortement le réseau à chaque étape du développement.

Acquisition de ressources électroniques et portage de groupement de commandes

Pour l’acquisition des ressources numériques, l’Abes remplit un rôle d’opérateur administratif et financier.

À ce titre, elle est amenée à intervenir dans les négociations contractuelles. Mais c’est à Couperin – qui réunit désormais le CNRS, l’essentiel des organismes de recherche ainsi que la Bibliothèque nationale de France (BNF) – que revient le choix des ressources et la négociation commerciale. Là aussi, il n’est pas possible de marquer une ligne étanche entre les différentes fonctions, mais, pour l’essentiel, à Couperin la décision et à l’Abes sa mise en œuvre.

Un pas de plus dans l’imbrication des fonctions est franchi dans le cadre d’Istex. À Couperin, le choix des ressources ; à l’Abes, les négociations. Grâce au hub de métadonnées et à sa base de connaissances, l’Abes procède, en amont, à la vérification des contenus et, en aval, à celle des livraisons. Elle a en charge le site « Licences nationales », assume le rôle d’intermédiaire entre les éditeurs et les utilisateurs de l’enseignement supérieur (communication des IP) ainsi que pour les accès en lecture publique et gère le serveur intermédiaire d’identification (reverse proxy). Au CNRS incombe la mission de pilotage et, via l’Inist en relation avec l’université de Lorraine et pour le compte de la Conférence des présidents d’universités (CPU), la mise en place de la plateforme qui proposera des services innovants en termes de fouille de texte et de représentation des connaissances. Le schéma peut apparaître complexe, il tire en fait le meilleur parti des complémentarités entre acteurs.

Vers une articulation nationale des interventions de quelques majors internationaux

Le signalement insatisfaisant des ressources électroniques par les SIGB traditionnels oblige à penser la gestion des ressources à une autre échelle. Les systèmes de nouvelle génération combinent de façon très imbriquée logiciels de gestion et administration de bases de connaissances.

La richesse de ces bases alimentées en flux réguliers à partir de sources multiples, notamment à partir des données des éditeurs du monde entier, conduit, par construction, à un travail sur une échelle internationale. Elle réduit de fait le nombre d’opérateurs à même d’assurer l’ensemble des fonctions attendues par les bibliothèques. Le rôle de l’Abes s’inscrit ici, encore plus que par le passé, dans un réseau d’acteurs qui cherchent à devenir d’autant plus incontournables qu’il est apparu que ces systèmes sont également susceptibles de concurrencer des opérateurs comme l’Agence sur des fonctions de catalogage partagé.

Comment bénéficier de ces services tout en évitant de tomber dans une totale dépendance vis-à-vis d’un seul opérateur ? Certains pays ont choisi de se fondre dans des réseaux internationaux, mais la plupart cherchent à combiner le rôle d’une diversité d’acteurs dans un assemblage où, en conservant une logique nationale, on préserve la possibilité de choisir l’organisation de services pour peser sur les modèles économiques de diffusion des connaissances.

Pour répondre aux questions que se posent conjointement les établissements et l’Abes et faire les choix les plus pertinents, un ensemble d’acteurs se trouve réuni : établissements pilotes, groupe de travail sur le catalogage, consultation de l’ADBU qui, à travers sa commission « Signalement et système d’information », a pris le relais de l’ancienne association des utilisateurs de l’Abes, comité de pilotage où nombre d’instances sont représentées, conseil scientifique. Les décisions prises in fine par le conseil d’administration seront le fruit d’une large concertation. Ici, l’Abes est amenée à ne plus se concevoir uniquement comme un opérateur de l’État mais, en tant que porteur de projets de mutualisation, comme un catalyseur des initiatives des établissements.

Un des domaines stratégiques pour la conduite du changement est la formation initiale et continue des personnels. L’Abes, centrée sur la formation « métier », a un rôle clé à jouer, en coordination avec les autres acteurs.

Le rôle de l’ABES dans les réseaux de conservation partagée

Les projets menés par l’Abes en matière de ressources électroniques, et les développements en cours en ce qui concerne le hub de métadonnées, ne sont pas sans incidence sur la gestion des collections physiques. Ainsi les acquisitions massives d’archives de revues en licence nationale, accessibles à tous sur le territoire français, que ce soit dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche ou à partir d’une bibliothèque publique, conduisent à penser autrement la conservation des exemplaires papier. L’Abes a développé Périscope, outil qui facilite la visualisation des collections inscrites dans des plans de conservation partagée. Celui-ci est amené à évoluer à partir des propositions du réseau, de façon à pouvoir réutiliser un maximum de métadonnées nécessaires à l’établissement de ces plans. L’Agence s’inscrit ainsi dans un rôle de complémentarité avec les acteurs de l’ingénierie des plans de conservation partagée, organisés sur des bases géographiques ou disciplinaires et, prochainement, avec le Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLES) dont la mission de coordination au niveau national a été récemment réaffirmée.

Coopération avec les éditeurs

Le projet Bacon (pour Base de connaissances nationale) illustre les évolutions des métiers. Du catalogage, on passe à une fonction d’acquisition de métadonnées. Ce projet, centré sur les ressources (notamment les bouquets de périodiques) peu ou mal exposées dans les outils de découverte commerciaux, vise à améliorer la visibilité de la production éditoriale française au sein des systèmes d’information des bibliothèques en France et dans le monde. Passée l’étape du prototype, il conviendra de définir les modes de coopération avec les éditeurs pour les aider à fournir des données de qualité. La BNF s’inscrit elle aussi dans ces perspectives, notamment pour les e‑books. S’impose ainsi une indispensable organisation de la complémentarité entre les deux agences bibliographiques françaises.

L’ensemble de ces actions s’inscrit dans une perspective de coopération internationale des acteurs publics, axée sur l’ouverture des données et des métadonnées, qui devrait réduire les risques de dépendance. De tels projets n’auraient pas pu émerger sans une étroite coopération avec d’autres consortiums européens, notamment le JISC.

Les acquisitions en licence nationale, l’accompagnement des processus de négociation sont autant d’éléments de soutien dans la période actuelle de transition vers l’open access. La collaboration internationale permet à l’Abes de jouer un rôle dans les stratégies d’accès ouverts aux résultats de la recherche, que ce soit en termes de données ou de publications. Ces actions ne peuvent se concevoir qu’en coopération avec les structures des organismes de recherche en général, et celles du CNRS en particulier, notamment l’Inist, mais aussi le Centre pour la communication scientifique directe (CCSD), Open Edition, Hal, Persée.

Interaction avec les agences de mutualisation des universités

C’est l’évidence, mais il faut la marquer, le développement des applications liées aux thèses (Step, Star, Theses.fr) ont exigé une coopération étroite avec les établissements pris individuellement et, bien sûr, avec l’Agence de mutualisation des universités et établissements (Amue) et le consortium Cocktail qui développent leurs applications de gestion. L’Abes a été récemment invitée à rejoindre la commission « Systèmes d’information » de la CPU. Il apparaît clairement que l’ensemble des acteurs se trouve impliqué dans des problématiques communes dont le point nodal est le partage de référentiels. Dans cette perspective, l’expérience des professionnels de la documentation en termes de gestion des alignements entre référentiels peut s’avérer fort utile. La promotion d’Idref s’inscrit dans cette perspective.

Pour renforcer la cohérence nationale, pour peser au niveau international et contribuer à renforcer le poids de l’Europe dans les décisions, dans l’adoption de normes et standards, dans le choix de modèles d’organisation conformes à la culture et à la société européennes, le travail en réseau doit dépasser le strict cadre de l’IST. Les perspectives de coopération entre les réseaux de l’IST et ceux de la sphère « Culture » se multiplient. Longtemps parallèles, les réseaux tendent à rechercher des points de convergence. Il faut contribuer à rendre le Catalogue collectif de France plus fonctionnel, plus visible et offrant de meilleurs services. Une réflexion est en cours sur le partage d’outils de catalogage des manuscrits avec la BNF mais aussi, pourquoi pas, avec le monde des Archives. La coopération avec les éditeurs et les intermédiaires de la chaîne du livre ne peut être conçue séparément.

L’inscription de l’Abes dans les réseaux est un sujet foisonnant. Elle est et demeure une tête de réseau, un point de référence. Mais, dans le même temps, elle doit s’inscrire dans un tissu de plus en plus étendu. Certaines de ses actions ne seront réalisées qu’avec le financement des établissements participants. Devenue aussi agence de mutualisation, elle est amenée à faire évoluer les modèles de prise de décisions. Une part de celles‑ci devra émaner directement du réseau à travers des modes de consultation qui restent encore à construire.

Si le rôle des acteurs au sein des réseaux varie d’un projet à l’autre, l’Abes n’en respecte pas moins le principe de spécialité qui a présidé à sa création : assurer des services, en matière d’IST, que chaque établissement ne pourrait conduire individuellement avec la même efficacité. Et pour cela, l’Abes devra continuer d’assumer aussi un rôle d’opérateur stratège

Illustrations

Cocoparisienne/Pixabay (Public Domain CC0)

Citer cet article

Référence papier

Jérôme Kalfon, « La place des réseaux de l’Abes à l’heure du décloisonnement », Arabesques, 74 | 2014, 8-10.

Référence électronique

Jérôme Kalfon, « La place des réseaux de l’Abes à l’heure du décloisonnement », Arabesques [En ligne], 74 | 2014, mis en ligne le 20 août 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=942

Auteur

Jérôme Kalfon

Directeur de l’Abes

kalfon@abes.fr

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