Parapsychologie et psychanalyse

DOI : 10.35562/canalpsy.2444

p. 8-9

Editor's notes

Le texte de D. Si Ahmed comportait un exemple clinique que nous n’avons pu publier, faute de place, dans ces colonnes. Le lecteur pourra se reporter à l’ouvrage de l’auteur (voir bibliographie) qui présente de nombreux cas tirés de cures, de groupes ou de la vie quotidienne.

Text

La Parapsychologie s’est donnée pour but, dès la fin du siècle dernier, l’étude d’un ensemble de phénomènes non explicables par les lois physiologiques, psychologiques et physiques connues. Le champ d’étude de la parapsychologie recouvre des phénomènes psychologiques ou subjectifs, et des phénomènes physiques ou objectifs.

Les premiers se réfèrent à des expériences mettant en jeu une « perception extra-sensorielle » ou ESP et comprennent :

  • La télépathie ou communication directe de psyché à psyché, en dehors de toute information donnée par les sens habituels.
  • La clairvoyance ou acquisition d’informations sur un objet, un événement, également en dehors des sens habituels.
  • La précognition, ou possibilité de deviner l’avenir, c’est-à-dire avoir des informations sur un événement à venir, sans qu’aucun élément dans le présent ne le laisse envisager.
  • La rétrocognition, ou capacité à obtenir des informations sur un ou des évènements passés.

L’ESP intervient en dehors de toute construction hypothético-déductive, et naturellement comme je l’ai déjà dit, en dehors de toute information obtenue par les sens connus. Les seconds, encore appelés psychokinétiques, ou télékinétiques, désignent l’action directe de la psyché sur la matière, action mécaniquement inexplicable, car ne mettant pas en jeu le corps physique. Avec l’étude de la PK, sont abordés tout un ensemble de phénomènes : petite et grande hantise, Poltergeist (« esprit frappeur », concernant les maisons dites « hantées »), déplacements d’objets, jets de pierres, bruits bizarres, etc.

La PK, comme la PES, relève de ce qu’on appelle la « fonction psi ». On parlera donc de « sujet psi » et d’« effet psi ».

Ces phénomènes pour extravagants qu’ils soient, souvent taxés d’allégations délirantes, n’en ont pas moins été étudiés, objectivés et quantifiés depuis fort longtemps grâce aux travaux de Charles Richet en France, de Joseph B. Rhine aux États-Unis, de Léonid Vassiliev en Russie ou de René Warcollier en France, pour ne citer que ceux-là.

Dans un premier temps, et comme dans beaucoup de disciplines naissantes, les chercheurs ont centré leurs efforts sur la collecte d’observations de faits « paranormaux ». C’est dans cet esprit que furent créées les grandes sociétés de recherche comme la Society for Psychical Research en Angleterre (1882), ou l’Institut Métapsychique International à Paris (1919), auxquels collaborèrent des personnalités prestigieuses. Ce n’est pas le but de cet article de retracer l’historique des recherches passionnantes menées par ces grands hommes dans le domaine du paranormal, mais de pointer la singularité de cette discipline qui s’est développée, dans un second temps, indépendamment des sciences humaines, après un divorce qui semble correspondre à la naissance de la psychanalyse.

Dans une période que l’on pourrait qualifier de préhistoire des sciences humaines et des psychothérapies, les phénomènes paranormaux, tout comme l’hypnose, faisaient partie intégrante des préoccupations des humanistes et des premiers « cliniciens » que furent Johan Gassner, Frantz Anton Mesmer, le Marquis de Puységur, Hippolyte Bernheim, ou encore Pierre Janet.

Sans que ces auteurs y aient attaché une importance particulière, la télépathie, la voyance, la psychokinèse, l’hypnose à distance, l’auto et l’hétéroscopie1 étaient couramment observées dans leur pratique, et considérées comme des manifestations inhérentes aux effets du magnétisme animal et du fluide (Mesmer), du somnambulisme (Puységur) ou de l’hypnose (Janet). L’émergence de ces phénomènes, parfois extraordinaires, semblait liée à l’entrée du sujet dans ce que nous appelons aujourd’hui les états de conscience non ordinaires.

Toujours est-il que l’histoire de la parapsychologie se trouvait initialement liée à l’histoire de la psychiatrie, de l’hypnose et bien entendu du spiritisme, et dès l’origine de la découverte de l’inconscient, toutes ces voies d’accès furent systématiquement explorées et confondues2.

Cependant et dans le même temps où ces phénomènes étaient découverts, recensés et appréhendés, surgissait chez certains chercheurs une crainte à en faire état. Les phénomènes paranormaux se situaient dans un tel hiatus par rapport aux concepts établis de l’ordre de l’univers, au bon sens rationnel, qu’ils furent, notamment dans les milieux des sciences humaines, et surtout de la psychologie et de la psychiatrie, massivement censurés. Un des exemples les plus remarquables de cette censure fut sans conteste l’attitude de Pierre Janet à l’égard d’une de ses patientes, Léonie.

En 1855, Pierre Janet avait eu la chance, à l’hôpital du Havre de rencontrer un sujet extraordinaire qui avait la particularité et l’originalité de pouvoir être hypnotisée à distance, c’est-à-dire d’obéir aux suggestions mentales qui lui étaient faites, même à une distance de plusieurs centaines de mètres. Les résultats de ces expériences firent l’objet d’une communication à la Société Psychologique de Paris, présidée par J.-M. Charcot.

Or malgré l’intérêt suscité par cette communication, malgré la reproduction des prouesses de Léonie, sous le contrôle de nombreuses personnes (médecins, scientifiques), Janet se rétracta quelques années plus tard, arguant un doute quant à la fidélité des comptes rendus des expériences. Laisser « tomber » un sujet tel que Léonie, représentait pour Janet et ses confrères une parade, une défense, face à des résultats qui menaçaient le cadre de la psychologie naissante !

Ainsi se dessina un premier divorce entre parapsychologie et psychologie, divorce qui fut consommé avec la naissance de la psychanalyse, et ceci malgré l’intérêt de Freud pour le sujet3.

L’exclusion de la parapsychologie du champ de la psychanalyse, comme des autres sciences humaines, et des sciences en général, fut dictée par plusieurs raisons. Certaines étaient inhérentes au bon renom de la psychanalyse, qui voulait se donner un label de scientificité et se dégager de la gangue de l’occultisme pour prouver son sérieux. D’autres raisons plus voilées, tenaient à la difficulté d’accorder une place dans le champ conceptuel de la psychanalyse, à ces phénomènes qui menaçaient d’en faire exploser le cadre tout neuf.

Cependant, cette exclusion, compréhensible dans les débuts de la pensée psychanalytique, continue d’être agissante, probablement en raison des nombreux présupposés de la psychanalyse, incompatibles avec la reconnaissance de ces phénomènes. Considérer par exemple qu’un matériel puisse transiter en dehors des sens connus, d’une psyché à une autre, que de l’énergie psychique (et du sens) puisse s’actualiser dans le monde extérieur, dans la matière ou dans une autre psyché, fut et est encore très mal reçu par la majorité des psychanalystes très attachés à une conception assez limitée de la psyché.

La pensée psychanalytique (à l’exception de l’œuvre de Jung) s’est donc développée, pour l’essentiel, sans tenir compte de la dimension paranormale de la psyché. Occultation de tout ce qui pourrait de près ou de loin être rattaché à l’occultisme, à l’origine d’un formidable paradoxe, celui de la désaffection du champ d’étude de ce matériel (le paranormal), par des personnes qui devraient pourtant lui porter le plus grand intérêt.

Et pourtant, les développements de la pensée psychanalytique (notamment depuis les années 70), sur le transfert, le narcissisme, les soubassements archaïques de la vie psychique, rendent le divorce psychanalyse/parapsychologie de moins en moins concevable.

Cette articulation a été au centre de ma recherche en parapsychologie, recherche qui fut l’objet de ma thèse de Doctorat de psychopathologie, et de la publication de mon ouvrage : Parapsychologie et psychanalyse (Éd. Dunod, Paris, 1990).

En effet, l’approche quantitative des chercheurs en parapsychologie ne peut suffire à rendre compte de la complexité de ce qui est en jeu dans la psyché à l’égard de ces phénomènes et des chercheurs se sont aussi penchés sur la recherche qualitative en parapsychologie. Parmi ces derniers, René Warcollier à l’Institut Métapsychique International de Paris, et Henri Marcotte. Leurs travaux m’ont mis sur la voie d’une articulation entre parapsychologie et psychanalyse.

Dans les années soixante Henri Marcotte reprit les expériences de Warcollier sur la transmission télépathique de dessins, en introduisant dans ses protocoles expérimentaux deux données susceptibles d’améliorer les performances des participants : la dimension temporelle (envoi non plus de dessins, mais d’histoires, de scénarios), et la prise en compte de l’éprouvé corporel4.

Mais Marcotte, tout comme Warcollier avant lui, caressait le fantasme d’une radio mentale épurée de tout parasite et de toute déformation, et de fait l’aspect psychopathologique, et les déformations des messages n’étaient guère pris en compte. Tout ce qui n’avait pas littéralement à voir avec le contenu manifeste du message télépathiquement envoyé était considéré comme scories à éliminer.

Lorsque je rencontrai Marcotte et ses groupes dits « d’entraînement à la télépathie » (en fait d’entraînement à la télépathie, la voyance, la prémonition, la rétrocognition), je remarquai d’emblée combien la dynamique inconsciente des sujets pouvaient modifier et régir, tant chez l’agent (celui qui envoie) que chez le percipient (celui qui reçoit), le contenu des messages verbalisés. Cet aspect, jamais pris en compte par Marcotte devint le centre de ma recherche.

En effet, la dynamique inconsciente, la problématique du sujet, tout comme son histoire, me sont apparues comme capitales pour la compréhension des phénomènes paranormaux. Un point a particulièrement attiré mon attention : prémonition ou télépathie, la « réception » par le sujet se fait toujours et d’abord au niveau du corps. Tout se passe en effet comme si le corps jouait à l’égard de la transmission/réception télépathico-prémonitoire, le rôle d’une antenne. Mais quand je parle de corps, il s’agit en fait d’un niveau de perception corporelle très archaïque, celui du bébé ou même du fœtus. Cette faculté de perception habituellement masquée ou inhibée dans la vie adulte, reste cependant toujours présente et agissante en nous. Elle peut, grâce à un entraînement adéquat, retrouver une prégnance et une efficience réelles.

Ce niveau de perception corporelle archaïque a ceci de particulier qu’il ne fait pas de différence entre sentiment, affect, sensation ; pas de différence non plus entre dedans et dehors, entre avant et après. Tout ce qui peut se passer à ce stade est à l’origine d’une représentation psychique primordiale indifférenciée appelée pictogramme. Pictogramme d’auto-engendrement ou d’autodestruction, constitutifs de l’activité mentale de représentation, activité régie par le processus originaire tel que conceptualisé par Piera Aulagnier5. Représentation archaïque du corps, de ses éprouvés, au sein de laquelle les cinq sens ne sont pas encore nettement discriminés et spécifiés dans leurs fonctions respectives.

C’est bien parce qu’il n’existe pas, à ce stade très primitif du fonctionnement mental, de différenciation entre dedans et dehors, entre le moi du sujet et celui des autres, que du matériel psychique (pensées, fantasmes, sentiments, scénarios) peut transiter d’une psyché à l’autre. Ce sont les niveaux supérieurs de l’activité mentale de représentation qui en reprenant à leur compte cette perception, la redéploieront plus ou moins bien, en un message.

Voyance, télépathie, prémonition ou psychokinèse, sont des phénomènes apparemment différents, mais qui se rejoignent tous quant à leur signification et à leur origine, liés qu’ils sont au niveau le plus archaïque et donc le plus inconscient de notre psyché. Ainsi se justifie l’appellation globale « d’effet Psi » pour dénommer l’ensemble de ces phénomènes.

Les messages paranormalement perçus subissent de ce fait toutes sortes de déformations, déformations en tout point semblables à celles qu’accomplit le travail psychique du rêve : déplacement, condensation, inversion en son contraire, métaphorisation, etc.

La réintégration du paranormal dans le champ de l’analyse pose de multiples problèmes, car cela soulève la question d’une psyché qui n’a pas de limites, d’un sujet dont les barrières psychiques sont inexistantes ou inefficientes, et qui donc renvoie à la psychose, à l’indifférenciation des espaces psychiques et au fonctionnement archaïque de la psyché…

Et pourtant, il découle de mes travaux et observations cliniques que la prise en compte de cet aspect du fonctionnement mental à l’origine de phénomènes télépathiques peut entraîner des effets thérapeutiques majeurs : en authentifiant (quand cela est nécessaire) des perceptions paranormales chez l’enfant ou l’adulte, on authentifie et reconnaît du même coup des perceptions dont le sens est à découvrir, au même titre que n’importe quelle autre production psychique.

La théorisation de l’archaïque constitue à la fois une des limites de la psychanalyse contemporaine, mais aussi une des ouvertures les plus fécondes quant à la compréhension des phénomènes paranormaux. Les psychanalystes peu enclins à se pencher sur le paranormal se privent dramatiquement de l’appréhension de cet aspect fondamental du fonctionnement mental. À l’inverse, les parapsychologues, soucieux d’objectivation, de quantification de ces phénomènes, les ont quasiment dé-psychologisés et stérilisés, oubliant qu’ils doivent s’intégrer, au même titre que le rêve ou la pensée, à l’ensemble de la vie psychique.

Notes

1 Ou connaissance, sur un mode paranormal, de l’intérieur de son propre corps et de ses organes, du corps et des organes d’autrui.

2 Voir à ce sujet l’ouvrage de Henri Ellenberger, À la découverte de l’inconscient. Histoire de la psychiatrie dynamique, Simep Éditions, Villeurbanne, 1974.

3 Voir Christian Moreau, Freud et l’occultisme, Éditions Privat, 1976.

4 Voir La Télesthésie, méthode d’entraînement à la télépathie, Presses de la Renaissance, Paris, 1977.

5 Piera Aulagnier, La violence de l’interprétation, PUF, Paris, 1975.

References

Bibliographical reference

Djohar Si Ahmed, « Parapsychologie et psychanalyse », Canal Psy, 16 | 1994, 8-9.

Electronic reference

Djohar Si Ahmed, « Parapsychologie et psychanalyse », Canal Psy [Online], 16 | 1994, Online since 07 septembre 2021, connection on 18 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2444

Author

Djohar Si Ahmed

Docteur en psychologie, psychanalyste, fondatrice de l’Institut des Champs Limites de la Psyché (ICLP, 15 Rue Bargue, 75015 Paris)

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