Comment bricole-t-on à partir du langage sensori-moteur d'enfants ou de jeunes adolescents rencontrés pour des soins psychiques dans des lieux de contrainte : la prison, une unité d'hospitalisation psychiatrique à temps plein ?
Dans ces lieux d'enfermement, le bricolage au sein du cadre thérapeutique semble une nécessité vitale pour le thérapeute et les enfants ou adolescents. Les aspects mortifères de l'institution ainsi que le fonctionnement psychique de ces enfants, leur recours à des agirs violents, inhibent le travail de symbolisation secondarisé, passant par la représentation de mots. La violence est acte sans parole. Aussi le bricolage dans le cadre de séances de psychothérapie se présente comme une co-créativité d'un espace de symbolisation entre l'enfant et le psychologue prenant en compte l'associativité sensori-motrice.
Nous nous proposons d'aborder ici la particularité des agirs sensori-moteurs lorsqu'ils se manifestent sous forme de suspension temporelle pendant une séance, lorsqu'ils relèvent d'une activité exploratoire éloignée de l'intention du dispositif, même si celui-ci propose un médium comme lors de groupes thérapeutiques à médiation.
Les agirs sensori-moteurs émanent d'un mouvement régressif où la sensorialité devient imminente, comme une nécessité à passer par le toucher, le goût, l'olfaction. Certains dispositifs de soins groupaux s'appuient sur un ou des éprouvés corporels pour éventuellement être associés à une verbalisation en lien ou non avec ces éprouvés. Mais parfois l'exploration sensorielle du patient se détourne de la première intention émise par les soignants. L'enfant ou l'adolescent met en scène de l'inattendu, se servant ou détournant le matériel à sa disposition à des fins de symbolisation primaire. Qu'en faire ? Qu'en dire ?
Quelques compte rendus de séances de psychothérapie d'Herminie Leca avec une jeune fille incarcérée et ses après-coup de théorisation illustrent et ouvrent à la discussion sur ces temps où la sensorialité prime sur la verbalisation.
Nous tirerons ensuite quelques fils associatifs des enjeux intrapsychiques et transférentiels de ces agirs.
Rencontre avec l’enfant derrière l’adolescent
Je rencontre Jennyfer dans le cadre du service médico-psychologique d’une prison pour mineurs, elle est incarcérée suite au meurtre de sa mère. Du haut de ses quatorze ans, son aspect policé marque les premiers entretiens. Cette présentation de petite fille sage ne correspond pas au profil des adolescents reçus dans l’institution, et immédiatement, se pose la question de sa place en prison, divisant les professionnels éducatifs et pénitentiaires.
Au cours des consultations, Jennyfer apparaît très en demande, clamant son besoin de parler. Nous proposons une prise en charge avec des temps différenciés, rythmés dans la semaine, et des entretiens alternés par un infirmier, un psychologue et un psychiatre. Jennyfer décrit un véritable huis-clos avec sa mère. Elle dessinera leur appartement, dans lequel elles semblaient évoluer dans un ballet mortifère. Elle tracera un plan de l’appartement afin de me rendre compte avec précision du jour du passage à l’acte. Le dessin ressemble à un labyrinthe sans porte.
Je relèverai pour notre réflexion l’écoute du langage sensori-moteur qui a guidé nos rencontres à travers quelques extraits de séances, où sont particulièrement mobilisés des vécus transférentiels massifs.
Une aire de jeu créée par le cadre des entretiens va favoriser des mouvements corporels que j’écoute comme autant de signes d’un langage de l’enfant. Le corps est présent comme enveloppe (description de sa peau, observation des parties de son corps) et au niveau moteur (utilisation du fauteuil à roulettes, du robinet d’eau, ouverture et fermeture de la porte). Elle a du plaisir à utiliser son corps devant moi, à sentir sa peau sous l'eau.
La première séance est marquée par un passage de redécouverte de son corps. Elle décrit ses mains, ses membres, les veines sous la peau, je nomme les parties comme pour accompagner un bébé en pleine découverte. Elle dira elle-même : « je découvre mon corps, je découvre ma main, je fais comme les bébés […]. Je deviens folle […] je retombe comme un bébé ». Elle suit ses veines, bouge ses articulations et commente : « les articulations fonctionnent, le sang circule ».
Elle se regarde comme support à la parole. Puis ce seront les murs du bureau comme autre support : Sa peau, la peau du bureau, l'enveloppe de son corps, l'enveloppe du bureau/l'enveloppe la prison ? L'enveloppe de l'appartement, la séparation des espaces dans l'appartement.
Séance 9 : Elle démarre sur le mur blanc de mon bureau. « Moi je veux être psychologue, mais pas comme vous car dans mon bureau il y aurait des couleurs, mais j’ai peur de ne pas contrôler mes émotions. »
« J’ai mes mains qui collent » elle se lève, se lave les mains, essaie de casser le dévidoir à savon liquide, sent la plante, sent le savon.
Séance 10 : la stagiaire présente depuis le début est partie.
Elle a eu une reconstitution judiciaire. Elle se dit soulagée. Elle se met à nettoyer mon bureau, joue avec l’eau, la fait couler, m’explique qu’elle a écrit un mot à un garçon puis m’imagine en couple avec une infirmière « je lui ai fait des compliments sur vous… je ne suis pas lesbienne hein ? »
Elle dessine précisément l’appartement où elle vivait avec sa mère, et me raconte la soirée du meurtre. Il n’y a pas de porte avec l’extérieur.
Séance 11 :
Très excitée, elle roule sur mon fauteuil à roulettes, ouvre la porte du bureau à plusieurs reprises, joue avec la balle en mousse. Je la laisse vaquer, tout en l’écoutant : un parloir demain, puis sa tante lui a appris que sa mère a été enterrée avec une photo de sa fille, elle est en colère, « je ne voulais pas savoir avec quels habits elle était enterrée, marre d’entendre parler d’elle », elle lance le ballon fort contre le mur, elle crie : « ça m’énerve, j’ai un problème psychiatrique ».
Elle ouvre la porte : « je suis oppressée ». Elle ne veut pas regarder par la fenêtre. Je dis : « vous avez souvent parlé de votre sensation d’être enfermée ». « Oui. »
Elle se lave les mains, roule sur le fauteuil « comme mon tracteur », elle prend une chaise « le tracteur et sa remorque... le tracteur de mon arrière-grand-père ».
Elle ne tient pas en place, je peine à la rassurer. Je vais partir en vacances. Elle veut ma bague. Je dis : « vous aimeriez un cadeau de moi ». Elle essaye mes lunettes.
Une fois dans le couloir, elle se calme.
La photo dans le cercueil, image d’un bout d’elle dans la mort, sachant son vécu corporel toujours morcelé. Une angoisse d’engloutissement surgit, partir avec la morte « un pied dans la tombe », revient le fantôme de sa mère. L’enfermement du cercueil vient en écho de l’emprisonnement.
Elle frappe la balle, tire fort avec la balle, tire fort le tracteur. Met-elle en scène un vécu d’abus ou de climat incestuel insupportable ? Puis la petite-fille revient dans un jeu d’imitation pour convoquer à nouveau un souvenir rassurant de filiation bienveillante.
Écouter le nourrisson dans la pré-adolescente
Parmi les réflexions propres à la toute petite enfance que nous renvoie Jennyfer, les allusions à la découverte de son corps et l’utilisation des animaux nous incitent à reprendre des conceptions du développement de l’enfant. Le bébé fait l’expérience de sensibilité intime : proprioceptive, organique, auditive ou mentale (se boucher les oreilles par exemple). Il tente de nouer des relations entre les sensibilités sans qu’il soit encore possible de dire qu’il ait individualisé les parties de son corps et pris conscience d’une unité.
Dans un premier temps, il s’agit d’écouter les descriptions de son corps, de ce qu’elle tente d’imaginer de l’intérieur. Elle est en difficulté pour nommer les sensations, d’où son besoin de les sentir dans l’ici et maintenant de la rencontre (faire couler de l’eau, bouger). Dans ces moments d’agitation, l’image de l’appartement-labyrinthe me revient et j’ai des éprouvés d’étouffement. M’appuyant sur mon ressenti, je la laisse littéralement « vaquer » au sens d’être libre, dans un mouvement d’apparence désordonné.
Elle joue entre sensation de l’eau qui coule et envie de casser des objets. Une forme de mise en scène de mouvements de détente/tension, plaisir/déplaisir dont le caractère pressant des sensations de déplaisir pousse à la décharge.
Cette écoute du langage sensori-moteur est essentielle pour aborder une première mise en sens. Bernard Golse rappelle que l’accès au sens dépend de la construction de la sensitivité et de la sensorialité. La réflexivité de la pensée prend ainsi racine dans la réflexivité de la sensorialité, qui est d’abord une forme d’interrogation sur comment sentir son propre corps. Ces mouvements réflexifs sont au centre des processus de subjectivation, et l’étude des émotions et de la polysensorialité est centrale dans les interactions précoces.
Il s’agit d’écouter et de favoriser cette réflexivité nécessaire à un premier échange. Les processus de transitionnalité et de réflexivité propres aux médiations thérapeutiques favorisent l’apparition et le tissage de liens sous l’angle de la relation d’objet, liens qui se déploient au sein d’une aire de jeu. Les différentes formes de médiation favorisent également l’émergence de questionnements autour des origines. La configuration du bureau facilite l'accès à différents champs exploratoires comme on pourrait proposer à un enfant des jouets, des figurines, des doudous, du dessin, etc. Jennyfer expérimente dans la relation transférentielle des jeux d'eau et de peau, des déplacements moteurs, des possibilités de jouer avec le fauteuil à roulettes de la psychologue comme une fillette emprunterait des attributs maternels. Elle verbalise parfois ses éprouvés et ses découvertes. Y a-t-il le même plaisir que chez le jeune enfant qui s'observe et se découvre ?
Aux premiers temps de la vie psychique, il s’agit d’abord de savoir si une chose est source de plaisir ou de déplaisir, si elle est source de plaisir, alors existe-t-elle dans la réalité́ ? Les perceptions questionnent l’existence des éléments qui nous entourent. Après avoir questionné l’existence même de nos perceptions, S. Freud (1925) poursuit sa réflexion sur un autre aspect de la fonction de jugement qui est de pouvoir porter un avis sur l’existence réelle d’une chose. « Le Moi-réel définitif » se développe à partir du « Moi-plaisir initial » (Freud, 1925). Il s’agit de savoir si la chose présente dans le Moi comme représentation peut être retrouvée dans la réalité́. Cela mobilise des questions du dehors et du dedans.
Cette fonction est mobilisée par les interventions verbales du psychologue. Mais elle est également présente dans ces expériences des éléments réels. Il s’agit bien de mobiliser les sens à partir d’un objet réel, en supposant que celui-ci enclenchera un certain travail psychique, lié à la construction subjective du sujet.« La fonction de jugement doit pour l’essentiel aboutir à deux décisions. Elle doit prononcer qu’une propriété́ est ou n’est pas à une chose, et elle doit concéder ou contester à une représentation l’existence dans la réalité́. [...] Le Moi-plaisir originel, comme je l’ai exposé́ ailleurs, veut s’introjecter tout le bon et jeter hors de lui tout le mauvais. Le mauvais, l’étranger au Moi, ce qui se trouve au-dehors est pour lui tout d’abord identique. » (Freud, 1925.)
Pour Golse (2011, p. 22) dans l’approche développementale du statut de la sensorialité́, la perception première fonde donc la représentation mentale, et la représentation authentifie la perception seconde. Il n’y aurait pas de perception possible sans objet interne préalable.
La base des expériences somatiques et sensorielles forme les qualités psychiques et spirituelles de l’enfant. À partir de ce constat, S. Freud (1925) évoque dans son article « La négation », le développement du jugement moral. Ces éléments somatiques sont repris par Bion (1962) dans sa description de l’activité́ de penser. Il a décrit la notion de « conjonctions constantes » : l’enfant va repérer dans son environnement des sous-ensembles de perceptions qui apparaissent toujours de façon constante ou couplée (odeur et goût du lait), la représentation des contenants précède la représentation des contenus. La notion d’écart sera également primordiale (« Est-il [l’objet] comme d’habitude ? ») la différence ouvre sur la tiercéité.
Nous pouvons saisir combien la rencontre sensorielle avec l’objet présent prend sens avec l’objet absent. Dans ces actions sur la réalité, Jennyfer rend ainsi présente la mère morte. Dans ce rapport à l’environnement non-humain au sein d’un cadre thérapeutique, elle peut raconter ses vécus internes.
Place de l'associativité sensori-motrice dans la relation transféro-contre-transférentielle
L'associativité sensori-motrice offre des possibilités de symbolisation primaire pour des sujets n'ayant pas eu accès à la verbalisation ou n’ayant pas accès à la verbalisation. Le recours à des agirs sensori-moteurs prend alors une place dans le fil associatif.
Nous pouvons analyser ces temps à différents niveaux, de la particularité des dispositifs au positionnement thérapeutique du psychologue en passant par la compréhension de ces temps de suspension dans le processus thérapeutique :
- Au niveau du cadre
- Au niveau d'un mouvement régressif au sens thérapeutique
- Au niveau de l'associativité sensori-motrice
- Au niveau du positionnement du praticien
Au niveau du cadre
Le mobilier, les murs et ses tableaux, le matériel de bureau, le thérapeute offrent un univers sensoriel, visuel, olfactif, auditif qui peut se prêter à l'exploration. Ce « déjà-là » devient matière à voir, à sentir, à manipuler. Sous l'attention du thérapeute, le matériel est détourné de son usage et utilisé à des fins sensori-motrices comme un médium malléable. Le cadre est l'objet du transfert où le thérapeute n'est pas différencié dans un premier temps des objets inertes de la pièce. Le cadre matériel devient une aire potentielle de jeux qui se déploient en présence du psychologue et par cette présence se prête à des symbolisations primaires de la part de l'enfant, de la jeune adolescente en l'occurrence Jennyfer. Le thérapeute se fond dans le cadre dans une position d'éventuel regardant, éventuel dans le sens où l’enfant joue seul en sa présence sans qu'il y ait obligatoirement d'interactions directes, verbales ou non verbales.
Le bureau que j'occupais dans une unité d'hospitalisation complète pour enfants, plus approprié aux jeux de symbolisation (poupées, personnages, voitures, maison...) que le bureau pénitentiaire, a été souvent utilisé comme aire de jeu en ma présence.
L'enfant entre, se concentre sur son jeu dans une grande tranquillité qu'il n'a pas toujours dans d'autres pièces du service. Parfois il lève la tête vers moi, nous sommes deux. Un échange de regard ou rien, seulement le ressenti d'une présence et pour l'un et pour l'autre. L'expérimentation sensorielle de l'enfant ne se déroule pas dans une interaction consciente avec l'adulte mais c'est comme si l'enfant était seul, en présence du thérapeute ou seul en présence du groupe lorsqu'il s'agit de groupe à médiation pendant lequel l'enfant s'isole et se concentre sur son activité pour reprendre les propos de Winnicott.
L'enfant crée le cadre, recrée le cadre dans la manière dont il occupe l'espace, dans la manière dont il se sert de chaque composant du lieu. L'enfant défait l'ordre établi pour construire une autre manière d'être présent. Il met en exergue des lieux qui pourraient rester muets : sous le bureau, le lavabo, l'eau, derrière la porte, le long des murs... La pièce se réordonne, se réorganise sous ses agirs.
Dans les groupes collage, certains enfants utilisaient la colle pour se recouvrir les mains, créant ainsi une seconde peau de manière manifeste là où l'encollement de la surface de la feuille-support du collage aurait été une métaphore des doubles feuillets du Moi-peau entre la feuille-support et les papiers ou autres matières à encoller. L'encollement de la peau passe par l'odeur du produit, la sensation de froid puis de rétractation de la peau qui se plisse. La colle « colle à la peau » sans espace de différenciation, elle procure des éprouvés sensoriels, révélant l'enveloppe corporelle. Elle en crée une plus sécurisante là où celle de l'enfant est poreuse, elle en ajoute une nouvelle, une éventuelle carapace. Certains enfants s'adonnaient à ces gestes pendant toute la durée du groupe à médiation, encollant et réencollant leurs mains, leurs doigts, leurs avant-bras, ou encore faisant glisser la colle entre leurs doigts, le long de leurs mains, la laissant goutter sur le papier, métaphorisant un corps qui se liquéfie, figurant une angoisse de vidage.
Au niveau d'un mouvement régressif
Les lieux d’enfermement, de détention pour les enfants oscillent entre deux pôles, celui de la contention qui tend à abraser le pulsionnel et celui de l’acceptation et de l’accompagnement de mouvements régressifs, en particulier sensori-moteurs par des équipes soignantes qui auront des effets thérapeutiques.
Cette régression, au sens thérapeutique, se réfère au modèle du changement proposé par Winnicott (1965), un retour, par une régression contrôlée, à la situation primitive de carence et, à partir de là, une reprise de la maturation en suivant les étapes naturelles du développement. Ce processus s’opère en plusieurs stades. Il s’agit au départ d’aménager une situation thérapeutique sécurisante, qui puisse donner confiance au patient, le soutenir et dans laquelle il se sente libre de régresser complètement. La régression est ici un retour organisé à une dépendance primitive. Le processus doit accompagner un mouvement de la régression à la dépendance et s’acheminer progressivement vers l’indépendance. Winnicott précise que ce temps se fait avec peu d’interprétations. Le thérapeute doit tolérer le passage à l’acte car celui-ci traduit mieux que ne peut le faire la parole ce que le patient cherche à obtenir. Puis il peut, si cela est possible, exprimer la compréhension qu’il a eue de ses agirs au patient.
Cependant le vécu, pendant l’enfance ou l’adolescence, de l’enfermement créerait-il une enveloppe psychique élargie rassurante dans laquelle le monde interne serait réduit à un espace congru eu égard à la solidité d’une enveloppe carcérale ?
Au niveau de l'associativité sensori-motrice
Dans cette co-construction entre patient et thérapeute, l'observation et le passage par des agirs auto-centrés sur la perception ou la provocation de sensations corporelles amènent à penser ces éprouvés sensoriels non comme une rupture dans le processus de symbolisation mais dans un continuum qui ne peut à ce moment-là que passer par une recherche de sensations.
Anne Brun nomme associativité formelle dans les groupes à médiation « l'enchaînement de formes non seulement dans la production mais aussi dans l'ensemble du langage sensori-moteur des enfants confrontés au médium... Elle provient de la mise en jeu de la sensori-motricité des enfants mobilisés dans le travail du médium ». La chaîne associative formelle est constituée de signifiants formels. Pour D. Anzieu
Les signifiants formels s'organisent au carrefour de trois séries de facteurs : les éprouvés corporels (rythmes, positions, sensations diverses...), les possibilités de communication de l'enfant et les réponses maternelles.... Ces signifiants sont radicalement étrangers à l'univers linguistique. On est donc du côté des éprouvés sensoriels qui aident à figurer le sujet dans l'espace (par exemple dans les bras de la mère).« Le signifiant formel s'impose sous la forme d'un vécu hallucinatoire. Il n'est pas un fantasme mais une impression corporelle, une sensation de mouvement et de transformation, qui ne suppose aucune distinction entre le sujet et l'espace extérieur et qui est ressentie par le sujet comme étrangère à lui-même. Les signifiants formels sont constitués d'images proprioceptives, tactiles, coenesthésiques, kinesthésiques, posturales, d'équilibration et ne se rapportent pas aux organes des sens à distance, la vue, l'ouïe. Ils renvoient à des protoreprésentations de l'espace et de l'état du corps ; ce sont des représentations des figurations du corps et des objets dans l'espace, ainsi que leurs mouvements. En définitive, il s'agit de représentations d'enveloppes et de contenants psychiques » (1993, p. 62.)
La notion d'associativité formelle peut s'appliquer à des séances de psychothérapie sans médium proposé par le thérapeute puisque comme nous l'avons dit précédemment le cadre matériel de la rencontre s'offre comme médium malléable si le psychologue accepte qu'il soit malléable. Par son attention et sa tolérance il favorise l'émergence de formes primaires de symbolisation.
Ce serait comme s'il fallait pour le patient dans ce temps-là percevoir ou renforcer son enveloppe corporelle dans un mouvement de singularisation, d'unification de son propre corps mais aussi dans un second temps de différenciation d’avec le thérapeute.
Au niveau du positionnement du praticien
L'enfant ou l'adolescent est accaparé par un éprouvé sensoriel qui ne se prête pas à interprétation pour Winnicott. Le faire-avec ou à côté de permet de créer et maintenir une enveloppe protectrice facilitant pour le patient l'accès aux expériences sensorielles.
Le thérapeute participe d'une enveloppe conjointe avec l'enfant dans la construction d’un premier cadre symbiotique (Bleger), qui autorise ensuite par les agirs sensori-moteurs des manifestations de séparation-individuation. Jennyfer se différencie de la psychologue en s'identifiant à elle lorsqu'elle affirme que plus tard elle sera psychologue... mais pas tout à fait identique à sa thérapeute... L'attention portée à l'appropriation de l'espace et du matériel pour l'enfant comme tentative d'emprise sur son environnement dans des lieux de contrainte où il ne peut l'exercer, lieux qui réactualisent les failles de la pulsion d’emprise durant sa petite enfance crée un chemin thérapeutique que le psychologue accompagne pas à pas.
En conclusion, le bricolage dans le lien thérapeutique convoque l'attention et la créativité du thérapeute dans un mouvement d'ajustement de bric et de broc non interprété sans savoir ce qui en adviendra. La suspension du cours de la séance par la recherche d'éprouvés sensoriels de l'enfant ou de l'adolescent demande au thérapeute de rechercher un positionnement inédit. Le bricolage contraint à s'éloigner d'une attente enfermante et conforme pour qu'apparaissent des morceaux insignifiants comme dans un atelier un rebut abandonné va trouver tout à coup une fonction de support, d'étayage, de joint. Le bricolage thérapeutique est une écoute d'éprouvés sensoriels dont on pourrait penser qu'ils ne servent à rien et pourtant qui forment le fondement narcissique primaire du sujet comme lorsque Jennyfer observe longuement ses mains et découvre le trajet de ses veines.
Nous pouvons dire qu'en déployant les différents niveaux de ces temps de suspension sensorielle, nous proposons une écoute du langage sensori-moteur afin de pouvoir les intégrer dans l’analyse du cadre thérapeutique et ainsi le modifier dans une co-création d'un espace de symbolisation. Ce langage s’exprime parfois sous forme de détails, d’autre fois dans des mouvements répétitifs ou jugés comme peu élaborés, alors que son intégration est essentielle dans la réflexion autour de nos modalités d’intervention auprès du patient, particulièrement dans des situations réputées comme aux limites du soin.