Diagnostic et remédiation cognitifs

DOI : 10.35562/canalpsy.2537

p. 8-9

Text

Pour aider ces enfants à sortir de l’état d’enfermement dans lequel ils se trouvent d’un point de vue cognitif, il faut recourir à une approche clinique minutieuse qui permette de procéder au diagnostic des modalités fonctionnelles de leur pensée puis à une rééducation qui, partant de leur niveau, puisse les solliciter à construire les structures de l’activité de connaissance qui leur font défaut.

Dans un premier temps, il s’agit de comprendre l’organisation de la pensée des enfants dont nous nous occupons à travers l’analyse des procédures qu’ils mettent en œuvre dans les situations-problèmes qui leur sont proposées afin de comprendre comment ils pensent et voient le monde. L’investigation est délicate car elle s’adresse à des sujets d’âges divers dont les troubles sont à chaque fois particuliers. Dans le diagnostic cognitif, le praticien cherche à expliquer chacune des démarches de l’enfant pour découvrir leurs incohérences et saisir d’une part l’importance du décalage entre son niveau et celui auquel il devrait être et apprécier d’autre part ses possibilités éventuelles d’évolution. De fait, les questions posées ne visent pas seulement à repérer l’existence ou l’inexistence de connaissances, démarche certes utile, mais largement insuffisante pour aider l’enfant ultérieurement. La finalité du travail étant, rappelons-le, la rééducation (remédiation cognitive), dans laquelle le psychologue devra créer les situations qui favorisent la prise de conscience de l’ordre logiquement nécessaire des actions puis sa généralisation. L’intérêt du diagnostic se situe donc plus dans l’analyse des mécanismes de la déduction, reflétant par là même les possibilités ou les incapacités à effectuer les coordinations d’actions (actions réversibles en pensée ou réversibilité logique). Ceci permet l’identification des habitudes fonctionnelles cognitives du sujet, responsables de ses incompétences. Les questions doivent donc avoir un caractère de grande perspicacité. Elles invitent l’enfant à expliciter ce qu’il fait au moment où il le fait, tout en l’amenant à formuler les raisons de ses procédures. Par ailleurs, les retours fréquents à la question de départ nous paraissent essentiels car ils facilitent le dépistage des difficultés du sujet à effectuer les relations entre les procédures qu’il utilise et le but de l’expérience. Comparativement à la méthode des tests, la grande originalité de ce bilan cognitif (examen opératoire) est de chercher constamment les signes de non accession ou d’accession en cours à l’OPERATIVITÉ (réversibilité logique). Or, nous savons que cette dernière s’élabore à partir du moment où l’enfant parvient à relier ses propres ACTIONS TRANSFORMATRICES aux ÉTATS auxquels elles ont abouti de manière à considérer ces derniers comme des conséquences, dont il est acteur de la cause. C’est donc grâce à la prise de conscience de cette logique causale que l’enfant parvient à construire les correspondances réciproques entre l’ÉTAT INITIAL et l’ÉTAT FINAL (si le deuxième est la conséquence du premier, celui-ci est la condition du second). En d’autres termes, l’enfant comprend que le lien entre chacun des ÉTATS est représenté par l’ACTION elle-même dont sa mise en œuvre ou son annulation lui permettent de se mouvoir librement d’un ÉTAT à l’autre, en pensée. C’est seulement alors que cet ordre devient pour lui, logiquement nécessaire. Dans des épreuves pourtant simples de conservations numériques (correspondances terme à terme), on remarque souvent une incapacité de l’enfant à expliciter la finalité de l’exercice, c’est-à-dire la comparaison de deux TOUT numériques équivalents. Dans de tels cas, le psychologue peut formuler une suggestion, visant à décentrer le sujet de ses procédures inadéquates tout en le faisant entrer dans les cadres réels de l’expérience. Si en revanche, on laisse l’enfant s’enfermer dans une voie sans issue, en constatant seulement ses capacités de compréhension de la consigne, on transforme l’examen opératoire en test et l’on passe à côté de la finesse d’analyse des procédures qu’il permet de mettre en évidence. La suggestion vient donc problématiser la situation, dans le sens où elle laisse entrevoir d’autres possibilités. Ainsi, en devenant critique l’examen opératoire donne sa pleine mesure, et c’est seulement alors que le diagnostic opératoire commence réellement. Sans dévoiler la réponse, il convient de proposer une autre direction de pensée, paraissant émaner d’un autre enfant de même âge. Outre les avantages relatifs au diagnostic lui-même, cela conduit le plus souvent le sujet à mordre au travail en présence. Parvenant à organiser ses actions, si peu soit-il, il développe alors le sentiment d’avoir prise sur le réel et découvre l’intérêt de l’épreuve. Il s’agit d’un stimulant incontestablement puissant lui ouvrant des perspectives d’apprentissage et facilitant la suite des activités. Tout en comprenant les modalités de la pensée de l’enfant, le praticien identifie ce faisant les progressions possibles dans certains domaines de la connaissance et celles qui le sont moins. Cet aspect du diagnostic est capital. En effet, à l’occasion d’une suggestion, il est utile d’amener l’enfant à vérifier la pertinence de cette nouvelle direction de pensée et de l’inviter à constater le résultat auquel elle permet d’aboutir (abstraction pseudo-empirique). Si, ce faisant, il parvient à construire une procédure nouvelle, il convient alors de s’assurer, au cours d’une épreuve comportant un niveau de difficulté supérieur, de la fiabilité ou de la fragilité de son innovation. Le psychologue poursuivra donc son examen selon le même procédé. D’une épreuve à l’autre il formulera des hypothèses concernant les difficultés et/ou les innovations structuro-fonctionnelles de l’enfant examiné en cherchant à en vérifier la pertinence, chemin faisant. Pour éviter les leurres quant à l’appréciation d’un problème structural ou d’une innovation on aura recours aux contre-suggestions, véhiculant des avis contraires à ceux du sujet. Il s’agit de relater la discussion de deux enfants de même âge, chacun d’entre eux formulant une argumentation différente. Il est parfois intéressant d’attribuer à l’un des personnages fictifs la même idée que celle du consultant. Contrairement aux suggestions, l’opposition revêt ici un caractère plus systématique. En invitant l’enfant à argumenter et à démontrer le bien-fondé de son idée, la contre-suggestion permet une analyse des aspects fonctionnels de la pensée (procédures figuratives ou opératoires).

La suite normale du diagnostic opératoire est la rémédiation opératoire proprement dite. Pour aider les enfants à construire les schèmes procéduraux qui leur font défaut, le niveau de difficulté des situations-problèmes doit être progressif. Reprenant l’esprit de la méthode clinico-critique de Piaget, nous suivons les sujets dans les méandres de leur pensée, tout en les guidant, par un questionnement approprié. Nous retenons donc la technique des suggestions et des contre-suggestions. Cependant, ces dernières ne doivent pas être formulées systématiquement, comme cela était le cas dans l’examen opératoire. La tentative de déséquilibration avait alors pour but de tester la solidité d’une notion ou d’un schème. Dans la remédiation, la finalité est différente. Il est en effet nécessaire que les enfants en difficulté parviennent à trouver une quiétude dans l’expérimentation. Chaque nouveauté élaborée par eux est largement commentée, appliquée, en vue de son affinement et de son affirmation en tant que forme logique de pensée. Nous savons que tout schème nouveau, avant qu’il puisse exister en tant que tel, c’est-à-dire être transposé et généralisé à diverses situations de la vie courante, a besoin de s’alimenter des succès de ses applications. Il reconnaît ainsi parmi tous les détails dont fourmille le milieu, des situations dont le degré de complexité correspond à la forme logique qu’il représente. Lorsqu’un schème vient d’être construit, il convient donc de permettre son application répétée à des contenus immédiatement reconnaissables. Si à l’occasion d’une procédure nouvellement établie, le psychologue crée un déséquilibre trop important, il risque d’entraver la bonne marche de la remédiation en empêchant les renforcements par feed-back positif. En conséquence, il faut attendre que les sujets se soient assurés par eux-mêmes de la validité de leurs démarches. Les contre-suggestions peuvent alors être formulées. Elles arrivent à point nommé. Ainsi, les enfants se trouvent face à une nécessaire argumentation et démonstration de leurs idées. Les suggestions sont en revanche les démarches les plus favorables et les plus courantes. Comme dans l’examen opératoire, elles forment un étayage de l’expérience, dans les cas où les enfants sont en proie à un découragement ou à un enfermement dans une direction de pensée sans issue. Outre cet aspect, le but des suggestions est de provoquer des conflits cognitifs, conduisant à des régulations, ainsi que nous l’avons déjà précisé.

Ainsi, nous constatons que les significations que les enfants attribuent aux actions proviennent du sens logique que prennent leurs actions dans la mesure où elles finissent par former un groupement cohérent, c’est-à-dire une activité permettant une adaptation d’abord particulière, orientée vers un but précis, pour être ensuite généralisée à de nombreuses situations. Si le nouveau se révèle à l’enfant comme une certitude, c’est l’expérience et la vérification qui l’infirme ou la confirme et, dans ce cas, qui en établit les raisons. Mais de la confrontation de ses idées premières avec les événements auxquels la vie le soumet naît le plus souvent le doute. Lorsqu’il surgit, l’enfant est libéré de la croyance et admet l’erreur. En conséquence, si la privation d’expérience favorise la spéculation et engendre la figurativité, le doute entretient la nécessité de la vérification. Ce dernier rapport exprime donc l’importance de l’action dans la construction du savoir tout en soulignant la relativité de ce dernier. En effet, si les moyens mis en œuvre acquièrent un sens en fonction du but à atteindre, le réel ne se donne au sujet qu’en vertu de cette adéquation. En d’autres termes, il n’y a de réalité qui ne soit objet de connaissance d’abord particulier et ensuite universel. Or, si le but se révèle à l’enfant à travers la maîtrise de ses moyens, le réel n’est que l’objet des significations qui en découlent. Il n’y a donc de compréhension du monde que celle que nous forgeons nous-mêmes.

References

Bibliographical reference

Denis Bellano, « Diagnostic et remédiation cognitifs », Canal Psy, 21 | 1995, 8-9.

Electronic reference

Denis Bellano, « Diagnostic et remédiation cognitifs », Canal Psy [Online], 21 | 1995, Online since 27 août 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2537

Author

Denis Bellano

Docteur en psychologie, chargé de cours à l’Université Lumière Lyon 2

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