Le DUGS : de la pratique gérontologique à la formation

Un lent processus d’élaboration du sens et de réhabilitation du plaisir à penser

DOI : 10.35562/canalpsy.2338

p. 5-7

Plan

Texte

Depuis 1975, l’Institut de Psychologie de l’Université Lumière Lyon 2 développe, à l’initiative de Mme H. Reboul, Professeur de Gérontologie, un diplôme universitaire de Gérontologie sociale, processus de formation à l’adresse des personnels sanitaires et sociaux travaillant auprès de personnes âgées handicapées mentales ou physiques, vivant à leur domicile ou en institutions spécialisées. Cette expérience, longue aujourd’hui de dix-huit années, nous permet quelques réflexions et discussions autour de la problématique suivante.

La Gérontologie est souvent le secteur mal-aimé, voire condamné des sciences humaines et des sciences de la vie. En effet, ce secteur est considéré comme un lieu de perdition des savoirs et de déqualification pour les personnels dont les aptitudes n’ont pas été suffisamment reconnues dans d’autres secteurs de l’activité thérapeutique et d’accompagnement à l’adresse des personnes handicapées et malades. Comment peut-on imaginer les fondements d’un tel processus de formation qui s’inscrirait dans l’incapacité et la disqualification préalables ?

Paradoxalement, les personnels concernés semblent être fortement motivés et engagés dans leur activité professionnelle et ce, parfois depuis plusieurs années. Tout semble se passer comme si, par-delà les effets de marginalisation et de dégradation de l’image professionnelle, les motivations poursuivaient leur destin en autorisant aux personnels de continuer leur œuvre et de souhaiter s’engager dans un processus de formation à cet effet.

De par son statut et son identité, l’Institut de Psychologie est très proche des terrains d’exercices professionnels et tout particulièrement dans les domaines du travail social et du soin. C’est donc en toute logique que le lien s’est établi depuis de nombreuses années entre ces mêmes terrains et l’Institut de Psychologie.

Dans la mesure où la question centrale abordée est celle de la vieillesse et du vieillissement des personnes, c’est au centre de Gérontologie et à son équipe pédagogique associée qu’est revenu le rôle de partenaire et d’organisateur de ces formations.

Le vieillissement des personnes et les handicaps liés au grand âge sont des phénomènes devenus très pertinents au cours de ces dernières décennies et ce, au point de bousculer considérablement les institutions et les organismes qui ont la responsabilité d’accueillir, de soigner les personnes en situation de santé précaire ou difficile. Un constat de sévère méconnaissance des processus de vieillissement, de désadaptation du dispositif d’accompagnement et de soin des personnes concernées s’est réalisé. Les institutions ont été conduites à accueillir indifféremment toute personne plus ou moins âgée dont l’état de santé ou d’autonomie semblait poser problème soit à l’intéressé, soit à son entourage.

Ceci a conduit bien des établissements à accueillir des personnes dont les âges, les capacités et les parcours de vie ont été des plus dissemblables. Dans un tel contexte institutionnel, les manières d’élaborer le soin et l’accompagnement, ainsi que les repères professionnels, qu’ils soient du registre technique ou relationnel, deviennent conflictuels. Des problématiques nouvelles apparaissent alors.

L’enseignement universitaire a cette particularité et cet avantage qu’il s’origine dans la recherche et nécessite que celle-ci accompagne le processus de formation. De plus, l’Université est le lieu de l’universalité et permet aux différences, non seulement de co-exister, mais, bien plus, de s’affronter dans la réflexion pour créer un contexte de discussion sans lequel la recherche ne serait pas.

Or, la situation est telle, parfois, que les personnels gérontologiques eux-mêmes ou leur encadrement ne considèrent pas comme nécessaire d’engager une formation à leur adresse. Il semble que cet exercice professionnel pourrait s’installer dans une sorte de « non-savoir » expulsant littéralement les concepts et les méthodes en périphérie de la gérontologie : « Ce sont des choses qui n’intéressent que ceux qui sont éloignés des personnes âgées, ceux qui finalement ne les connaissent pas », entend-on dire souvent de la part de certains personnels condamnés à s’être enkystés dans leur pratique depuis de nombreuses années.

De même, combien de familles ou de personnes étrangères à l’activité gérontologique ne reconnaissent-elles pas que le mérite, le courage, le dévouement sont les qualités principales, voire suffisantes, pour que le personnel donne totale satisfaction dans sa tâche. Derrière ces gratifications apparentes se cache l’idée qu’une pauvreté en esprit caractérise les personnels gérontologiques d’accompagnement.

La formation pourrait tomber dans le piège d’une conduite de réparation immédiate en se limitant dans ses dimensions pédagogiques et de contenus pour n’être plus qu’un moment de conversation au cours duquel les émotions de chacun dynamisent ou conflictualisent les échanges sans autre processus d’élaboration qui témoigne d’un mouvement de formation.

La démarche pédagogique

De fait, l’implication personnelle importante et la situation difficile dans laquelle se trouve l’image de la gérontologie font que les problématiques qui tournent autour de la restauration narcissique sont fondamentales. Une simple distribution de savoir n’aurait qu’un effet contraire, à savoir blesser profondément des personnes ainsi condamnées à mesurer leur ignorance.

La gérontologie invite à structurer une démarche pédagogique qui sache allier la forte implication émotionnelle de chacun, avec les éléments de l’histoire individuelle qui lui sont associés, à la recherche d’un nouveau plaisir à penser, à réhabiliter un investissement de la dimension symbolique afin que la créativité rencontre le fait intellectuel pour s’y ressourcer.

L’expérience de ces formations nous démontre l’importance d’une véritable contractualisation pédagogique, entre l’organisme formateur qu’est l’Université, d’une part, et les professionnels de terrains qui viennent à cette formation.

L’idée qui prévaut à cette contractualisation est que le savoir acquis par ces professionnels ne peut être que la résultante de la rencontre critique entre, d’une part, l’expérience des personnels concernés, de par leurs différences, et d’autre part, du cadre méthodologique de recherche et de problématisation que propose le DUGS.

La constitution d’une situation de crise est un préalable nécessaire et fondamental pour qu’un tel processus de formation vise à élaborer un sens à l’exercice de pratiques qui sont condamnées à se ré-inventer au fur et à mesure qu’elles se problématisent. C’est donc bien le contexte de crise ainsi constitué qui permet que le processus de formation s’organise et se développe.

La crise telle que de nombreux auteurs l’ont travaillée est à la fois un temps et un espace dont le signifiant principal est la rupture. L’idée même d’entrer en formation et de l’inscrire dans le cadre de l’exercice de son activité professionnelle est synonyme de rupture dans une routine, une habitude professionnelle et aussi une rupture dirigée et imposée à l’institution au sein de laquelle le professionnel évolue. Cette rupture se manifeste tout particulièrement par le besoin pour le stagiaire de réaliser un éloignement géographique d’avec son lieu de travail, et aussi un dépaysement culturel en « errant » dans les couloirs d’une Université bien différente dans ses aspects temporels, spatiaux et relationnels.

Par ailleurs, si la situation de crise nécessite que se nomme dans le temps et l’espace un moment de rupture, il n’en reste pas moins que toute crise suppose un temps de désorganisation des acquis, même s’ils sont empiriques, spontanés et peu académiques pour autoriser ensuite un temps de réélaboration des éléments déstructurés et d’intégration des aspects nouveaux, récents du savoir quant aux objets et aux pratiques liés à l’exercice de la profession.

Autant dire que, si nous concevons toujours que l’écart de crise ainsi constitué est un creuset pour la formation, il ne peut être question de pédagogies à court terme. Le processus de formation s’inscrit dans la durée et justifie que le temps de formation soit suffisamment long. Cette notion de durée doit trouver sa forme dans le cadre pédagogique : une formation gérontologique ne peut pas être brève et rapide, elle doit au contraire être longue et lente, compte tenu du fait que chaque étudiant ne dispose pas du même bagage ni du même temps nécessaire à ce travail d’élaboration.

Le DESS de Géronto, cuvée 93-94 : recrutement national, Bron devient capitale

La promotion de cette année universitaire a les saveurs de la France entière, ou presque. Bretagne, Auvergne, Paris, Ardèche, Drôme, grande région lyonnaise… Autant d’expériences à partager avant même de recevoir la formation d’un DESS unique en son genre.

Les plans de vol des différents étudiants sont assez hétéroclites. Si plusieurs arrivent directement en 3e cycle après un cursus classique, la plupart ont fait une pause professionnelle. À signaler que le seul représentant masculin vient du régime FPP, avec une formation initiale de kinésithérapeute.

L’Université Lyon 2 semble prendre une place capitale avec cet enseignement convoité à des centaines de kilomètres. D’autre part, les horizons professionnels de chacun se dessinent diversement, mais avec des opportunités d’emplois relativement rassurantes.

Le psychologue gérontologue peut exercer son imagination, travailler auprès des personnes âgées certes, mais aussi avec les soignants, les familles, les associations… Gageons que la cuvée 93-94 soit pleine d’arômes et de saveurs, et qu’elle ait la cote !

Catherine Bonte
Étudiante en DESS

La disqualification préalable des personnels en formation reste un handicap sérieux quant au cursus de formation en ce sens que la conduite d’échec jalonne le parcours de formation. Leur rapport aux théories et aux concepts reste difficile et ces étudiants donnent parfois l’impression de s’interdire d’accéder au niveau de problématisation et de discussion scientifique qui est le leur. Les réflexes professionnels humanistes et la spontanéité envahissent parfois largement, comme pour recouvrir et paralyser son élaboration, le processus de formation.

Si notre objectif pédagogique et scientifique est de permettre à des professionnels de retrouver du sens, des racines et de l’idéal relativement à leurs pratiques, il nous faut leur proposer aussi des modèles solides, fiables et adaptés aux nécessités de leurs recherches.

Or, en ce sens, les modèles de la gérontologie sont à peu près systématiquement des modèles empruntés. De la pédiatrie à la psychiatrie en passant par la défectologie ou autres, la gérontologie souffre trop d’être une science sans modèle.

Notre équipe de recherche a dû constituer des liens avec la situation pédagogique de ces formations pour que des modèles spécifiques à la gérontologie puissent être proposés comme « socle » scientifique nécessaire à l’élaboration d’un cadre pédagogique.

Il est vrai que la gérontologie est, dans le monde des sciences, une discipline jeune et quelque peu inachevée. Ses modèles n’ont, jusqu’à maintenant, pas été suffisamment constitués. La preuve en est que les objets de la gérontologie sont souvent mal identifiés : vieillesse et vieillissement sont parfois confondus comme si vieillir conduisait forcément à la vieillesse et la vieillesse devait sans cesse se redéfinir relativement au processus du vieillissement.

Si nous considérons que vieillesse et vieillissement sont les deux objets de la gérontologie, l’un et l’autre peuvent entrer dans une mutuelle économie défensive telle que parler vieillesse suppose que soit précisé l’âge à partir duquel le vieillissement nous désigne « vieux » et inversement, toute allusion en vieillissement est allègrement écartée par le fait que vieillir ne doit pas être confondu avec « être vieux ».

Notre pédagogie s’appuie sur l’idée selon laquelle être vieux est élaborer la dernière étape de sa vie. Cette ouverture vers une « vieillesse en santé » donne une autre lecture des paramètres qui caractérisent la vieillesse.

La précision du champ théorique et de ses concepts ainsi qu’une progression vers la rigueur méthodologique sont les signes extérieurs de l’élaboration qui est à l’œuvre chez les stagiaires, signes qui s’instaurent comme de véritables liens dans le groupe de formation.

Le groupe, la « promotion » comme le baptisent généralement les stagiaires, procure à chacun les étayages nécessaires pour que leurs systèmes de défenses individuels ne se crispent plus et autorisent leur désir de mettre en travail les motivations qui les ont conduits en gérontologie.

L’enjeu narcissique est clair et ce lent processus de formation doit se prolonger par une validation diplômante. En effet, la constitution d’un mémoire individuel, véritable œuvre, production du sujet réhabilité, est un acte universitaire reconnu comme Diplôme Universitaire de Gérontologie Sociale.

L’université tous âges

Créée en 1975 sous l’appellation plus commune alors d’Université du 3e âge (ce terme qualifie une population opposée à celle des travailleurs qui pour autant n’est pas affublée du terme 2e âge).

L’idée de base consiste à demander aux personnes disposant de temps ce qui les intéresserait d’étudier – en les aidant à exprimer collectivement leur désir commun au lieu de leur imposer des thèmes correspondant à des disciplines, telles que celles donnant lieu à des examens en contrôle des acquis.

La perspective d’un enseignement de qualité (enseignants à majorité universitaire Lyon 2, Lyon 1 et Lyon 3) s’inscrit dans une continuité grâce à des cycles annuels de 7 ou 8 conférences dispensées selon un rythme mensuel dans des lieux divers, dénommés « implantations », situés en dehors de l’Université, dans des quartiers de Lyon ou dans des communes périphériques.

Actuellement, l’UTA comprend près de 7 000 étudiants qui reçoivent des cours dans 50 lieux ; certains de ceux-ci bénéficiant de 2 ou 3 cycles : cela porte à 70 le nombre de ces cycles dont la programmation est annoncée dès juillet et le programme détaillé remis lors de l’inscription en septembre-octobre.

Les enseignements qui se déroulent sur 7 à 8 mois (octobre à mai) sont complétés l’été par 4 ou 5 conférences au rythme d’une par semaine (Université d’été financée par la municipalité de Lyon).

Il existe également des cours hebdomadaires de langues (anglais, allemands, espagnols, italiens), d’expressions diverses (graphisme et couleur, sculpture, yoga, connaissance de l’art, Philosophie, Psychologie, groupe de mémoire, expression écrite et orale, lire et écrire, étude sur Lyon, etc.).

Les cours publics (une série sur 3 ans) :

• L’origine de la vie.
• L’origine des civilisations.
• La communication.
• Les grands poèmes de l’humanité.
• La biologie.

L’an prochain on envisage une série de conférences en lien avec le cinquantenaire de la Libération, comme on l’avait fait pour le bicentenaire de la Révolution.

Chaque année un cycle de préparation à la retraite est organisé, jumelé depuis 3 ans à une formation destinée à nos collègues polonais de l’Université de Lodz.

L’UTA est complétée localement par l’Association des étudiants de l’UTA et fait partie de l’Union Française des UTA et de l’Association Internationale.

Hélène Reboul, Professeur de psychologie gérontologique en est la fondatrice, Annette Lukaszewicz, psychologue, ingénieur d’étude, en assure la responsabilité administrative et pédagogique.

UTA, 14 rue Chevreul, 69007 LYON 1er étage, bureau 128 - Tél. 78 69 70 52.

Citer cet article

Référence papier

Jacques Gaucher, « Le DUGS : de la pratique gérontologique à la formation », Canal Psy, 11 | 1994, 5-7.

Référence électronique

Jacques Gaucher, « Le DUGS : de la pratique gérontologique à la formation », Canal Psy [En ligne], 11 | 1994, mis en ligne le 06 septembre 2021, consulté le 02 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2338

Auteur

Jacques Gaucher

Psychologue clinicien, maître de conférences à l’Institut de psychologie

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