Canal Psy : En tant que directeur du département de psychologie clinique, et psychanalyste par ailleurs, quelle est votre position concernant la légifération en cours sur le titre de psychothérapeute ?
René Roussillon : Ma position personnelle est intermédiaire, et part du constat que le terme de « psychothérapie » comporte des ambiguïtés qui me paraissent obscurcir les conditions du débat. En effet, nous utilisons le terme unique de « psychothérapie » pour désigner différentes façons de soigner, ou d’aider, par des moyens psychiques. Or, des effets « psychothérapeutiques » peuvent apparaître bien entendu dans une psychothérapie organisée au long cours, mais également dans une consultation unique, une passation de test, etc. Cela recouvre donc une très large gamme de possibilités.
Lors du colloque du Sénat de 2000, au début du projet de décret de Bernard Accoyer, nous avions défendu la position selon laquelle la formation des futurs psychologues cliniciens permettait d’acquérir une certaine aptitude au travail psychothérapeutique. Et je continue à penser que ce serait relativement dommageable d’envisager la psychothérapie comme étant complètement disjointe de la formation universitaire. Autrement dit, l’acte de psychothérapie fait partie des tâches du psychologue clinicien. Déjà, dans le décret de 1985, Anzieu avait largement défendu l’idée selon laquelle la pratique du psychologue comprenait une pratique de soin. Il est tout à fait essentiel de reconnaître que certaines formes de psychothérapies sont transmises à l’Université. Retirer cette dimension à la formation actuelle des psychologues cliniciens reviendrait à la vider de son sens. C’est pour cela que, très tôt dans notre cursus, les psychologues ont des stages au sein desquels ils participent aux soins, font des suivis, et acquièrent lors de leur formation ce que j’appellerais une aptitude généraliste à la psychothérapie au même titre que les médecins psychiatres. De nombreuses consultations psychologiques ont des effets soignants sans pour cela s’inscrire dans le processus long d’une psychothérapie formalisée. Différents aspects de la pratique des psychologues ont une dimension thérapeutique effective, et il faudrait veiller à ne pas la faire disparaître de la réflexion. On peut les regrouper sous le terme de psychothérapie de soutien, les psychologues sont les généralistes de la psychothérapie. Cette fonction est inhérente aux pratiques des deux grandes formations au soin psychique que sont la psychologie clinique et la psychiatrie. C’est vrai cependant que lorsque la formation psychiatrique est centrée uniquement sur la neurobiologie ou la pharmacologie, cette dimension fondée sur la relation disparaît.
Se pose ensuite le deuxième problème qui concerne l’utilisation de techniques spécialisées en psychothérapie. Le psychodrame, les psychothérapies d’orientation dites psychanalytiques, la Programmation Neuro-Linguistique, la Gestalt, etc., sont des méthodes qui utilisent des techniques particulières de psychothérapie qui, bien sûr, nécessitent une formation spécifique. Que cette formation spécifique soit donnée par des centres de formation privés, je n’y vois personnellement aucun inconvénient, à condition que cela soit bien considéré comme une spécialisation pour des professionnels qui justifient déjà d’une formation de base à la psychothérapie et à la psychopathologie. Cela sous-entend que ces formations spécialisées ne viennent pas se substituer à la formation universitaire de base en psychologie ou en psychiatrie, parce que si c’est le cas, et c’est là où le décret peut prendre tout son sens, cela constituerait selon moi un risque certain.
Après, on peut considérer que la formation reçue à l’université ne suffit pas, et avoir envie de se former de façon plus pointue dans un institut de psychanalyse ou de psychothérapie. C’est la situation dominante actuellement puisque 95 % des membres des sociétés de psychanalyse officielles, celles de l’IPA, sont des psychologues ou des psychiatres, et que 5 % à peine des psychanalystes sont ce que l’on appelle des « ni-ni », c’est-à-dire ni psychologue ni psychiatre. Ils viennent de trajectoires multiples qui sont quand même, la plupart du temps, des trajectoires autour des métiers de la relation et du soin. Toutefois, la formation au sein d’un institut de psychanalyse dure environ 9 ans et une partie de la formation de base est reprise pendant ces années. Ce n’est malheureusement pas le cas d’un certain nombre d’associations de psychothérapeutes qui n’ont que fort peu de réflexion sur l’ensemble des questions de la psychopathologie et de la relation de soin, et qui proposent des formations en deux ou trois ans au plus. Et si j’ai été sensible au débat autour de ce décret, même si je pense que c’est une question compliquée sur laquelle il est difficile de légiférer, c’est bien parce que je pense qu’il y a beaucoup de pertinence dans certaines méthodes de psychothérapie, pour autant que les praticiens aient une formation générale suffisante à tout ce qui est de l’ordre de la relation d’aide c’est-à-dire qu’ils soient psychologues cliniciens ou psychiatres. Au contraire, il me semble que le danger apparaît toutes les fois où l’on estime que la spécialisation donnée dans les instituts de formation à la psychothérapie peut justifier de faire l’économie d’une formation générale à la psychologie clinique. Les organismes de formation par exemple au psychodrame ont un cycle qui s’étend sur trois voire six ans. On commence par faire du psychodrame soi-même, ensuite on est en position d’observateur, puis en position de cothérapeute, ce qui au bout de toutes ces années constitue un travail important de formation. Il y a même des instituts de PNL ou de Gestalt où les gens se donnent vraiment une véritable formation. Et puis à côté de cela vous avez des gens qui sont formés à la va-vite et sans le sérieux nécessaire…
Il y a peut-être quelque chose d’important à repérer et à signaler : on fait comme si les conditions nécessaires pour devenir psychothérapeute étaient des conditions suffisantes. Je m’explique. Pour devenir psychanalyste par exemple, il est nécessaire d’avoir fait une analyse personnelle. De la même façon, la formation personnelle pour les techniques de psychothérapie est bien sûr nécessaire, ce n’est pas pour autant qu’elle est suffisante. La question qui s’est donc posée c’est : quelle est cette autre chose qui est non moins nécessaire que cette formation personnelle ? Une formation à la psychopathologie, une formation à l’écoute de la souffrance humaine, une réflexion sur sa prise en compte au sein d’une relation marquée par le développement d’un processus transférentiel, qu’on décide de l’analyser ou pas. Et là on ne peut pas faire confiance a priori aux instituts de formation privés pour garantir une réflexion sur ces points.
Canal Psy : En ce qui concerne strictement la formation universitaire des psychologues et des psychiatres, celle-ci ne peut inclure la dimension du travail personnel nécessaire dans la formation d’un psychothérapeute. Cela n’induit-il pas une certaine réserve quant à l’aptitude acquise à l’Université au travail psychothérapeutique ? Que pensez-vous de la position prise par Françoise Aubertel dans la tribune du numéro 74 ?
René Roussillon : Je ne suis pas d’accord du tout avec le fait que l’on se situe dans l’apprentissage théorique à l’Université même si l’on ne peut envisager d’inclure dans la formation des psychologies une analyse personnelle ou une psychothérapie. D’ailleurs l’expérience lyonnaise montre qu’une très large partie des étudiants en master pro a engagé une « démarche personnelle » d’analyse ou de psychothérapie, et ceci aussi parce que l’engagement sur les terrains de stage est très éprouvant psychiquement. Les étudiants font des stages en Licence, en Maîtrise, plus deux stages de spécialisation en dernière année de Master pro. Sans compter les groupes d’élaboration de la pratique dès la Licence. Après, au niveau du Master pro, il y a en plus tout un enseignement sur les pratiques des psychologues, sur ce qu’est la relation d’aide, de soin, réflexion amorcée également dès la Licence. Nous formons des psychologies praticiens, pas des théoriciens. On peut toujours aller plus loin dans l’augmentation et l’encadrement des stages, mais ce qu’il faut voir c’est que la question, telle qu’elle est posée actuellement semble oublier ces réalités de la formation.
La formation à la dimension de la relation d’aide se fait, de fait, à l’Université. Là où, à nouveau, les problèmes sont massivement mal posés sur la scène publique, c’est qu’on oublie qu’il y a 30 000 psychologues sur les terrains des services publics qui travaillent avec une dimension psychothérapeutique. Et cette dimension est largement aussi importante que la seule prise en compte des psychothérapeutes auto-proclamés comme tels qui travaillent en privé. Je ne vois pas pourquoi on raisonnerait sur cette question uniquement à partir des pratiques de psychothérapie en privé, alors qu’il y a tous les psychologues et psychiatres des services hospitaliers qui effectuent le même travail dans le service public. Ça me semble compliqué de ne raisonner que sur les pratiques privées pour penser l’ensemble de la question.
D’autant que c’est là que nos formations se sont plus particulièrement spécialisées. C’est pour cela que les psychologues n’effectuent pas de stages en cabinet privé mais en milieu hospitalier. On leur demande une formation à la psychopathologie et une formation-réflexion sur le soin en milieu institutionnel hospitalier. Ces dimensions-là me paraissent extrêmement importantes et oubliées dans les débats. En termes de santé publique c’est une erreur importante que de négliger ces pratiques publiques.