Engagée depuis de nombreuses années dans une pratique de « développement personnel » avec des cadres d’entreprise ou d’organisation, je voudrais proposer ici quelques remarques pour préciser quelles sont les différentes approches qui existent dans ce champ et les situer par rapport à d’autres démarches de formation appuyées sur les différentes « écoles psychologiques » issues de la psychothérapie.
Le développement personnel s’est créé en réponse à une demande d’évolution des comportements des cadres pour faire face aux enjeux nouveaux du management dans un contexte de mondialisation des échanges et de concurrence accrue. Ces attentes s’expriment sous forme de demande de formation et non de soin. Elles sont adressées à un organisme de conseil et/ou de formation, et sont le plus souvent prises en charge financièrement par l’entreprise, sans que s’expriment des sentiments d’impuissance et de souffrance psychique de la part des individus : il ne s’agit pas ici de la réparation d’un dysfonctionnement mais de la réalisation d’un progrès pour répondre à des enjeux nouveaux ou pour continuer à évoluer professionnellement.
Ce champ du développement personnel vise à la modification et/ou l’acquisition de comportements comme toute action de formation, mais ces comportements interrogent la personne dans ses modes de régulation psychique, ses valeurs, ses fantasmes, son histoire, son identité personnelle et professionnelle, de façon beaucoup plus intime qu’une formation à la comptabilité ou même à la psychosociologie. De plus, le changement doit être intégré à un niveau non conscient (préconscient ?) pour être efficace et ne pas rester lettre morte, prescription surmoïque conflictuelle ou charge mentale plus gênante qu’efficace.
Face à cette demande, deux grands types d’approches se sont développés. La première est issue plutôt des consultants et des professionnels d’entreprise. Elle a élaboré à partir de l’expérience une réflexion sur les « bonnes pratiques » et les enseigne ; elle utilise couramment les cas pédagogiques, les jeux de rôles, les jeux pédagogiques, les simulations, la vidéo…
Cette approche, essentiellement pédagogique, développe les capacités d’observation des interactions, à partir de la proposition de méthodes statistiquement, globalement performantes. Elles permettent « d’apprivoiser » les situations nouvelles et d’avoir quelques idées simples pour les aborder. Elles visent à préparer et accélérer l’expérience, elles utilisent les mécanismes d’identification aux personnages joués et de projection de ses propres enjeux dans les situations proposées : ces méthodes débouchent sur une certaine prise de conscience de ses modes relationnels par auto-observation et comparaison avec les modèles proposés. Elles fournissent une forme d’étayage sur le social, un soutien du moi dans son rôle de lien entre le sujet et la réalité extérieure. Mais ces méthodes pédagogiques conservent une distance importante avec la réalité intrapsychique du sujet et n’ont pas d’effets mutatifs réels : elles soutiennent et facilitent une adaptation pertinente du sujet.
La seconde démarche proposée en matière de développement personnel fait appel directement aux apports de la psychologie. Nous avons ainsi vu se développer l’analyse transactionnelle dans les années 80 après la non directivité rodgérienne, la dynamique de groupe lewinnienne, le comportementalisme et maintenant la PNL (Programmation Neuro-Linguistique).
Il est à noter que d’autres approches psychologiques, telles que la gestalt, la bioénergie, la psychanalyse individuelle ou groupale, la systémique, le psychodrame, sont restées essentiellement dans le champ du soin, du social, du thérapeutique, et malgré quelques tentatives, n’ont pas été reconnues dans le champ de la formation des managers. De la même façon les approches choisies dans le champ de l’entreprise, ont dans l’ensemble été moins prisées dans le champ social, ceci n’exclut pas de nombreuses exceptions !
Je pense que cette différence dans le choix des approches de référence, est à comprendre essentiellement par rapport au mode de travail psychique proposé par chacune d’elles et au projet implicite du psychologue qui les utilise en rapport avec l’objet de son intervention.
Ces apports issus de la psychologie sont bien utilisés dans un but de formation et visent dans les deux cas à produire des modifications du rapport du sujet à soi et à l’autre (aux autres).
Mais dans les interventions en lien avec l’entreprise, les démarches proposées sont centrées sur un soutien des processus moïques, sur le développement de l’auto-attention et de l’auto-information, pour transformer l’angoisse en signal d’alarme, pour élargir le champ des adaptations non conflictuelles à la réalité externe par transfert des capacités de régulation psycho-affective. Nous rappelons que l’entreprise est majoritairement un lieu d’action et de production de biens et/ou de services dans lequel les dimensions inconscientes et fantasmatiques qui nourrissent l’action et sont la source du désir, sont méconnues : la question essentielle est celle de leur incarnation dans le réel, pour pouvoir modifier le réel de façon suffisamment satisfaisante. Nous sommes en permanence dans le champ transitionnel de Winnicott, zone de contact, d’échange, d’interactions et d’influences réciproques entre le sujet et son environnement, mais qui, pour se maintenir nécessite que certaines questions ne soient jamais posées. Ici le contrat implicite organisateur des relations suppose que les représentations inconscientes mises en jeu dans l’action et dans les relations soient ignorées consciemment. Les métaphores, histoires, actes manqués… peuvent bien entendu contribuer à les exprimer/cacher.
L’entreprise n’est pas le lieu du dévoilement de l’inconscient, mais celui de la mise en forme de sa force d’une façon satisfaisante pour le moi du sujet, celui de son expression à la façon des processus secondaires, celui de sa mise en sens acceptable socialement. Le non dévoilement des dimensions inconscientes et fantasmatiques, un suffisant silence pulsionnel font partie des conventions organisatrices du fonctionnement des entreprises.
La seconde démarche d’utilisation des courants de la psychologie s’inscrit plutôt comme un processus « formatif » des travailleurs psychiques ou sociaux. En effet, on peut penser que la finalité des institutions à caractère sanitaire ou social, où ils exercent majoritairement leur activité, vise non à une production de biens ou de services, mais à une modification de la régulation psychique des personnes qui sont l’objet de soin ou d’aide.
La compréhension des dynamiques inconscientes à l’œuvre dans ces institutions et de celles qui se jouent dans l’articulation transfero-contre-transférentielle de la relation entre soignants et soignés demande aux soignants un développement de leurs capacités à prendre conscience de leurs propres mouvements projectifs. Ceci est nécessaire pour comprendre les enjeux relationnels à l’œuvre entre eux et leurs patients et pouvoir, par leurs actes et leurs paroles permettre une nouvelle élaboration psycho-affective et un changement des régulations intrapsychiques et interpersonnelles du patient.
Dans la relation soignante, les patients, quelle que soit la nature de leurs troubles, interrogent, réactivent les zones de conflit internes, les fragilités narcissiques, les souffrances psychiques mal élaborées du soignant avec une intuition très juste de ces limites et une utilisation du soignant qui est fonction de leur problématique mais peut devenir difficile à vivre et douloureuse pour le soignant. Il est donc important que ceux qui s’engagent dans de telles pratiques professionnelles aient eu l’occasion de réaliser un travail personnel qui les familiarise par l’expérience avec les manifestations et les mécanismes de l’inconscient en eux.
Enfin, cela permet au professionnel d’avoir expérimenté personnellement les bénéfices d’un travail psychique avant de proposer cette expérience à ses patients. Je pense donc qu’il existe des modes d’utilisation de la psychologie en formation qui sont spécifiques dans leurs approches et leur projet, en fonction d’attentes originales ; elles proposent des modes de mise en travail du fonctionnement psycho-affectif des apprenants différents et complémentaires.
Dans chaque cas d’approche centrée sur le développement des capacités moïques ou sur la familiarisation avec les manifestations de l’inconscient, le travail psychique peut produire des changements de comportement et/ou de vécus psychiques importants et qui pourraient être assimilés à des effets thérapeutiques. Ce sont des effets de changement dans la vie psycho-affective de l’individu qu’il apprécie comme particulièrement bénéfiques pour lui-même ; cela peut aller de l’exemple classique de la disparition d’une phobie localisée au développement de la capacité à se situer dans un groupe, à affirmer son identité de façon à la faire reconnaître, à s’approprier son unité et son unicité, à savoir s’opposer ou au contraire s’engager selon la façon originale dont s’exprimait pour chaque personne sa souffrance et ses limites personnelles.
Je parle ici d’effet thérapeutique et non de prise en charge thérapeutique car il me semble que l’effet thérapeutique est la constatation a posteriori d’un changement, qui, s’il était réalisé dans une relation thérapeutique aurait été qualifié de résultat thérapeutique. Il est bien évident que de tels effets ne sont pas réservés aux seuls thérapeutes, ils savent simplement les permettre de façon professionnelle, c’est-à-dire qui est régulière et économique pour le thérapeute lui-même. La frontière entre effet thérapeutique et effet formatif est ici bien faible et probablement peu pertinente. Par contre « la promesse » du praticien est clairement différente en réponse à la demande du client qui se vit comme malade à soigner ou comme professionnel à former.
Cette différence permet au praticien d’identifier les demandes auxquelles il est prêt à répondre avec celles qu’il réorientera vers d’autres professionnels et de choisir son ou ses modes d’intervention.
Je voulais ici présenter une rapide analyse d’un champ intermédiaire, ouvert en particulier aux psychologues cliniciens de la formation dans lequel une écoute clinique est indispensable pour percevoir les enjeux réels des situations mais où les modes de réponses seront largement différents selon les contextes professionnels et le projet explicite qui réunissent le praticien et ses clients.
Je voudrais pour terminer proposer deux remarques complémentaires. Tout d’abord les groupes de développement personnel proposés dans un contexte d’entreprise ne font jamais, ou presque, appel à l’histoire personnelle de sujet ni encore moins à sa sexualité. Seules les dimensions professionnelles de son expérience sont abordées, ce qui est cohérent avec le projet de ces groupes et la nécessaire discrétion impliquée par la poursuite de relations professionnelles ; les conditions minima permettant un travail de psychanalyste de groupe ne sont généralement pas réunies… De plus il ne s’agit pas ici de permettre une prise de conscience du lien existant entre le passé et sa répétition non consciente dans le présent, mais plutôt de modifier la représentation du présent pour activer des expériences passées non conscientes mais différentes ; « il réagit face à son patron comme face à son père », une démarche thérapeutique visera probablement une prise de conscience de cette projection d’une image « passé » dans le présent pour libérer le présent de l’emprise du père et permettre aux processus secondaires de réorganiser la relation avec le patron. Ce processus sera considéré comme thérapeutique dans le champ du soin et formatif dans celui de l’élaboration professionnelle.
Un autre mode de travail consisterait à propos du même exemple à modifier au sein de cette projection passé/présent la représentation de la relation pour en mettre en évidence des éléments qui activeront chez le sujet des expériences différentes de sa relation à son père ou aux figures d’autorité qui lui ont permis de se structurer. Ces souvenirs le plus souvent non conscients organiseront différemment sa perception de son patron, de leur relation, et de lui-même dans la relation pour lui permettre de vivre, se situer et agir en appui sur d’autres parties de sa personnalité ; on pourrait parler ici d’un développement des parties les plus saines d’une personnalité globalement (ou théoriquement ?) non pathologique.
Les mécanismes psychiques de répétition, de projection, de transfert sont reconnus par le praticien mais leur mode de mise en travail est sensiblement différent dans chaque démarche et les résultats obtenus peuvent être pertinents ou négligeables avec les deux approches.
Ma dernière remarque portera sur l’utilisation si fréquente dans le champ du social, des « groupes de contrôle » comme mode de formation. Ils peuvent réunir des équipes réelles et/ou des professionnels indépendants pour réfléchir ensemble, avec un animateur, à leur pratique professionnelle.
Ces groupes de contrôle visent en particulier à interroger (élaborer) sur le modèle des groupes Balint, les difficultés, les échecs, les dénis, les projections… c’est-à-dire les insuffisances vécues et les manifestations de l’inconscient. Cette modalité formative aurait pu paraître adaptée aux pratiques de management et jouer le même rôle de soutien mutuel et de formation. Je constate que ni moi, ni mes confrères, n’avons réussi à proposer de telles modalités de travail dans les entreprises. Je pense qu’ici la différence organisatrice provient d’une centration majoritaire, en entreprise sur le résultat obtenu, la pensée et l’attention accordée aux processus est relativement récente alors que le monde du soin est par nature centré sur le processus, le résultat obtenu restant la liberté du sujet responsable in fine de sa vie et de ses choix, fussent-ils non conscients !
Je souhaite que ces quelques remarques contribuent à préciser les modes d’intervention que peuvent « inventer » les psychologues en tant que praticiens du changement psychique dans des lieux qui attendent de telles interventions sans demande thérapeutique : hôpital général, médiation, formation pour public en difficulté…
Elles s’appuient sur l’hypothèse selon laquelle il existe une unité du fonctionnement et du changement psychique dont le modèle psychanalytique permet le plus souvent de rendre compte de façon particulièrement pertinente, mais je voulais également montrer une partie de la grande variété des modalités concrètes d’intervention en fonction des contextes en cohérence avec les situations concrètes rencontrées et les choix professionnels des praticiens.