Guy Boley, 2018, Quand Dieu boxait en amateur

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Référence(s) :

Guy Boley, 2018, Quand Dieu boxait en amateur, Paris, Grasset, 176 p., 17 euros

Texte

Déjà, le titre. Ça déroute ! En fait, surtout, ça condense. Il faut le dire d’emblée, Guy Boley a du style, le sens de la formule tout autant que du rythme. Pas gratuitement, mais pour signifier et pour le plaisir partagé avec le lecteur.

Jubilation : c’est le mot qui me semble le mieux définir cette formidable expérience de lecture.

Il n’est pas si fréquent de lire des livres aussi riches, des livres si écrits et si vifs à la fois, des livres riches d’une large palette sur le nuancier des affects.

Guy Boley, la soixantaine passée, des milliers de pages écrites, un seul livre publié avant celui-ci (Fils du feu), revisite son passé autour de la figure centrale du père, revisite ses mouvements d’enfant, d’adolescent, d’adulte à son égard, maintenant qu’il est mort, ce père. Il ne se fait pas de cadeau, n’a pas peur de sa naïveté, manière de vivre, de son égoïsme, manière de survivre à l’adolescence et à un petit frère mort très tôt, ravage des parents.

Quand Dieu boxait en amateur est de ces livres qui se dévorent (il faut dire que l’auteur est un ogre, il a beaucoup lu, digéré, il fait feu, et quel feu !, de tout bois), dont on a envie de lire des passages à haute voix à celle que l’on aime (parfois, elle en a un peu marre, on la comprend, elle n’est pas dans le bain), de ces livres dont on se dit aussi qu’il faudra qu’on les reprenne, passé le temps de l’urgence. On n’a pas envie de quitter cette jubilation !

Ça commence fort, en un raccourci qui participe largement à l’art tantôt flamboyant, tantôt intime et tendre, de Guy Boley. Le père meurt dans l’hôpital où il est né, cela donne : « Distance entre le lieu de sa naissance et celui de sa mort : trois étages. »

Cela se passe dans un milieu populaire, ouvrier. René, le père, a perdu le sien, comme dit toujours sa mère, plutôt fermée côté émotion : « Paf ! Écrasé entre deux wagons, comme une crêpe, le pauvre ! ». René aimait lire, elle avait peur que ça l’effémine, elle l’a inscrit à la boxe. Il est devenu artisan ferronnier, pas loin du dépôt de la SCNF du temps des machines à vapeur qui noircissaient de suie le paysage, le linge. Il aime et épouse celle qui deviendra la mère de l’auteur. Le fils reprend à son compte l’amour des mots, le pousse plus loin, profite de l’amour du père (pour lui, pour les livres), de mai 68 et de ses suites…

Quand Dieu boxait en amateur est une chanson de geste contemporaine : la geste du père et, en arrière-fond, d’un monde ouvrier qui n’est plus. À cette geste, deux grands épisodes : le père boxeur champion de France amateur. Le père jouant le Christ dans le spectacle paroissial La passion de notre Seigneur Jésus-Christ mis en scène par son copain d’enfance, Pierre, devenu curé. Curé qui explique au père, qui chantait avec sa femme l’opérette dans la cuisine et faisait de la figuration au théâtre de Besançon, qu’être acteur, c’est comme être boxeur, qu’il faut aller chercher au fond de soi. Et le père y arrive, il finit par être le Christ guérissant, enseignant, souffrant, mourant et rejoignant son Père.

Mais cette geste est foudroyée : le petit frère de l’auteur meurt à quelques jours. Le père ne peut plus jouer le Christ, ne peut plus croire, sa femme devient un peu folle, il boit de plus en plus. Guy se sauve, à entendre dans tous les sens. Il écrit beaucoup, à 66 ans (deux fois l’âge du Christ à sa mort !) publie Quand Dieu boxait en amateur. Alors, quelques phrases pour la route, pour donner envie de faire la route avec lui, avec eux :

« Il rendit l’âme quelque trente jours plus tard, dans ce petit hôpital de quartier que l’on connait déjà, à la verticale du lieu qui l’avait vu naître, trois étages au-dessus. Son visage et ses mains étaient encore tout maquillés d’enfance ; son âme en partance s’était revêtue du souvenir d’Ali [l’idole Mohamed Ali, le boxeur], afin de ne pas partir trop seul, afin de s’en aller vainqueur et roi du monde, pour rejoindre sa mère, pour qu’elle soit fière de lui et qu’elle puisse, surtout, enfin le lui dire.
Je mis son short sur son cadavre ; on l’enterra avec. »

Citer cet article

Référence papier

Jean-Marc Talpin, « Guy Boley, 2018, Quand Dieu boxait en amateur », Canal Psy, 127 | 2021, 2.

Référence électronique

Jean-Marc Talpin, « Guy Boley, 2018, Quand Dieu boxait en amateur », Canal Psy [En ligne], 127 | 2021, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 01 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=3396

Auteur

Jean-Marc Talpin

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