Canal Psy : Quels chemins avez-vous empruntés avant d’écrire ce livre ?
Laure Razon : J’ai commencé à m’interroger sur la question de l’inceste en maîtrise, dans le cadre de mes études de psychologie à l’Université Lumière Lyon 2. Cette question émaillait déjà l’actualité mais c’est lors d’une conférence où Eva Thomas présenta son livre autobiographique, que je fus saisie par cette énigme. Saisie dans le sens où il ne s’agissait pas de fantasme mais de la réalité d’un inceste. De plus, je me suis aperçue qu’il existait un champ d’investigation important à explorer. J’ai poursuivi mes recherches en thèse en donnant un double axe de réflexion à mon travail : à la fois clinique et social.
Canal Psy : Comment êtes-vous venue à l’écriture puis à la publication de cet ouvrage ?
L. Razon : Une fois la thèse terminée, il m’a semblé important de faire vivre encore ce travail. J’ai donc décidé d’envoyer un manuscrit remanié auprès de maisons d’édition. Un mois après, je reçois un coup de téléphone de Maud Mannoni, me disant être vivement intéressée par mon manuscrit. Dans un premier temps, j’ai douté : « Elle se trompe de personne ou de manuscrit, il ne s’agit sûrement pas de moi ! » C’était bien elle, c’était bien moi et mon travail… Ce fut le début d’une nouvelle et belle aventure, je dirai presque d’un conte de fées tant cela s’est bien passé. J’ai rencontré des personnes compétentes et chaleureuses qui apportent par leur notoriété une reconnaissance inestimable (à mes yeux) de ma pensée scientifique. Publier son premier livre au sein de cette collection est tout simplement un heureux événement inoubliable.
Canal Psy : Quelle serait l’originalité que vous proposez dans cet ouvrage ?
L. Razon : L’originalité vient tout d’abord du cadre de travail. Il ne s’est pas fait sur la base d’entretiens cliniques types. J’ai travaillé sur des dossiers jugés auprès des tribunaux. Dans ce cadre, j’ai analysé les discours des différents personnages de la famille incestueuse. Cela m’a permis de comprendre à la fois l’aménagement familial et individuel. À un niveau théorique, je suis partie de la question de la loi, de la loi psychique et de sa transgression. Ceci pour découvrir qu’au sein de la famille incestueuse, ça fonctionne dans un en deçà de la loi, un en deçà de la triangulation œdipienne. Ce qui aurait empêché cette intériorisation de la loi, c’est sa fonction séparatrice, alors que l’on s’aperçoit que chacun des protagonistes lutte contre tout ce qui sépare. En effet, la séparation a été vécue trop précocement et trop violemment dans la relation archaïque avec la mère ; Ainsi, tout ce qui sépare est source d’angoisse de mort. On constate cette nécessité à vivre dans une relation plutôt fusionnelle ou duelle dans le sens où le tiers existe mais dans l’exclusion. En définitive, l’aménagement incestueux est marqué par une quête maternelle que l’on retrouve auprès des victimes et des abuseurs. L’inceste se joue dans l’illusion d’une compensation par rapport aux carences originaires.
Canal Psy : Et comment vivez-vous les premiers temps de la sortie du livre ?
L. Razon : Avant la sortie, c’est une réelle attente. L’imminence de l’arrivée du livre est un moment paradoxal à la fois d’agitation et de sérénité. Enfin, « il est arrivé, il est très beau », me téléphona Maud Mannoni. La sortie d’un livre, c’est la poursuite d’une aventure où quelque chose de vous vous échappe à jamais. Il y a beaucoup de retombées : présentations et signatures dans des librairies, interviews, articles dans la presse. Il y a aussi les courriers d’enseignants, de psychanalystes ou autres praticiens qui trouvent un réel intérêt à ma recherche et cela me touche d’autant plus lorsqu’ils disent que cela fait écho à leur expérience professionnelle. Je fus particulièrement sensible aux félicitations de Paul-Claude Racamier en mai dernier. « Nos chemins se croisent » me disait-il… La sortie de mon livre est un véritable moment de rencontre et d’échange. C’est très stimulant.
Canal Psy : Ça vous donne envie d’en faire un autre ?
L. Razon : Oui, ça donne envie de continuer. D’abord la recherche m’intéresse énormément. Je pense que j’ai encore beaucoup de choses à découvrir et à dire. Actuellement, c’est plutôt à l’état embryonnaire.
Canal Psy : On en reparlera dans Canal Psy ?
L. Razon : Oui, dans quelques années…