Gaïto Gazdanov, Éveils

p. 12

Référence(s) :

Gaïto Gazdanov, Éveils, Viviane Hamy, 1988, 156 p.

Texte

Certains livres arrivent en fanfare, d’autres prennent leur temps, se laissent rencontrer comme par hasard, parfois même se présentent d’une manière qui, dans l’air du temps, ne les sert pas forcément. Ainsi d’Éveils, de l’écrivain russe Gaïto Gazdanov, paru un peu après la seconde guerre mondiale et aujourd’hui traduit et édité par Viviane Hamy (1988, 156 p). Éveils avait pour bandeau chez le libraire « le livre de la bonté ». C’est, de nos jours, risqué. Lecteur, risque-toi ! Risque-toi et tu découvriras que la bonté est l’un des noms possibles de la bienveillance, second terme souvent négligé de la fameuse neutralité bienveillante. Or, à sa manière simple et profonde, discrète tout autant que son personnage principal, Éveils est bien l’histoire d’un soin.

La rencontre fortuite d’un ami, François, conduit Pierre Fauré vers le sud de la France pour un séjour de vacances avec celui-ci et sa famille quelque temps après la fin de la seconde guerre mondiale. Depuis le décès de sa mère, dont il s’occupa jusqu’à la mort, Pierre vit seul, dans une vie vide, seulement organisée par un travail auquel il ne trouve plus guère de sens.

À peine installé dans la pièce qui lui sert de chambre, il est visité par une femme nus pieds, sale, en loques. François lui explique qu’il s’agit d’une femme trouvée, hagarde, durant l’exode. Elle s’est installée dans une masure, François et sa famille la nourrissent. Elle ne parle pas, n’entre en relation avec personne, vit dans une profonde saleté, est incontinente. Après un temps d’approche, Pierre décide, la fin des vacances approchant, de l’emmener à Paris, chez lui. Il ne sait pas très bien ce qu’il espère mais croit qu’il peut quelque chose pour cette femme, en même temps qu’il est conscient que ceci donnera un sens à sa vie. Marie se laisse plus ou moins faire, n’oppose pas vraiment de résistance. Pour autant les progrès ne sont guère visibles. Pierre, qui cherche à comprendre, rencontre un psychiatre profondément humain qui lui dit qu’on sait bien peu de l’homme, qu’il doit continuer ce qu’il a entrepris, qu’on ne sait jamais. Pierre continue à s’occuper de Marie, y compris dans les soins corporels, le nourrissage. Petit à petit, sans jamais parler, Marie semble commencer à s’éveiller. Une maladie grave met ses jours en danger mais est aussi l’occasion d’une transformation. À partir de là elle s’éveille, retrouve la parole, finit par raconter son histoire et à entrer en relation avec son ancien milieu. Avec une grande finesse, G. Gazdanov pointe le sentiment amoureux qui teinte de plus en plus la relation de Pierre à Marie et le risque de la perdre que celui-ci accepte de prendre en lui permettant d’aller de mieux en mieux et de rencontrer des gens de sa vie d’avant.

En ceci Éveils ne peut que parler aux psychistes et à tous ceux qui font profession (ou non) de s’occuper d’autrui. Quelle est la nature du lien qui le relie à autrui ? Quels enjeux psychiques y sont intriqués ? Tout en n’oubliant pas que l’on n’aide jamais l’autre pour rien, G. Gazdanov souligne qu’une position éthique demeure toujours possible et qu’à la base de tout soin il y a nécessairement la croyance que quelque chose est sans doute possible.

Citer cet article

Référence papier

Jean-Marc Talpin, « Gaïto Gazdanov, Éveils », Canal Psy, 79 | 2007, 12.

Référence électronique

Jean-Marc Talpin, « Gaïto Gazdanov, Éveils », Canal Psy [En ligne], 79 | 2007, mis en ligne le 24 septembre 2021, consulté le 23 juillet 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=663

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Jean-Marc Talpin

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