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L’anorexie mentale pose au clinicien une série de problèmes délicats au niveau du diagnostic, du pronostic et de la mise en œuvre du traitement. L’anorexie est généralement considérée comme une affection psychosomatique, c’est-à-dire une maladie qui concerne en même temps le psychisme et le corps. Ses modes d’abord et de traitement peuvent varier en fonction des options théoriques du clinicien selon qu’il se réfère davantage à une compréhension neuropsychologique, phénoménologique ou psychanalytique de l’organisation psychique. Seul ce dernier point de vue sera abordé dans ce travail.

L’anorexie peut se manifester à différents âges de la vie : les pédiatres ont depuis longtemps décrit l’anorexie du nouveau-né ou du nourrisson qui refuse de se nourrir ; de même, au sein des institutions gériatriques, on rencontre des refus d’alimentation chez les personnes âgées. Une anorexie, restée cliniquement silencieuse, peut se manifester également en deux occasions moins classiques : le post-partum lors du retour chez la mère des impressions de son propre lien primaire mère-bébé et la pré-ménopause lorsque pour s’adapter au rythme biologique qui se modifie, l’inconnu d’un nouveau lien au corps, hors cycle, fait revenir la question des temporalités.

L’anorexie mentale, telle que nous l’entendrons ici, frappe le plus souvent de jeunes adolescentes. En effet, si l’anorexie mentale n’est pas absente de la psychopathologie masculine, elle est statistiquement rare et le plus souvent associée à d’autres problématiques psychopathologiques. Chez la femme, l’anorexie mentale est un syndrome clinique d’amaigrissement, d’aménorrhée et de relation troublée à la nutrition (restriction, parfois boulimie et vomissements, prise de laxatifs). Elle est un état critique simultané de la vie biologique et de la vie psychique, un état ambigu de survie et de destruction, un retournement contre soi-même sur une ligne de crête dangereuse qui peut entraîner la mort du sujet. Processus actif et passif, elle est simultanément un meurtre et une agonie désavoués. Jusqu’à un stade tardif d’amaigrissement et d’asthénie, l’anorexique agit de façon désubjectivée le désir de suicide qu’elle porte en elle, sans s’approprier ce qu’elle se fait, ce qu’elle subit, et se fait subir.

Dans sa définition la plus classique l’anorexie mentale est donc un syndrome qui inclut trois facteurs essentiels : amaigrissement provoqué par une importante perturbation de la relation à la nourriture, aménorrhée et conduites psychiques marquées par l’idéalisation et la distanciation. Le pronostic, c’est-à-dire les possibilités évolutives d’un tel ensemble, varie évidemment au cas par cas mais l’anorexie mentale débouche assez régulièrement sur une stabilisation autour d’une certaine ligne de poids. Le traitement associe, dans les situations les plus tendues, une rupture avec le milieu familial et la mise en place d’une progressive reprise de l’alimentation généralement couplée à un travail psychothérapeutique.

Le diagnostic apparaît à première vue évident. Il se complique toutefois du fait que la perte de poids et le trouble de l’alimentation qui en est la cause sont régulièrement rationalisés. La patiente déclare suivre un régime alimentaire en se référant aux canons de la mode et d’un certain idéal féminin. De plus la famille n’est guère alertée, au moins dans les premiers temps, par les conduites alimentaires erronées de la jeune fille. Ce n’est qu’à partir du moment où la perte de poids est évidente et s’associe aux premiers symptômes que le médecin est consulté. Le plus souvent, en effet, l’anorexie est abordée sous un angle d’abord médical : le stress et l’investissement intensif des études sont mis au premier plan pour expliquer la fatigue, la perte d’appétit et, éventuellement, l’aménorrhée. Cette forme de déni groupal de la composante psychique du trouble s’explique par l’extrême rationalisation dont font preuve ces patientes généralement bien intégrées au sein de leur famille où elles n’ont jamais, jusque-là, posé le moindre problème.

Il est particulièrement difficile de théoriser l’étiologie et le traitement de l’anorexie mentale de la femme et spécifiquement de l’adolescente. Cependant, on peut considérer que le désastre somato-psychique de l’anorexie semble la conséquence d’une atteinte de la temporalité interne. Le vécu du temps dans ses rythmes et la linéarité de sa succession est méthodiquement soumis à destruction.

Anorexie et adolescence

La crise anorexique se noue le plus souvent à l’adolescence quand, au seuil de l’appropriation subjective de la sexualité adulte, un paradoxe s’installe : impossible compagnie, impossible solitude. Cette problématique du « ni l’un, ni l’autre » témoigne d’un travail de négativation qui remanie alors la réalité psychique. Il est essentiel d’entendre ce paradoxe pour créer une situation thérapeutique où la patiente puisse se sentir réelle à partir de ce retour à rien qu’est l’anorexie.

Une des expressions qui nous aide à qualifier l’adolescence est celle du coup de tonnerre dans un ciel serein mais cette image ne rend compte du processus que de manière imparfaite. L’adolescence surgit en effet sur un fond continu et se développe par rapport à ce fond. C’est naturellement par rapport au milieu familial, en réaction mais aussi en appui sur ce milieu, que le moment adolescent se déploie.

L’expression « scier la branche sur laquelle on est assis » symbolise l’ensemble des mouvements d’attaques auxquels se livrent délibérément les adolescents. Ces mouvements d’attaques sont particulièrement éprouvants pour les parents mais leur fonction essentielle est double : attaquer pour mettre ou tenir à distance et attaquer pour éprouver la solidité du cadre parental. Car rien n’est probablement plus désorganisant pour un adolescent que de constater que ses attaques détruisent réellement l’environnement parental.

Ce double mouvement nécessite une qualité fondamentale de la relation : l’adolescent, comme d’ailleurs le tout jeune enfant, a besoin d’éprouver la réalité de l’objet, réalité qui ne se confond pas tout à fait avec son caractère vivant. Il est ainsi des situations, c’est le cas de certaines anorexies, dans lesquelles l’objet est reconnu vivant mais sans épaisseur, sans résistance ni compacité.

La séparation entre l’adolescent et le milieu familial est un processus qui nécessite à la fois la capacité des parents à tolérer la séparation et en même temps la réalité de la difficulté à accepter cette séparation. Ce processus implique une résistance des parents. Scier la branche sur laquelle on est assis ne doit donc pas aller de soi : il faut que ce soit suffisamment difficile, que la branche résiste car en attaquant cette branche l’adolescent fournit un certain effort qui lui permet en retour de se sentir vivant.

Cet effort est essentiellement psychique mais, à y regarder de près, il dérive fondamentalement des processus que le petit enfant utilise pour, suivant l’expression de Freud, se rendre maître de ses propres membres. L’hypothèse d’un travail de l’emprise répond en partie aux questions que posent les énigmes rencontrées par la clinique de l’adolescent et spécifiquement de l’anorexie. La fonction d’emprise, jusque-là reléguée dans le domaine de la psychopathologie de la névrose de contrainte ou des perversions, doit être prise en compte pour approcher le processus d’auto-appropriation du moi dans lequel le tout jeune enfant comme l’adolescent se trouvent nécessairement pris. L’auto-appropriation désigne le travail par lequel un être humain se développe en appui et contre les objets mais aussi en intégrant, à l’intérieur de lui, au sein du moi et dans le rapport entre les différentes instances, les principales fonctions de ces objets. Ce processus englobe donc à la fois les auto-érotismes, l’identification et les inévitables deuils par lesquels un sujet trouve douloureusement son unité.

Cette question de l’emprise, de sa déviation, est au cœur de la problématique anorexique dans la mesure où, précisément, ces patientes exercent une emprise sur leur entourage, mais aussi sur elles-mêmes, sous la forme d’une auto-emprise froide. Notre hypothèse est la suivante : la clinique de l’anorexie nous confronte à une forme spécifique de raté du travail de l’emprise en lien avec la butée de l’objet. L’issue n’est pensable que dans la reprise d’un lien libidinal avec des objets vivants, ce qui nécessite le détour par l’investissement sadomasochiste. L’anorexie ne nous confronte pas à une forme de sadisme ou de masochisme dans la mesure où on pourrait penser que la patiente refuse de se nourrir par plaisir ou jouit de la souffrance de son entourage. Elle nous amène plutôt à considérer que l’axe sadomasochiste ne parvient pas à s’établir de façon suffisante, qu’il n’est en rien « bon à symboliser » et qu’il reste enkysté, en attente de reprise.

L’anorexie mentale peut débuter très tôt par une aménorrhée primaire, quand l’échappée des caractères sexuels secondaires qui transforment le corps prend prématurément un sens sexuel pour le moi. Tandis que la vie psychique est encore celle d’une enfant, le corps prend des rythmes différents, étrangers au vécu interne jusque-là familier. Le sujet qui y perd son identité refuse d’accueillir ce féminin. L’expérience subjective de la rencontre sexuelle, rencontre de l’inconnu de soi et de l’inconnu de l’autre, est inaccessible car elle se heurte à une impasse. Un clivage du moi prend le relais. Une partie du moi se met à vivre hors temps, supprime l’inscription du corps dans la temporalité de ses rythmes et dissout l’étayage de la vie pulsionnelle sur l’autoconservation. Il s’agit d’annuler systématiquement le rythme des repas, du sommeil, de la détente, du cycle menstruel, de mutiler le temps linéaire où l’après peut devenir un avant, en le décapitant de son futur. Les patientes anorexiques souffrent d’un trouble de la capacité d’être seules en présence d’un autre et d’un trouble de la perception d’elles-mêmes. Leur difficulté à se détendre est le signe d’un défaut de transitionnalité.

Au sein de cette émergence mutative de la féminité, le déclenchement d’une anorexie est signe de désespoir et d’appel. La force de la révolte ne trouve pas de mots pour se dire ni même se penser. Elle laisse espérer par sa vigueur un remaniement psychique plus adéquat si elle trouve l’interlocuteur capable d’avoir la patience d’entendre, de donner le temps et la parole pour accompagner le devenir conscient de ce qui s’y répète.

Spécificités du fonctionnement psychique

Différents aspects de la réalité psychique des anorexiques sont contre-transférentiellement perceptibles. Elles ne peuvent pas faire un récit de rêve, ni évoquer des souvenirs investis. Elles ne savent pas trouver une saveur au présent, ni considérer le futur. Elles n’ont pas de place pour une temporalité propre. Leur temps représente les objets parentaux : il est immobile ou extérieur à elles, envahi de contraintes persécutantes relatives à se nourrir, se mouvoir et penser qui les empêchent de vivre. Mais paradoxalement ce temps troublé semble avoir une fonction auto-calmante. Est-ce de se faire éprouver activement ce qui a été passivement supporté autrefois ?

Au service du désinvestissement pulsionnel, du désengagement objectal et du clivage du moi, des modifications s’exercent dans cinq directions simultanément : la temporalité, le corps, le langage, l’auto-perception et l’autoconservation.

  • La temporalité : ni passé, ni présent, ni futur. La destruction de la continuité du temps anéantit les interactions au sein de son déroulement. Effets d’après-coup, anticipation, feed-back et projets sont bloqués. Le temps tourne en rond.
  • Le corps : le rythme biologique du corps (faim satiété, tension/détente, veille/sommeil) est saccagé. Le corps est déshabité méthodiquement.
  • Le langage se désincarne et s’appauvrit. Il manque d’images et l’abstraction prédomine. La syntaxe se simplifie et le style personnel disparaît. L’activité représentative est profondément perturbée : le lien entre les représentations de choses et les re-présentations de mots se désarticule. La communication est désertique.
  • L’auto-perception est déformée. Le trouble de l’image du corps, souvent mis en avant, s’accompagne d’un doute sur la validité des sensations, des affects et des désirs propres. Se représenter son vécu, s’autoinformer sur soi-même deviennent des tâches indescriptibles, indécryptables. Les patientes continuent à se trouver grosses même lorsque l’amaigrissement est patent.
  • L’auto-conservation est précaire et sa déficience est niée.

La réapparition des rêves et des souvenirs, de la densité du présent et de l’ouverture du futur, sont les indices d’un remaniement des rapports du moi et du Surmoi favorable à une guérison durable. L’évanescence de la tyrannie exercée sur l’alimentation, la motricité et l’intellect est la conséquence de la qualité retrouvée de la vie psychique. Ces modifications n’ont bien entendu rien à voir avec la disparition de l’amaigrissement par conformité aux attentes des objets, sans rétablissement de la subjectivité.

Pour tenter de comprendre davantage la spécificité de ce trouble il faut interroger les circonstances internes de son déclenchement. Le temps de l’adolescence est un temps critique. Face à l’absence de repère pour définir l’indéfini, la vie psychique opère une transformation. Elle va rechercher dans la mémoire une trace passée capable de symboliser le présent et de le rendre subjectif. En quête d’une intimité qui allie le visuel au tactile, elle remonte avant l’interdit du toucher qui a accompagné la croissance vers la puberté, jusqu’à la relation orale primaire. Mais au lieu d’une préforme de sa subjectivité, l’anorexique retrouve une agonie de sa subjectivité dans les traces de rencontre avec les objets parentaux. Ses efforts psychiques pour symboliser la découverte du corps à corps sexuel adulte au moyen des traces de corps à corps de la prime enfance rencontrent la mort. Ce contact de la sexualité avec la mort enclenche une compulsion de répétition qui témoigne de l’échec de la symbolisation.

Si, en apparence, la réaction anorexique semble une défense active contre la sexualité, en réalité c’est une compulsion de répétition des modes de rencontre avec l’objet primaire. Elle a l’allure d’une toute puissance phallique et orale, d’un circuit fermé autosuffisant pour se protéger du réveil de l’expérience agonique passée. Au lieu de subir la contrainte, elle la crée et met en acte un meurtre et une agonie qui ont déjà eu lieu dans un passé dont elle n’a pas la représentation. Son suicide différé est isomorphe à l’agonie de sa subjectivité, au meurtre du corps érotique et à sa seule survie biologique.

La temporalité rythmée de la relation orale précoce préforme la subjectivité. Le nourrissage contient un ajustement de l’objet au rythme personnel de succion, de respiration et d’endormissement. Lorsque l’objet a eu la tentation d’être envahissant en ressentant l’enfant à son image et en lui imposant son propre rythme, l’enfant a été mis en place d’être son double. Ce collage a empêché la reconnaissance de son altérité énigmatique. Ce défaut qualitatif de l’investissement revient hanter l’adolescente quand elle ne trouve pas en elle-même l’espoir de s’adapter à son propre rythme dans la rencontre avec la sexualité adulte. Sa dysrythmie anorexique, l’incohérence de sa motricité et de son sommeil, répètent le défaut d’ajustement parental au rythme interne qui se cherche.

La répétition à l’identique des traces perceptives laissées par le lien primaire oral contient l’épreuve d’une défaillance qualitative de l’investissement. Les bases de la subjectivité sont altérées par trois négativations conjointes : de la temporalité par l’immédiateté, du langage par perte de l’associativité des mots, de l’autoconservation par annulation de la capacité d’anticiper. Autrefois incapable de sentir le rythme de l’enfant pour l’anticiper, l’objet non malléable a obligé l’enfant à s’adapter à l’adulte. Annulant la conservation du rythme propre à l’enfant, il n’a pas transmis de traces premières de la capacité à s’auto-conserver. Il n’a pas accompagné l’enfant qui, partant d’un rythme informe, crée peu à peu les formes de son rythme personnel. La déficience de l’autoconservation est le rejeton de l’incapacité d’anticiper, acquise au contact de l’incapacité d’anticipation des adultes vis-à-vis de l’enfant. La façon dont ni le père ni la mère n’anticipaient pas son manque futur en la vivant comme leur double, est isomorphe de la façon dont l’anorexique rejette la pensée de son manque interne. Les mots perdent leur associativité parce qu’ils oublient qu’ils contiennent le manque propre à l’activité symbolisante. Au-delà du traumatisme, la problématique du clivage est à l’œuvre et, dans le présent, une perception hallucinatoire du passé non représenté fait constamment retour.

Le traitement : l’invention d’une temporalité subjective

La temporalité humaine contient l’expérience de la latence du fait du bi-phasisme temporel du développement de la sexualité humaine. Mais l’anorexique ne peut pas quitter l’immédiateté perceptive car sa possibilité de représenter est perturbée et l’empêche d’inventer des médiations pour entrer dans le temps, dans l’ordre du différé et du transitionnel. L’immédiateté est la trace de la zone traumatique sur la temporalité. Faire jouer la non immédiateté suppose de renoncer à la compulsion de répétition. C’est tout l’enjeu d’un traitement où prendre le temps de médiatiser.

Pourquoi le traitement hospitalier de l’anorexie apparaît-il comme un temps premier adéquat pour sortir du paradoxe de l’anorexie mentale (impossible compagnie, impossible solitude) ?

Le traitement hospitalier donne l’occasion d’expérimenter des relations d’objet qui permettent de créer et de construire les traces d’une relation à l’autre où existe la place pour le manque, la reconnaissance de la subjectivité et de l’altérité.

Par le biais de celui qui l’hospitalise, l’anorexique rencontre la représentation d’elle-même comme sujet d’un manque. Il lui propose d’être coupée, pour un temps indéterminé, de son milieu habituel et de se confronter à la solitude. Elle découvre qu’on peut savoir différer l’apparente urgence, quitter l’immédiateté pour suspendre le projet jusqu’à sa maturation. À la place des traces d’un objet avec lequel elle n’est pas sujet d’un manque, elle rencontre à travers ceux qui la reçoivent la représentation d’un avenir qui la constitue comme sujet. Cet avenir est marqué par l’inconnu et l’indéfini : « Nous ne savons pas, ni vous ni nous, dans combien de temps viendra un mieux-être et quand s’envisagera la sortie de l’impasse ». Ce traitement lui donne le temps et la parole. Attendre avec elle le temps indéterminé qu’il faudra, prendre le temps, c’est créer la trace perceptive d’un moment où son rythme de nourrissage est reconnu et respecté.

Le deuxième temps de l’hospitalisation centré sur « quel futur et à quel rythme » paraît tout aussi fondamental que le premier temps d’expérience de solitude et de transformation de la relation orale, car il permet de remonter de la temporalité archaïque à la temporalité adolescente en faisant l’expérience d’un lien avec un objet capable de passer du registre des rythmes premiers (nourrissage, quotidienneté) aux rythmes du passage à l’âge adulte, capable de s’adapter à ces transformations en évolution de jour en jour.

À la clinique de l’anorexie mentale se superpose la clinique des effets toxicomaniaques de la dénutrition. Un écueil barre classiquement l’accès à la clinique de la réalité psychique dans l’anorexie mentale : la confusion avec la clinique des effets toxicomaniaques de la dénutrition. Elle prête aux anorexiques une personnalité typique qu’on pourrait prendre pour indice de leur problématique subjective, alors qu’elle est hors individualité et identique chez toutes, et qu’elle disparaît comme un manteau qui se défait de leurs épaules au fil de la correction des perturbations nutritionnelles.

L’importance de l’accompagnement diététique est fondamentale. Les réalimentations forcées, par intrusion violente du corps et de la psyché, induisent des traumatismes graves. Une réalimentation bien tempérée suit un rythme adapté à la physiologie, aux goûts et à la curiosité personnelle. Elle donne l’occasion d’une identification à un adulte capable de s’ajuster jour après jour au rythme de sa transformation. Cette transmission diététique crée et conserve un rythme nourricier vivant qui d’informe, se forme peu à peu à partir d’elle. Elle contre-indique le préconçu. Elle passe par le retour solitaire à des expériences précoces (toucher et mélanger le cru et le cuit, le sucré et le salé, le chaud et le froid, découvrir du nouveau…) autant de préliminaires à l’autonomie nutritive. Elle est, couplée au travail psychothérapeutique, la voie d’une reconstruction subjective suffisamment dégagée des problématiques d’emprise qui l’avaient jusque-là entravée.

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Citer cet article

Référence papier

Colette Combe et Alain Ferrant, « L’anorexie mentale », Canal Psy, 33 | 1998, 6-9.

Référence électronique

Colette Combe et Alain Ferrant, « L’anorexie mentale », Canal Psy [En ligne], 33 | 1998, mis en ligne le 16 juillet 2021, consulté le 22 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2211

Auteurs

Colette Combe

Chargée de cours à l’Institut de psychologie, Université Lumière Lyon 2, psychiatre, psychanalyste

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Alain Ferrant

Maître de conférences à l’Institut de psychologie, Université Lumière Lyon 2, psychologue, psychanalyste

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