De l’écoute clinique du discours du sujet hospitalisé en entretien psychologique à l’écoute du cadre hospitalier psychiatrique

DOI : 10.35562/canalpsy.2835

p. 10-12

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Au cours d’un entretien psychologique réalisé dans le cadre d’une hospitalisation psychiatrique complète, il est fréquent d’observer le lien direct entre une partie du matériel clinique apporté par le patient et le contexte institutionnel dans lequel se trouvent les deux partenaires en présence. Des représentations plus ou moins élaborées qui concernent la situation d’hospitalisation elle-même, comme cadre et comme dispositif, constituent alors toute une part parfois prédominante du matériel de l’entretien individuel et du suivi psychologique assuré à travers ce dispositif, en appui sur l’équipe institutionnelle pluridisciplinaire. Cette observation clinique suscite d’un point de vue méthodologique des questions pratiques. Chercher à mettre du sens sur ce problème nous donne l’occasion de réfléchir aux effets induits par les singularités du cadre de soin hospitalier sur l’inconscient du sujet hospitalisé, et donc sur une catégorie d’associations qui survient en entretien, adressée au clinicien. Que faire alors de ce biais associatif causé par la situation d’hospitalisation elle-même, comment le comprendre pour être en mesure d’en entendre les enjeux psychiques latents ? Cette réflexion sur le sens de ce matériel associatif spécifique vise à en tirer des conclusions en ce qui concerne l’approche du dispositif d’entretien clinique dans le cadre hospitalier. Certaines conjonctures psychiques nous rappellent ainsi tout particulièrement l’importance d’une prise en compte du contexte institutionnel où se produit la rencontre clinique, et le poids des interférences entre les espaces juxtaposés sur la scène du soin. Ainsi sommes-nous amenés à reconsidérer de manière générale l’importance pour la pratique du psychologue clinicien en institution de la prise en compte du cadre dans lequel se déroulent les relations cliniques.

Il n’est pas donné à tout le monde de jouer librement avec son hospitalisation…

Il arrive parfois que le cadre de l’hospitalisation reste muet ou presque, tout au long du suivi psychologique d’un patient. Dans ces cas, l’hospitalisation semble pouvoir assurer une fonction de support silencieux, en créant le fond et les contours d’une rencontre clinique. Cette fonction, lorsqu’elle est opérante, garantit le déploiement d’un processus introspectif, en permettant d’aborder des thèmes qui dépassent les limites spatio-temporelles que figure réellement et symboliquement le cadre hospitalier. Ainsi, le patient hospitalisé se trouve en mesure d’utiliser avec créativité ce cadre institutionnel de soin, les professionnels qui l’animent et les sous dispositifs mis à sa disposition au cours de son traitement, dont le dispositif d’entretien fait partie. Parmi les signes cliniques repérables de cette capacité d’utilisation du cadre institutionnel, il y a la possibilité de le critiquer objectivement, et donc de pouvoir s’en séparer surtout. D’ailleurs, ces types d’hospitalisations sont de courte durée, puisque la sortie à l’extérieur n’est pas en soi un problème. Le lien qui se développe à l’égard de l’institution ne met pas en jeu l’autonomie réelle et imaginaire, une souplesse étant conservée tout au long du contrat de soin. Le cadre de l’hospitalisation relèverait ici d’une transition dans le parcours du sujet, que le psychologue va éventuellement venir soutenir, accompagner, en proposant un espace de mise en sens de l’expérience traumatique qui a précédé la demande d’hospitalisation. Ici encore, les représentations relatives au cadre de l’hospitalisation démontrent une organisation psychique de base assez élaborée pour considérer la situation comme une parenthèse, une pause, une prise de recul. Autrement dit, l’assimiler à une régression, bénigne, est acceptable du point de vue des représentations du séjour et de son déroulement. La situation de crise et les perturbations psychiques qu’elle a engendrées au point de conduire à l’hospitalisation psychiatrique, n’entravent pas pour autant la capacité du sujet de « jouer avec son séjour », en appui sur les fonctions assurées par le cadre de soin et ses acteurs. On peut alors noter que le qualificatif « libre » s’applique bien à ce type d’hospitalisations. Plusieurs institutions de soin psychiatriques hospitalières modernes semblent d’ailleurs avoir organisé leur fonctionnement pour satisfaire ce profil de patient.

Lorsque les vécus relatifs au cadre de l’hospitalisation demandent à être entendus sous l’angle d’un processus transférentiel

De façon bien plus récurrente dans ces mêmes institutions de soin, les représentations relatives à l’hospitalisation que les patients communiquent véhiculent des vécus bien plus chargés affectivement. Ils sont adressés aux différents interlocuteurs de la scène du soin selon diverses modalités, souvent dans le registre de l’agir. Certains de ces vécus portent en l’occurrence sur le cadre hospitalier lui-même, sur l’institution comme cadre et lieu de vie. Composés d’affects et de sensations primaires, ils semblent être produits par l’expérience singulière de la prise en charge hospitalière et ce qu’elle réactualise d’expériences précoces survenues dans la construction psychique des sujets. Ils sont en effet le résultat d’une partie des mouvements transférentiels qui se déploient de manière diffractée sur la scène institutionnelle et groupale du soin dont les caractéristiques forment un attracteur transférentiel pour le retour en acte d’expériences relevant du développement primaire et originaire du sujet. J’ai consacré une partie d’un travail de M2 Recherche au développement de ces caractéristiques du cadre hospitalier, en tant qu’il est un cadre de vie et cadre de soin, afin de parcourir la nature de ses effets sur l’appareil psychique du sujet hospitalisé, au moment de son instauration, et en fonction de la place qu’il occupe sur les plans réels, imaginaires et symboliques. En appui sur divers travaux portant sur l’institution, l’environnement, et la relation précoce, ce développement visait à démontrer pourquoi tout discours portant sur le cadre hospitalier devrait rencontrer une écoute clinique qui porterait, elle, sur les caractéristiques de l’environnement maternel primaire et les traces laissées par la rencontre du sujet en devenir avec celui-ci.

En effet, ces vécus transférentiels relatifs à la situation de rencontre entre le sujet et le cadre de l’hospitalisation sont massifs et occupent très vite les premiers plans des associations du patient et de la relation clinique, lorsqu’elle se met en place. En outre, ils ont une action directe sur le déroulement de l’hospitalisation et le traitement des troubles. Parfois, ils signifient combien la position d’être hospitalisé rencontre une réelle difficulté d’appropriation, en plaçant le sujet dans une situation vécue sur un mode passif, voire de soumission, signant alors les limites de la notion d’hospitalisation consentie. En effet dans ces cas, tout se passe comme si la situation actuelle d’hospitalisation contenait la potentialité traumatique de répéter une autre situation historique ancienne. Restées fixées dans le développement, des expériences précoces trouveraient à se réactualiser, sous la double action de la compulsion de répétition et de l’occasion transférentielle que constitue « l’ici et maintenant » de l’hospitalisation. Ainsi se rejouerait sur le cadre hospitalier une forme de transfert que R. Roussillon a proposé en 1977 :

« Si l’institution-cadre occupe, par rapport aux individus de l’institution, une fonction de système pare-excitation analogue à la mère-environnement que décrit Winnicott, alors les failles vécues historiquement au niveau de la mère-environnement peuvent venir se rejouer autour de l’institution-cadre, réalisant ce que nous proposons d’appeler un “transfert sur le cadre” ».

L’expérience de l’hospitalisation de Mme C. viendra illustrer ces propos.

Mme C. ou « La clinique me porte » : une hospitalisation interminable

La rencontre clinique avec Mme C. se produit alors que l’autonomie de son moi, la maîtrise probable des investissements objectaux, et l’indépendance matérielle, ne suffisent plus à contre-investir d’importantes angoisses de séparation, voire d’anéantissement, réactualisées par une certaine conjoncture de sa vie psychique. Une forme d’écroulement a donné lieu à ce séjour en clinique psychiatrique qui semble ne pas pouvoir s’arrêter. Il participe du retrait du monde dont Mme C. se plaint, me relatant des événements, dans lesquels elle se décrit comme paralysée, bloquée, coincée. Aussi, il y a à l’égard de l’institution imaginaire qui la prend en charge des sentiments plus qu’ambivalents, car incompatibles, selon un paradoxe où l’absence n’est pas supportable, mais la présence non plus. Parmi les besoins exprimés par Mme C., il y a celui d’une permanence de la présence que l’hospitalisation complète permet. Ainsi, dans le présent de l’hospitalisation, tout se passe comme si des angoisses primitives phobiques se développaient à l’égard du dehors, du monde extérieur, qui devient hostile et associé à la dégradation de l’état psychique. Du coup, l’intérieur de l’institution de soin et de vie est devenu un lieu d’agrippement, selon une forme d’attachement primaire, dans une topique externe où il occupe la fonction de refuge, grâce à toutes ses fonctions contenantes, d’étayage, d’enveloppe, de support, de nourrissage aussi peut être. En même temps, une fantasmatique se développe véhiculant en entretien des représentations où la patiente resterait coincée dans cet espace-temps de l’hospitalisation, comme s’il était possible qu’elle puisse ne plus en sortir. Ainsi se réactualise un lien primaire qui met en jeu des mouvements d’emprise, et des angoisses claustrophobiques.

 

 

Julien Wolga

De manière concomitante à celle du dedans/dehors, la question de la temporalité de l’hospitalisation est aussi récurrente en entretiens cliniques, où Mme C. me parle des diverses modalités de sorties, du temps passé au-dehors, de ceux qui sortent, de ceux qui reviennent. La temporalité associée au séjour est vécue et communiquée comme potentiellement interminable, s’éternisant. La représentation de l’impasse, de la butée circule, véhiculant des contenus angoissants relatifs à des déclinaisons de l’angoisse de mort : paralysie, agonie, anéantissement. Aussi, la sortie de l’institution, est toujours remise sur le tapis par une partie de Mme C., qui apparaît comme l’expression d’un surmoi qui ne tolère pas la situation. En même temps, la pensée de la sortie est insupportable pour toute une partie infantile que la séparation renvoie à l’impuissance, la détresse, la solitude et globalement à la passivité. De manière conflictuelle, la présence de et dans l’institution, est tout autant insupportable, en ce qu’elle rappelle, en acte, le problème de la dépendance. Ainsi, un débat a lieu sur la scène de l’hospitalisation, et face à moi en entretien, entre des pôles de la personnalité de Mme C., autour d’une autorisation interne à se laisser régresser vers une situation de maternage avec une aspiration symbiotique, qui serait à la fois désirée, et à la fois impensable.

Ces thèmes de l’espace et du temps relatifs au cadre institutionnel sont prégnants en entretien clinique. Plutôt que de les considérer comme factuels et dépourvus de sens, je vais me mettre à les écouter sous l’angle du transfert, et des parties projetées de soi et de l’objet. J’adopterai à cette fin cette hypothèse méthodologique d’écoute citée plus haut, afin d’y entendre les enjeux psychiques sous-jacents. Ceux-ci relèvent de la dépendance à l’objet primaire, et des modalités de présence de cet objet telles qu’elles se réactualisent, dans la vie de Mme C., et spécifiquement pendant cette hospitalisation. Le développement affectif primaire entre massivement en jeu, au premier plan. Ainsi, ce qui se joue dans le rapport à l’institution imaginaire et réelle sollicite la question du maintien, du holding, que Mme C. exprime en fin de suivi : « La clinique me porte ».

Le suivi en entretien clinique, en appui sur le travail en équipe, va permettre que soient progressivement transférées sur ma personne ces modalités du lien à l’objet primaire, selon un processus d’identification projective qui est le principal mode de communication de Mme C. dans l’institution. Les temps de reprise transformatrice que constituent les réunions, avec le référent médical et des membres de l’équipe soignante, me donnent l’occasion de décoder ce phénomène « d’accrochage » de la patiente au cadre et ses représentants en termes d’attachement et d’angoisse de séparation. Ces temps formels et réguliers constituent un pôle décisif quant à l’évolution de la prise en charge, dans la mesure où les membres de l’équipe peuvent laisser circuler les affects pénibles associés à ces formes du transfert qui se manifestent dans le lien à l’institution. Ils permettent que soit rendue supportable la durée de séjour de la patiente, et de replacer, dans sa réalité psychique, la représentation fantasmatique d’une hospitalisation qui ne se termine plus. Sans ces espaces institutionnels, bien souvent, des sentiments d’inutilité et d’impuissance conduisent à des réponses en acte des professionnels. Elles interviennent sous l’effet d’une identification en miroir à la problématique intersubjective engagée, et peuvent conduire à des impasses thérapeutiques comme l’arrêt prématuré de l’hospitalisation, répétant les conditions de la survenue de l’état traumatique. Dans le cas de Mme C., les équipements institutionnels articulant les différents sous dispositifs du cadre de l’hospitalisation ont une fonction thérapeutique déterminante, qui conditionne le travail mené au sein de la relation clinique et réciproquement.

En conclusion : réflexions pratiques sur les enjeux d’une prise en compte du contexte institutionnel pour le travail de psychologue clinicien

L’ensemble de cette réflexion, ici résumée, constitue une base à un projet de doctorat sur l’hospitalisation psychiatrique, à partir d’une pratique de psychologue clinicienne en équipe pluridisciplinaire auprès de sujets hospitalisés. Cependant, la finalité de ce propos est de mettre l’accent sur le fait qu’une réflexion théorisante sur le cadre institutionnel d’une pratique clinique ne relève pas tant d’une posture de chercheur que d’une posture praticienne. En effet, si les types de situations cliniques citées ici ramènent la question du contexte global au sein du dispositif d’entretien clinique, ce dernier se trouve toujours traversé, bien qu’à des degrés variables, par le cadre institutionnel et ses influences sur la dynamique interne de la relation clinique. Il pénètre l’espace clos du bureau, lieu de l’intime, selon diverses modalités, fonctions du rapport que le sujet entretient avec ce cadre. Ainsi, comme le propose J. Rouchy (1990, p. 19) :

« Il existe un rapport dialectique entre le cadre institutionnel et la pratique, c’est-à-dire qu’il existe une influence réciproque et non une simple contrainte subie. Si la pratique est surdéterminée par le cadre, elle détermine aussi en retour le développement de ces structures par le type d’organisation qu’elle requiert, et par les références théoriques du discours qu’elle développe. »

Dans sa pratique en institution il repère, dans son écoute clinique même, que les surdéterminations du cadre et la marque de l’appartenance institutionnelle n’ont pas des effets seulement sur le dispositif du praticien et sur son contre-transfert, mais encore sur le processus associatif et sur la fonction et la place du clinicien dans l’appareil psychique des sujets rencontrés.

Si des territoires co-existent dans le milieu hospitalier, découpés selon des fonctions, des rôles, structurant l’espace et le temps, cette découpe trouve sa limite dans l’individualisme d’une pratique qui fonctionnerait dans l’illusion de frontières nettes. Or, il s’agit plutôt de penser que les sous dispositifs de l’hospitalisation comme cadre global interagissent, et que la fonction soignante de l’institution tout entière repose sur le postulat d’un travail pluridisciplinaire en équipe, dans laquelle s’inscrit le psychologue clinicien et ses dispositifs.

Bibliography

Griot A., sous la direction de Grange-Ségéral É., « L’incasable M. B. ou l’hospitalisation comme un vaste psychodrame, note de recherche de M1 Psychologie clinique, Lyon, CRPPC, 2006.

Griot A., sous la direction de Morhain, Y., L’hospitalisation psychiatrique : cadre, processus et transfert, mémoire de recherche de M2 de Psychopathologie et psychologie clinique, Lyon, CRPPC, 2007.

Rouchy J.-C., « Importance de la prise en compte du contexte institutionnel », in Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, Ramonville-St-Agne, Érés, 1990, no 15, pp. 11-22.

Roussillon R., « Contribution à l’approche psychanalytique de l’institution : l’institution environnement », in Bulletin de psychologie du CRPPC, 2, Lyon. 1977, pp. 3-33.

Illustrations

References

Bibliographical reference

Amandine Griot, « De l’écoute clinique du discours du sujet hospitalisé en entretien psychologique à l’écoute du cadre hospitalier psychiatrique », Canal Psy, 82 | 2008, 10-12.

Electronic reference

Amandine Griot, « De l’écoute clinique du discours du sujet hospitalisé en entretien psychologique à l’écoute du cadre hospitalier psychiatrique », Canal Psy [Online], 82 | 2008, Online since 21 avril 2021, connection on 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=2835

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Amandine Griot

Psychologue clinicienne, titulaire d’un M2 Recherche en psychologie clinique et psychopathologie, CRPPC Lyon 2

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