Lorsque les médias traitent des sectes, exemple de Raël

DOI : 10.35562/canalpsy.985

p. 10-12

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Author's notes

Cet article est en partie tiré d’un mémoire réalisé pour le DU de Victimologie liée à la nuisance sectaire : « La formation du bénévole d’association d’aide aux victimes des sectes », 2002, Université Lyon 1.

Text

« Mais où le téléspectateur a-t-il appris à « regarder » l’image en général et la télévision en particulier ? Est-ce inné chez l’homme moderne ? Les comportements les plus élémentaires (marcher, s’habiller, se nourrir) ont tous exigé un apprentissage. […] Ou bien est-ce un faux problème : tout le monde est bien capable de comprendre tellement le message télévisuel est simple ! […] Ce point de vue de l’évidence de la télévision n’est pas sans rappeler l’évidence de la propagande1. »

Le Mouvement Raëlien est une secte française née il y a une trentaine d’années. Sa doctrine pourrait se résumer ainsi : les hommes ont été amenés sur terre par les extraterrestres qui avaient la technologie du clonage. Les grands prophètes et le gourou lui-même, qui est le dernier des prophètes, Raël, ont tous des pères extraterrestres et des mères humaines. Le but des hommes est de récolter le plus d’argent possible pour construire un hôtel d’accueil aux extraterrestres. Parmi les points essentiels de la doctrine, l’idée d’une « géniocratie », « démocratie » réservée uniquement aux génies… Les usages de la secte sont la sexualité libre (jusqu’à « l’éducation sexuelle physique » des enfants), la conservation après la mort d’un os frontal pour une immortalité prochaine, la recherche scientifique sur le clonage humain.

Description de l’émission

Il s’agit d’un reportage diffusé dans l’émission « soirée spéciale secte », transmise sur M6 à 20h50.

Il était question de la secte « Mouvement Raélien ». Différents thèmes articulaient le reportage : la question de la notoriété acquise par la secte à chaque passage télévisé de son gourou « Raël », un portrait rapide de ce dernier (son nom réel, son parcours, sa famille…), les extraterrestres, les comportements sexuels « libres » et surtout déviant facilement (pédophilie, viols…), et enfin, le thème du clonage cher aux raéliens, thème sur lequel j’ai décidé de m’arrêter pour cette analyse.

Le clonage est en effet cher aux raéliens (et l’annonce de la naissance le 26/12/02 d’une petite fille clonée par les raëliens le prouve), persuadés qu’il est le départ de l’immortalité. Le reportage nous montre alors dans l’ordre : des pages Internet de la société « Cloned », société raélienne consacrée aux recherches sur le clonage, puis une adepte de 22 ans, étudiante aux beaux-arts, qui a accepté de porter le premier bébé cloné par la secte afin de le restituer ensuite aux parents génétiques2 : en effet, ceux-ci ont fait appel au Mouvement Raélien pour « cloner leur enfant mort à 8 mois »3. Nous ne verrons pas les parents, apprenant que depuis le tournage des images, ceux-ci ont décidé de revenir sur leur décision « de cloner leur enfant », chez les raéliens tout du moins. Enfin, le reportage se terminera sur une petite interview d’un scientifique expert en question de clonage : Jacques Testard4.

Cette minuscule interview, révélant tout à fait l’orientation du reportage, s’est déroulée ainsi : À la première question du journaliste : « Peut-on cloner un humain ? », Jacques Testart répond : « Nous avons pu le faire sur la brebis et la vache, bref sur de grands mammifères, il n’y a aucune raison pour que nous ne puissions pas le faire avec les humains ». À la seconde et dernière question : « Est-ce dangereux ? », l’interviewé répond : « oui, il y a les risques de césarienne et tous les risques de la grossesse en général qui sont accentués par le fait que lors des clonages, le fœtus a tendance à être plus gros que normalement. Et puis, il y a des risques pour le fœtus puisque les chances de malformation sont plus importantes ».

Le reportage complet se termine sur cette réponse.

La forme de ce reportage, de toute évidence particulièrement maladroite, transforme le fond : comme si la perversion de la secte avait contaminé le reportage à l’insu des journalistes…

Analyse du « discours »

Car ici, le reportage introduit le thème du clonage par la demande d’un couple de cloner leur enfant mort : personne ne relève alors qu’il y a là une confusion entre « clonage » et résurrection5. Qu’attendent ces parents d’un tel acte ? Pensent-ils ainsi retrouver leur enfant décédé ? Cela ne fait aucun doute et la question du deuil sous-jacente laisse pensif… Elle rappelle le cas de Pierre-Marie, né un an après la mort de son frère Pierre, dont Serge Leclaire6 nous dit :

« Pierre-Marie apparaît comme le remplaçant de Pierre, et tout son problème consiste à tuer la représentation de Pierre-Marie, substitut vivant de Pierre mort. […] Pierre-Marie se trouve […] confronté à lui-même, enfant voué par sa mère à l’immortalité dès avant sa naissance, en lieu et place de son frère mort ; il brûle comme une lumière de deuil destinée à ne jamais s’éteindre. »

Quelques mots, une phrase seulement, auraient permis de positionner le reportage par rapport à cette question. Ici, le doute de la résurrection subsiste…, d’autant que les mots employés le laissent subsister : « cloner leur enfant mort » : mais est-il seulement de cloner un humain ?

On pourrait penser que cette question est celle posée au scientifique (et dans les mots, c’est effectivement la question posée). Mais avec la réponse qui nous est offerte, l’idée même de cloner un humain n’est pas remise en question : il est ici comparé aux grands mammifères.

Or, dans un autre reportage utilisant les mêmes rushes, Envoyé spécial, on peut s’apercevoir que la question de l’éthique a été abordée en premier lieu par le scientifique. C’est donc au montage de ce reportage que cet aspect a été « coupé ». En effet, à aucun moment, il n’a été question de cloner « le corps » de l’humain. Tout nous est présenté comme si l’humain n’était que son corps, l’humain n’était qu’un corps, qu’un objet.

On voit alors comment la forme du reportage (réduire l’humain à son corps et ne parler de lui qu’en ces termes) vient faire résonance à une problématique perverse et incestueuse, problématique si présente dans les groupes sectaires… L’adepte n’est plus qu’un corps habité du corps de la secte (ce clivage permettant son assouvissement bien plus facilement.)

Car le fantasme de parthénogenèse n’est-il pas l’exacerbation de l’inceste ? Il est pire encore que Pygmalion créant sa statue, ici, même la différence des sexes est niée. L’enfant n’est plus qu’un soi-même en devenir, l’altérité n’existe plus : l’enfant n’est pas un autre, et le tiers, qui devrait se trouver dans les deux parents se retrouve anéantit par l’idée même de parthénogenèse.

« L’enfant n’est pas ouvert sur l’origine, il n’est pas le fils de l’Homme, il est la créature d’un parent tout-puissante. L’enfant incestué est dans la mêméité (Dolto), dans le même, dans la fusion7. »

N’est-ce pas une façon de définir l’enfant né de la parthénogenèse ? La différence est intolérable dans le concept de parthénogenèse et c’est pourtant dans cette différence, dans cet écart que naît la vie… Quelle vie attend cette petite fille clonée ?

Lorsqu’alors la question des dangers est posée, rien ne vient étayer l’idée que l’humain est plus riche qu’un seul corps, qu’il est le fruit de l’histoire générale des hommes et particulière de la famille, qu’il est vivant dans les psychés de ceux qui l’attendent, qui petit à petit, laisseront naître l’enfant réel et feront le deuil de l’enfant imaginaire : naîtra ainsi l’altérité, un autre humain qui pourra à son tour donner vie. Dans l’interview, les dangers sont biologiques : césarienne, mal formation… Qu’en est-il de cet enfant créé pour n’être pas ? Qu’en est-il de cette « mère porteuse », tout entière à son gourou au point d’abandonner son enfant « pour faire le bien et rendre cet enfant à ses parents en le créant-recréant8 », nous explique-t-elle ? Les risques ici ne sont-ils pas tout simplement la mort psychique de cet enfant et la décompensation psychique de cette « mère » ? Rien n’est dit à ce sujet, le reportage se termine sur ces questions-réponses, sans à aucun moment parler de l’éthique, éthique dans laquelle figure cette question de l’identité humaine, ce qui fait de nous des mammifères si différents.

Trois hypothèses ont pu être formulées vis-à-vis de la forme de ce reportage :

  • soit les journalistes avaient fait un reportage en faveur de Raël, ce qui semblait être une hypothèse tout à fait loufoque et non fondée,
  • soit ils venaient de se faire manipuler de façon subtile par la secte, les amenant à poser les questions sans réelle importance au détriment des questions essentielles, et à couper les réponses importantes,
  • soit la télévision et les médias en général représentant une caisse de résonance des représentations sociales, celles-ci avaient tendance en ce moment à aimer l’idée d’une parthénogenèse chez l’humain.

Je garderai les deux dernières hypothèses. Comment les journalistes avaient-ils pu se faire manipuler et l’avaient-ils été vraiment ?

Tout d’abord, l’idée même d’un reportage sur le Mouvement Raëlien paraît d’emblée très complexe. En effet, le gourou nous explique qu’il a réuni ses premiers adeptes en passant dans l’émission « Apostrophe » pour expliquer ses « enlèvements par les extraterrestres ». Il avait dès le lendemain reçu « des milliers de lettres ». Et nous apprenons alors par les journalistes que chaque reportage sur cette secte crée une augmentation du nombre d’adeptes… Introduction plutôt étrange.

Puis, au premier abord déstabilisé par les réponses loufoques des raëliens et en particulier de leur gourou (exemple : « je suis le demi-frère de Jésus et mon père est un extraterrestre »), le journaliste ne peut s’empêcher de rire. Deux conséquences émanent de ce manque de sérieux : d’une part le journaliste ne paraît pas crédible car peu professionnel aux yeux de ceux qui soutiennent Raël et renforce ainsi leur conviction paranoïaque que les non-raëliens cherchent à nuire. D’autre part, ce rire témoigne d’un mouvement défensif qui sous-entend que Raël a un effet sur le journaliste. Cela renforce à nouveau les convictions des adeptes sur les pouvoirs de leur gourou et met en avant ce pouvoir aux yeux des non-adeptes qui perçoivent, ne serait-ce qu’inconsciemment, que c’est un mode défensif. Ce pouvoir, accentué par la perversion de Raël, peut expliquer qu’il ait manipulé les journalistes pour les emmener là où il savait que le reportage lui nuirait le moins, voire l’avantagerait.

Ainsi, la manipulation ne concerne pas que les individus esseulés. Et lorsqu’il s’agit d’une équipe de journalistes, transmetteurs d’informations, cette manipulation devient exponentielle à chaque passage du reportage… Or, lorsque l’on est confronté aux victimes de sectes, et précisément aux familles d’adeptes, on constate souvent que la première source d’information concernant la secte qui les touche est très souvent l’outil télévision.

Quant à la dernière hypothèse, qui n’invalide pas la précédente, il ne fait plus de doute désormais que les médias en général représentent une caisse de résonance des représentations sociales. Valérie Bertrand, dans son article intitulé « Fait d’hiver : La mise en scène du SDF dans la presse », nous en fait la démonstration. Elle conclut sur ce thème :

« L’événement médiatique est une crête à la surface de mouvements profonds. Analyser le dire événementiel, c’est accéder au système de catégorisations et de représentations que la pensée sociale produit9. »

Mais peut-on penser que la tendance actuelle serait de ne parler de la parthénogenèse chez l’humain que d’un point de vue biologique ? En lisant un article de Valeurs mutualistes, revue d’une mutuelle destinée aux professeurs, la question s’est à nouveau posée : en effet, les arguments offerts par Albert Jacquard sont des plus étonnants :

« Si on va jusqu’au bout pour fabriquer un enfant [par parthénogenèse], il faut dire non, pour une raison : cet enfant a un avenir biologique déjà fait. Alors que la beauté de la procréation, c’est le tirage au sort. »

Dans cette interview, il n’est à nouveau pas question de l’aspect psychologique du clonage parthénogénétique. Néanmoins, cela ne suffit pas à valider cette dernière hypothèse. Elle reste entière et en réflexion, à l’affût des nouvelles informations transmises par les médias à ce sujet afin d’avoir un corpus suffisant pour pouvoir l’invalider ou non de manière scientifique10. Les articles scientifiques sont en général quant à eux bien plus tranchés sur la question11. Néanmoins, ils ne font que très rarement appel aux notions psychologiques, mettant ainsi de côté les dangers psychiques d’une telle pratique (même si elle semble parfois sous-entendue).

Pour conclure, la lecture des « articles télé » n’est pas simple et son apprentissage semble primordial.

« De même que l’on apprend à lire un texte, puis à le comprendre en analysant ses différentes composantes, de même il faut apprendre à regarder et à écouter la télévision pour que sa compréhension soit plus qu’une simple perception physiologique12. »

Car, l’analyse de la forme des informations que nous offre la télévision permet de dévoiler les modes de fonctionnement de ses objets d’étude, comme si la réflexivité se trouvait ici absorbée par la mise en scène et le montage vidéo.

Notes

1 Philippe Viallon, 1996, L’analyse du discours de la télévision, Que sais-je ?, PUF, Paris, 127 p., p. 5, 6.

2 Mathieu Perreault, « Cent femmes pour un clone » in La Presse Montréal, 25/08/00.

3 Les guillemets ont ici toute leur importance : il s’agit des mots employés lors du reportage et sur lesquels je m’arrêterai.

4 « Directeur de recherche à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm), spécialiste en biologie de la reproduction, “père scientifique” du premier bébé éprouvette français, Jacques Testart est aussi l’auteur de plusieurs essais témoignant de son engagement pour “une science contenue dans les limites de la dignité humaine”. » : Label France n° 23 du 03/96, site web : www.France.Diplomatie.fr/label_France/France/SCIENCES/TESTART/tes.html. En effet, ce scientifique s’intéresse beaucoup à la question de l’éthique mais cette information ne nous est pas transmise dans le reportage.

5 À ce propos, le second candidat au clonage chez les raëliens fut un homme atteint d’un cancer, espérant ainsi « ne pas mourir »… AFP, 09/04/02.

6 Serge Leclaire, 1971, On tue un enfant, un essai sur le narcissisme primaire et la pulsion de mort, Ed. du Seuil, Paris, 141 p., pp. 19-23.

7 Cours du DU de Victimologie liée à la nuisance sectaire de Liliane Daligand du 08/02/02.

8 La jeune femme se perd elle-même, signe d’une réelle confusion…

9 Valérie Bertrand, « Fait d’hiver : La mise en scène du S.D.F. dans la presse » in Canal Psy no 52, février-mars 2002, « L’errance urbaine », Lyon, Edition Université Lumière Lyon 2, pp. 8-10, en annexe n° 4.

10 D’autres articles lus depuis tels « Rencontre avec Jacques Testart, Comment seront conçus nos bébés demain ? » Enfant Magazine, n° 139, mars 2003 ; « Les Raëliens tentent de cloner une vingtaine de personnes pour atteindre la vie éternelle », Le Monde du 12/07/02 ; « Corée du Sud : Enquête sur un possible clonage humain », Le Parisien du 25/07/02, ne contredisent malheureusement pas cette hypothèse.

11 Par exemple, dans L’homme et le clonage. Point de vue d’un biologiste, Pr. Charles Thibault, « INRA 78352 » Jouy en Josas, l’auteur se veut clair et précis en citant plusieurs raisons qui pourraient être à la source d’une telle envie : a - « les femmes qui voudraient éviter la reproduction sexuée (désir d’être mères sans recourir à un partenaire ou à un donneur de sperme) ; b - « les femmes qui désireraient perpétuer l’image de leur jeunesse. Ces deux désirs de procréations imaginées par la génitrice, ne prennent pas en considération l’enfant, qui a droit à une originalité biologique due à la combinaison de gênes paternels et maternels, base de sa personnalité et de son indépendance. Ajoutons que l’enfant-clone aurait continuellement devant elle, l’image de ce qu’elle serait en vieillissant. [voir suite p. 44] c - « couples qui souhaiteraient reproduire à l’identique un enfant mort (à condition d’avoir prélevé un fragment de tissu avant sa mort). Pourquoi vouloir effacer le souvenir d’une vie en initiant un nouvel être semblable qui sera toujours l’objet d’une comparaison par rapport à la référence, l’enfant mort, alors qu’en plus il risque d’être partiellement différent comme le sont les vrais jumeaux ? Une telle attitude rappelle celles de personnes dont le chien ou le chat vient d’être écrasé et qui courent racheter un animal semblable à l’accidenté. Ces trois premières indications relèvent donc de la naïveté, de l’égoïsme et du fantasme. Oublions-les au plus vite. […] En ce qui concerne l’homme, le clonage ne peut que viser d’autres objectifs. Toutes les pseudo-indications médicales évoquées dans la littérature, pouvant faire appel au clonage, relèvent de l’égoïsme et du fantasme, dont la victime oubliée est toujours l’enfant, et d’une méprise sur ce que peut apporter le clonage. »

12 Philippe Viallon, 1996, L’analyse du discours de la télévision, Que sais-je ?, PUF, Paris, 127 p., pp. 5, 6.

References

Bibliographical reference

Noëlle D’Adamo, « Lorsque les médias traitent des sectes, exemple de Raël », Canal Psy, 57 | 2003, 10-12.

Electronic reference

Noëlle D’Adamo, « Lorsque les médias traitent des sectes, exemple de Raël », Canal Psy [Online], 57 | 2003, Online since 23 juin 2021, connection on 16 août 2025. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=985

Author

Noëlle D’Adamo

Étudiante en DEA de psychologie clinique à Lyon 2, maître de recherche : Bernard Chouvier1 Cet article est en partie tiré d’un mémoire réalisé pour le DU de Victimologie liée à la nuisance sectaire : « La formation du bénévole d’association d’aide aux victimes des sectes », 2002, Université Lyon 1.

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