Édito

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Texte

L’an dernier, une intervenante psychologue dans l’humanitaire a commencé un cours de Master 2 en demandant aux étudiants lesquels parmi eux avaient au moins un parent, grand-parent ou arrière-grand-parent de nationalité étrangère. Plus des deux tiers levèrent la main, elle s’y attendait et s’appuya sur cette observation pour souligner que le phénomène des migrations est fort ancien, qu’il a répondu à diverses logiques (protection face à la guerre, à la dictature, à la persécution, recherche de travail…), et a toujours conduit à un relatif mélange des populations.

Lors d’un autre cours de Master 2, je fus surpris et amusé de voir que les Stéphanois ayant dû migrer à Lyon pour leurs études de psychologie revendiquaient cette origine : ils n’étaient pas d’ici. Manière de nous rappeler que si l’on en appelle surtout, dans les représentations, aux migrations transfrontières nationales (et parfois les frontières sont nombreuses), il en a été et il en est toujours d’autres, nationales, dans chacune des régions du monde, qui marquent aussi ceux qui les vivent.

Si la migration comme phénomène fait parler, et donne à penser, les migrants, comme masse imaginaire, le font plus encore, entre sentiment de menace et solidarité, entre rejet et accueil.

Que l’on songe à ce qui se passa en fin d’année 2017 dans le bâtiment H du campus porte des Alpes qui accueillit des jeunes sans autre lieu un temps et au très beau mouvement de solidarité qui y naquit. Que l’on songe aux délibérations du conseil constitutionnel (mars 2019), suite à une question prioritaire de constitutionnalité, sur la validité des examens pour déterminer l’âge osseux (examen bien peu précis). Elles nous rappellent que le migrant est vite l’objet de soupçons : ne ment-il pas, ne cherche-t-il pas un avantage indu, ce qui permet alors de ne pas penser la misère qu’il a dû fuir, l’arrachement à une famille, à des amis, à une terre, une culture, une langue… ?

Ce numéro de Canal Psy vient à point nommé, au cœur d’une dure actualité qui dure, pour donner l’éclairage de différents courants de la psychologie, et rappeler que ce qui est au centre, c’est toujours une rencontre. Une rencontre comme un soutien, comme une relance dans un projet où il est question de survie, de vie. La psychologie, comme toutes les sciences humaines (ce beau nom), ne peut être qu’engagée.

Pour soutenir notre ouverture au monde, écoutons une poétesse, Tanella Boni, ivoirienne (in Outre-chœur, éd. Bruno Doucet, un livre-disque qui est un trésor) :

terrien sans visa de séjour
t’es rien
terrien sans visa de séjour
t’es rien

Et, autre poème, de la même poétesse :

Nous traversons la frontière la mort dans l’âme
les noms inscrits sur chaque visage
la carte de la peau à la place du cœur
ici étrangers sans lieu sans date nous sommes
la mémoire en bandoulière
entaché de mille maux
nous sommes flux et reflux
de capitaux de mains d’œuvre
matières premières et bois d’ébène
en transhumance toujours
sur les mers et les vents

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Référence papier

Jean-Marc Talpin, « Édito », Canal Psy, 123 | 2018, 3.

Référence électronique

Jean-Marc Talpin, « Édito », Canal Psy [En ligne], 123 | 2018, mis en ligne le 07 avril 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1913

Auteur

Jean-Marc Talpin

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