Lorsqu’une famille consulte pour un enfant au Centre Médico-Psycho-Pédagogique (CMPP) de Givors, c’est à 80 % l’émanation d’une demande de l’école, les 20 % restant se répartissent entre le médecin généraliste et les parents eux-mêmes.
Le CMPP est connu pour ses deux orientations : pédagogique et psychanalytique, tantôt lieu de rattrapage scolaire, tantôt lieu de soins.
C’est un lieu où est déposée une demande d’aide, prenant forme, à travers un symptôme scolaire : « il décroche, ne retient rien, est ailleurs, trop agité, n’écoute pas, on n’entend pas le son de sa voix, etc. ». Difficultés scolaires, donc, à comprendre soit comme une formation de l’inconscient : inhibition, symptôme, phobie sur le registre névrotique, soit problème de lacunes, de ratés de l’apprentissage.
Les premiers entretiens, c’est un choix d’équipe, sont pratiqués par les psychiatres ou les psychologues. Ce type d’écoute, dans la relation transférentielle ouvre aux ratés, aux non-dits, aux problèmes transgénérationnels, aux deuils impossibles, historicisant l’enfant et son symptôme dans la dynamique familiale. C’est un temps d’élaboration pour les parents, travail accompli dans l’inter-temps des entretiens, travail de repérage pour le thérapeute. Repérage des modes de fonctionnement psychique de l’enfant, du type d’angoisse qui l’anime, permettant ainsi d’appréhender des problématiques prépsychotiques, psychotiques ou un milieu familial déstructuré, ce qui nous conduit à proposer un autre établissement type hôpital de jour ou IMP, ces établissements pratiquant une prise en charge plus conséquente tant au niveau de l’enfant que dans l’étayage des familles, ce qu’une aide ambulatoire au CMPP ne peut proposer d’une manière soutenue.
L’échec scolaire relatif est un signe dont l’école s’empare. C’est un signe pour qui ? Comment opère-t-il ? Et s’il était fort utile, en cet instant, pour tel enfant, utile inconsciemment au regard des identifications idéales du sujet. Lorsqu’un échec est accroché sur l’idéal du moi, l’enfant peut du bout des lèvres dire qu’il est bien ennuyé : en tant que sujet, il y tient1.
« Elle est comme moi, j’étais pas bonne en classe », dira une mère. Comprendre le symptôme dans la dynamique de la relation mère-fille, c’est ici, engager un travail qui permette un décollage mère-fille, quelque chose comme s’autoriser à penser, savoir, connaître, activité qui échapperait au contrôle de la mère sans avoir le fantasme que cela « va tuer la mère », l’interdit d’en savoir plus qu’elle.
C’est aussi, le père qui dira : « il fera comme moi, je me suis fait tout seul ! » mais cet enfant-là n’a pas pu faire l’expérience de la permanence maternelle, de la métaphore maternelle2 au sens où l’entend Jacques Hochmann.
Genèse des processus psychiques concernant l’accès au savoir
Dès les premiers mois de la vie, Freud, nous dit l’importance du regard de l’autre : regard maternel qui observe et approuve (au sens winnicottien). Dans un second temps, c’est le corps de l’autre se donnant à voir à l’enfant qui permet le passage de l’autoérotisme à l’érotisme lié au voyeurisme3. Ce que Freud précise lorsqu’il écrit
« les petits enfants une fois que leur attention a été attirée sur les parties génitales, le plus souvent à la suite de la masturbation, continuent dans cette voie sans intervention étrangère et montrent le plus vif intérêt pour les parties génitales de leurs petits camarades, l’occasion de satisfaire cette curiosité ne se présentant que lors de l’accomplissement des fonctions de miction et de défécation, les enfants deviennent des voyeurs, c’est-à-dire des spectateurs assidus de ces actes physiologiques4 ».
La pulsion de « voir ou de regarder » se structure selon trois temps, c’est ce que Freud rappelle dans Pulsions et destins des pulsions5. À l’origine, la pulsion de regarder est auto-érotique, elle a bien un objet dit Freud, mais le trouve dans le corps propre. « Puis dans un second temps la pulsion est conduite par la voie de la comparaison à échanger cet objet avec un objet analogue dans le corps étranger », activité qui est liée à un plaisir de regarder actif. Enfin dans un troisième temps la pulsion se réajuste par un mouvement de retour sur le corps en position passive : le corps se donne comme objet à être regardé par une personne étrangère (plaisir passif de montrer : exhibition…).
Ces trois temps du travail de la pulsion de regarder, se structurent ou s’associent, voir produisent chez le sujet une première activité de théorisation qui sont appelés les théories sexuelles infantiles qui illustrent le passage du voir au savoir. Ces premières théories de l’enfant constituent l’infrastructure de toutes les théorisations ultérieures.
Les chemins théoriques de l’enfant l’amèneront avec plus ou moins de bonheur au moment œdipien. Le moment œdipien pour l’enfant c’est le renoncement à la toute-puissance, c’est accepter d’être marqué de l’incomplétude ce qui se traduit par le fameux complexe de castration. On pourrait résumer ainsi ce temps fait d’angoisse et d’élaboration annexe de défenses plus ou moins rigides et invalidantes : le petit garçon a peur de perdre ce qu’il croit avoir, la petite fille se plaint d’être privée de ce qu’elle croit ne pas avoir. C’est ce rapport au manque structural qui fait toute la fragilité du sujet humain quant au désir et donc au savoir. Le fantasme est le produit de l’Œdipe, sa « trace », une histoire que le sujet construit pour aménager son désir à travers les exigences pulsionnelles, affectives et éducatives.
Du symptôme scolaire… ?
L’échec scolaire, si on le conçoit comme signe d’une organisation psycho-pathologique, c’est s’interroger sur la façon dont cette difficulté spécifique est puisée dans l’économie fantasmatique de l’enfant.
- Le désintérêt scolaire manifesté comme une inhibition (que Freud définit comme la diminution du plaisir à travailler6) ;
- la peur immotivée (de l’école, des autres…) comme une phobie ;
- l’interdit de penser, comme une variante abstraite de l’interdit œdipien : ce que ton père sait, il peut, s’il le juge bon, te l’apprendre, mais tu n’as pas le droit de le découvrir par toi-même ;
- ce serait dévoiler sa nudité – et encore moins le droit d’en savoir plus que lui – tu le tues ou il te tueras – si tu le dépasses là même où il se veut supérieur7.
En guise de conclusion, il est souhaitable dans un organisme comme un CMPP, que les conditions d’une prise en charge puissent être mises en place en faisant un travail d’alliance avec les familles.
L’enfant, l’individu à qui l’on s’adresse, et qui s’adresse à un tiers, un psychologue, à travers son symptôme doit pouvoir passer d’une plainte passive à la rencontre de quelqu’un supposé « savoir », l’aider à savoir, encore faut-il que son échec le gène plus qu’il ne le sert dans son économie libidinale.
En marge de ce travail à deux, confidentiel, il est souhaitable que les parents puissent être accueillis afin de pouvoir supporter ces remaniements, leurs positions transférentielles au regard du thérapeute, et maintenir une continuité dans le cadre et les accompagnements dus à la prise en charge.