Selon l’expression consacrée, Jean-Claude Sagne a fait toute sa carrière à l’Université Lyon 2, où il est entré comme assistant en 1970, avant d’être nommé maître-assistant en 1977 et professeur en 1983. Pour ma part, je l’ai rencontré deux années auparavant à Économie et humanisme où, tout en étant assistant de psychologie sociale à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Lyon, j’assumais la direction de la revue du même nom. C’est là, dans l’ancien bureau du père fondateur, Louis-Joseph Lebret, qu’il me fit part de son intention de candidater sur un poste de psychologie, peu après que l’Université ait connu sa plus grave crise et la société française la période d’ébriété la plus concentrée de son histoire. Je parle bien sûr de mai 68, dont on n’a toujours pas fini d’épuiser le sens.
Mon collègue-conscrit a décidé de partir à la retraite l’année de ses 60 ans, aussi ne verrons-nous plus sa silhouette à la couleur de bure, ne serrerons-nous la main à la fois retenue et cordiale, n’entendrons-nous la voix douce et paisible, du moins nous restera-t-il aux uns et aux autres la présence blanche de l’absent.
Car Jean-Claude Sagne fait partie de ces êtres qui réussissent à habiter les endroits les plus inhabitables, fussent-ils de verre, de ferraille et de carton-pâte. Attendons-nous alors à ce qu’à l’occasion, il nous fasse un signe furtif au détour d’un couloir ou à l’entrée d’un amphi. C’est bien en pensant à lui que, dans l’ouvrage collectif Psychologie sociale du changement, vers de nouveaux espaces symboliques, auquel il a participé, je rappelais la phrase d’Héraclite, que je cite ici de mémoire : « Le maître ne dévoile ni ne cèle : il fait signe ».
J’aimerais évoquer l’ami, le collègue, l’administrateur, le pédagogue, je me contenterai d’écrire quelques lignes sur le chercheur. Sans tapage ni ramage, Jean-Claude Sagne a réussi à nous sensibiliser à ce qu’il y a de plus important dans le changement social et personnel, de moins fugace et illusoire, ce qui a trait aux signes et aux symboles. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les titres de ses publications ou de prendre connaissance de son cours polycopié La loi du don. Les figures de l’alliance, avec l’explicitation du lien d’amour à la relation d’alliance.
Nous savons, nous, les enseignants-chercheurs, combien il est difficile d’être les deux à la fois, puisqu’il nous faut, pour ainsi dire dans le même temps, vivre la tension intérieure et l’inévitable course solitaire de la recherche tout en assumant le risque de la parole partagée. Or, c’est peut-être ici que l’apport de Jean-Claude Sagne se révèle le plus précieux. En observant et analysant les choses les plus humbles – j’allais dire improprement les plus naturelles – de la vie quotidienne, par exemple les manières de table lors du partage de la nourriture et de la parole, Jean-Claude Sagne parvient à nous faire accéder au champ qui mérite éminemment nos efforts de chercheur et de pédagogue, celui de l’espace symbolique, spiritualité comprise.
Michel Cornaton
René Kaës a décidé de se mettre en retrait de la vie universitaire. Il veut se donner du temps pour penser à loisir, pour écrire encore. Sa carrière à l’université commence à Strasbourg en 1963. Jeune assistant, féru de philosophie, il s’interroge sur un sujet qui va prendre un intérêt croissant à la fin des années 60 : l’accès à la culture de la classe ouvrière. Il poursuit sa recherche avec Serge Moscovici à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales. Mais un événement occupe pour lui une place décisive : la rencontre avec Didier Anzieu qui est aussi, en même temps, la rencontre avec la psychanalyse. Il continue à travailler sur les groupes, mais à présent du point de vue de l’intériorité et de l’inconscient. La recherche et la formation se développent au sein du CEFRAPP (Cercle d’Études Françaises pour la Formation et la Recherche Active en Psychologie) où il joue un rôle décisionnel et au sein de l’édition où il crée avec Didier Anzieu la collection Inconscient et culture chez Dunod.
René Kaës poursuit son cursus à Aix-en-Provence et il devient professeur en 1976. Puis c’est la venue à Lyon en 1981 pour prendre la responsabilité du DESS de psychologie clinique.
À tous les postes qu’il a assurés, depuis 15 ans, il a laissé sa marque, il a laissé son style : une certaine manière d’aborder le travail en équipe, une certaine manière de concevoir et de susciter le dialogue. Les liens intersubjectifs ne sont pas simplement pour lui un thème de recherche, ils sont aussi une méthode et une éthique. En fondant le Centre de Recherches en Psychologie et Psychopathologie Cliniques (CRPPC), il a su créer un lieu d’échanges féconds et approfondis entre chercheurs, jeunes et moins jeunes, débutants et confirmés, un lieu où la coopération scientifique est aussi convivialité. Il m’en laisse aujourd’hui la charge et mon vœu le plus cher est d’en assurer la continuité.
Pour témoigner du sens de l’accueil et de l’écoute de l’autre, dont il sait toujours faire preuve, je voudrais évoquer un souvenir. Lorsque je venais de terminer ma thèse en 1980, il m’a invité à participer à son groupe de recherche à Aix. J’étais évidemment très impressionné de présenter mes travaux à ce séminaire, mais très vite le contact est passé, grâce à l’ambiance, la dynamique et la créativité qui y régnaient. Il ne fallait pas s’étonner, dès lors, que la soirée se terminât à l’enseigne du roi René…
Les qualités de chercheur de René Kaës dans le champ de la psychanalyse sont connues. Il ne serait pas nécessaire de les rappeler, sauf peut-être pour dire ceci : elles ont atteint aujourd’hui une ampleur internationale, tant en Europe que sur le continent américain. Par exemple, au congrès de Buenos Aires sur les groupes, l’année dernière, sa présence et ses prestations ont été aussi remarquables que remarquées de tous. Je ne peux que lui souhaiter, pour conclure, de continuer ses travaux, de continuer à les diffuser et de continuer à nous insuffler, de la place qu’il occupe à présent « hors les murs », son esprit de rigueur et son goût du risque.
Bernard Chouvier