On pourrait commencer à essayer de cerner l’objet de la psychopathologie en définissant celle-ci comme l’étude de la souffrance et des dérèglements du fonctionnement psychique, de leurs signes et de leurs causes. Idéalement on se placerait ainsi du point de vue du sujet en rapport avec lui-même rencontrant aussi bien sa souffrance vécue que ce qui est en souffrance de sens et d’intégration en lui, et ceci sans considération de quelque normativité culturelle, groupale ou sociale que ce soit. Ainsi la psychopathologie ne drainerait-elle pas d’a priori concernant la normalité psychopathologique, elle ne traiterait que du rapport du sujet à lui-même se débattant pour essayer de gérer son identité singulière, ses désirs propres, son histoire vécue au sein de ses réalités et contraintes présentes et externes.
Tout au plus, toujours dans cette première perspective, dégagerait-on alors une certaine typicité ou une certaine idéalité ou encore une certaine pente clinique de certains processus mais moins pour souligner l’écart normatif ou de déviance par rapport à une norme, que pour permettre de mettre en évidence des particularités de parcours. Dans cette perspective, toujours et une fois différenciée la souffrance psychique inévitable de tout processus de développement personnel, du trop de souffrance qui devient signe de psychopathologie, une place centrale est dévolue à l’historicité singulière. La souffrance psychopathologique est celle du passé réminiscent, mémoire de blessures antérieures et blessures de mémoire qui hantent les alcôves psychiques du sujet et entravent l’exercice de vie actuelle.
Ainsi la normativité et l’idéalité ne se rencontrent-elles idéalement en psychopathologie qu’à partir du rapport interne du sujet aux normes, règles et idéaux actuels et passés, qu’à partir de la souffrance produite par cette confrontation interne entre les désirs et aspirations du sujet et ce que furent ou ce que sont les idéaux, normes et règles auxquels il est contraint.
Cependant une telle perspective néglige par trop que certaines souffrances psychiques sont insupportables pour un sujet et mobilisent de telles défenses qu’elles ne sont plus éprouvées comme telles par le sujet lui-même. Il ne s’organise plus seulement au sein de sa souffrance ou de son angoisse pour essayer d’aménager celles-ci, mais aussi contre ses propres éprouvés. Dès lors à l’étude des signes et des causes de la souffrance du sujet ou de ce qui est en souffrance en lui et pour lui, il faut adjoindre l’étude des signes de la souffrance produite par le sujet sur d’autres sujets, c’est-à-dire étudier l’écosystème (familial ou groupal) de la souffrance du sujet de son entourage. À la saisie diachronique et historisante de la première démarche il faut adjoindre une perspective synchronique et structurale de l’écosystème psychique du sujet.
Ainsi, à l’étude de la sémiologie intrasubjective et intrapsychique, il est donc nécessaire d’adjoindre une sémiologie intersubjective et interactionnelle faite du repérage de comportements, attitudes, modalités d’action ou de relation qui rencontrent de manière centrale le problème de « l’objectivité » de leur repérage. Cette fois ce n’est plus pour un sujet donné que le signe psychopathologique se définit, c’est pour un autre sujet qu’il se manifeste avec toute la question de l’objectivité de cet autre sujet.
Ceci débouche donc sur une dernière dimension de la démarche clinicienne en psychopathologie qui est celle de l’interrogation permanente et épistémologiquement nécessaire du clinicien sur ses propres contre-attitudes à l’égard des faits psychiques, des comportements et des systèmes d’interaction, et ceci aussi bien à un niveau affectif (ses éprouvés réactionnels ou relationnels face à tel ou tel élément de psychopathologie), qu’à un niveau épistémologique (ses propres manières de comprendre et de penser ce qui se déroule chez l’autre et entre l’autre et lui ou les autres).
À un niveau collectif, cette démarche implique une reprise réflexive de l’histoire de la psychopathologie elle-même dans ses propres rapports à la culture, au groupe, aux idéaux, et pour chacun et à travers sa pratique journalière de la psychopathologie un souci de reprise réflexif de ses propres présupposés, de ses propres conceptions, arrêtés et fixés, de la causalité psychique et des tenants et aboutissants de la souffrance et de l’intégration psychique.