Question délicate que celle des liens que la psychologie entretient avec le soin, la guérison, la souffrance, la normalisation ou l’amélioration du sujet ; que celle de ses rapports avec la médecine ; que celle de la multiplicité baroque des techniques dites psycho-thérapeutiques. Sujets ouverts à la polémique, aux défenses de territoire ou aux envahissements divers. Psychanalystes, êtes-vous thérapeutes ou seulement baladeurs de sens ? Médecins généralistes analysez-vous votre contre-transfert avant de prescrire ? etc. Il y a de quoi s’interroger et sur ce sujet, une multitude de discours s’entrecroisent.
Prend-on soin de la Psychologie ? (Spécialité universitaire très recherchée depuis les années 60.) Voilà la question ! Il me semble que non. Emballée, déballée, divinisée, massacrée, récupérée, érigée en idéologies ou asservie, la science Psychologie n’a eu de cesse de se montrer fragile dans ses limites et trop imperméable aux mouvements culturels et politiques, et souvent trop réduite aux pouvoirs qui lui sont attribués.
Prise dans bien des paradoxes, elle n’échappe que rarement à l’un de ses objectifs préférés : faire changer l’autre (grand A autorisé !). Discours impossibles, il est vrai : maître, soignant, enseignant, séducteur… Impossibles et très critiqués. L’homme psychothérapeute est toujours soumis à la tentation de vouloir sculpter l’autre à son image. On connaît l’histoire.
En effet, l’histoire contemporaine de la science Psychologie nous montre qu’elle a donné la main à toutes les pensées et structures sociales, militaires, religieuses, philosophiques, littéraires, médicales, politiques, et bien d’autres. Souvent dans le but irréprochable de décrire, expliquer, comprendre, interpréter (classer et ranger au passage) ou les manifestations sociales, ou les fonctionnements individuels.
Cela a suscité de grandes richesses de pensées et la création d’écoles célèbres et de maîtres incontournables. Mais aussi un certain art du mélange, pas toujours très heureux. Les enseignants et les universités proposent, en France, des directions de recherches et des références conceptuelles très variables, au point qu’elles paraissent étrangères les unes aux autres. Pourquoi pas ? C’est la question de l’application de ces théories qui vient montrer l’apport, les limites et les inventions de la psychologie ainsi que les rejets nombreux dont elle est l’objet.
L’ambiguïté de la notion de soin, de guérison ou de « normalité », dans notre société, n’a rien arrangé à l’affaire, et nous savons avec quelles difficultés la psychologie et les psychothérapies se sont mises en place, confrontées à l’univers médical tout puissant, très méfiant de ce qui n’est pas contrôlable ou évaluable, et moins jaloux de Lourdes que des cabinets de psychothérapeutes… Nombre de collègues des années 60-70-80 se sont vus poursuivre en justice pour exercice illégal de la médecine et il a fallu un long procès aux psychologues des USA pour être admis comme psychanalystes (alors qu’ils n’étaient pas médecins).
Cet état d’esprit reste assez présent malgré l’évolution et la reconnaissance sociale et officielle de la profession de psychologue. Entre eux, les psychothérapeutes sont loin d’être d’accord sur une position claire concernant leur statut et on a pu voir récemment les démarches de certains pour institutionnaliser cette qualité légalement (critères de formation, de pratiques, etc.).
On sait le rapport acrobatique que les psys entretiennent avec la loi, leurs esquives, leur monde secret, leur côté ange gardien, leur goût pour esquiver certaines questions déontologiques fondamentales, leurs alliances ambiguës, ou leur individualisme, et l’art de se confiner dans des « écoles » où « chapelles » tout en dénonçant les sectes ! Je tiens à vous renvoyer aux nombreux écrits sur cette question du lien, ou du lieu d’intersection, thérapie-psychologie (Freud, Lacan, Dolto, etc.).
Oui, lieu de durs combats, de conflits « intra-psychiques » érigés en conflits de pensées entre institutions (Médecine, Université, Enseignement, etc.) et en leur sein [...] même. Quelques faits :
- Élargissement considérable des champs d’application depuis une vingtaine d’années en France, avec l’appui des médias, et les débats qui s’en sont suivi.
- Concurrences entre techniques psychanalytiques et techniques comportementalistes, principalement sur la question des résultats, des effets.
- Fin du triomphalisme psychanalytique mais multiplication impressionnante du nombre d’analystes installés.
- Amélioration des rapports et des recherches avec diverses spécialités médicales.
- La question de la « psycho-somatique ».
Bref, nous pourrions accumuler les exemples : bien entendu, l’œil de l’historien nous aiderait peut-être à y voir plus clair.
La psychanalyse tient une place particulière dans l’histoire de la psychologie, au point d’avoir ôté à cette science son originalité, ses objets, sa spécificité et que le seul titre de psychologue ne suffit plus à son détenteur : il s’y ajoute toujours l’énoncé d’une qualité de thérapeute ou de psychanalyste (ce qui ne va pas forcément ensemble !). Qui peut dire aujourd’hui ce qu’est un psychologue clinicien ?
La psychanalyse et ses représentants nous offrent un champ d’application infini. Est-ce la seule discipline psychologique qui ne se laisse pas évaluer ? Est-ce là son attrait ?
Aux USA cependant, des chercheurs ont essayé statistiquement d’évaluer les effets de la cure psychanalytique sur un large échantillon de patients analysés. La conclusion est, à plus d’un titre, intéressante : la période où la majorité des patients se sentent le mieux (améliorés) c’est la période d’attente qui précède le début de la cure ! (On voit ici le lien qui peut être fait entre psychanalyse et amour…)
Plus sérieusement, je vous invite à lire l’article de Jean Guillaumin : « La médecine et la psychanalyse » in Entrevues, n° 13, juin 1987. Il y écrit :
« La psychanalyse ne se focalise pas sur la seule question du symptôme, ni même sur la suppression d’un tableau nosologique défini, dont la disparition signerait seule la réussite. Les effets du soin qu’elle entraine se produisent comme par un détour [...] à la manière d’une sorte de prime, ou d’un bénéfice local d’un réaménagement d’ensemble plus large et plus profond. »
Nous savons aussi, qu’en dehors de la cure type, nombre de techniques de soins sont nées de la théorie psychanalytique : psychodrame, thérapie familiale psychanalytique, psychothérapies d’inspiration psychanalytique, psychothérapies institutionnelles. Leur but est, par le biais de l’élaboration de la prise en compte de manifestations inconscientes et de la problématique transférentielle, d’amener le sujet à changer, à « s’améliorer lui-même », certes pas dans des critères de médecine classique, mais dans des critères existentiels définis et repérables culturellement.
Car de quoi est-il question en l’occurrence dans la demande de soin ou dans la demande d’analyse ? De l’univers pulsionnel et de ce qu’il est convenu d’appeler la pulsion de mort. Ses effets, répétitions, souffrances, errances, folies et les tours et détours que le sujet met en place pour tenter d’y échapper. C’est ici, en particulier, me semble-t-il que la psychologie et la psychanalyse interrogent l’être humain dans sa vérité qu’il soit patient, médecin ou psychothérapeute.
L’un des intérêts de la psychologie est d’éveiller le sujet à sa pensée, à son symptôme, à son fantasme, à son désir et en cela elle a eu le mérite de poser la question du soin sous un angle totalement nouveau, invitant le sujet à se départir d’un paternalisme médical séculaire ou de solutions de remplacement magiques (ces dernières n’étant pas forcément les plus à craindre).
Certes la société a confié la folie à la médecine et nous sortons à peine de l’ordre asilaire.
Certes la société se méfie des intellectuels et des gens dont l’activité n’est pas vérifiable, évaluable ou rentable.
Mais la psychologie, malgré ses errances, les rejets et les récupérations dont elle fait l’objet, a su introduire un regard nouveau sur l’esprit et sur le corps, et interroger le sujet de façon pertinente et originale.
« Psycho-thérapie », dialectique subtile, débat permanent, questionnement sur la politique et l’éthique humaine.
« Soin-psychologie » : il est important de prendre soin de la Psychologie, dans la recherche (on connaît ses abus) dans la pratique (on connaît son désir de toute puissance) et dans son enseignement (on connaît son pouvoir de séduction). Prendre soin de la Psychologie comme un champ de pensée privilégié, dans la mesure où il s’énonce comme ouverture, lieu de débats et de rencontres, et lieu d’inventions visant à respecter la liberté de l’autre, sain ou malade, réputé fou ou normal.
Le contexte socio-politique actuel doit pousser les psychologues à une grande vigilance. Il n’est pas inutile de rappeler que la Psychologie et ses représentants sont toujours les premiers éliminés des régimes totalitaires.