L’émergence de peuples et de cultures participant à la définition de la « mondialité » et la transformation des représentations spatio-temporelles ont fait de la notion d’interculturalité un concept clef pour l’interprétation du psychisme et la compréhension des conflits sociaux et des échecs d’intégration.
Les questions importantes nées des phénomènes de migrations ont attiré certes l’attention sur ce concept mais elles ne sont pas les seules à y participer parce qu’en fait toutes les sociétés humaines et donc toutes les conduites individuelles et collectives relèvent de contacts de cultures, de pluriculturalités (un Français sur cinq a une ascendance étrangère ; les Algériens ont, aux sources de leurs conduites, intégré une composition de cultures).
En se saisissant du contact des cultures et de leurs comparaisons, l’approche interculturelle apporte ainsi à la psychologie de nouveaux éléments de réflexion théorique et de nouveaux terrains d’étude, donc un élargissement des problématiques et un enrichissement des méthodologies.
Du culturel à l’interculturel
Le concept d’interculturalité témoignerait d’une double maturation, celle de l’approche culturaliste et celle de la vision universaliste. C’est le débat inné-acquis qui a introduit le culturel (à travers le rôle du milieu) dans le champ de la réflexion et de la recherche en psychologie ; il a mis en valeur l’idée qu’il existe des formations différenciées à l’origine desquelles se trouvent les différentes socialisations (donc différentes cultures).
Ce sont les anthropologues grâce à leurs analyses des cultures qui ont permis d’ouvrir les nouvelles perspectives en contextualisant les manifestations du psychisme (grâce aux approches comparatives). Ce qui était, au départ, un parcours « exotique » dans les cultures « indigènes » devenait dans les dernières décennies une conception capable de saisir les contributions multiples des sujets à construire leur réalité à travers les données qu’ils rencontrent.
Ce qu’il y a d’important aujourd’hui, ce n’est plus seulement la place réservée aux effets de la culture sur les déterminants des activités psychiques mais le fait que les cultures s’interpénètrent et que la dimension multiculturelle s’interprète en termes d’interactions et d’effets de ces interactions sur les opérations psychiques. Cela signifie la disparition des hiérarchies entre cultures au profit d’une analyse des différences sous l’angle qualitatif et aussi la recherche, à travers ces différences, des significations que leur attribuent les individus et les groupes.
Envisagée comme ensemble de systèmes de significations, la culture prend une définition « psycho-anthropologique » qui en fait, comme le souligne Claude Clanet, un « ensemble des formes imaginaires/symboliques qui médiatisent les relations d’un sujet aux autres et à lui-même et plus largement, au groupe et au contexte » (la querelle autour de ce que l’on a appelé le « voile islamique » témoigne de représentations et de significations différentes selon les contextes).
L’approche interculturelle, en refusant d’occulter le poids de telle ou telle culture dans l’étude des conduites psychologiques inscrit la recherche dans une voie faite d’équivalence, de réciprocité, de comparaison et d’intégration ; elle représente à la fois un modèle d’explication et de formation (intégration des populations immigrées ; construction européenne). C’est cette vision des problèmes qui développe un terrain extrêmement large d’études fondées sur les comparaisons inter-culturelles, l’observation des sujets et des groupes confrontés à des changements de contextes culturels ou à une double culture. Ce terrain va des études portant sur la réussite scolaire d’enfants étrangers ou d’élèves en situation d’apprentissage d’une langue seconde jusqu’à l’interculturalité au niveau des entreprises multinationales, en passant par la mise en place d’une stratégie de formation commune à l’ensemble des pays européens.
Identité et interculturalité
L’interculturalité permet de mieux comprendre comment se négocient les constructions et les re-constructions identitaires à partir de l’ipséité et de l’altérité dans des environnements faits de rencontres et de confrontations culturelles.
Là aussi les culturalistes sous l’autorité de E. Erikson ont contribué à dépasser les sens communs et les usages idéologiques du terme « identité » pour l’envisager comme un ensemble de propriétés à la charnière de l’individuel et du social. Mais c’est l’approche interculturelle, en se fondant sur des situations concrètes, qui donne à l’identité le poids d’une théorie fondée sur ce que Michel Oriol appelle le modèle de « la rationalité dialectique » qui éclaire la réflexion sur les stratégies et les réactions identitaires.
Il faut des moments de crise identitaire pour qu’apparaissent, dans la structure de la personnalité, les clivages qu’introduit l’existence de « registres imaginaires/symboliques » différents c’est-à-dire de codes culturels distincts. Si les conflits de personnalité concernent toutes les formations, il ne reste pas moins que le contact des cultures introduit (quand ce n’est pas une flexibilité) une hétérogénéité qui engendre des paradoxes auxquels est confrontée l’unité de la personnalité. Le terrain privilégié d’étude reste à ce propos la recherche d’une meilleure intelligibilité des problèmes rencontrés aussi bien pour les jeunes des quartiers dits « difficiles » que pour certaines catégories de personnes marginalisées par la maladie ou le chômage. De tels sujets placent directement l’interculturalité au cœur de l’approche multidimensionnelle et de l’orientation interactionniste.
Représentations sociales et interculturalité
Un autre domaine vers lequel se portent les intérêts des chercheurs est celui des représentations sociales, définies dès 1961 par Moscovici, les représentations sociales constituent, pour Jodelet, une forme de connaissances socialement élaborée et qui contribue à la construction d’une réalité commune à un ensemble social.
L’analyse de ces représentations dans des milieux différents et dans des contextes marqués par des contacts ou des changements culturels nous renseigne d’une manière plus globale au sujet des processus de leur formation et des différenciations produites par les effets de milieux.
Des études interculturelles de ce type peuvent porter notamment sur les constructions des images de soi chez des enfants ayant des statuts contrastés. C’est le cas des études comparatives faites entre écolières françaises et écolières maghrébines par J.-P. Becvort et F. Winnylsamen qui ont permis de comprendre comment intervient la spécificité des appartenances dans les différentes représentations, comme la manière dont se construisent des similitudes et des synthèses originales grâce à l’émergence d’une culture nouvelle à partir de rencontres inter-culturelles.
Nous pouvons également citer les travaux de F. Couchard sur les représentations sociales dans la culture musulmane à propos des modèles identificatoires induits par des références à la « traditionnalité » et à la « modernité ».
Signalons plus particulièrement les travaux en cours menés par Willem Doise dans une trentaine de pays sur l’étude des représentations sociales des droits de l’homme et leur universalité.
Ce sont là quelques exemples qui illustrent le vaste domaine dans lequel se développent et peuvent encore se développer les recherches interculturelles qui offrent à la psychologie autant d’ouvertures théoriques et méthodologiques.