Les notions de différence, et de complémentarité, ont servi pendant de longs siècles à justifier l’inégalité sociale entre les hommes et les femmes en s’appuyant sur l’idée de « nature ». Ce type de raisonnement a prévalu jusqu’à la prise en compte, au tournant du xxe siècle, de la « question de la femme », sous l’influence des courants socialiste et marxiste. Marx avance que la femme est le prolétaire de l’homme, posant ainsi les jalons d’une définition des femmes comme groupe social, mode d’approche qui sera plus tard repris en sociologie (cf. Andrée Michel, Les femmes dans la société marchande, Paris, PUF, 1978). Le courant socialiste quant à lui, sous la pression du mouvement féministe du début du siècle, s’intéresse à la question de la femme essentiellement sous l’angle de la pauvreté, de la misère sociale, et dénonce les conditions de vie et de travail qui poussent les femmes à compléter leur budget grâce à ce qu’on appelait pudiquement « le cinquième quart de la journée », c’est-à-dire la prostitution.
La question est alors pleinement sociale, dans sa conception et dans ses enjeux. Freud, en homme de son temps, en est tout à fait conscient, et stigmatise d’ailleurs la double morale sexuelle qui prévaut à Vienne comme dans toute l’Europe, la rendant responsable des troubles nerveux qui affectent plus particulièrement les jeunes filles qu’on lui adresse, surtout à ses débuts (Cf. Célia Bertin, La femme à Vienne au temps de Freud, Le livre de poche, 1989).
La psychanalyse se construit donc à partir d’une expérience acquise auprès des femmes, et si on peut reprocher à Freud d’avoir élaboré une théorie où l’homme reprend tous ses droits, en devenant modèle universel, il ne cesse néanmoins de se souvenir que la question de la femme est aussi sociale, rappelant dans chaque article l’importance des conditions culturelles, et faisant preuve d’une prudence grandissante face à la sexualité féminine qu’il qualifie alors de « continent noir ». Pourtant, à partir de là, la controverse va porter essentiellement sur le monisme phallique, c’est-à-dire l’aspect unilatéral de la théorie freudienne se référant au masculin. Le débat est à son paroxysme dans les années trente, et n’a en fait guère évolué depuis. L’opposition, regroupée autour de Melanie Klein et d’Ernest Jones, avance que la petite fille, avant de fonctionner sur un mode phallique, est née femme, et prend donc en compte les éléments féminins donnés, tel le vagin pour prendre un des exemples les plus conflictuels. « La question de la femme » sous couvert de sexualité féminine, a en tout cas bien failli diviser le mouvement psychanalytique…
La psychologie n’est pas restée à l’écart de ces enjeux : dans les années soixante, la question est prise sous l’angle de la psychologie sociale (cf. Anne-Marie Rocheblave-Spenlé, Les rôles masculins et féminins, PUF, 1964) ou différentielle : tout manuel de Psychologie sociale, dans les années soixante, se devait d’avoir son petit chapitre Psychologie différentielle des sexes. Puis quelques années de vide, pendant lesquelles en sociologie et surtout en histoire, l’évolution est plus profonde. Sous cette double pression, et celle de la psychologie américaine, la question de la différence des sexes commence à faire un timide retour : cf. Marie-Claude Hurtig et Marie-France Pichevin, La différence des sexes, questions de psychologie, Paris, Tierce, 1986, et un chapitre, le dernier (ouf !), « Différences entre sexes », in Serge Moscovici dir., Psychologie sociale des relations à autrui, Nathan, 1994.
Mais la question de la différence des sexes ne peut se passer de l’approche psychanalytique. Également dans les années soixante, la psychanalyse reprend, mais de manière dispersée, le débat sur la sexualité féminine : des colloques se tiennent et des ouvrages sont publiés, dans l’ignorance les uns des autres à cause des scissions qui s’amorcent. Les lacaniens tiennent un colloque international en 1960, publié en 1964 (« La sexualité féminine, » La Psychanalyse 7, PUF), et la même année, Janine Chasseguet-Smirgel publie une reprise détaillée des différentes théories suivie d’une réflexion collective sur les problèmes qu’elles posent, initiative fort contestée au sein même de la Société Psychanalytique de Paris à laquelle elle appartient, comme elle le racontera plus tard.
À partir de cette période, de nombreux ouvrages et articles de tous bords débattent de la question, en observant d’un œil attentif mais prudent la montée des mouvements féministes. Prenant en compte cette dimension sociale, quelques femmes analystes osent des avancées : Ruth Menahem, en 1973, propose le terme de « sexe clinique », défini comme le résultat d’un compromis entre sexe anatomique et sexe d’élevage (cf. Topiques, 11-12). Colette Chiland élabore, à partir de l’anglais, le concept de « fémelléité » : c’est la réalité biologique précédant la féminité, qui quant à elle relève du domaine socioculturel (Revue française de psychanalyse, 4/14, 1979). À la même époque, Luce Irigaray, psychanalyste exclue de l’École Freudienne pour ses critiques des phallocentrismes freudien et lacanien, propose de nouvelles pistes de recherches en s’intéressant au « continent noir du continent noir », la relation mère-fille. Cette question semble être toujours aussi difficile à traiter de front dans le mouvement psychanalytique, mais court en filigrane dans la plupart des ouvrages les plus récents.