Le festival du film scientifique et la fête du livre « Corps et âme » ont bien illustré la dualité entre le cerveau et l’esprit. Pour des raisons théologiques et techniques, R. Descartes a séparé ces deux concepts et notre langage recèle hélas ce clivage. Divers artifices tentent de le refouler par l’usage de subterfuges : l’esprit-cerveau, la psychosomatique ou la psychobiologie ; mais une double dénégation vaut une affirmation ! La psychobiologie joue le rôle de « biface » entre deux mondes, sciences de la nature et sciences de l’homme. Cette « interface » pourrait s’appeler « synapse », mais tout autant « barrière de contact ». Chaque métaphore revient à choisir son camp et expose à d’acerbes critiques ! Beaucoup d’auteurs ont tenté la synthèse, mais le développement des approches n’étant pas en phase, l’analyse est possible mais la synthèse chimérique. Les biologistes passionnés par l’étude de l’esprit, comme S. Freud ou J. Piaget, sont mieux connus que les psychologues enthousiasmés par le fonctionnement du cerveau, comme D. Hebb, V. Bloch, ou à Lyon, F. Vital-Durand, C. Rouby ou J. Decéty…
Comment envisager cette « cohabitation » ? Voici quelques jalons de lectures pour les trois révolutions de la psychiatrie. La première est celle de la psychanalyse, le sujet sait ce que le médecin ignore. La seconde est celle de la psychopharmacologie, une substance chimique peut suspendre un trouble mental, et progressivement, s’impose l’idée que cette substance chimique entretient un lien singulier avec un neuromédiateur, et donc implique le fonctionnement d’une population de neurones. Une nouvelle révolution émerge actuellement, mais le nom emblématique reste à trouver. Le concept de modularité de l’esprit de J. Fodor, est très fécond. Le concept de module permet d’affronter la question des facultés, en appliquant la méthode scientifique de l’analyse, puis de la synthèse. Il est alors possible de tenter de maîtriser les facteurs qui interviennent, d’avancer des hypothèses, de les vérifier ou les rejeter, par l’expérimentation. Les résultats doivent être reproductibles pour être acceptés. Le découpage de l’esprit en modules et sous-modules accompagne les méthodes de la neuropsychologie et de la psychologie cognitive : les avancées théoriques sont sous-tendues par l’essor des techniques de la biologie moléculaire et de l’imagerie cérébrale. Leur action conjointe permet de « voir dans le cerveau », en temps réel ! Toutes les conjectures peuvent ainsi être soumises à la critique et éprouvées. L’anatomie donne une image statique du cerveau. L’imagerie actuelle donne accès à une image dynamique, mais avec possibilité d’hybridation avec des images virtuelles !... Voici le retour de l’impossible séparation du vrai et du faux, d’où les problèmes éthiques soulevés par ces nouveaux savoirs et de nouveaux pouvoirs. Les psychologues doivent donner leur avis sur la connaissance du cerveau et sa maîtrise. Jusque-là, nous avions accès aux comportements du sujet, ses actes et sa parole, maintenant, nous pouvons « voir » l’activité du cerveau du sujet qui pense, qui agit et qui parle. « Voir dans le cerveau » revient à décrire les mécanismes mis en jeu dans le cerveau. L’expansion du voyeurisme scientifique ne réduit pas le point aveugle et malgré leur puissance, ces méthodes abordent toujours la question du comment et non du pourquoi. Elles butent sur le contenu de la pensée et la question du sens…
Le cerveau humain est l’objet le plus complexe de l’univers, résultat d’un processus vieux de trois millions d’années, nécessaire à l’évolution des animaux. Le développement du système nerveux permet la connaissance du milieu extérieur par la sensorialité et son emprise par la motricité. Les associations dans le système nerveux deviennent prépondérantes, d’où la mémoire et l’apprentissage chez les invertébrés. Les comportements plus élaborés permettent aux animaux de s’adapter à l’environnement, d’où l’approche biologique de J. Piaget sur l’adaptation et l’extrapolation à l’intelligence humaine. C’est le premier auteur à traduire Freud ! L’expansion des mémoires et des comportements adaptatifs s’accompagnent de l’élaboration de systèmes de communication très puissants chez les insectes sociaux et surtout chez les vertébrés supérieurs (oiseaux et mammifères). Les mammifères développent des langages très efficaces. Gallup montre que le chimpanzé est le seul primate à se reconnaître dans le miroir. Ces animaux peuvent apprendre le langage des signes. Ils accèdent donc à un registre symbolique rudimentaire. Ils peuvent se représenter eux-mêmes, et accéder à des rudiments d’un langage humain. Les fondements de notre inconscient trouvent-ils leur source dans le fonctionnement langagier de notre cerveau. Les méthodes modernes pourront-elles éclaircir ce mystère ?
Si le rêve est bien la voie royale d’accès à l’inconscient, il faut rappeler que trois états sont bien établis : éveil, sommeil lent et sommeil paradoxal. La corrélation est telle, qu’il est possible d’assimiler le sommeil paradoxal au rêve. Le sommeil paradoxal apparaît chez les oiseaux et mammifères, dont nous héritons. La thermorégulation va de pair avec le rêve. La stabilité de l’état cérébral interne autorise la permanence des traces mnésiques, d’où l’investissement du rêve, en suivant M. Jouvet dans l’hypothèse de reprogrammation génétique. Le sommeil paradoxal permettrait de faciliter la construction du cerveau dans l’ontogenèse et aussi de traiter d’une autre façon les informations recueillies au cours de l’éveil. Le rêve intervient sur la mémoire et peut-être bien, sur la créativité. Les animaux les plus « rêveurs », ont les comportements les plus complexes (prédateurs versus herbivores) mais ont également, les comportements de jeu les plus élaborés et une longue période de développement. Le jeu prend le relais du rêve chez l’animal. Comment faire le lien avec la réalisation du désir ?
La pharmacologie des états émotionnels amène des perspectives encore plus extraordinaires, avec la possibilité de nommer les messagers chimiques responsables de la différenciation sexuelle, du plaisir, du déplaisir, de la douleur, de l’angoisse, des convulsions, de l’angoisse, de la dépression, de la mémoire, etc. Toute la psychiatrie et partant, presque tous les troubles mentaux peuvent être rapprochés du fonctionnement intime des neurones ; même lorsque l’esprit s’éclipse, comme dans les démences, les causes se dessinent. Et pourtant, les psychothérapies sont efficaces, il s’agit donc d’un effet de langage, donc d’un effet sur les aires du langage avec tous les remaniements neuronaux que cela implique.
Du fait des enjeux théoriques et probablement économiques, le sujet est explosif. Comment se guider ? La méthode la plus simple, est de lire régulièrement les revues de vulgarisation en français qui paraissent tous les mois et qui sont d’une qualité exceptionnelle :
La Recherche, depuis 1970, a forgé le concept en demandant aux scientifiques de rédiger des articles accessibles à tous – ce qui est difficile. L’équipe rédactionnelle retouche cet article sur la forme, propose des illustrations adaptées à ce même public, tous en gardant le même format éditorial. Cet article remanié est alors soumis à l’auteur qui le modifie à nouveau, ce qui entraîne de nouvelles modifications et remaniement. Le résultat est que l’article est rigoureux mais lisible par tous les non spécialistes. Pour notre sujet, il faut se référer à divers numéros spéciaux, en particulier sur « Les hallucinogènes » no 3, sur la mémoire no 267, « Les médicaments de l’esprit » no 280, « Biologistes de la conscience » no 287 ou très récemment le no 289 de juillet-août 1996 « Voir dans le cerveau ». Indispensables.
Pour la science, depuis 1985, a repris cette même formule puisque c’est la traduction de Scientific American. Signalons « Le cerveau et la pensée » no 181. Belin édite la revue mensuelle et très souvent paraissent des numéros spéciaux qui font le point sur une question scientifique. Belin édite aussi une multitude d’ouvrages qui bien souvent reprennent les articles de la revue. Il faut toujours commencer une bibliographie par ces deux revues. Signalons surtout la merveille signée Salomon Snyder, « Les drogues et le cerveau ». Également, les dossiers de Pour la science dont « Les maladies émergentes » d’octobre 1995.
Science & Vie publie très souvent d’excellents numéros hors-série, rédigés par des spécialistes qui deviennent célèbres après ! Lire : « Le sommeil et les rêves » no 142, « Le sommeil » no 185, « Les émotions » no 168, « Le cerveau et l’intelligence » no 177, « À quoi sert le cerveau » no 195, ou « Le cerveau et la mémoire ». Ces articles bien écrits et très bien documentés sur l’actualité, sont pourtant horripilants car ils ne citent jamais leurs sources, ce qui est contraire à la déontologie du chercheur !
Sciences et Avenir édite aussi parfois de bons dossiers, comme le no 97 « Esprit-Cerveau ».
Pour les livres, la liste est immense et je ne peux donner que les ouvrages marquant pour moi – mes chouchous – et surtout les ouvrages récents, plus difficiles à trouver en bibliothèque. Une attention particulière pour Odile Jacob, fille de François – Prix Nobel de physiologie et de médecine en 1965 – qui a fondé une maison d’édition ébouriffante et qui permet au lecteur de découvrir la richesse de la recherche, directement en langue française, sans le truchement de la langue anglaise ou les délais de 10 ans pour la traduction. C’est le pendant de La Recherche et de Pour la science dans l’édition du livre. Vous ne pouvez pas vous tromper, la griffe Odile Jacob signale une valeur sûre ! Mais à contrario, je ne citerais pas l’ouvrage de Sir Eccles, Prix Nobel, ni celui d’Allan Hobson, personnes charmantes mais dont je ne cautionne pas la position, sinon d’en faire une critique saignante !