La gérontologie se définit comme étant l’étude de la vieillesse et des phénomènes de vieillissement.
Reconnue depuis seulement quelques années comme une science « à part entière », la gérontologie regroupe des champs d’investigation différents et complémentaires : les processus liés au vieillissement humain peuvent en effet s’interroger selon une approche physiologique, médicale (la gériatrie), cognitive, sociale, psychologique et psychanalytique.
Comme dans d’autres domaines de sa pratique, le premier regard porté vers celle exercée en gérontologie amène le psychologue clinicien à en pointer la diversification :
- Diversification au niveau des lieux. Nous pouvons les différencier selon deux pôles : les lieux de soins (Hôpitaux généraux, Hôpitaux gériatriques, Centres hospitaliers spécialisés en Psychiatrie, Services de court et moyen séjour…) et les lieux d’hébergement (Maisons de Retraite, MAPAD, Centres de long séjour…). À cela s’ajoutent des lieux de consultations spécifiques ainsi que des lieux d’accueil spécialisés (Hôpitaux de jour, Cantou…).
La finalité, la forme dominante de la mission que se réserve chacune de ces institutions vis-à-vis de la personne âgée et vieillissante ne peuvent être déniées par le psychologue clinicien. - Diversification au niveau des interlocuteurs. Certes, « l’interlocuteur privilégié » est le sujet âgé. Mais, pour des raisons sociales, somatiques, psychologiques, cet adulte vieillissant se retrouve fréquemment entouré d’un environnement relationnel, réseau familial et/ou professionnel : les agissements, les questionnements, les « demandes » manifestées par chacun de ces interlocuteurs « périphériques » ne peuvent tout autant être déniées par le psychologue clinicien.
Mais, par-delà ce descriptif, quel que soit ce repérage de terrain, comment le psychologue clinicien peut-il tenter de se définir comme « praticien en gérontologie » ? Quelle place la psychologie clinique peut-elle revêtir au sein de la gérontologie ?
S’il est permis de cerner l’objet de la psychologie clinique et de la psychopathologie, nous pouvons dire que, dans une centration vers le sujet, son étude concerne la souffrance et les troubles du fonctionnement psychique, manifestés à travers divers signes (symptômes, actes manqués, répétitions…). Selon une perspective psychodynamique, le clinicien tente d’interroger et de traiter la souffrance spécifique du sujet, dans son rapport à lui-même, à son histoire singulière, à ses désirs, ses fantasmes, ainsi que dans le jeu d’interactions qu’il entretient avec le monde externe. Pourrait-il en être différemment pour le sujet vieillissant ? Les transformations inhérentes au vieillissement humain ont nécessairement un retentissement dans le sentiment d’identité, dans la personnalité globale du sujet. Appréhendés trop souvent en termes de déficits et de détériorations inéluctables du vivant vers la mort – soit selon une conception linéaire du devenir – les troubles engendrés par ces modifications peuvent être abordés selon une autre lecture : celle de l’émergence de ruptures traumatiques et d’après-coup. Pour le psychologue clinicien la rencontre avec la personne vieillissante, quels que soient ses troubles, peut alors ouvrir vers un questionnement sur les effets de chocs liés à l’âge, effets venant réveiller et interagir avec d’autres traumatismes anciens, plus archaïques qui, jusqu’alors, demeuraient sous forme de traces, profondément refoulées chez le sujet et en latence de symbolisation. Ce positionnement – spécifiquement clinique – d’ouverture vers la « réalité psychique » du sujet devient alors, globalement, celui de tenter de réarticuler et de (re) signifier, jusqu’au terme de la vie, ce qui était jusque-là psychiquement inachevé, inassumé.
Cependant, le vieillissement et le caractère proche de la mort ont comme particularités d’être les sorts qui attendent chacun de nous : les représentations que convoquent ces processus, liés à la vie même, pèsent toutefois lourdement dans la pratique en gérontologie, ceci à différents niveaux :
- À l’égard de la personne âgée : celle-ci est marquée au minimum par une réduction de certaines performances, au maximum par une incapacité ou une déficience majeure (d’ordre neurologique, motrice ou de perte d’une communication par le langage…). Il est à noter que, principalement dans les états démentiels, la question du temps et de la mort prochaine interviennent comme éléments fondamentaux dans la psychopathologie que présente la personne. Le psychologue clinicien va devoir interroger chacune de ces données tant lors de son approche psychologique qu’au cours de l’évaluation des potentialités de changement du sujet pour pouvoir proposer, à sa juste mesure, une action thérapeutique.
- Vis-à-vis de l’environnement relationnel : ces interlocuteurs périphériques imposent souvent au psychologue clinicien une attention, une écoute, voire un soutien particulier et, sur ce point tout au moins, la pratique en gérontologie tend à se rapprocher des domaines liés à l’enfance, car elle s’effectue fréquemment avec ou auprès de tiers par rapport à l’intéressé. Ainsi, à la démarche clinique vis-à-vis de la personne âgée s’adjoint pour le psychologue la prise en compte de la souffrance de l’entourage familial et/ou professionnel :
- conjoints, enfants – qui sont de plus en plus eux-mêmes des personnes âgées – pour qui la présentation déficitaire de leur parent vient faire vaciller leur propre sentiment d’identité ;
- représentations et histoires familiales et individuelles dont le groupe est porteur ;
- phénomènes intergénérationnels mis en jeu tant entre la personne âgée et les membres de sa famille qu’entre celle-ci et les professionnels…
- pour le psychologue : qu’il se situe en position de thérapeute ou de tiers, engagé ou non dans un travail de supervision, le psychologue clinicien n’échappe pas à ce mouvement intergénérationnel qu’il aura à prendre en compte en ce qui concerne l’élaboration de ses propres contre-attitudes, tant vis-à-vis du patient que de son entourage. Il aura également à mettre en travail ses propres représentations, à en analyser les mouvements transféro-contre-transférentiels, à élaborer en tant qu’acting, les interférences de la famille, du personnel institutionnel lors d’un travail psychothérapique (par exemple, irruption pendant le cours d’une séance, oubli de conduire la personne à une séance…).
Au début de cet article nous avons défini la gérontologie comme une science jeune regroupant plusieurs champs d’investigations. L’exercice de cette pratique auprès du sujet vieillissant amène, impose au psychologue clinicien un regard, une écoute vers ces autres champs. L’attention, l’intérêt qu’il porte à ces autres branches de la gérontologie, et à leurs investigations spécifiques, ne peut que venir soutenir, renforcer, interroger et réélaborer son propre positionnement de clinicien. En ce sens, s’il est inscrit dans cette dynamique de questionnements et d’interactions des champs gérontologiques, le psychologue clinicien peut alors se qualifier de gérontologue, soit un spécialiste de la gérontologie.
Mais cette forme de positionnement ne veut pas dire s’inscrire dans la trame de l’autre, dans la collusion, la confusion des champs… et des pratiques.
Si, lors des balbutiements de cette science et afin d’en montrer l’intérêt et la pertinence cette tendance à l’amalgame aurait pu s’entrevoir, une telle perspective n’est plus de mise actuellement. Par son approche psycho-dynamique du sujet vieillissant – là où la question du vieillir n’est plus posée en termes d’effacement ou d’entité mais selon un respect et une rencontre avec autrui à un moment décisif d’interrogations sur lui-même –, par sa rigueur dans la mise en place de dispositifs cliniques et de cadres conceptuels, le psychologue clinicien ouvre un espace pour l’individu : espace de pensée, de mise en questionnement personnel de sa souffrance, de ses symptômes ; espace introduisant la question du soin et des interactions esprit/corps sous un angle nouveau et original.
La spécificité du psychologue clinicien qui exerce en gérontologie est de maintenir ce positionnement psychodynamique des phénomènes du vieillissement chez le sujet, phénomènes qui se présentent fréquemment sous le masque du déficit et de la désorganisation apparemment dénuée de sens. En outre, cette spécificité doit s’étendre à l’entourage du patient et des autres intervenants qui sont, bien souvent, engagés dans une attitude et un processus de disqualification, voire de déni de tout fonctionnement psychique pouvant subsister chez la personne vieillissante.
Le maintien de cet espace de pensée, pour lui-même, vis-à-vis du patient âgé, mais également à l’égard de l’entourage familial et professionnel, demande au psychologue clinicien une rigueur et une vigilance particulière tant du point de vue épistémologique que théorique, technique et éthique.