L’enfant, l’élève et la psychologie de l’éducation

DOI : 10.35562/canalpsy.2120

p. 4-5

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L’entrée dans le système éducatif se joue sur fond de séparation : le jeune enfant quitte son milieu familial ; d’un réseau de relations privilégiées qu’il entretenait alors avec un nombre limité de personnes au sein de relations interpersonnelles fortes, il passe à un univers relationnel où il n’est plus le seul enfant et où les adultes partagent leur attention avec un ensemble d’enfants. Il lui faut donc nouer de nouveaux types de contacts avec d’autres adultes mais aussi avec d’autres enfants au sein d’activités qui visent à l’insérer dans un univers social fait de traditions, de règles, de savoirs à acquérir. Cette entrée à l’école amène une certaine déstabilisation des équilibres antérieurs élaborés par chaque enfant, qui est assez bien compensée par une partie des élèves, tandis que certains autres donnent l’impression de s’adapter sans pour autant qu’ils soient réellement actifs dans cette situation, alors que d’autres encore manifestent assez rapidement, par des conduites peu adaptées, leur non-intégration à ce monde de l’école.

Psychologie et éducation

La psychologie de l’éducation s’est développée pour analyser, comprendre et aider à résoudre ces types de problèmes. Elle est parfois décrite comme une psychologie « appliquée » : « appliquer les résultats de la recherche et des théories psychologiques aux problèmes éducatifs1 ». Cette conception, qui pourrait tout aussi bien s’énoncer sous l’intitulé d’une « psychopédagogie » – un terme souvent employé –, nous semble particulièrement réductrice et fort peu pertinente, comme nous l’avions déjà fait observer au terme de l’analyse d’une initiative historiquement bien repérée2.

Or parler de psychologie de l’éducation c’est tout d’abord viser un objet : l’individu apprenant et/ou l’individu enseignant, et c’est conduire à ce propos des recherches qui tentent d’expliquer, du point de vue du psychologue, comment on apprend et comment on enseigne (car il va de soi que le didacticien – pour ne prendre que cet exemple –, à sa manière, traite aussi ces deux questions).

L’enfant apprenant c’est à la fois celui qu’étudie telle ou telle branche de la psychologie, mais c’est aussi et surtout ce sujet au carrefour d’influences, à un point d’intersection qui modifie les trajectoires décrites par chacune des approches scientifiques partielles. En ce sens, le sujet de la psychologie de l’éducation est bien spécifique et l’étudier constitue alors une question fondamentale, non réductible à la somme des approches partielles. Ainsi, ce que nous savons du sujet étudié seul est-il valide lorsque ce sujet est en interaction avec un autre (enfant ou adulte), ou lorsque cette interaction se déroule dans le cadre d’une situation d’enseignement ?

La psychologie de l’éducation emprunte ses méthodes à plusieurs des courants de la psychologie, puisqu’elle intervient pour traiter des situations diverses et complexes, aux déterminismes variables et qu’il ne lui est guère possible de se référer uniquement, à l’inverse de ce que laisse parfois entendre le découpage académique des enseignements de psychologie à l’Université, à tel courant de la psychologie développementale, telle approche de la psychologie sociale, telle école de psychologie clinique, telle conception de la psychologie différentielle ou expérimentale.

L’articulation, concrète et théorique à la fois, entre les apports et les visées spécifiques de la psychologie et de l’éducation ne s’opère pas spontanément : la pédagogie ne se déduit pas de la psychologie. Il ne suffit pas non plus de s’en tenir à un pragmatique éclectisme – prendre un peu de tout –, propre à tout justifier et qui peut aboutir à constituer comme « psychologie de l’éducation » une série juxtaposée de thèmes de recherche, de listes de résultats ponctuels issus de recherches très centrées.

La psychologie doit maintenir une attitude distanciée par rapport à l’intention d’instruire ou d’éduquer ; elle n’est pas finalisée par un projet éducatif, des objectifs didactiques et elle n’a pas à cautionner telle ou telle disposition pédagogique (même si l’histoire récente indique à l’évidence que rares sont ceux qui s’en tiennent à cette ligne) : le psychologue confronté à l’action pédagogique est en même temps avec les enseignants, cherchant à comprendre leur position, à saisir de l’intérieur leurs préoccupations et leurs projets, mais il est tout autant à l’extérieur de la pédagogie. Position difficile, non exempte d’ambiguïtés latentes, mais seule position tenable si le psychologue veut pouvoir dire autre chose que ce qui est déjà contenu dans le discours pédagogique.

Le système éducatif est amené à solliciter les psychologues pour promouvoir des changements dans les attitudes et les comportements des enseignants ou pour intervenir directement dans la détection des difficultés des écoliers et leur orientation ; de son côté la recherche pédagogique intègre des savoirs élaborés par les recherches conduites en psychologie. Comment penser l’intervention du psychologue sur le champ de l’éducation ? Un exemple pourrait aider à mieux saisir les enjeux. Nous prendrons celui de l’entrée dans l’écrit.

L’exemple de l’entrée dans l’écrit

Lire et écrire n’a rien d’une acquisition naturelle : le système d’écriture qui est le nôtre s’est élaboré au long d’une histoire mouvementée et pouvoir s’en servir suppose de recevoir un certain nombre d’informations sur les principes et les conventions qui en régissent l’organisation et l’usage. Cette information sur les structures, les fonctions et les usages de l’écrit a été confiée principalement au système scolaire, cette initiation a donc été scolarisée et l’école est devenue le lieu central, incontournable pour beaucoup de la rencontre avec l’écrit. Cette situation a des conséquences, pour beaucoup non prévues par ceux qui ont estimé, très rationnellement, qu’il suffirait d’enseigner à lire et à écrire pour que chacun apprenne…

Or, pour nombre d’élèves, lire et écrire c’est apprendre à se servir d’un objet – l’écrit – selon ses seules formes scolaires, à tel point que beaucoup d’entre eux vont se comporter comme s’il n’existait que ces seules formes-là. Une fois sortis de l’école, ils s’efforceront de contourner cet écrit en quoi ils ne verront guère qu’une forme scolaire.

Mais cet écrit qui n’est qu’un moyen – lire et écrire c’est se servir de marques graphiques particulières pour mettre devant soi, sur un espace orienté, des faits, des idées, des paroles, que l’on pourra maintenir en mémoire, disposer à distance de soi, construire en représentation, parfois mettre en communication, c’est-à-dire échanger, penser, apprendre – ce moyen d’expression devient trop souvent, dans ce cadre d’apprentissage scolarisé, une fin en soi, un but particulier, dont l’acquisition est mise sur le même plan que d’autres, et qui courra le risque d’être rejetée aussi, tout comme d’autres contenus à apprendre, rapidement devenus caducs.

Ce à quoi ouvre l’écrit, cette mémoire collective déposée principalement sur ce média, est ainsi obturé. La transmission de l’héritage culturel s’opère alors essentiellement par la parole, l’image, le film. Les bénéfices de l’écrit, liés à la possibilité de revenir sur le texte, de l’examiner, de le comparer à d’autres sources, bref de se distancier de l’émotionnel instantané, risquent alors d’être perdus. Dans le même mouvement de rejet c’est aussi la possibilité de se confronter à la langue écrite qui est refusée, c’est-à-dire la confrontation à une langue autre que celle de son groupe de première appartenance, la langue de la famille, des copains, du quartier. Cette interaction entre langue parlée et langue écrite, cette tension entre ces pôles, c’est aussi l’une des conditions du dépassement de sa position actuelle afin d’accéder, peut-être, du fait de l’extension de son expérience langagière, mais aussi par une plus grande définition en précision, à une pensée libératrice de l’instant, de l’émotionnel.

L’écrit, pour beaucoup trop d’élèves puis d’adultes, devient alors un objet qui fait écran, écran propice à toutes les projections, depuis celles autorisées par le merveilleux de l’imaginaire – et propices à l’investissement dans l’apprentissage du système d’écriture, ce que décrivent bien B. Bettelheim et K. Zelan, La lecture et l’enfant, Laffont, tr. fr. 1983 ou F. Dolto, La cause des enfants, Laffont, 1985 – jusqu’à l’épreuve surinvestie par les traces inconscientes de signifiés instables, en passant par un travail ardu sur des parties disjointes (lettres, syllabes et mots), dont les éléments premiers sont des unités sans signification, celles de la deuxième articulation du langage, qu’il va s’agir, pourquoi ? comment ? de combiner pour (re)créer du sens, des énoncés porteurs de réalités langagières renvoyant à des réalités d’expérience du monde physique et humain.

De plus, l’écrit apporte ses spécificités à l’exercice des activités intellectuelles : mise en espace de discours, d’événements, de souvenirs, qui ont été prononcés ou vécus dans la durée, dans le temps, il amène son usager à prendre l’habitude, sans qu’il en soit toujours conscient, de mettre le ressenti à distance, de l’observer, le mettre en ordre, l’organiser, le sortir du contexte. La séparation de l’événement par rapport à soi, et la segmentation du discours en un texte découpé en mots, jointes à la permanence ainsi assurée par l’écrit, aident grandement le travail de la réflexion, contribuent à la clarification de la pensée, grâce à une trace qui demeure et peut se reprendre, en établissant de nouveaux liens entre les moments, les objets, les pensées : lire, c’est, fondamentalement, lier.

L’écrit et l’école ne sont, chacun, que des moyens : l’écrit n’est qu’un moyen d’expression parmi d’autres et l’école, loin d’être à elle-même sa propre fin, sert à favoriser la rencontre des jeunes générations avec l’héritage culturel de notre société et à leur permettre de se construire en continuité d’expérience.

L’école doit trouver sa place, signifiante, pour le jeune enfant : cette place est construite – ou non – dans le discours social et familial avant d’être reconstruite – ou non – par le futur écolier.

Une psychologie de l’éducation ?

La psychologie de l’éducation et de la formation intervient habituellement sur les ratés de la rencontre avec l’institution scolaire, avec les enseignants, avec les autres élèves, avec ce moyen d’expression ou tel ou tel des objets transmis par l’école. Le premier souci du psychologue est alors d’établir le diagnostic le plus juste possible de ce qui fait empêchement.

L’objet – et le projet – de la psychologie de l’éducation est donc de permettre de convoquer, pour le psychologue, l’ensemble des champs d’explication possibles, pour engager une approche clinique – au sens d’une rencontre individuelle – qui regarde aussi du côté du social et du culturel, du groupal et du relationnel, de l’intrapsychique et du cognitif.

Penser une psychologie de l’éducation constitue donc un préalable à l’intervention de la psychologie dans le champ de l’éducation : comment concevoir la préparation des psychologues qui interviennent soit directement dans le champ scolaire (personnels de l’éducation nationale), soit auprès des enfants et adolescents scolarisés ? Comment élaborer un projet de formation des enseignants sans les sensibiliser aux dimensions psychologiques ?

Les étudiants de l’Université Lumière Lyon 2 se voient proposer, depuis la première année de DEUG, une préparation à ces enjeux grâce aux enseignements de Psychologie de l’Éducation présentés par la filière Pratiques et Changements en Éducation (PCE) coorganisés par l’Institut de Psychologie et le SIMEF.

La place de la psychologie du développement cognitif

La psychologie génétique cognitive étudie le développement de l’activité cognitive chez l’enfant, l’adolescent et l’adulte. Elle analyse les formes, les structures, le fonctionnement et les transformations des dimensions cognitives, qu’elle cherche le plus souvent à articuler avec les conditions de contexte qui favorisent, modulent ou entravent l’activité cognitive, que ces conditions soient affectives, culturelles, pédagogiques ou sociales.

Elle poursuit à la fois une visée de recherche fondamentale (décrire, comprendre et expliquer le développement cognitif), mais elle se préoccupe aussi des modalités de l’intervention psychologique sur les questions de construction des connaissances (prise en compte des contextes sociaux et culturels ainsi que des dimensions individuelles et interindividuelles) : en ce dernier sens, elle contribue à mieux armer l’approche psychologique individuelle, l’intervention clinique sur le plan du développement cognitif.

La psychologie génétique cognitive s’efforce de décrire les phases du développement cognitif, dans un cadre théorique référé pour l’essentiel à l’épistémologie constructiviste héritée de Piaget, avec des travaux portant sur des processus cognitifs dits de « haut niveau » (raisonnement, conceptualisations, etc.) qui amènent à renouveler les problématiques piagétiennes.

La psychologie génétique cognitive constitue une référence capitale pour qui s’intéresse aux processus d’acquisition des connaissances, aux formes d’apprentissage. Elle se présente aussi comme un passage central pour accéder à la psychologie de l’adulte. C’est donc un enseignement de base pour tous ceux qui envisagent de travailler dans le secteur de la formation initiale ou continue, puisque l’on y apprend à observer et analyser les activités cognitives des sujets en situation d’apprentissage et en situation de travail.

Notes

1 C’est la définition que propose W.D. Fröhlich, dans son Dictionnaire de la psychologie, Livre de Poche, éd. fr., 1997.

2 Cf., pour une analyse appuyée sur un exemple particulièrement significatif, notre Decroly, psychologue et éducateur, Toulouse : Privat, 1982.

References

Bibliographical reference

Jean-Marie Besse, « L’enfant, l’élève et la psychologie de l’éducation », Canal Psy, 38 | 1999, 4-5.

Electronic reference

Jean-Marie Besse, « L’enfant, l’élève et la psychologie de l’éducation », Canal Psy [Online], 38 | 1999, Online since 24 août 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2120

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Jean-Marie Besse

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